ENGRAISSER [ɑ̃ɡʀɛse]
v.
Parfois prononcé [ãɡʀese].
v. tr. Proverbe. Fam.On n’engraisse pas les cochons à l’eau claire. On ne doit pas faire le difficile sur la nourriture, même quand elle paraît peu appétissante, qu’elle a été en contact avec quelque chose de malpropre.
– Les poissons! Mais est-ce que tu veux tenir le fou avec moi, Jef? Tu as servi le poulet avant les poissons? […] – Godfordom! que dit Boudaberg, ça ne fait rien. Il n’a qu’à donner les poissons maintenant. Tout fait ventre et on n’engraisse pas les cochons avec de l’eau claire, sais-tu? Quels poissons que c’est? – Des harengs à la sauce moutarde, que je réponds. 1912, Le Canard, Montréal, 21 avril, p. 5.
On a bien trouvé une bactérie par ci par là [sic] – il tombe et se noie assez de monde, dans le canal, de temps à autre, mais quoi que ça fiche! On n’engraisse pas les cochons à l’eau claire, que diable! Allons, citoyens de Montréal, vous pourrez boire à votre aise tant que vous aurez soif […]. 1914, Le Canard, Montréal, 31 mai, p. 9.
Croit-on qu’avant d’être essuyée la vaisselle soit rincée? Le plongeur à qui vous le demanderez vous répondra qu’on n’engraisse pas les cochons à l’eau claire. Les cochons, bien entendus [sic], ce sont les clients. 1948, P. de Martigny, La Patrie, Montréal, 1er octobre, p. 9.
Depuis que l’auteur de cette chronique dîne chez Valère il a engraissé de quinze livres… pourtant…! C’est vrai qu’on n’engraisse pas les cochons à l’eau claire. 1962, Le Quartier latin, Montréal, 1er février, p. 8.
Ce qu’y reste de sauce est figé comme de la colle Lepage. Pour nourrir les cochons, ç’a pas besoin d’être bon; autrement dit, on les engraisse pas à l’eau claire. 1973, J.‑M. Poupart, Chère Touffe, c’est plein plein de fautes dans ta lettre d’amour, p. 117.
– J’te dis qu’y goûtent le sur, mémère! Ça s’mange, mais… – Ben, si ça s’mange, mange-les pis ferme ta gueule! On n’engraisse pas les cochons à l’eau claire, tu sauras! J’en ai mangés [sic], moi aussi, pis j’suis pas morte! 2001, D. Monette, Le rejeton, p. 76.
L’épidémie mortelle de E.coli [sic], en Europe, l’an passé, a justement été causée par des légumes crus qui n’avaient pas été lavés. Quand les participants de l’étude ont suivi ensuite de bonnes pratiques d’hygiène, la contamination a diminué considérablement. Ne le dites pas. Je sais. On n’engraisse pas les cochons à l’eau claire. Sauf, qu’aujourd’hui, il y a plein de choses qu’on ne peut plus faire comme avant! 2012, C. Delisle, Le Progrès-dimanche, Saguenay, 14 octobre, p. 10.
(Hapax). (En parlant de l’alimentation de poissons).
La présence des toxines de cyanobactéries affecte directement la biomasse d’invertébrés aquatiques qui sert de nourriture aux poissons. « On n’engraisse pas les cochons à l’eau claire », fait remarquer [une chercheuse scientifique], qui pense que le manque de nourriture nuit directement aux poissons. 2009, La Terre de chez nous, Longueuil, 5 mars, p. 20.
Fam., Par ext. Il faut disposer des moyens nécessaires, se donner des ressources suffisantes si on veut atteindre un objectif; on ne peut pas faire beaucoup avec peu de moyens.
[Lettre au premier ministre] On a beau entendre vos discours, et patati et patata, de là à vouloir nous demander de nous serrer la ceinture pendant que vous autres augmentez vos salaires, etc. il y a quand même une limite à rire de nous. Autant cochons que nous sommes, on n’engraisse pas les cochons à l’eau claire. Cet argent mal placé serait plus profitable aux familles dans le besoin, aux garderies, à des HLM, à ceux qui gagnent à la limite de $15,000 par année. 1982, Le Soleil, Québec, 26 octobre, p. A13.
