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VALEUR [valœʀ]
n. f.

I

n. f. VieilliMarchandise, article, produit manufacturé dont le rapport qualité-prix est avantageux pour l’acheteur, qui est offert à prix avantageux; prix d’une telle marchandise, d’un tel article, d’un tel produit.

 Par ext. Achat, marché avantageux, bonne affaire.

Rem.Usité surtout dans la langue de la publicité et le plus souvent au pluriel.

Toiles et cotons. Marchandises de maison. [...] Couvrepieds [sic] blancs depuis $1.89 à $4.00 (Valeurs tout à fait exceptionnelles). 1890, Le Canadien, Québec, 31 janvier, p. 2 (annonce).

Deux grandes valeurs dans les chapeaux pour hommes. Chapeaux de $2.00 pour $1.39. [...] Chapeaux de $1.25 pour 99 ¢. 1913, Le Soleil, Québec, 3 janvier, p. 5 (annonce).

Après une Oldsmobile... vous n’en voulez pas d’autre! La Oldsmobile a la faculté de concrétiser tout ce que vous espérez d’une automobile... et cela, d’une façon plus agréable que toute autre voiture. [...] Une valeur General Motors. 1959, Le Devoir, Montréal, 19 août, p. 11 (annonce).

Bottes de caoutchouc à bas prix pour garçons. Une botte de qualité durable, imperméable, avec bande robuste entourant la semelle. Une valeur exceptionnelle à ce prix. 1970, Le Nouvelliste, Trois-Rivières, 18 février, p. 17 (annonce).

II

loc. adj. De valeur.

Rem.Variante graphique : (d’après la prononciationd’valeur.

1

VieuxQui nécessite, entraîne des dépenses considérables, importantes.

 Fig.Qui est pénible, difficile, malaisé (à faire).

Il y a aujourd’huy une an que nous sortime de la Galissonière pour venir issy, mais il fezès bien plus beaux, car il fait froit autant, je croy, quand [= qu’en] Canada et il est de valeure [sic] de s’y chaufer par la chaeretez du bois. 1750, É. Bégon, dans RAPQ 1934-1935, p. 252.

Vers le 15e de mars nous commençâmes le sucre [...]. Vers la moitié des sucres, les Sauvages arrivèrent pour la dernière fois, où je fus mal payé. [...] Ils insistèrent pour que je revinse, me disant qu’ils me payeroient à mon retour. Je leur dis que c’étoit de valeur, que le portage étoit trop long. 1830 env., dans L.-P. Cormier (éd.), Jean-Baptiste Perrault, marchand voyageur, 1978, p. 92.

(Ouest du Canada). C’est un nom de valeur [...] à prononcer. 1910, L.-A. Prud’homme, « Expressions dont se servait naguère l’ancienne population du Nord-Ouest », dans Les Cloches de Saint-Boniface, suppl. au vol. 9, no 24, p. 332.

2

VieilliC’est pas, ce n’est pas de valeur. (Pour souligner que qqch. est moins difficile qu’on pense, qu’on a peu de mérite à le faire). Cela n’exige aucun effort particulier, ne présente aucune espèce de difficulté; c’est chose facile, aisée, c’est bien simple, tout simple.

 Par ext. C’est sans importance, cela ne fait rien.

– Q. : Connaissez-vous le bois coti [« pourri »]? – R. : Oui monsieur, je connais le bois coti d’avec celui qui n’est pas coti. Ce n’est pas de valeur de le connaître. 1895, Québec, BAnQQ, Cour d’appel (Québec), cause no 44 (1896), factum de l’intimé, p. 75 (témoin originaire de la région de Chicoutimi).

Le vieux me racontait sa vie. [...] il dit d’une voix doucereuse : « Des enfants, c’est du gaspillage. Ça coûte cher et ils nous laissent quand on a le plus besoin. C’est pas de valeur, ajouta-t-il, ma défunte est partie sans m’en donner. J’ sus content. Mais j’ai eu ben soin de jamais me remarier, parce qu’avec les femmes, vous savez, on sait jamais ». 1936, Cl.-H. Grignon, Précisions sur « Un homme et son péché », p. 63.

Ce n’est pas de valeur de vivre ici [dans un chantier forestier], observait Pierrot, on est mieux nourri, bien logé, et, en cas de maladie, mieux traités que nous pourrions l’être au village. 1956, A. Tessier, Jean Crête et la Mauricie, p. 85.

– Joséphine : Pense pas qu’ils sont pas aplomb, les gens de Québec. Ça correspond par télégrammes, ça prend le train à propos de tout et de rien... – Théophile : C’est pas de valeur pour Eva... Son mari travaille aux chemins de fer... Elle a ses passes gratuites... 1961, R. Lemelin, La famille Plouffe, 26 septembre, p. 4 (radio).

Par antiphrase C’est quelque chose, ce n’est pas une petite affaire.

Et sais-tu ce qu’elle lui demande? De s’en venir rester avec nous autres, au Chenal, comme le garçon de la maison. Roi et maître, c’est pas de valeur! Quoi c’est que je vas devenir dans tout ça? 1947, G. Guèvremont, Marie-Didace, p. 248.

3

Fam.Qui est malheureux, fâcheux, regrettable, déplorable, triste; qui est dommage.

C’est donc, c’est ben de valeur. C’est de valeur que (suivi d’un v. au subj.), c’est de valeur de (suivi d’un v. à l’inf.). Trouver qqch. de valeur.

