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CHAMPLURE [ʃɑ̃plyʀ] ou  CHAMPLEURE [ʃɑ̃plœʀ]
n. f.

Rem.

1. La graphie champleure est aujourd'hui vieillie. 2. Variantes graphiques : (à époque ancienne) chantplure, chantpleure, chantpleurchampelure (fréq.), chanplure.

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Fam.Toute espèce de robinet.

 par spécialisation Robinet d’eau courante.

2017, A. Levine, Champlure ou champleure [photo], PxHere. https://pxhere.com/fr/photo/203128 2016, M. Pahlke, Champlure ou champleure [photo], Pixabay. https://pixabay.com/fr/photos/plomberie-plombier-vieille-robinet-1434221/

Champlure de cuivre, de fonte, d’étain. Un baril, un quart, une tonne avec champlure. Champlure à l’eau froide, à l’eau chaude. Les champlures du lavabo. Ouvrir, fermer la champlure. La champlure coule, dégoutte. Prendre de l’eau à la champlure. Boire l’eau de la champlure.

Passer qqch. sous la champlure, laver qqch.

Poser une champlure. Couler, pleurer, saigner comme une champlure.

 aqueduccaducchantepleure.

Un quart peinturé en jone avec sa champelure contenant environ cinq galons [de vin] rouge. 1846, Saint-Anselme (Dorchester), BAnQQ, greffe J.Cl. Bélanger, 18 et 28 juillet.

Poser dans la maison tous les tuyaux de plomb necessaires pour la réception de l’eau de l’aqueduc, avec champlures. Une champlure dans la cuisine et une dans la salle à manger. 1853, Québec, BAnQQ, greffe J. Petitclerc, 21 février.

Y sortait du grand collége, à la ville, pis y arrivait icitte plein de toutes sortes d’idées de folleries... Fait poser l’essetrisseté [= l’électricité], les closets à chaîne, pis une champlure à l’eau, pis y met toute du prélat sus ses planchers... 1951, Y. Thériault, Les vendeurs du temple, p. 182183.

Pour crémer ça, le lait, là, pour avoir de la crème pour faire du beurre, là, on mettait ça dans une crémeuse. C’était une can, ça, qui était à peu près huit pouces de diamètre, à peu près trente pouces de haut, puis dans le bas, il y avait une petite vitre, puis il y avait une champlure dans le bas de ça. Puis là, on prenait la crémeuse, puis on descendait dans la fontaine, il y avait des puits, là dans les fontaines [...], parce que, là, c’était tout le temps frais, ça, puis là, on crochetait ça avec une broche, puis après ça, on le tirait dans la fontaine, puis là, la crème montait dessus. Puis là, on se ramenait ça à la maison, on rouvrait la champlure, puis là, le lait sortait, puis là, quand on voyait par la petite vitre que la crème arrivait, bien là, on fermait la champlure. 1977, Saint-Narcisse-de-Rimouski (Rimouski-Neigette), AFEUL, C. Poirier 9 (âge de l’informateur : 71 ans).

Mon vieux pére avait ben raison, Octave, quand i’ m’disait : « La pire affére qui peut arriver à un homme, mon p’tit garçon, c’est une cheminée qui boucane, une champlure qui dégoutte, pis une femme qui despute... » 1981, B. B. Leblanc, Faut divorcer!, p. 61.

Mais attention, les dégâts ne s’arrêtent pas là : bêtement on vous coupe l’eau sans prévenir à l’heure du souper avec quatre enfants à baigner. Bêtement on vous raccorde l’eau par votre champleure extérieure, évidemment sans vous prévenir, en risquant de briser votre système central de filtration d’eau puisque l’eau y circule maintenant à l’envers. 1998, Le Courrier de Saint-Hyacinthe, 23 septembre, p. A10.

J’ai fait peur à mes gars! Ils savaient plus quoi faire. Ils sont allés chercher l’infirmière. J’suis restée deux semaines chez elle à pleurer comme une champlure. Pis quand j’suis revenue chez nous, j’ai brouillé du noir pendant deux mois, j’sortais plus d’mon lit. 2002, M. Boisvert, L’appel du fleuve, p. 369.

