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SUISSE [sɥis]
n. m. et adj.

I

n. m.

1

Nom commun des tamias américains, en particulier du tamia rayé (Tamias striatus), qui est un petit écureuil au pelage rayé sur la longueur, nichant dans des terriers et répandu dans l’est de l’Amérique du Nord.

2022, TLFQ, Suisse [photo], Réserve naturelle Gault (Université McGill), Mont-Saint-Hilaire.

Un petit suisse. Un suisse rayé. Le cri strident du suisse. Nourrir, observer les suisses. Vif, vite, rapide comme un suisse. Vieilli Un suisse barré.

 (En apposition). Vieux Un écureuil (écureux) suisse.

Ils [les Hurons] ont aussi trois sortes & especes d’Escureux differends, & tous trois plus beaux & plus petits que les nostres. [...] La seconde espece qu’ils appellent Ohihoin, & nous Suisses, à cause de la beauté & diversité de leur poil, sont ceux qui sont rayez & barrez depuis le devant jusques au derriere, d’une barre ou raye blanche, puis d’une rousse, grise & noirastre tout à l’entour du corps [...]. 1632, G. Sagard, Le grand voyage du pays des Hurons, p. 305‑306.

Ecureuils Suisses, sont de petits animaux comme de petits Rats. On les appelle Suisses, parce qu’ils ont sur le corps un poil rayé de noir & de blanc, qui ressemble à un pourpoint de Suisse, & que ces mêmes rayes faisant un rond sur chaque cuisse ont beaucoup de raport à la calote d’un Suisse. 1703, L. A. de Lahontan, Mémoires de l’Amérique septentrionale, p. 43.

Ce matin […], dans le bois où le printemps mettait ses parfums et sa verdure, je me suis rappelé mon écureuil et j’ai revu en un moment sa gracieuse agilité, son pelage si doux, son œil de feu et son soyeux panache! Sur un tas de branches mortes, posté sur ses pattes de derrière, un « suisse » me regardait! 1895, Le Naturaliste canadien, vol. 22, no 8, p. 125.

Le suisse est le plus prévoyant de nos écureuils. Pendant les mois propices, mais surtout à l’automne, il ne cesse d’amasser des provisions, autant dans ses entrepôts souterrains que dans ses caches à la surface du sol, entre les racines des arbres, sous les tas de branches, recouvertes par lui de brindilles et de feuilles. Il grimpe alors aux noyers comme aux chênes, pour s’y procurer leurs fruits. 1953, H. Bernard, Portages et routes d’eau en Haute-Mauricie, p. 206.

Léger comme un courant d’air, un petit écureuil à l’œil étonné fait son apparition à côté du tonneau à ramasser la sève. – Tiens! Un suisse. 1981, J. Pellerin, Au pays de Pépé Moustache, p. 184.

Un suisse passa à côté d’elle sans paraître la remarquer, puis il s’arrêta en saccadant sa queue. Émilie retint son souffle pour ne pas l’effrayer. Le suisse se retourna, la regarda et repartit rapidement, changeant de couleur selon qu’il traversait une flaque d’ombre ou de soleil. 1985, A. Cousture, Les filles de Caleb, t. 1, p. 294.

Et c’était un écureuil, j’insiste, pas un suisse. Un gros écureuil noir comme on en voit des dizaines sur les gazons de Québec. [...] Les suisses, c’est facile à reconnaître, ils sont rayés sur les côtés. La raison pour laquelle on les appelle d’ailleurs des tamias rayés. 1989, A. Bouchard, Le Soleil, Québec, 10 avril, p. A5.

Un éclair bariolé parmi la verdure. On croit voir, entendre un oiseau, mais c’est un suisse qui est alarmé par notre présence sur son territoire. 2004, P. Morency, Chez les oiseaux, p. 73.

