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TOURTIÈRE [tuʀtjɛʀ]
n. f.

Rem.

Variante graphique : (jusqu’au milieu du XXe s., d’après une prononciation vieillie) tourquière.

1

Région. (Saguenay–Lac-Saint-Jean et Charlevoix). Gros pâté profond fait d’un mélange de viandes de boucherie (général. porc, veau et bœuf) ou de gibier et de pommes de terre coupées en petits morceaux qu’on fait cuire lentement au four.

2022, TLFQ, Assiettée de tourtière [photo]. 2022, TLFQ, Tourtière [photo].

Tourtière au lièvre, à la perdrix, à l’orignal. Une assiettée de tourtière. Viande à tourtière. Vieilli Tourtière de famille, d’habitant.

Rem.Relevé de façon sporadique dans quelques autres régions (Portneuf, Bas-du-Fleuve, Matapédia et nord-est du Nouveau-Brunswick); mais de façon générale, on dit plutôt tourtière du Lac-Saint-Jean, ou tourtière du Lac, quand on parle de ce mets à l’extérieur de cette région.

 cipaille (sens I.1).

[...] les religieuses envoyerent les lettres de grand matin p[ou]r faire leur Compliment; & les Ursulines force belles estreines avec bougies, chapelets, crucifix &c. & sur le disner deux belles pieces de tourtiere. 1646, dans Rj 28, p. 142.

Oh! la bonne et saine nourriture que l’on mangeait dans ce temps-là! [...] D’abord, une soupe aux pois fumante et grasse où avait longtemps mijoté une grosse « brique » de lard. Puis un énorme et succulent rôti de porc frais – « soc » ou « paleron » – flanqué de pommes de terre bien rissolées dans le jus. [...] Après, une énorme « tourtière » dont le secret semble s’être perdu. 1905, L’Avenir du Nord, Saint-Jérôme, 5 janvier, p. 1 (conte).

Le soir de Pâques 1960, les « bérets blancs » du journal Vers Demain ont inauguré une façon nouvelle de porter la lumière dans les familles. À Montréal [...], les « bérets blancs » ont servi gratuitement le souper à 74 familles pauvres du quartier « Griffingtown ». Plus de mille personnes des alentours prirent place à un banquet de tourtières au poulet ou au lièvre, à la mode du Lac St-Jean (une seule tourtière peut nourrir 20 personnes), délicieuses salades, bon pain et bon beurre, fruits, gâteaux, bonbons, café, liqueurs. 1960, Vers demain, Montréal, 15 mai, p. 2.

La tourtière était délicieuse, faite à l’ancienne mode du Saguenay : lièvres, perdrix, morceaux de porc. Le tout enrobé de pâte dorée et présenté dans un chaudron de fer. Plat vigoureux qui donnait le goût de prendre le chemin des grands bois. 1975, F.-A. Savard, Journal et souvenirs II, p. 68.

À la salle à manger, la serveuse, en entendant son léger accent du Lac-Saint-Jean, lui a proposé une « vraie » tourtière du Lac au lieu du pâté chinois. « Notre chef est originaire de Desbiens, lui a-t-elle dit, et il la fait magnifiquement. » 1993, Cl. Fournier, René Lévesque. Portrait d’un homme seul, p. 34.

2

Syn. de pâté à la viande.

Tourtière au lard ou tourtière au porc. Morceau, pointe de tourtière. Faire des tourtières pour les fêtes. Vieilli Tourtière canadienne.

Rem.Général sur tout le territoire du Québec à l’exception de Charlevoix et du Saguenay–Lac-Saint-Jean où l’on dit plutôt pâté à la viande, lequel est également employé un peu partout.

[...] ces billots [sur lesquels les enfants prenaient leur repas] suppléaient dans l’occasion à la rareté des chaises; et servaient aussi à débiter et hacher la viande pour les tourtières (tourtes) et les pâtés des jours de fêtes. 1863, Ph. Aubert de Gaspé, Les anciens Canadiens, p. 409.

– Pourquoi ça donc, mémère Angèle, que t’appelles-ça [sic] des tourquières, toi, des pâtés à la viande? – Ben Dame, mes enfants, en v’là une question? Pourquoi que tu t’appelles Alice, toi? On appelle ça des tourquières parce que c’est des tourquières, quoi... 1925, Le Terroir, juin-juillet, p. 36.

Ça s’appelle encore des tourtières, malgré que c’est fait avec de la viande ordinaire; à c’t’heure, c’est rien qu’un pâté à la viande. Mais avant c’était pas de même. Il y avait des oiseaux qu’on appelait des tourtes, qu’étaient ce qu’y a de meilleur au monde à manger. 1938, Ringuet, Trente arpents, p. 111.

