ZIGONNER ou
ZIGONER [ziɡɔne]
v.
Variantes graphiques : ziguonner; (d’après des variantes de prononciation) cigonner, sigonner, zigogner, zigouner.
Faire qqch. à coups répétés.
v. tr. VieilliAgir sur (qqch.) en faisant des mouvements répétés et général. brusques.
Paul Laurin décrivait ainsi un des tours chez les Dion, aux Saules : « Le potier braquait sa motte de glaise sur une petite table tournante, et il la zigonnait avec ses pouces. » 1942, M. Barbeau, Maîtres artisans de chez-nous, p. 163.
Sous nos yeux dilatés, braqués sur elle comme des feux rouges, elle tataouine les leviers, elle zigonne les pédales, elle s’agite, elle s’énerve. 1973, R. Ducharme, L’hiver de force, p. 136.
v. tr. VieilliAviver, ranimer (un feu, un foyer) en remuant la braise, en ajoutant du combustible.
2022, TLFQ, Zigonner le feu avec un tisonnier [vidéo].Zigonner le poêle.
– Félix, chauffe plus fort, la neige à m’timbe sus l’front... – Maudite truie, on gèle, icite... – C’te chienne, si j’me lève, a va s’emplir... – Zigonne... zigonne-la... tu vois ben, pauvre toé, qu’a s’meurt... [/] Et dans le calme féerique des heures de repos, la « truie » et la « chienne », chauffées à blanc, étirent en flammeroles pétillantes le cordon de bois qu’elles avalent gloutonnement, à toutes les heures... 1932, A. Nantel, À la hache, p. 154.
v. tr. VieilliProvoquer (qqn) par des taquineries, des méchancetés répétées, incessantes, le harceler, le plus souvent au point de l’exaspérer, de l’excéder, de le faire enrager.
Je me rappelle, quand j’allais dans les chantiers, on avait eu un foreman, une fois, qui avait bien voulu nous zigoner. C’était un grand Écossais, tout frais débarqué, qui prétendait en remontrer à tout le monde. Ça n’a pas été long. J’allai trouver le boss et je lui dis que son foreman allait se fermer la boîte ou que nous allions la lui fermer, nous autres. 1925, A. Dugré, La campagne canadienne, p. 223-224.
– Colombe : Puis laissez-moi tranquille parce que ça sera pas long que je vas tout envoyer en l’air! [...] – Nastasie : Bon. Tu vois ce que ça fait, Médée? T’es toujours là à la... la zigonner; là, elle va bouder. [...] Puis au fond elle a quasiment raison... 1952, J. Bernier, Je vous ai tant aimé, 31 mars, p. 7 (radio).
Par ext. Pêcher (du poisson) à la ligne, le taquiner.
Dans ma jeunesse, j’étais un friand de la pêche à la ‘trôle’. On allait ben loin pour sigonner la grise mais on se rendait en charette [sic] à poche. P’tit train va loin. 1944, Cl.-H. Grignon, « Le père Bougonneux », dans Le Bulletin des agriculteurs, août, p. 6.
v. tr. Vieilliou ruralRudoyer (un cheval) en tirant à coups répétés sur le mors, le solliciter sans relâche.
La vieille catin a fallu atteler Quoiqu’elle était bien rosse Elle passa bien à travers les roches Et quand nous fûmes sul’ p’tit coteau La vieille catin a pris le p’tit galop Elle tombe dans une mare [...] À force de la zigogner La vieille catin s’est relevée [...]. 1946, Montréal, AFEUL R. Guérault et Ch.-M. Barbeau, ms. 325.
Les deux bêtes couraient à bride abattue, tandis que les deux jeunes gens, debout dans leur buggy, les stimulaient de la voix et des rênes. – Range-toi, criait Pierre-Louis à Max. [/] Ce dernier, comme bien l’on pense, fit la sourde oreille. Il stimulait sa bête en donnant de grands coups de rênes. Les deux pouces accrochés à ses larges bretelles, le docteur Fiset prenait le frais sur sa galerie. – Max, bon sens! dit-il. Arrête de l’zigonner comme ça, ton cheval. Tu vas le morfondre! [/] Max tiraillait à tour de bras son pauvre Souris et s’entêtait à vouloir accaparer le milieu du chemin. 1981, J. Pellerin, Au pays de Pépé Moustache, p. 83.
v. tr. dir. VieilliZigonner le violon : faire grincer un violon à coups d’archet répétés, en jouer tant bien que mal. Par ext. Jouer au violon une musique habituellement rythmée, entraînante, le plus souvent par oreille ou de façon improvisée, et sans aucune prétention artistique.
v. tr. ind.
