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LIVRE [livʀ]
n. f.

1

Hist.Monnaie de compte française valant général. vingt sols, ou 240 deniers, qui avait cours officiel à l’époque de la Nouvelle-France et qui s’est maintenue longtemps dans la pratique après la Conquête anglaise.

4 livres, 15 sols, 11 deniers.

(Sous le Régime français). Livre tournois, servant à préciser qu’il s’agissait de la monnaie royale. Livre du pays ou rare livre de Canada, par oppos. à livre de France (en raison de la valeur différente de la monnaie dans les deux pays à une certaine époque, voir Notice encyclopédique). (Sous le Régime anglais, par oppos. à livre (sterling), voir sens 2).

Livre française. Livre tournois. Livre ancien cours. Livre de vingt sols (sous), livre de vingt coppres.

Rem.1. Livre a pour synonyme le mot franc, lequel est attesté du XVIIe au XXe s. 2. Symbole : dans les textes manuscrits, double l (barré), placé en exposant après le chiffre; dans les textes imprimés, signe #.

Dans un petit cabinet s’est trouvé en argent blanc solz marquez et quart d’escuz la somme de cinq cent quatre vingt deux livrez dix solz. 1677, Québec, BAnQQ, gr. P. Duquet, 29 décembre, p. [3].

Car s’il vendoit ces Peleteries à quelque autre Marchand du païs argent comptant, il ne seroit payé qu’en monnoye courante du païs qui vaut moins que les lettres de change du Directeur de ce Bureau pour la Rochelle ou pour Paris où elles sont payées en livres de France qui valent 20. sols; au lieu que la livre de Canada n’en vaut que 15. Il faut que vous preniez garde que c’est seulement sur les Castors, où l’on profite de 25. pour cent qu’on apelle ici de Benefice; car si l’on compte à quelque Marchand de Quebec 400. livres de Canada en argent, & qu’on porte la lettre de change en France, son correspondant n’en payera que trois cents de France qui est la même valeur. 1703, Nouveaux voyages de Mr. le baron de Lahontan, t. 1, p. 71.

Et par cette Présente [...] les susdites Espéces de Monnoyes [...] pourront être légitimement baillées en Payement de toutes les Dettes ou Contrats qui ont été, ou qui pourront se faire dans cette Province [...], et que dans tous les Contrats antérieurs à, ou depuis la Conquête de cette Province, qui ont été passés pour Livres, selon la Maniére de supputer ci-devant en Usage, la Livre vaudra un Chelin du Cours établi par la Présente, la Piastre vaudra Six Livres ou Six Chelins, et ainsi à Proportion pour chaque Monnoye ci-mentionnée. 1764, ordonnance du gouverneur Murray, dans La Gazette de Québec, 4 octobre, p. 1.

Mon calice d’or sa patène aussi qui est d’or comprise m’a couté deux cent douze louis deux chelins et demi. Mon ostensoir aussi d’or m’a couté cent soixante sept louis et huit chelins. Mon Ciboire qui est aussi d’or m’a couté cent quarante huit louis deux chelins et demi. Partant ces trois vases d’or m’ont couté cinq cent vingt sept louis et treize chelins, qui font deux mille cent dix piastres et trois chelins, formant la somme de douze mille six cent soixante trois francs ou livres françoises et douze copres. 1810, L’Islet, BAnQQ, fonds J. Panet, 2 janvier, p. 15 (d’après une copie dactyl.; à l’époque, le louis, ou livre sterling, valait 20 chelins et la piastre 5 chelins ou 6 livres françaises; v. Encycl.).

Sujette la dite terre, en faveur des Héritiers successeurs et ayant cause de feu l’Honorable Barthélemy Joliette, [...] à la rente foncière annuelle, de deux livres quatorze sols ancien cours et un minot et un huitième et une pinte de bled froment, sec, net, loyal et marchand, payable et livrable la dite rente, le Onze de Novembre de chaque année à perpétuité, ou jusqu’à rachat d’icelle rente foncière, suivant la loi [...]. 1866, La Gazette de Joliette, 19 novembre, p. 3.

2

Hist.Monnaie de compte anglaise valant vingt chelins (shillings), ou 240 pence, qui a eu cours au Canada de 1759 jusqu’au début du XXe s.

Livre (sterling). Livre (cours, courant) d’Halifax. Livre (du) cours actuel, livre courant (livre courante chez les historiens). Voir Notice encyclopédique.