Et François serait parti en pleurant, ma disparition alourdissant son cœur, et moi, pathétique cendrillon, j’aurais pleuré de le voir si bouleversé, j’aurais pleuré d’être à ce point méconnaissable, à ce point... j’aurais pleuré d’impuissance, j’aurais pleuré parce qu’on a toujours des raisons de pleurer cachées dans des coins sombres depuis l’enfance, qui surgissent sans qu’on s’y attende, et on pleure, et on pleure comme une champlure qui remplit seau après seau... Où sont les mouchoirs? 2003, D. Parenteau-Lebeuf, Vices cachés, Moebius, no 99, p. 85.

Dix signes que l’hiver cogne à nos portes [titre] […] Après la lotion solaire, les gobelets d’eau et le chasse-moustiques, on ne quitte plus la maison sans notre baume pour les lèvres et nos 14 paquets de mouchoirs – avec ou sans rhume, les petits nez coulent comme des champlures. 2012, L’Écho de Laval, Montréal, 14 novembre, p. 45.

Fig. 

« Mais pour l’amour du bon Dieu, fermez la chantpleur, toutes les deux! [...] Je peux pas vous voir brailler! Je peux pas! » 1953, J. Bernier, Je vous ai tant aimé, 18 mai, p. X (radio).

Surtout que sa défaite turque a été contre la future médaillée d’or du tournoi, par arrêt de l’arbitre après « un coup chanceux » au nez qui a déclenché « une vraie champleure »! Incapable de stopper assez rapidement le saignement et alors que l’arbitre craignait une fracture, le coin de Guillemette a vu le match s’arrêter abruptement […]. 2010, Le Soleil, Québec, 25 juillet, p. 38 (sports).

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Fig., Fam.La champlure : l’ivrognerie.

Rem.En ce sens, champlure est généralement employé en cooccurrence avec les mots sacrure (« blasphème ») et créature (« femme », qui symbolise ici la luxure, les plaisirs sexuels).

Il a mentionné qu’à l’heure actuelle les grandes plaies nationales étaient les suivantes : la « sacrure », la « volure » [« le vol »], la « champlure » et la « créature ». Il a tenu le gouvernement Duplessis responsable de la corruption des mœurs dans notre province. 1948, Le Devoir, Montréal, 22 juillet, p. 2.

Notre prédication morale, nos campagnes de moralité ont surtout insisté sur la luxure, l’intempérance et le blasphème. Certains de nos prédicateurs populaires qui partageaient en cela, avec l’ensemble de notre clergé, une conception assez restreinte du champ de la morale, mais qui avaient un génie réel d’adaptation ont appris depuis longtemps à nos gens qu’il n’y a, en pratique, que ces trois sortes de péché : la « champlure », la « sacrure » et la « créature », comme le disait un apôtre de renom. 1956, Le Devoir, Montréal, 7 août, p. 6.

Sur ce point, des sociologues de chez nous se sont bellement fourvoyés, en classant – sans le nommer – le père Lelièvre parmi les moralistes terrorisants du début du siècle, sous prétexte qu’il évoqua souvent devant les masses, « la champlure, la sacrure et la créature », comme péchés capitaux des Canadiens français. 1964, E. Nadeau, Victor Lelièvre, pêcheur d’hommes, p. 252.

Souvent, je me suis dit : nous prêtres, nous sommes partis en guerre contre des péchés que nous appelions : champlure, sacrure, créature. Aujourd’hui, je me demande si nous savons voir les situations économiques qui se cachent derrière ces attitudes. J’attends le jour où nous, prêtres, nous comprendrons que certaines situations de travail, de logements, sont-elles [sic] aussi des péchés dont les ouvriers paient la note. 1965, R. Georges, Les ouvriers interrogent l’Église, Prêtre aujourd’hui, vol. XV, octobre, p. 319.

Le Père Lelièvre avait une prédication originale, inimitable. […] S’adressant le plus souvent à des ouvriers, il leur parlait pour se faire comprendre. Dans un tête-à-tête, il m’a dit un soir […] : Mon gars! Tu vas prêcher? Pas de discours « stéréotypés » (tout faits d’avance). Parle pour te faire comprendre par ceux à qui tu t’adresses. Ne place jamais « la crèche trop haute ». Cette méthode, Dieu sait s’il la pratiquait par ex. quand il parlait de la « sacrure »[,] de la « champlure » et de la « criguéture » [= créature]… 1968, E. Bourbeau, L’Action : quotidien catholique, 18 juin, p. 5.

