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GRAISSER [ɡʀɛse]
v.

Rem.

Parfois aussi prononcé [ɡʀese].

I
1

v. tr. Fam.Recouvrir (une tranche, un morceau de pain, une biscotte) de beurre, de confitures, de mélasse, etc.

 beurrer (pour la plupart des emplois de graisser).

Toujours, il arriva, je ne sais comment, que la famille Lagueux apprit que je n’avais que du pain sec pour mon déjeûner [sic]. Que fit-elle? [...] elle m’envoyait, par l’entremise d’un autre écolier, un beau et riche bol de café, tous les matins. À certains jours, je recevais, en surcroit [sic], de quoi graisser mon pain, sans toutefois soustraire le bol de café. 1880, A. Mailloux, Promenade autour de l’Île-aux-Coudres, p. 81-82.

I avait pas été élevé à graisser son pain avec du beurre. [...] I était pas riche chez eux. C’est pas disable si i en ont mangé d’la galette de sarrasin. 1945, Cl.-H. Grignon, « Le père Bougonneux », dans Le Bulletin des agriculteurs, juin, p. 4.

 VieuxGraissée n. f. Tranche de pain recouverte de beurre, de confitures, etc.

 beurrée.

2

v. tr. VieilliRecouvrir, enduire (qqn, une partie du corps de qqn) d’une substance quelconque destinée à protéger, à guérir.

Graisser (qqn) avec, de qqch.

 v. pron.

Se graisser les bras avec de la gomme de sapin.

Rem.En France, le mot se dit en parlant d’un corps gras dont on enduit qqch. (p. ex. graisser des souliers).

Monsieur, dit-il, vous avez dû coucher longtemps sur des fougères, vous; vous m’excuserais [sic] de vous parler comme ça; mais je suis bien curieux, je voudrais savoir si tous les messieurs de la ville se graissent les jambes avec de la gomme [pour se protéger contre les moustiques]. 1873, A. Buies, Chroniques, humeurs et caprices, p. 372.

Le bras mort est une maladie de grande circonstance. Elle survient peu fréquemment, mais toujours après de grands efforts musculaires. [...] Le fesseux [« frappeur (au baseball) »] qui arrête trop vite de fesser, à qui les bras manquent avant la fin d’un engagement, peut difficilement gagner. Il lui faut, s’il en a encore le temps, se graisser au plus vite le bras avec de la moutarde, du pinekileur [= painkiller « calmant, analgésique »] ou un tonique au whisky, pour réveiller son bras mort, sans quoi c’est lui qui se fait fesser. 1931, Le Goglu, Montréal, 21 août, p. 2.

Quand il voit ça, John s’en retourne au campe. Puis là, il reste avec sa religieuse, puis il lui fait des soins. Il la graisse avec toutes sortes de gommes qu’il pouvait trouver dans le bois pour tâcher de la guérir. 1976, Notre-Dame-d’Hébertville (Lac-Saint-Jean-Est), dans B. Bergeron, Les Barbes-bleues, 1980, p. 232.

v. pron. VieilliSe maquiller, se farder. (Lavoie 2619).

VieuxGraisser le gosier à (qqn) : faire boire (qqn).

[...] mais avant qu’ils parlassent on leur fit un présent pour leur graisser le gozier, et ôter la poussière qu’ils avoient contractée dans le voiage, afin de donner une plus libre sortie à leurs paroles. 1646, Marie de l’Incarnation, dans G. Oury (éd.), Correspondance, 1971, p. 279.

 Se graisser le gosier : prendre un verre.

Deux individus qui s’étaient graissés [sic] le gosier plus que de raison en sont venus aux prises hier sur la place Jacques-Cartier. 1882, Le Nouvelliste, Québec, 27 juin, p. 3.

 Graissé, graissée adj. RareMaquillé, fardé.

Ses ongles étaient peints. Ses cheveux étaient teints. Ses lèvres étaient beurrées de rouge à lèvres. Sa face était graissée1967, R. Ducharme, Le nez qui voque, p. 148.

3

v. tr. Fam.Tacher, salir (qqch., qqn) avec une substance quelconque.