J’étais en train de scier de vieux 2 X 4 pour me faire du bois pour le feu de camp. Concentré, ne faisant qu’un avec ma scie ronde, mon bras se prolongeait pour se terminer en forme de lame ronde et dentelée. Ce bras, il a passé bien près de disparaître avec le bout de planche en train d’être scié. Je l’ai vu sortir sous ma corde de bois et, hop! ma bulle de tranquillité qui pète. C’est qu’un petit « suisse », ou tamia rayé si vous préférez, est sorti en belle peur entre deux bûches de merisier. Vous dire que j’ai sursauté! 2009, S. Tremblay, Le Quotidien, Saguenay,12 août, p. 14.

Dans le frêne à moitié mort derrière moi, un pic‑bois est en train de se bâtir un condo. Il ne niaise pas avec le marteau-piqueur. Ça doit être l’ancien maire du boutte. Au sol, un suisse rayé crie à chacun de ses pas comme pour dénoncer ma présence. Je l’ai baptisé le stool. Pour le reste, rien ne bouge sauf quelques feuilles en perdition ayant oublié d’échouer en même temps que les autres. 2017, M. Beaudry, Le Journal de Québec (site Web), opinions, 7 novembre.

Les oiseaux sont fous de ces fruits‑là. Le matin, je m’installe sur la galerie avec mon café et c’est le party à travers les branches. Les jaseurs, les merles, les pics, ils viennent tous s’empiffrer dans le chèvrefeuille. J’ai même un petit suisse qui monte dans l’arbre pour manger les fruits. Il repart avec les bajoues gonflées pour aller porter ça dans une cachette près du garage […]. 2021, La Tribune, Sherbrooke, 10 juillet, p. 42.

(Comme terme d’affection).

Mon petit suisse.

2

Vieux ou hist. Longue veste de couleur marine à passepoil blanc, serrée à la taille par une ceinture bleue ou verte, portée autrefois par les collégiens et les séminaristes.

 Par méton. Collégien ou séminariste qui portait cette veste.

– Hé! le petit suisse! Dis donc! C’est décidé, tu deviens curé, oui ou non? [/] Pierre serra les dents. Il ne faisait donc jamais rien que fumer, appuyé à sa maison du Quartier Latin, cet homme de trente ans qui ne portait pas de cravate et qui criait suisse! sur tous les tons chaque fois qu’un séminariste passait dans la rue vieillotte aboutissant au Petit Séminaire? Pierre baissa les yeux et examina furtivement son uniforme bleu marine, luisant, presque verdâtre, râpé aux coudes et aux poignets. 1952, R. Lemelin, Pierre le magnifique, p. 11.

J’aime à me rappeler madame Etienne Pelletier, nous apportant à l’Exposition une pièce de serge bleu marin, filée et tissée de ses mains et qui devait servir à confectionner, pour ses fils, futurs prêtres, les « suisses », costume exigé au collège à cette époque. 1971 env., R. Blondin (éd.), Chers nous autres, t. 2, 1978, p. 295‑296.

La discipline n’a rien de trop contraignant [au Séminaire de Québec]. L’obligation pour les externes d’assister à la messe du dimanche au Séminaire a été abolie à la fin des années 1940 et le suisse a fait place au blazer. 1988, Cap-aux-Diamants, vol. 4, no 1, p. 34.

3

Vieilli Traîneau rudimentaire formé de deux patins légèrement recourbés à l’avant et reliés par des traverses plus ou moins surélevées, servant notamment au transport des billots (dans un chantier) ou de l’eau d’érable (dans une érablière). Un suisse plat, muni de larges patins ou d’un fond plat. Passer le suisse, l’utiliser pour aplatir la neige épaisse et tracer un chemin.

 (En apposition). Traîneau suisse.

Manière de faire le sucre d’érable. [titre] Traineau-suisse, barils, couloirs. [sous-titre] Dans les grandes érablières, les Américains se servent de suisse pour ramasser l’eau. Ces traineaux auxquels on attèle des bœufs ou un cheval ressemblent aux nôtres, si ce n’est que les membres ont huit pouces de large afin de moins enfoncer dans la neige et de mieux entretenir les chemins. 1870, La Semaine agricole, vol. 1, no 21, p. 328.