Dans cette période d’excès dirigés vers un seul but : le ciel, nous étions écrasés d’artifices et de superstitions. Miracle, nous en sommes sortis! Époque de la tête dans le sable, des trois seuls péchés nationaux : péché mouillé, péché poilu, péché sec, ou champelure, créature, sacrure. 1978, F. Leclerc, Le petit livre bleu de Félix, p. 161.

Notre peur est instinctive. Déjà nous savions que la pénitence et le baptême sont des sacrements des morts! Des prédicateurs zélés nous identifient en outre les péchés mortels les plus « mortellement mortels » : fourrage, sacrage et buvage; ce qui fut traduit plus tard par luxure, sacrure et champlure. 2002, B. Lacroix, La foi de ma mère, la religion de mon père, p. 125.

Les gens de ce temps-là ne se lassaient pas d’entendre ces prédicateurs pour deux raisons, ils savaient de quoi ils étaient accusés et comment ils pouvaient s’en sortir. Quand le prédicateur parlait de sacrure, de luxure et de champlure, l’assistance n’avait pas besoin de dictionnaire pour comprendre; les hommes, surtout, savaient de quoi et de qui il parlait. 2020, L. Émard, L’annonceur, Pierreville, 18 juin, p. 8.

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Fig.Fam.Source d’avantages pécuniaires, de financement, de revenus ou, à l’inverse, de dépenses, considérée comme un flux dont le débit peut être alimenté, diminué ou interrompu.

La champlure d’argent. Ouvrir, arrêter, fermer la champlure.

M. Parizeau précise que depuis le début de l’année (budgétaire), le gouvernement […] dépense entre $ 25 et $ 30 millions de plus par mois que prévu, en partie, ajoute-t-il sans sourire parce que l’administration publique est plus efficace. […] « Avec   25 millions de dépenses de plus par mois, on s’attend donc à un dépassement des prévisions de $ 250 millions à la fin de l’année. L’important, c’est que je réagisse à temps. C’est ce que je fais. Je ferme les champlures, pas au fond, mais juste pour me ramener au niveau des crédits prévus. » 1980, Le Soleil, Québec, 6 octobre, p. A3.

[Il] a laissé entendre qu’il détient l’appui du plus important créancier ordinaire, la SOCAN (Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique, 498 002 $). « La SOCAN ne fait que nous envoyer des comptes, a-t-il dit, et ils n’ont aucun intérêt financier d’arrêter la champlure d’où coule l’argent. » 1993, Le Soleil, Québec, 23 novembre, p. A3.

Le magot, les gros sous, la manne, la « champlure » : tels sont les mots qu’employaient hier les administrateurs universitaires en attendant, nerveusement, l’annonce des projets auxquels la Fondation canadienne pour l’innovation distribuera plus de 225 millions. « C’est la première fois qu’on commence à voir s’ouvrir la champlure d’argent au niveau du fédéral et du provincial », soulignait hier le coordonnateur des projets soumis par l’Université McGill […]. 1999, La Presse, Montréal, 23 juin, p. A21.

Il précise que la décision de ne pas soutenir la Société historique du Saguenay a été prise par le comité exécutif de la ville, à l’unanimité. Elle correspond à sa volonté de canaliser les fonds publics vers les sept musées qui se trouvent sur le territoire de Saguenay. « On s’est dit qu’il y avait des limites à en mettre en histoire. On a des musées à qui on verse un million $ par année. On n’est pas une champlure sans fin, image Jean Tremblay. Moi-même, je me suis débrouillé pour financer mes émissions de télévision sur l’histoire. Je ne trouvais pas normal de prendre l’argent des citoyens pour ça. » 2004, Le Quotidien, Saguenay, 20 octobre, p. 28.

« Chaque semaine, a-t-il affirmé, on a renversé des dossiers en notre faveur. […] Si on n’était pas là, on ferait preuve d’omission. Nous avons obtenu 11 programmes spéciaux, dont 168 M$ pour l’ESB, 15 M$ pour les vergers et 15 M$ pour le circovirus dans le porc. On a une enveloppe fermée de 305 M$ par année. L’an dernier, la Financière a fait pour 900 M$ de paiement. Si nous n’étions pas là, la champlure aurait été fermée depuis longtemps. » 2007, P.Y. Bégin, La Terre de chez nous, Longueuil, 1er novembre, p. 3.