Graisser (qqch.) de sang, de suie.

 v. pron. Se graisser (une partie du corps) de, avec qqch. (Absol.). Se graisser : se salir.

Rem.En France, le mot se dit en parlant d’un corps gras.

– Juliette : (Renverse la burette). Oh! excusez, je ne l’ai pas fait exprès!... – Blanche : Me voilà propre, maintenant! – Fatty : Faites donc attention Juliette, donnez l’autre peignoir à ma femme. Tu vas te changer, sans ça tu te graisserais. 1930, D. Dubuisson, « Tizoune c’est le coq », dans Ch. Hébert, Le burlesque au Québec, 1981, p. 237.

Un homme est passé en voiture hier. [...] Il m’a raconté qu’à l’endroit où il s’était arrêté on avait fait boucherie et qu’ils avaient mis les cochons saignant sur la sleigh, graissant les peaux de carriole. Il y avait même du sang dans le fond de la voiture. Je l’ai aidé à tout laver. 1981, J.-Ph. Michaud, Kamouraska, de mémoire..., p. 28.

Il était de famille aisée, ce qui expliquait sans doute sa tenue particulièrement soignée. Mais d’autres enfants, dont les parents étaient fortunés, étaient également bien vêtus, ce qui ne les empêchait pas de courir à pleines jambes dans les flaques d’eau, de se colleter dans la poussière de la rue, ou de livrer des guerres acharnées à coups de pelotes de neige. Ce que jamais Jean-Joseph ne faisait. Il n’aimait pas se « graisser », pas plus qu’il n’avait de prédilection pour la bagarre qu’il fuyait comme la peste. 1983, B. B. Leblanc, Variations sur un thème anathème, p. 179.

v. tr. Vieux(En parlant de billots). Recouvrir les rives d’un cours d’eau, y être échoué.

Ces billes graissent la rivière; on les glène après le flottage. 1912, BPFC 10/8, p. 310.

 Graissé, graissée adj. Fam.Sale, taché de qqch.

Prenant la clef, elle débarre la porte, l’ouvre et aperçoit une trappe, une bûche et une hache, toutes graissées de sang. 1915, Sainte-Anne-de-la-Pocatière (Kamouraska), dans JAF 29/111, 1916, p. 117.

 Vieux(En parlant d’un cours d’eau). Dont les rives sont recouvertes de billots.

Une rivière est graissée, quand, pendant le flottage du bois, des billes se sont arrêtées, échouées sur les rives. 1912, BPFC 10/8, p. 310.

 Se dégraisser v. pron. VieuxSe dégraisser le cœur : prendre qqch. de facile à digérer, de léger, après avoir mangé un mets très gras ou très sucré.

II

Fig.

1

v. pron. Vieilli(En parlant du temps, du ciel). Se couvrir, s’assombrir.

 se calotter (s.v. calotte, sens II.1); engraisser.

Comme il faisait déjà noir et que l’orage devenait de plus en plus menaçant, je pris le parti de lever le pied et de retourner à la maison; car Madeleine m’avait dit en partant : « Mon cher Jean, on va avoir de l’orage, le temps se graisse; reviens de bonne heure et passe loin des ruines du moulin. » 1901, Ch.-E. Rouleau, Légendes canadiennes, p. 250.

C’est une vraie bordée, hein, pour la première. J’l’ai sentie v’nir, et depuis deux jours que j’disais à « Manzar » : « Le temps s’graisse, y va neiger ». 1932, A. Nantel, Au pays des bûcherons, p. 136.

– R’garde-moi le soleil! – Brigitte : Si l’temps s’graisse. – Aubert : Y s’graissera pas! 1957, G. Dufresne, Cap-aux-Sorciers, 8 janvier, p. 5 (télév.).

Mais voici qu’arrivent, par le terrible vent du Nordet, des nuages lourds et plombés; on dit le temps se calotte ou se graisse; alors apparaissent les terribles bordées de neige. 1957, P. Deffontaines, L’homme et l’hiver au Canada, p. 23.

 VieilliGraissé, graissée adj. (En parlant du ciel). Couvert de nuages, sombre. (Mass no 84 et Lavoie 75).

 AcadieGraissant ou graissin n. m. Nuage noir annonçant la pluie.  