Zigonner du violon, sur le violon.
(Employé absol.). Ça fut comme un cilement de toupie, les enfants; l’archette fortillait dans les mains de Fifi sans comparaison comme une anguille au bout d’une gaffe. Et zing! zing! zing!... et zing! zang! zong!... Les talons nous en pirouettaient dans le banc de neige malgré nous autres. Je cré que le v’limeux avait jamais joué comme ça de sa vie. [...] Fifi zigonnait comme un enragé. 1899, L. Fréchette, « Le Money Musk », dans La Patrie, Montréal, 23 décembre, p. 2 (suppl. de Noël).
Alidor se prenait à songer à tous ces arbres venus d’un peu partout; il revoyait les chantiers, celui de l’an dernier où il s’était si bien amusé avec Jos. Maltais, qui « zigonnait » le soir sur son violon. 1955, R. Ouvrard, La veuve, p. 123.
Dans la famille Travers-Cyr, on chercherait en vain une véritable tradition de musique. Mais on chantait, on zigonnait du violon, on jouait aussi de ce bizarre instrument qui s’appelle de différents noms : harmonica, rabot de gueule, ruine-babines, musique à bouche. 1959, R. Benoit, La Bolduc, p. 21-22.
Il s’imagine, parce qu’il ziguonne le violon, qu’on vient pour lui. Il ne se rend pas compte que c’est sa femme, le lutin de la maison. 1968, J. Ferron, Contes, p. 190.
v. tr. dir. VieilliZigonner une musique, une gigue, une chanson, la jouer au violon.
Pendant que le client, serviette au cou, se tient immobile sur une chaise ou un banc et que le violoneux ‘zigonne’ consciencieusement sa musique, le barbier va, vient, virevolte sur un pied, sur l’autre, autour du rasé, imitant sans perdre un pas tous les mouvements d’un professionnel à l’œuvre. 1944, É.-Z. Massicotte, dans Les Cahiers des Dix, no 9, p. 263.
v. intr. Fam.Chercher à faire pénétrer, à faire tourner une clé dans le trou d’une serrure, le plus souvent en vain.
Zigonner dans une porte : insister avec une clé dans la serrure d’une porte, donner des coups dans une porte, la secouer afin de la forcer à s’ouvrir.
2022, TLFQ, Zigonner dans une porte [vidéo].La porte était « barrée », le gars « zigonne » un peu dans la porte, puis il rentre. – Comment ça se fait, tu « barres » la porte en plein jour? 1948, Saint-Gilles (Lotbinière), dans J.-Cl. Dupont, L’artisan forgeron, 1979, p. 281.
Monte l’escalier en douceur pour ne pas se faire accrocher comme ce matin. Sort la clé : elle n’entre plus dans le trou. Zigonne, zigonne : c’est clair : la serrure a été remplacée. Fuck! 1973, R. Ducharme, L’hiver de force, p. 180.
v. intr. Grivoisou vulg.(En parlant d’un homme, d’un animal mâle). Se livrer à l’acte sexuel, s’accoupler.
v. tr. Zigonner une femme, la pénétrer, la posséder sexuellement.
Il ôte ses culottes et c’est comme un ressort qui lui monte presque sur le menton. Sa femme, en voyant ça, pousse un cri et ferme les yeux. Elle avait quasiment perdu connaissance. Lui, saute sus sa femme et commence à s’essayer. Mais ça marchait pas, on sait ben! Quand le bonhomme a eu zigonné pas mal longtemps et qu’il s’est aperçu que ça pourrait jamais marcher avec sa femme, il était bien découragé. 1951, Thetford Mines (Mégantic), AFEUL L. Lacourcière, ms. 31, p. 2.
[...] j’vois tout d’un coup, un monsieur les fesses à l’air entre une paire de jambes de madame, pis y la zigonne au coton. Pareil comme Mousse à Paul-Émile sur la chienne à monsieur Dubé c’printemps. Excepté que Mousse lui, y la zigonnait par en arrière, pis le monsieur c’était par en avant. Tu parles d’un maudit jeu de fou! 1979, B. B. Leblanc, Y sont fous le grand monde!, p. 187-188.