Ce que le président […] a voulu dire en parlant de la date butoir de vendredi, « c’est que nos liquidités étaient très faibles et que si rien ne change, on ne serait pas capable de se rendre au 11 mai », date retenue pour le licenciement collectif des 210 employés [...], explique le directeur général […]. Même s’il ne se passe rien d’ici vendredi, « on continue à travailler lundi prochain », assure-t-il, en précisant qu’il reste quelques liquidités, mais « il faut que la champlure coule toujours. Donc, on collecte nos clients plus rapidement », dit‑il. 2013, Le Nouvelliste, Trois-Rivières, 12 mars, p. 4.

Il [le politologue Mario Levesque] rappelle que l’argent coule à flots ces derniers temps au Nouveau-Brunswick. Les gouvernements provincial et fédéral multiplient les annonces conjointes, ce qui ne nuit certainement pas à la cote de popularité de Brian Gallant et de son parti. Selon Mario Levesque, il s’agit cependant d’une arme à double tranchant. « Aussitôt qu’il (le ministre fédéral et député de Beauséjour, Dominic LeBlanc) va fermer la champlure d’argent du gouvernement fédéral, on va voir les appuis du Parti libéral du Nouveau-Brunswick diminuer. C’est facile d’être populaire quand tu dépenses l’argent d’un autre. […] » 2017, Acadie Nouvelle, Caraquet, 14 mars, p. 3.

Histoire

1Depuis 1642 (J.E. Roy, Histoire du notariat au Canada, vol. 1, 1899, p. 58 [« Inventaire des biens meubles appartenant à deffunct Jean Nicolet »] Une champlure rompue). Champlure et champleure sont des variantes du mot chantepleure qui sont bien attestées dans les parlers de France (v. JunPron 2930 et 179180). Champl(e)ure est consigné comme dialectalisme au sens de « robinet d’un tonneau mis en perce » dans quelques dictionnaires français depuis le milieu du XVIIIe s. jusqu’au début du XXe s. (v. FEW cantare 2, 223b, qui signale le mot notamment dans les parlers du Nord-Ouest et du Centre; v. aussi Trévoux 1752, s.v. champeleure, Besch 1847 et Larousse 1866, s.v. champelure). 2Depuis 1948. L’emploi de champlure dans la formule la sacrure, la champlure et la créature (l’ordre des mots peut varier) a été sans doute motivé en partie par sa terminaison en ure, qui le fait rimer avec luxure (renvoyant à un péché capital dans la tradition catholique), mot qui a également motivé l’emploi de créature et de sacrure, qui semble avoir été créé pour les besoins de la rime (< sacrer « blasphémer » + suff. ure). Cette formule est souvent associée au père Victor Lelièvre, prêtre et oblat d’origine bretonne arrivé au pays en 1903, ayant exercé son ministère dans la paroisse Saint-Sauveur, à Québec, où il est décédé en 1956 (v. plus haut citations de 1964 et 1968, v. aussi PichJur, s.v. sacrure). Si celuici a certainement popularisé cette expression moralisatrice, on ne peut assurer qu’il en est le créateur. Cependant, champlure « ivrognerie » est probablement d’un usage plus ancien que les prédications du père Lelièvre, comme le suggère une source du XIXe s., qui montre que la consommation d’alcool pouvait être symbolisée par une champlure : Une autre femme de la campagne, en regardant les porte-réverbères dont nos principales rues sont garnies, disait à sa voisine : – Cé toujours bin édifiant d’voir lé gens d’la ville planter tant d’croix de tempérance! Sûrement qu’ça va faire assez-z-honte aux ivrognes qu’i ne r’mettront pas l’nez dans c’te maudite boisson. – Oui, ajouta l’autre, et même pour qu’i n’aient pu d’prétexe, on dit qu’la collepollation [= corporation] va faire mettre su chaque croix un fanal pour qu’ces gueux d’hommes peuvent toujours voir la p’tite champlure qu’est l’emblême d’la perdition (Le Fantasque, Québec, 28 octobre 1848, p. 132). 3Depuis 1932 (Le Goglu, Montréal, 8 janvier, p. 6 (sous une caricature) : Pendant plus de vingt mois, [Camillien] Houde a fait couler la champlure de l’argent des banques jour et nuit).

Dernière révision : février 2021
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Trésor de la langue française au Québec. (2021). Champlure ou champleure. Dictionnaire historique du français québécois (2e éd. rev. et augm.; R. Vézina et C. Poirier, dir.). Université Laval. Consulté le 25 avril 2024.
https://www.dhfq.org/article/champlure-ou-champleure