Il y a du graissant, des nuages.

 VieilliSe dégraisser v. pron. (En parlant du temps, du ciel). S’éclaircir, se dégager.

(Acadie). Si t’as du trèfle, Gaspard, oublie pas que c’est l’atout. – J’ai autant de trèfle dans ma main qu’y avait hier au soir d’étoiles au firmament. Mais comme qui dirait, le ciel s’est dégraissé à matin... 1984, A. Maillet, Crache à Pic, p. 55.

 se décalotter (s.v. calotte, sens II.1).

2

v. tr. Fam.Soudoyer (qqn), lui offrir des pots-de-vin.

 VieuxFlatter, enjôler, tromper (qqn).

Rem.En France, on dit plutôt graisser la patte à qqn, également en usage au Québec.

Mr Langevin, le père, reprochait à Urcis Langevin que l’acte de donation n’était pas fait tel qu’il devait être fait, lui disant : « [...] c’est un de tes coups de canaille comme de coutume, c’est toi qui es allé cherché [sic] le notaire et tu l’as graissé pour faire faire l’acte à ton goût. » 1887, Rimouski, BAnQQ, Cour d’appel (Québec), cause no 46 (1888), factum de l’intimé, appendice, p. 1-2.

Pis quand ’Noré Bréard y’a fait des blocs, le canneux a vite couru à la ville aller faire tester ça... Y’a dû graisser l’inspecteur, en tout cas y r’vient en disant que les blocs de ciment étaient pas bons, que ça écraserait si y montait la cannerie avec ça... 1951, Y. Thériault, Les vendeurs du temple, p. 131.

Frank a donc décidé de transformer sa boîte à coquerelles en un restaur0ant chic avec beaucoup de petites tables, une musique tamisée et l’air climatisé. L’opération ne lui a pas coûté les yeux de la tête, il en a chargé son frère Toni. Ensuite, il a pu graisser le député et obtenir aisément son permis de la Régie des Alcools. 1974, R. Plante, La débarque, p. 10.

La jeunesse de l’an 2000, au nom de laquelle on graisse déjà les amis, pourra aller se rhabiller. L’avenir est aux donneux de contrats, pas aux élus qui entretiennent correctement le patrimoine. 1994, Le Soleil, Québec, 5 juin, p. S8.

v. tr. VieuxDonner des coups à (une personne, un animal), le rosser, le battre; battre (qqn) au jeu.

 RareGraisseur, graisseuse n. Personne qui offre des pots-de-vin.

Graisseur. n. m. Qui va saluer son député par hasard, en passant. 1932, Le Goglu, Montréal, 14 octobre, p. 4.

3

v. pron. Fam.Se graisser la patte, se graisser : réaliser des gains financiers, s’enrichir aux dépens d’autrui, de manière frauduleuse, malhonnête.

Les faiseurs de grève commencent à me mettre l’eau à la bouche. [...] Alors, je me mets en grève. Quelle magnifique découverte que cette façon moderne de se graisser la patte! 1873, A. Buies, Chroniques, humeurs et caprices, p. 134.

Le bon peuple se fait encore exploiter, mais il a la satisfaction d’élire lui-même ceux qui se graissent à ses dépens. C’est toujours une consolation. 1912, La Presse, Montréal, 11 mai, p. 8 (chron. humor.).

[Il] voit un moyen de se débarrasser des « patroneux », qui empêchent un projet comme celui-là d’aboutir, ou qui se graissent tellement la patte que les soins médicaux au Québec coûtent plus cher que n’importe où ailleurs. 1970, La Presse, Montréal, 23 avril, p. 12.

Un an plus tard, en mai 1958, il me vint comme un remords. N’avions-nous pas été négligents dans cette affaire? Il y a eu tellement d’amis de l’Union nationale impliqués dans cette transaction [vente d’une compagnie] qu’il n’était pas impossible que quelques-uns se soient graissé la patte. Mais comment le savoir? 1989, G. Filion, Fais ce que peux, p. 266.

Histoire

De graisse.

