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TOKEN [tɔkən] ou [tokɛn]
n. f.

Rem.

1. Parfois masculin (rare). 2. Se rencontre surtout dans la langue orale et dans les textes qui en rendent compte. 3. Variante graphique : (surtout dans les locutions et au sens figuré) tokenne.

1

VieuxTerme générique utilisé pour désigner les pièces de monnaie de peu de valeur ( coppe, sens I.1), ou encore les jetons émis par des compagnies et des commerçants, échangeables contre de la marchandise ou des services ( sou, sens II.1, Spécial.).

Rem.On trouve encore de nos jours chez les spécialistes le mot token pour désigner toutes les petites pièces qui avaient cours au XIXe s., avant la création de la monnaie décimale (1858); on trouve aussi jeton, qui est plus soigné.

Sir Hugh Allan ne m’a jamais dit qu’il lui avait restitué ses $32.000. Tu sais qu’on n’entre jamais dans le ciel avec une token qui appartient aux autres. 1881, Le Vrai Canard, Montréal, 5 mars, p. [2].

Les monnaies en circulation à Montréal en 1820 étaient : le souverain, le demi-souverain, la couronne, (crown), le chelin, le demi chelin, le penny, le demi penny. La Banque de Montréal émettait une monnaie fractionnelle d’un sou et d’un demi sou, cette monnaie s’appelait token. 1884, La Patrie, Montréal, 24 décembre, p. [4].

L’émission de ces jetons ou tokens fut particulièrement exploitée par les marchands, tels que les boulangers, bouchers, traversiers, taverniers, et surtout les associations de clubs, qui les utilisaient à titre de réclame ou comme « bons » dans leurs transactions commerciales. 1952, V. Morin, dans Les Cahiers des Dix, no 17, p. 77.

M’man disait pas un mot... Enfin, j’ai cru qu’elle disait rien... Elle avait la bouche ouverte comme ça, t’nez! [...] Comme ça, à partir du Pont-Jacques-Cartier, quand p’pa a frôlé la rampe du pont, alors qu’il cherchait ses « tokens »... par terre! 1963 env., A. Brie, Chez Miville, sketch « Prosper (Québec et voyage) », p. 6 (radio).

– Tiens, bois ça. Tu me dois six tokens. [.../] L’étranger remercia d’un signe de tête. Il se leva, avala son verre d’un trait et posa trois pièces de deux sous sur la table. 1981, L. Caron, Le canard de bois, p. 213 (l’histoire se passe vers 1837).

Par ext., Très fam. Des tokens : de l’argent.

– [...] je me demande un peu qui est-ce qui peut l’endosser aujourd’hui? – Pour ça il a du monde en quantité. Il a pour lui Chapleau, Langevin, Senécal, le boss Dansereau et tous les gros du commerce qui ont des tokens’. 1886, Le Violon, Montréal, 6 novembre, p. [2].

 bidou.

notice ENCYCLopédique

Au début du XIXe s., la guerre anglo-américaine (1812-1814) amplifie le problème du manque de numéraire au Canada; viennent alors s’ajouter aux trop rares pièces de monnaie anglaises et américaines des jetons de cuivre qui arrivent de Grande-Bretagne, comme par exemple les pièces à l’effigie du général britannique Wellington sur lesquelles on retrouve, comme sur les autres qui suivront, l’inscription « one penny token ». Outre les espèces importées, d’autres jetons sont fabriqués, en conformité avec certaines lois, par des particuliers. Tous ces jetons servent de monnaie et valent généralement un demi-penny, c’est-à-dire un sou de l’époque. « À Montréal, entre 1820 et 1837, tout ce qui en a les mêmes dimensions peut tenir lieu de demi-penny » (voir L’encyclopédie du Canada, 1987, s.v. monnaie). Les jetons sont en si grand nombre et en si mauvais état que, vers 1836, les banques, qui commencent à fabriquer des pièces, n’acceptent les jetons qu’en fonction de leur valeur en métal. La popularité des tokens des institutions bancaires (notamment la Banque de Montréal, la première à en émettre en 1835), dont la valeur est indiquée « en sous » dans les inscriptions françaises, est due, outre leur valeur intrinsèque, aux gravures originales, et parfois engagées, qui les ornent (qu’on pense au sou de la Rébellion de 1837 dont l’avers présente les symboles révolutionnaires des Patriotes). Après l’Acte d’Union (1841) et jusqu’à la fin du XIXe s., les jetons privés continuent de circuler abondamment mais ne sont plus échangeables qu’auprès de ceux qui les émettent pour payer des biens et des services, notamment le transport (parmi les tokens les plus répandus, on peut signaler celui du chemin de fer du canal Lachine). Ce sont les banques qui assurent dorénavant l’émission de la monnaie. 