Il avait à peine grignoté la pointe de tourtière chaude, se contentant d’avaler le café qu’on leur servait sans lésiner cette nuit-là. 1975, A. Major, L’épidémie, p. 165.

[...] les tourtières connurent le triomphe absolu : dorées, odorantes, suintantes de graisse, elles étaient au dire de tout le monde dignes de la couverture d’une encyclopédie de madame Benoît. 1986, M. Tremblay, Le cœur découvert, p. 296.

Vieilli Tourtière à la viande : pâté à la viande. Tourtière aux patates, aux oignons : pâté de pommes de terre, d’oignons, sans viande.

[...] de la soupe aux pois, des grillades de lard et une grosse tourquière de patates1879, Le Vrai Canard, Montréal, 27 septembre, p. 2.

 Tourtière (aux pommes, aux bleuets) : tarte (aux fruits).

 pâté (sens I.2).

Néol. Tourtière de millet, où la viande est remplacée par une préparation à base de millet.

Histoire

Emplois d’origine régionale française. Le mot a été relevé dans les parlers de l’Ouest de la France avec le sens de « grand pâté » (MussSaint), de « tourte à la viande (de porc, de volaille ou de lapin) et aux œufs durs » (v. RézOuest); le plat dont il est question est, comme c’est souvent le cas encore au Saguenay–Lac-Saint-Jean, associé à une fête : « Les gros travaux des champs se terminaient par une petite fête de famille, le Bourlot. On y mangeait la tourtière, vaste pâté arrondi, cuit entre deux feux » (H. Gelin, Au temps passé, 1922-1924, cité d’après RézOuest). Dans le Limousin, le mot tourtière désigne une sorte de tarte à la viande (v. Les belles recettes des provinces françaises, 1929, p. 294-295, « La tourtière de ma grand’mère »). Ces emplois de tourtière découlent du sens d’« ustensile servant à faire des tourtes et des tartes », attesté en français depuis le XVIe s. (v. FEW tŏrta 132, 111b), lui-même étant un dérivé de tourte « pâtisserie », qui remonte au XIVe s. (ibid. 109b-110a). Par étymologie populaire, on a fait dériver tourtière « pâté » de tourte, nom d’une espèce de pigeon sauvage d’Amérique du Nord aujourd’hui éteint et qui a longtemps été un gibier apprécié (explication évoquée encore dans Barbeau2 233 et dans Bélisle3; v. aussi l’ex. de Ringuet ci-dessus, sens 2).

1Depuis 1646 (l’exemple suggère qu’il s’agissait d’un grand pâté). L’ancienneté de cet emploi est confirmée par les usages relevés dans les parlers de l’Ouest de la France (v. ci-dessus), par le fait qu’il demeure implanté dans une région conservatrice qui a été colonisée dès le XVIIe s. (Charlevoix) et qu’il subsiste de façon sporadique dans quelques régions du Québec et du Nouveau-Brunswick. Son recul est peut-être à mettre en relation avec la montée de cipaille, d’origine anglaise, qui désigne un mets semblable. 2Depuis 1841 (Maguire 170). Cet emploi a été critiqué au XIXe s. (de Maguire à Rinfret), ce qui révèle qu’il était répandu dès cette époque. Par ailleurs, les premières attestations font voir que le mot désignait aussi bien un mets salé qu’un mets sucré, d’où les appellations de tourtière à la viande (déjà chez Maguire), tourtière aux patates et tourtière aux oignons d’une part, tourtière aux pommes (également chez Maguire) et tourtière aux bleuets d’autre part, qui sont toutes vieillies de nos jours. Il doit s’agir là d’usages anciens puisque l’ustensile appelé tourtière pouvait servir au XVIIe s. à faire des mets sucrés (Trente une tourtiere a biscuit, 25 avril 1689, gr. A. Adhémar, cité dans R.-L. Séguin, La civilisation traditionnelle de l’« habitant » aux 17e et 18e siècles, 2e éd., 1973, p. 626; cp. encore au XXe s. tourtière à gâteau, dans Le Soleil, 19 avril 1913, p. 14).

Version du DHFQ 1998
Pour poursuivre votre exploration du mot tourtière, visionnez notre capsule vidéo Dis-moi pas!?.
Trésor de la langue française au Québec. (1998). Tourtière. Dictionnaire historique du français québécois (2e éd. rev. et augm.; R. Vézina et C. Poirier, dir.). Université Laval. Consulté le 18 avril 2024.
https://www.dhfq.org/article/tourtiere