C’est tout à fait naturel pour Délira de voir leur gros coq sauter hardiment sur les poules et le bœuf zigoner sur le dos des vaches. Souvent ce sont les vaches qui grimpent d’autres vaches. Elle en questionne l’utilité, ces pratiques ne donnant pas de veaux. 1983, J.-d’Arc Jutras, Délira Cannelle, p. 83.
v. intr. (Avec un sujet neutre ou inanimé, représenté par le pron. ça).
[...] pis c’est jusse pour le kique que j’mens, pour faire durer l’plaisir (‘comme quand t’es dans un grand litte avec ta Génie, pis qu’ça zigonne à plein, avant l’sombrement dans l’Océan des brailleries [...]’). 1974, V.-L. Beaulieu, En attendant Trudot, p. 19.
v. intr. Fam.Perdre son temps à faire qqch.
Mettre du temps et de l’énergie à, essayer de venir à bout de qqch., s’employer à remettre qqch. en bon état, en se donnant de la peine ou avec plus ou moins d’habileté, d’adresse, et le plus souvent sans pouvoir y parvenir.
Zigonner après un moteur.
Y a sigonné après ce morceau de bois une bonne escousse. 1930, dans GPFC (s.v. sigonner).
Rendus à Leicester, c’est là que l’aventure a réellement commencé pour moi; en effet, [...] ayant eu du trouble avec ma motocyclette, j’ai dû rester à l’arrière et tâtonner un peu avant de repartir. [...] Cinq milles passés Leicester, ma motocyclette refusa complètement d’avancer; j’ai poussé quelques jurons après avoir « zigonné » en vain pendant une demi-heure. Finalement, voyant le crépuscule tomber et me sentant fatigué, frissonnant et pas mal écœuré, je me suis dit, à la grâce de Dieu et [j’ai] flanqué la motocyclette dans le premier champ qui était à ma portée. 1944, dans J. Gouin, Lettres de guerre d’un Québécois, 1975, p. 149.
Perdre son temps, ne rien faire qui vaille, flâner, traîner, lambiner.
Arrête de zigonner pis travaille un peu!
Il est plus bon à rien : il ne fait que sigonner. 1930, dans GPFC (s.v. sigonner).
L’heure? J’ai lancé ma montre dans le lit d’une rivière et le plus loin possible. Depuis jm [= je me] fie au soleil. Fait-y frette dehors? [...] Bob va-t’y se mettre à? Lui ai pourtant dit de pas zigonner. C’est pas lui [qui arrive]. [...] Un homme disparaît. Et allez donc le chercher. La police le trouve pas non plus. 1973, J.-J. Richard, Centre-ville, p. 53.
S’occuper activement à divers petits travaux.
Le bonhomme vendait juste assez [de jouets en bois] pour vivre décemment. Pas riche, mais content... Il était debout tôt le matin à zigoner dans son atelier à l’arrière de sa boutique, à scier, à dégauchir, à polir, à vernir, et à imaginer d’autres formes d’assemblages. 1989, P. Foglia, dans La Presse, Montréal, 30 mars, p. A5.
Perdre son temps à des considérations tatillonnes, futiles, qui n’en valent pas la peine; tergiverser, hésiter.
Arrête de zigonner et dis ce que tu as à dire.
Le premier ministre, M. René Lévesque, en a assez de « faire des dessins » pour les « coupeurs de cheveux en quatre » et les « mandarins plus ou moins chinois » qui s’amusent, selon lui, à semer la confusion dans la population au sujet de la souveraineté-association et du référendum. Une série d’interventions entamée par le chef de l’Opposition l’a en effet amené à accuser ses adversaires, hier, à l’Assemblée nationale, de « zigonner autour de négociations, de mandats et de souveraineté-association » pour « mêler les gens davantage ». 1978, Le Soleil, Québec, 8 novembre, p. A2.
Au Québec, on entend trop souvent [dire] qu’il n’y a pas d’argent, que nous sommes un marché captif, que nous sommes nés pour un petit pain, etc. C’est un langage de vaincus... Faut arrêter de zigoner dans le folklore. Nous sommes capables de faire autre chose, affirme notre industriel. 1978, L’Actualité, novembre, p. 90.
Histoire
Mot hérité des parlers de France, dont l’étymologie n’est pas assurée. Il remonte probablement à un radical expressif si- ou zik- (v. FEW 11, 563b, et 14, 663a; v. aussi BrochÉtym 173), à moins qu’il ne s’agisse d’un représentant de la famille de l’ancien haut-allemand gîga « violon » ou de celle du latin cĭcōnia « cigogne » (v. FEW 16, 37a, et 2, 666a). C’est à ces divers étymons que Wartburg rattache les nombreuses formes apparentées au verbe zigonner qu’on trouve dans les parlers de France (v. ci-dessous).