I1Depuis 1880. Héritage des parlers de France; relevé dans le Nord-Ouest, l’Ouest et le Centre (v. FEW crassus 2, 1282b, VerrAnj, RézVend 167 sous la variante grésa, DavTour et JaubCentre2). Graissée (depuis 1934, MartPat 72) a été relevé dans les parlers du Nord-Ouest, de l’Ouest, du Centre et de l’Est de la France (v. FEW 2, 1283a, MinVienne1, RézOuest2, JaubCentre2, DavTour et EdSol). 2Depuis 1873. Extension sémantique du sens d’« enduire, frotter d’un corps gras », usité en français depuis le XVIe s. (v. FEW 2, 1282b, TLF et GLLF); cp. cependant un exemple de 1912 dans le TLF où le mot a le sens d’« enduire d’une pâte protectrice ». 3Depuis 1930 (dès 1915 en emploi adj.). Usité en français du XIXe s. et du début du XXe s. (v. Besch 1847, Landais 1853, Littré, Larousse 1928, Académie 1932 et Quillet 1937 qui le définissent par « salir, rendre sale et crasseux », dans graisser son linge, ses habits). Se dégraisser le cœur (depuis 1906, BPFC 4/7, p. 270) a été signalé dans les parlers du Centre de la France (v. JaubCentreS, s.v. cœur); cp. par ailleurs quelque chose pour desgraisser les dents, en parlant « du fruit ou quelque delicatesse apres le repas », en français du XVIIe s. (v. Oudin 1640, s.v. desgraisser), et se dégraisser la dent (sous une prononciation locale) « faire pauvre chère après un festin », dans l’Est de la France (v. JurSaône 74).

II1Depuis 1901. Héritage des parlers de France; relevé dans le Centre et dans l’Est (v. FEW 2, 1283a, et ALCB 20; v. aussi FondEss 26, qui le relève comme verbe impersonnel). Graissant, depuis 1972 (PPQ 1166). Graissin, depuis 1946 (Mass no 75); se rattache à graissin « écume apparaissant à la surface de l’eau, là où les poissons frayent », usité en français de France depuis la fin du XVIIIe s. (v. TLF et RobHist, s.v. graisse). Se dégraisser « s’éclaircir, se dégager », depuis 1904-1907 (FSPFC); emploi qui a été relevé dans le Nord-Ouest et le Centre de la France (v. RobNorm et FEW id.). 2Depuis 1887. Héritage de France; cp. graisser la patte à quelqu’un « donner de l’argent à quelqu’un pour en être bien traité, le soudoyer », usité en français depuis le XVIIe s., d’où graisser « flatter » dans les parlers du Nord-Ouest, « payer avec largesse » en argot du XXe s., « corrompre » en français du Sénégal (v. FEW 2, 1282b, TLF, Robert 1985, DottMaine 238, SandryArg11, et DepFranc2). « Donner des coups, battre », depuis 1810 (d’après VigerB); emploi qui a été relevé en français argotique au XIXe s. de même que dans les parlers du Nord-Ouest (v. VirmArg, VerrAnj « battre à plate couture, au jeu », et FEW id.); cp. aussi graisser les épaules, la peau, le train (de derrière), et graissi les côtes, expressions de même sens qui ont été relevées dans la langue populaire, dans la langue argotique ou dans le parler normand (v. FEW id., RigPar, FrVerte et MaizNorm, s.v. graissi). Graisseur, euse (depuis 1932) a probablement été hérité de France; cp. graisseur « tricheur » en français populaire et argotique de la première moitié du XXe s. (v. TimmÉt, s.v. graisser, SandryArg11 et SainPar 419); cp. en outre graisseux « flatteur, mielleux, flagorneur, patelin » dans les parlers du Nord-Ouest de la France, et graissoux « flatteur, patelin, calin » dans les parlers du Nord-Ouest et du Nord-Est (v. FEW id.). 3Depuis 1873. Emploi pronominal de l’expression graisser la patte à quelqu’un et de graisser « soudoyer » (v. sens II.2).

 engraissergraissage.

Version du DHFQ 1998
Trésor de la langue française au Québec. (1998). Graisser. Dictionnaire historique du français québécois (2e éd. rev. et augm.; R. Vézina et C. Poirier, dir.). Université Laval. Consulté le 7 novembre 2024.
https://www.dhfq.org/article/graisser