Quand d’aucuns se questionnaient, devant Tibé le cuisinier, sur la pertinence d’apporter à si grands frais tant de victuailles, il faisait étalage de l’appétit des galafres de portageurs et concluait, en bégayant : « On engraisse pas les cochons à l’eau claire. » Et les portageurs d’en rire la gueule fendue jusqu’aux oreilles. 1992, G. Villeneuve, Les portageurs de la Chamouchouane, p. 70.
La Fed peut-elle encore faciliter le crédit? Il est déjà très bon marché. Trop peut-être si on considère qu’il faut quand même attirer chaque jour 1,5 milliard de dollars en capitaux étrangers pour contrecarrer l’effet du déficit du compte courant qui équivaut maintenant à près de 5 % du PIB, soit 500 milliards de dollars. Comme le veut le proverbe : on n’engraisse pas les cochons à l’eau claire. 2003, R. Le Cours, La Presse, Montréal, 4 mai, p. C2.
[…] ma désormais nouvelle gardienne, Madame Carmen, m’a dit que la fin du monde allait commencer, mais mon père m’a convaincu de ne pas la croire parce que c’était juste une ancienne prof virée sur le top […]. Si j’avais su qu’elle disait pas mal la vérité, j’aurais tout fait pour convaincre ma famille de l’écouter, mais il a été trop tard pas mal trop vite, comme je viens de le dire. C’est ça. C’est de même. On n’engraisse pas les cochons à l’eau claire. 2015, S. Rivard, Broken Heart City, J’ai des p’tites nouvelles pour vous!, p. 46‑47.
(Dans le nom d’une œuvre cinématographique). On n’engraisse pas les cochons à l’eau claire (1973) : film du réalisateur Jean‑Pierre Lefebvre.
v. pron. Fig., vieilli(En parlant du temps, du ciel). Se couvrir, s’assombrir.
graisser (sens II.1).
Engraissement n. m. VieilliAccumulation de nuages de pluie rapidement dissipés par le vent.
Nous n’avons que trois vents, c’est tout simple : le nordêt, comme à Québec, le norouêt, et le sorouêt – méfiez-vous des engraissements de sorouêt! Le sudêt, c’est un inconnu! 1943, A. Laliberté, Le parler populaire au pays des bleuets, Le Canada français, vol. 30, p. 363.
Histoire
1Depuis 1912 sous la variante on n’engraisse pas les cochons avec de l’eau claire. Proverbe attesté sous cette même forme en France, mais considéré comme régional (v. R. Gordienne et Ph. Artaud, Dictionnaire du cochon, 2014, p. 110; MontrProv 50); il fait partie des proverbes qui formulent une recommandation du sacrifice d’un bien en vue de faire un profit (à l’instar de, p. ex., il faut toujours tendre un ver pour avoir une truite, il faut semer qui veut moissonner et petit don est le haim du plus grand don (v. MontrProv, p. 29, 35, 110 et 649). Relevé aussi sous des variantes dans le Centre de la France : « les gorets n’engraissent pas d’iau claire : se dit plaisamment, en manière de consolation, quand on trouve dans son plat quelque corps étranger qui n’est pas propre » (v. ThibBlais), et « les couchons engréessent point d’iau clare (se dit lorsqu’on n’est pas difficile sur la propreté des couverts et des mets servis) » (v. DavTour, s.v. engréesser). Le recours à la métaphore du cochon s’explique par l’image du porc qu’on peut engraisser parce qu’il mange tout le contenu de son auge sans égard à la qualité de ce qu’elle contient. Par ailleurs, ce proverbe s’inscrit dans une série de locutions comparatives et d’expressions employées au Québec dans lesquelles le cochon est présenté comme un animal malpropre ou goinfre (p. ex. manger comme un cochon « s’empiffrer », boire comme un cochon « s’enivrer », saoul comme un cochon « ivre mort », sale comme un cochon « crotté », v. DesRExpr, s.v. cochon). Certaines de ces locutions à valeur comparative sont également employées en France (v. Robert (en ligne) 2024‑04) et en Louisiane (soûl comme un cochon et manger comme un cochon, de même sens, v. DLF). Au sens de « il faut disposer des moyens nécessaires », depuis 1982. 2Depuis 1896 (Rinfret). Relevé en français du XVIIe s. (Cotgrave 1611) de même que dans les parlers du Nord, du Nord-Ouest, de l’Ouest et du Centre de la France (v. FEW crassus 2, 1283a; v. aussi DudPerch, MoisyNorm, LeMJers, s.v. engraîssi, MartVend et JaubCentre2).