I1Depuis 1942. Cp. zigougner v. tr. « toucher souvent, triturer » dans un parler du Centre de la France (classé par Wartburg parmi les mots d’origine obscure, v. FEW 21, 335a); cp. aussi zigougner « secouer, remuer par secousses » en Aunis (v. FEW 16, 37a), et « couper un objet avec un mauvais couteau en faisant des déchirures comme avec une scie; scier mal » en Saintonge (v. FEW 11, 563b, et 14, 663a); cp. encore sigouner, sigougner et sigogner « id. » également en Saintonge, cigoigner « tourner une manivelle » en Bretagne romane, cigogni « secouer une chose en lui imprimant à diverses reprises un mouvement de va-et-vient » en franco-provençal, et [seɡuɲi] « secouer une chose qui tient à la terre » en Suisse romande (v. FEW 11, 563b, et 2, 666a); cp. enfin gigogner « secouer » en bourguignon, gigougner « secouer, remuer » en poitevin et « remuer pour arracher » en bourbonnais, gigounei « agiter par saccades un objet attaché » en franc-comtois, et gigougnîe « brimbaler, remuer, branler, comme pour arracher un pieu de terre » en franco-provençal (v. FEW 16, 37a). 2Depuis 1909 (Dionne). N’a pas été relevé comme tel dans les parlers de France mais l’a été en créole guadeloupéen (v. TournGuad, s.v. zigonné), ce qui permet de postuler une origine régionale française. Cp. d’ailleurs la forme voisine digonner « attiser (le feu) » dans le français régional de Normandie (v. LepNormand). 3Depuis 1907 (BPFC 5/5, p. 194 : cigonner « taquiner, scier, obséder »; zigonner, depuis 1909, Dionne). Relevé en créole guadeloupéen (v. TournGuad, s.v. zigonné); cp. par ailleurs sigounhá « importuner » et cigougná « tarabuster » en languedocien (v. FEW 2, 666a). 4Depuis 1880 (Dunn). Cp. cigogner « secouer, tirailler qqn » en bourguignon (v. FEW 2, 666a); cp. en outre, sogougni « secouer vivement par les habits » en franc-comtois et diverses autres variantes franco-provençales signifiant « secouer qqn », « tirailler pour réveiller », « rosser » (ibid.). 5Depuis 1899. 6Depuis 1948. Cp. [sɡuɲi] « secouer une porte pour essayer de l’ouvrir » en franc-comtois, et cigougnar « tourmenter une serrure » en provençal (v. FEW 2, 666a). 7Depuis 1951. Cp. gigouner v. tr. « exercer ses droits conjugaux » dans les parlers du Centre, et « engendrer, saillir » en bourguignon (v. FEW 16, 37a); cp. aussi cigougná « fouiller avec insistance, par un mouvement de va-et-vient » en languedocien (v. FEW 2, 666a).
II1Depuis 1930. Cp. cigoigner « travailler péniblement » dans un parler de la Bretagne romane, sigougná v. intr. « travailler avec des moyens insuffisants » en bas-limousin, cigounhar « prendre beaucoup de peine à faire un ouvrage mécanique, travailler inutilement » en limousin, cigougnejá « essayer maladroitement de faire aller un mécanisme » en rouergat (v. FEW 2, 666a); cp. aussi ghigougner « remuer bras et jambes pour parvenir à faire qqch. et ne pas réussir » en saintongeais, gigoniai « perdre son temps en travaillant maladroitement » et gigoigner « exécuter un travail avec maladresse » en bourguignon, djigoègnie « perdre son temps en travaillant maladroitement » en franc-comtois, et [dʒiɡunɑ] « faire des mouvements infructueux ou malhabiles dans l’exécution d’un travail » en auvergnat (v. FEW 16, 37a). 2Depuis 1930. Cp. sigougná « agir lentement » en bas-limousin, gigoigner « se livrer à des occupations peu utiles, perdre son temps » en bourguignon et gigounhar « perdre son temps » en limousin (v. FEW 2, 666a, et 16, 37a); cp. encore zizonner « lambiner » en berrichon (v. FEW 11, 563b). 3Depuis 1903 (ChartColl 141 : zigonner « ergoter »). Cp. sigougná v. intr. « être irrésolu » en bas-limousin, sigowña « tergiverser » en dauphinois et cigougnar « hésiter, biaiser » en provençal (v. FEW 2, 666a).