[…] 1 machine à faucher, 1 rateau Massey Harris, 1 cultivateur, 1 charrue « Walking », 1 Herse, 1 voiture à foin, 1 paire de traineaux, neufs, 1 traineau suisse, 1 traineau fin, 1 paire Harnais, un lot d’outils, etc. 1915, La Tribune, Sherbrooke, 6 novembre, p. 5 (annonce).

Hier, cherché sujet pour bois en couleur : Canadien assis sur un voyage de bois de longueur, revenant par un jour tombant, cheval traînant le suisse plat avec effort. Il y a de la neige, le voyage est fort. 1926, R. Duguay, dans H. Biron (éd.), Carnets intimes, 1978, p. 233.

– Quand on attelait ça pour les semences, ça partait sur un stamboat [= steamboat], il fallait les promener un peu sur un stamboat. – Un suisse! On appelait ça un suisse, nous autres, les jeunes, on disait un suisse! Fallait s’asseoir deux hommes sur le suisse. […]– Qu’est-ce que c’est qu’un suisse? – C’est un traîneau, ok, qu’on traîne à terre là, c’est des morceaux de bois réunis là, comme un stamboat, par exemple. – C’est ça qu’ils se servent là pour traîner les cailloux là?– Oui, oui, oui. – C’est ça un suisse? – Oui, on appelait ça ce nom-là, je sais pas si c’est vraiment le nom, c’est le nom scientifique! 1961, Baie-Saint-Paul (Charlevoix-Ouest), AFEUL, P. Perrault 1 (âge de l’informateur : n. d.).

Vers le 20 mars, les hommes partaient de la maison avec le suisse (voiture utilisée spécialement pour les sucres) contenant les chaudières et les chalumeaux. [...] Les tonnes étaient placées sur le suisse tiré par un cheval, et, à travers les arbres, les hommes y vidaient les chaudiérées d’eau sucrée. 1980, Fl. Morvan Maher, Florentine raconte..., p. 27.

En hiver, il [le colon] utilisera facilement la « chienne » aussi appelée « suisse », traîneau très fort, très léger, qui porte sur la neige, grâce à ses patins très larges; c’est une voiture simple qui sert à un homme seul à transporter une ou deux bûches pesantes à travers la forêt. 1982, G. Lemieux, La vie paysanne, 1860‑1900, p. 71.

II

n. et adj.

n. Vieux Personne protestante de langue française.

 Par ext. Personne qui a renié sa religion.

 adj. Qui appartient, est relatif aux protestants.

Une école, une église suisse. Un collège suisse. Une mission suisse.

Depuis bientôt un an, certains aventuriers, venus d’outre-mer, résident à Ste. Scholastique. Nos habitans les appellent Suisses. Leur unique occupation est de courir ça et là, la Bible à la main, et de la lire à qui a la patience de les écouter. 1841, Mélanges religieux, vol. 2, no 1, p. 10.

Il est venu une volée de Suisses et autres s’abattre sur nos contrées paisibles : ils veulent absolument qu’on prenne leurs livres dont on ne [se] soucie guères; ils veulent prêcher lors même qu’on ne veut pas les entendre : depuis ce moment[,] la discorde, les troubles n’ont cessé de régner. […] Et voilà le résultat de ces imprudentes propagandes : quand elles ne sèment pas le trouble parmi les populations paisibles, elles s’y font couvrir de ridicule. À qui la faute? Nous racontons des faits ici, sans approbation ni blâme quelconque; nous disons : voilà les fruits des missions suisses. 1843, Mélanges religieux, scientifiques, politiques et littéraires, vol. 6, no 15, p. 116.

J’apprends et je vous informe de suite qu’un enfant de votre paroisse, de 12 à 13 ans, [...] est aujourd’hui à l’Ecole des ministres suisses de la Pointe aux Trembles. [...] si vous parvenez à constater la vérité du fait, usez de tous les moyens en votre pouvoir pour le faire retirer d’une école si dangereuse pour sa foi, surtout en fesant intervenir son père ou son tuteur. 1850, Montréal, ACAM, Registres des lettres de Mgr Bourget, t. 6, 19 novembre, p. 241.