SYN. rare pound.

Rem.1. À partir de la Conquête et jusqu’au début du XXe s., on trouve aussi au Canada français la dénomination louis pour désigner la livre anglaise. 2. Symbole : £, généralement placé avant le chiffre.

Tous les bouchers et boulangers anglais qui désirent se livrer à ces métiers devront prendre un permis pour ce faire chez le Secrétaire, et quiconque pratiquera ces commerces sans en avoir au préalable obtenu un permis, sera, pour la première offense, condamné a cinq livres d’amende, et pour une récidive, en sus l’amende il sera emprisonné. 1760, proclamation du gouverneur Murray, dans Report of the Public Archives for the Year 1918, 1920, p. 42 (pound dans la version anglaise, p. 43).

Et pour les encourager à ne rien négliger pour cet objet, Son Excellence veut bien offrir une récompense de cinquante livres (deux cents piastres) à la personne ou aux personnes qui, soit par elles-mêmes, arrêteront la personne ci-dessus nommée, et la conduiront devant quelque Magistrat ou Officier de Milice, ou qui donneront une information au moyen de laquelle on puisse ainsi la faire arrêter. 1807, lettre du gouverneur Craig, Québec, BAnQQ, AP-P346 (fonds Cazeau), 24 décembre.

Entendant qu’elle reCoive Cette pension de Deux Cent Louis ou Livres de La provinCe tant qu’elle Sera veuve de Moi & qu’elle portera Mon Nom [...]. 1816, Chartier de Lotbinière, dans Rapq 1951-1953, p. 403.

Reçu de Rémi Laferrière pour amendes deux livres et deux chelins et demi courant, en comprenant les quatre piastres payées par R. Laferrière à Fréd. Nolin le 19 novembre 54, ci-après mentionnées [£] 2, 2 [chelins], 6 [pence]. 1855, Village de Berthier (Berthier), ANC, MG 8, F 9 (livre de comptes), p. 20.

Que D[emoise]lle Magdeleine Ladouceur soit choisie et engagée comme institutrice [...] à raison de trente huit livres courant par année [...]. 1879, Actes et délibérations des commissaires d’écoles de la paroisse de Saint-Raphaël-de-l’Île-Bizard, 13 juillet (ms.).

NOTICE ENCYCLOPÉDIQUE

La livre de vingt sols a cours au Canada comme monnaie de compte dès le début de la colonie, mais ce n’est pas avant le milieu du XVIIe s. que le numéraire devient vraiment une nécessité pour le commerce; avant cette période, on avait plutôt recours au troc ou à des paiements en nature, blé et fourrures, dont le prix était fixé par ordonnance. Pendant les premières décennies, la livre en Nouvelle-France vaut vingt sols comme en France, mais, dès 1654, le manque d’argent liquide incite les autorités à augmenter sa valeur dans la colonie afin de conserver la monnaie au Canada, d’où les appellations monnaie du pays (depuis 1658), monnaie de Canada (depuis 1670), par opposition à monnaie de France (1676), puis livre de Canada (1685), livre du pays (1700), par opposition à livre de France (1692), à la même époque où l’appellation livre tournois, qui servait à désigner de façon explicite la monnaie royale, connaît une éclipse. En 1717, la monnaie est ramenée au taux de France et les appellations spécifiques disparaîtront peu à peu. Après la Conquête, c’est la livre anglaise qui devient la monnaie officielle, d’où l’entrée dans l’usage des mots chelin (shilling) et pence et la double valeur de l’appellation livre (puisque la forme anglaise pound est pour ainsi dire inutilisée); mais la population, pendant près de cent ans, continuera de compter en livres, sols et deniers, selon l’ancien système. Les comptes sont souvent accompagnés d’une équivalence en livres anglaises; les Ursulines tiennent d’ailleurs les leurs dans les deux systèmes jusqu’en 1836 (v. ParUrs 148). Pour distinguer la livre française de la livre anglaise, on parle communément de livre française, livre ancien cours, etc. Étant donné l’habitude d’utiliser la monnaie française au pays et la nécessité de conserver en circulation les pièces de monnaie existantes, les autorités anglaises déterminent par des ordonnances la valeur de la livre française par rapport à la monnaie anglaise et par rapport aux pièces étrangères qui ont cours au pays, notamment la piastre. Ainsi, en 1759, on établit à Québec que 5 chelins équivalent à 6 livres françaises, d’où il faut comprendre qu’une livre anglaise vaut 24 livres françaises. En 1764, le chelin est ramené au taux de la livre française, d’où les expressions explicites livre ou chelin de vingt sols (sous), livre ou chelin de vingt coppres, qui se maintiendront longtemps dans la langue en dépit du fait que le chelin soit revenu à sa valeur précédente dès 1777. Ces trois ordonnances importantes visent à établir des équivalences uniformes à l’intérieur du pays, puisqu’il existe plusieurs cours monétaires, notamment celui d’Halifax et celui de New York. Le cours d’Halifax finit par prédominer, ce qui donne lieu aux expressions livre d’Halifax, livre cours d’Halifax, livre courant d’Halifax, ou encore livre (du) cours actuel, livre courant. Il est parfois difficile d’établir avec exactitude la valeur des monnaies les unes par rapport aux autres sous le Régime anglais en raison de la coexistence de nombreuses pièces, de l’interpénétration des deux systèmes monétaires (français et anglais) et des fluctuations régionales (voir l’exemple de 1810, sous le sens 1). En 1858, l’« Acte concernant le cours monétaire », qui introduit officiellement le système décimal (voir piastre, sous Encycl.), maintient quand même le système antérieur (le système anglais), ce qui va contribuer à la conservation, pendant de nombreuses décennies, des appellations anciennes. Les enquêtes effectuées dans les années 1960-1970 en vue de l’Atlas linguistique de l’Est du Canada (PPQ) témoignent de la survivance des mots livre, franc, louis, chelin, denier, etc. dans la mémoire des personnes âgées, nées au début du XXe siècle. 