Sources : P. N. Breton, Histoire illustrée des monnaies et jetons du Canada, 1894 (en partic. p. 37 et 111); Histoire de la monnaie au Canada, 1955, p. 14; A.B. McCullough, La monnaie et le change au Canada, des premiers temps jusqu’à 1900, 1987 (en partic. p. 69-71, 82-86); Catalogue des monnaies du Canada, 11e éd., 1992, p. 170-193; D. Labbé, « Les jetons coloniaux, monnaie de nos ancêtres », dans Les Monnaies, avril 1996, p. 7-12.

2

Très fam.(Dans des tournures négatives, pour exprimer la plus petite somme possible). Ne pas, ne plus avoir une token, une vieille token. Ne pas dépenser, ne pas devoir une token. Ne pas coûter une token (à qqn).

 cent (sens II.2); coppe (sens I.2); sou (sens III); tôle2.

– Albert : Je m’en vais le signer, moi, le contrat. – Homme du gaz : Avant, il y a un dépôt à faire. – Albert : Combien? – Homme du gaz : Cinq piastres. [...]. – Albert : Son père, avez-vous ça sur vous? – Isidore : J’ai pas une token qui m’adore. Va voir ta mère. 1938, Cl.-H. Grignon, Le déserteur, 28 octobre, p. 6 (radio).

– Rosalie : [...] J’calcule qu’est [ma patronne] ben fière que j’aye pris amitié sus une veuve propriétaire. – Marianna [parlant d’elle-même] : Mais qui a pas une token! – Rosalie : T’as dû t’casser en achetant ta radio, han? 1981, M. Laberge, C’était avant la guerre à l’Anse à Gilles, p. 97.

3

Fig., vieilli(Dans des tournures négatives, exprimant une mesure minimale). Pas rancunier pour une token. Ne pas avoir une token de cenne : être sans le sou. Ne pas valoir une token : (en parlant de qqch. ou de qqn) ne pas valoir grand-chose.

 cent (sens II.3).

Mais, bon sang! moi, j’commence à penser que les livres savants ça ne vaut pas une tokenne. On peut pas se fier à ça. 1936, A. Bourgeois, Voyage autour du monde de Joson et Josette, 6 septembre, p. 5 (radio).

J’ai eu sept enfants. Mon mari est mort, le septième arrivait au monde, pis elle dit, j’ai jamais jonglé [« je ne me suis jamais inquiétée »], elle dit, une token. 1949, Port-Daniel (Bonaventure), AFEUL L. Lacourcière 744-744A (âge de l’informateur : n. d.).

C’est difficile, astheure que j’ai dit à monsieur l’inspecteur que Donat, ça valait pas une token, qu’i avait d’la misère à traîner sa peau. 1964, Cl.-H. Grignon, Un homme et son péché, 18 mai, p. 3 (radio).

Pis i’travaillait le bonhomme. I’travaillait jusqu’à huit heures, huit heures et demi, des fois, dix heures du soir. [...] Alors, vous allez m’dire : « I’devait être riche le bonhomme? » Non. Le bonhomme avait pas une token de cenne, pas une cenne noire qui l’adorait. 1965, Plessisville (Mégantic), AFEUL M.-P. Cayouette 42 (âge de l’informateur : n. d.).

Histoire

La graphie tokenne est attestée depuis 1936 (exemple cité sous le sens 3) et le genre masculin depuis 1952 (R. Choquette, Le curé de village, 24 janvier, p. 5; radio : Cinq piastres! Pas un token de plus!).

1Attesté depuis 1881 dans des énoncés, mais figure sur des pièces anglaises en circulation au Québec depuis au moins 1815 (v. Encycl.). En anglais, le mot token se dit de toute pièce métallique de l’apparence d’une pièce de monnaie, frappée par des particuliers, des compagnies ou des institutions et servant de monnaie d’échange pour l’acquisition de biens ou de services (v. notam. Webster 1986, s.v. token, sens 7, et s.v. token-money, sens 2; OED, s.v. token, sens 11, et s.v. token-money, sens b; v. également DictCan, s.v. beaverskin token, beaver token, Hudson’s Bay token, made-beaver token, trade token, etc.). 2Depuis 1938. Correspond à un emploi du mot en anglais; cp. « token worth, the worth of a token; the very least amount » (v. OED, s.v. token, sens 16). 3Depuis 1936.

Version du DHFQ 1998
Pour poursuivre votre exploration du mot token, consultez notre rubrique En vedette sur le site Web du Trésor de la langue française au Québec
Trésor de la langue française au Québec. (1998). Token. Dictionnaire historique du français québécois (2e éd. rev. et augm.; R. Vézina et C. Poirier, dir.). Université Laval. Consulté le 9 décembre 2024.
https://www.dhfq.org/article/token