Il y a eu, pendant deux mois qu’ils [les Iroquois] ont rôdé autour de cette île et des habitations voisines, plusieurs escarmouches où nous avons toujours eu de l’avantage, mais la plus considérable a été la défaite d’un parti d’Oyogouins que M. de Vaudreuil battit entièrement à un lieu appellé Repentigny qui est en deça de l’île de Montréal [...]. Cet échec qui était de valeur pour eux, pour me servir de leurs termes, parce que parmi leurs morts il y avait leurs principaux chefs, les rallentit beaucoup [...]. 1691, Frontenac, dans RAPQ 1927-1928, p. 68.

À peine [le Sauvage condamné à mort] avait-il achevé cette courte & pathétique harangue, que ce bon & tendre pere, pénétré de l’amitié filiale, se leva aussitôt & parla en ces termes : « C’est de valeur que mon fils meurt. Mais étant jeune & vigoureux, il est plus capable que moi de nourrir sa mere, sa femme, & quatre jeunes enfans; il est donc nécessaire qu’il reste sur la terre pour en prendre soin. [...] c’est pourquoi je vais prendre sa place ». 1768, Bossu, Nouveaux voyages aux Indes occidentales, 2e éd., t. 1, p. 195-196 (l’auteur ajoute en note ce commentaire : « Le terme de valeur est un mot qui signifie, en leur langue, ce qui est fort ou extraordinaire »).

[...] mon pauvre oncle Vermette sentait bien qu’il aurait dû renvoyer son engagé. Mais il y avait un marché; et c’était encore de valeur, un si bon travaillant, sobre, tranquille, pas bâdreux, toujours le premier à la besogne et pas dur d’entretien! 1892, L. Fréchette, « La mare au sorcier », dans La Presse, Montréal, 8 octobre, p. 4.

– Le père voulait qu’on fauche à matin, mais il mouille trop pour mon goût. Ça sera rien qu’une ondée, probablement... – C’est de valeur pour ceux qu’ont du foin sur le champ. 1925, H. Bernard, La terre vivante, p. 129.

– Les Allemands vont éventrer les Anglais. – Dis donc pas ça, mon vieux! s’indigna Joséphine. Oublie pas que la France est avec l’Angleterre. Mon Dieu, que c’est donc de valeur que sainte Jeanne d’Arc soit morte. Les Allemands se feraient organiser. 1948, R. Lemelin, Les Plouffe, p. 309.

Chaque fois que je rentre à la maison, papa s’inquiète de mon comportement : – T’as pas touché à ton violon depuis qu’ t’es r’venu... C’est d’valeur, tu jouais ben avant d’aller à Montréal... 1977, J.-P. Filion, Les murs de Montréal, p. 63.

Histoire

IDepuis 1890; d’après l’anglais value (v. Webster 1986, s.v. value1 : the store advertises great values at large savings; v. aussi FunkC 1982 : « the ratio of utility to price; a bargain »).

IIAvec les sens décrits ici, la locution adjective de valeur n’a pas été relevée ailleurs qu’en Amérique et son originalité, qui n’a pas manqué d’être très tôt signalée, a donné lieu à diverses interprétations étymologiques. Selon les témoignages les plus anciens, tels ceux de Frontenac (v. sens 3, ex. de 1691), de d’Aleyrac (Aventures militaires au XVIIIe siècle, éd. de 1935, p. 31 : « L’expression la plus ordinaire [parmi les Canadiens] est : de valeur, pour signifier qu’une chose est pénible à faire ou trop fâcheuse. Ils ont pris cette expression aux sauvages »), ou de Bossu (v. sens 3, ex. de 1768), il s’agirait d’un emprunt aux langues amérindiennes; comme l’interprétation de ces témoignages n’est pas aisée (v. A. Fauteux, dans BRH 36/10, 1930, p. 595-596, et BovProc 75-77), cette explication demeure hypothétique. Selon d’autres sources (Dunn, Clapin et Barbeau2 67), de valeur serait plutôt d’origine française et figurerait même dans l’œuvre de Montaigne, mais aucune citation ne permet d’accréditer ce point de vue. Enfin, selon GPFC, de valeur pourrait encore être « une déformation de la locution de male heure, qui était usitée dans l’ancien français avec le sens de malheureusement »; le moyen français atteste en effet de malheur avec ce sens, mais il s’agit d’une locution adverbiale et non d’une locution adjective, ce qui enlève du poids au rapprochement suggéré. Dans l’état actuel des recherches, il est plus juste de penser que les emplois particuliers de la locution de valeur relevés au Canada se sont développés à partir du sens de « très précieux (en parlant d’un objet) », attesté en français depuis Fur 1690 (v. FEW valor 14, 152a), comme le suggère d’ailleurs le relevé du père Potier qui fait figurer le sens canadien de « difficile » à la suite du sens français (v. ci-dessous). 1Depuis 1743-1744 (PotierH 28 : Cela est de valeur... 1o de prix... 2o difficile). 2Depuis 1895. 3Depuis 1691 (Frontenac).

Version du DHFQ 1998
Trésor de la langue française au Québec. (1998). Valeur. Dictionnaire historique du français québécois (2e éd. rev. et augm.; R. Vézina et C. Poirier, dir.). Université Laval. Consulté le 18 avril 2024.
https://www.dhfq.org/article/valeur