Sources : A. Shortt (éd.), Documents relatifs à la monnaie, au change et aux finances du Canada sous le Régime français, 2 vol., 1925; A.B. McCullough, La monnaie et le change au Canada, des premiers temps jusqu’à 1900, 1987; M. Trudel, Initiation à la Nouvelle-France, 1968, p. 197-201; F. Ouellet, Histoire économique et sociale du Québec 1760-1850, 1966, chap. 2; Les Statuts refondus du Canada, 1859, chap. 15 (« Acte concernant le cours monétaire »); « Journal du siège de Québec du 10 mai au 18 septembre 1759 », dans RAPQ 1920-1921, p. 220, n. 142; R. Morissette, « La livre, un numéraire chez nos ancêtres », dans The Canadian Numismatic Journal, vol. 27, no 9, 1982, p. 414-415.

Histoire

1Depuis 1611 (quatre mille libvres, document reproduit dans L. Campeau (éd.), Monumenta Novæ Franciæ, t. 1, 1967, p. 129); attesté en France depuis la fin du XIe s. (v. FEW lībra 5, 307b). Livre tournois, relevé dans les écrits de la Nouvelle-France à partir de 1612 (v. Campeau, ibid., p. 263), est attesté en France depuis 1538 (v. FEW Tours 132, 131a; dès le XIIIe s. sous la forme livre de tournois, v. FEW 5, 308a, n. 8); au lendemain de la Conquête, cette appellation est récupérée pour distinguer l’ancienne monnaie de la livre anglaise (surtout dans les années 1760-1770), mais on lui préfère habituellement d’autres appellations, comme livre française (1762-1788), livre ancien cours (1782-1857), livre (ou chelin) de vingt sols, livre (ou chelin) de vingt coppres (1778-1840). Livre a pénétré en anglais dès le début du XVIIIe s. (French livre et Canada livre, en 1703, v. DictCan, s.v. livre). 2Depuis 1760 (déjà en 1759 sous la forme du symbole £ dans la première ordonnance du gouverneur Murray concernant la monnaie, v. Rapport des archives publiques pour l’année 1918, 1920, p. 28). D’après l’anglais pound. Livre (cours ou courant) d’Halifax (1768-1817); livre (du) cours actuel (1784-1845); livre courant (1785-1879). 

Version du DHFQ 1998
Trésor de la langue française au Québec. (1998). Livre2. Dictionnaire historique du français québécois (2e éd. rev. et augm.; R. Vézina et C. Poirier, dir.). Université Laval. Consulté le 26 avril 2024.
https://www.dhfq.org/article/livre-0