Il [l’esprit des ténèbres] s’est servi du ministère du Sieur Côté, ministre suisse établi à Chicoutimi. Ce Monsieur, pour mieux parvenir à pervertir les sauvages, et pour se procurer un secours puissant dans l’œuvre qu’il avait en vue, réussit à gagner le jeune Pierre Pekatés, [un Montagnais] âgé de 13 ans, et il l’emmena, l’an dernier, à l’école protestante anglaise de Chicoutimi. 1875, Fl. Durocher, Annales de la propagation de la foi pour la province de Québec, 1877, no 1, p. 27.

Sont-ils nombreux les ennemis déclarés du peuple canadien catholique? Je ne crois pas que ceux qui font profession d’impiété, soient légion parmi nos canadiens [...]. Nous comptons pour ennemis déclarés, tous les chiniquistes, les suisses, en un mot, tous les Canadiens revirés; un Canadien-français reviré n’est pas plus un Canadien que du vin aigri n’est du vin, c’est du vinaigre. 1893, Z. Lacasse, Dans le camp ennemi, p. 11‑12.

[...] [le vieil homme] parlait [...] des suisses et de leurs mitaines qui empestent le pays. [...] Savez-vous pourquoi, par exemple, ils [le vieux et sa femme] ont pendant si longtemps refusé de vendre leur terre? Les offres les plus alléchantes leur étaient venues de la part de protestants. Mais voici : les Pères X qui sont leurs voisins ont eux-mêmes pour voisin sur leur droite, un suisse canadien-français, un « reviré », comme on dit encore là-bas. 1916, L. Groulx, Les rapaillages, p. 47‑48.

Histoire

I1Depuis 1632. Se rattache à un emploi qu’on a fait du mot suisse en France, du début du XVIIe s. jusqu’au début du XXe; le mot se disait alors de divers animaux (poissons, batraciens, serpents, etc.) présentant une ressemblance, du point de vue des rayures ou des couleurs, avec l’uniforme bigarré des mercenaires suisses qui servirent en France du XVe au XIXe s., ou encore avec celui des soldats de la garde suisse pontificale créée au début du XVIe s. (v. FEW Schweiz 17, 61b, et Larousse 1960; pour les animaux ainsi nommés en France, v. Nicot 1606, Enc, Laveaux 1820, EncXXe). L’emploi québécois a été consigné dans bon nombre de dictionnaires de France depuis 1768 (v. EncPl 6, pl. XIV (histoire naturelle), Besch 1847‑1892, s.v. suisse et écureuil, GrEnc, s.v. écureuil, Larousse 1982 et 1987, Robert 1985; v. aussi TLF et Larousse (en ligne) 2023‑01, qui indiquent qu’il s’agit d’un canadianisme). 2Depuis 1909 (Dionne). Découle probablement du sens précédent. Cependant, comme cet usage a eu cours dans des institutions religieuses, il n’est pas exclu qu’il puisse s’agir d’une extension sémantique du nom de suisse donné en français, depuis la fin du XVIIIe s., à l’employé chargé de garder une église (v. FEW id.), par référence à son uniforme. 3Depuis 1837 (AnQM, 15 mai, greffe J. Dufresne). D’étymologie incertaine. Peut-être issu du sens I.1, par référence aux activités du tamia; on observe un phénomène comparable pour siffleux « marmotte », appliqué à un traîneau à provisions (v. PPQ 1089C). Il se peut aussi que ce véhicule doive son nom aux immigrants d’origine helvétique à qui certains auteurs attribuent l’introduction au Québec d’un type de traîneau rudimentaire utilisé en montagne pour le transport du bois (v. SPFC‑Corr‑1, no 53, p. 1, et R.‑L. Séguin, Les jouets anciens du Québec, 1969, p. 99).

IIDepuis 1841. S’explique par la présence de Suisses protestants au Canada, après la Conquête, dans l’administration tant ecclésiastique que publique (v. D. Girouard, « Les ‘Suisses’ du Canada », dans BRH 8/3, 1902, p. 72‑77). Dans le Jura bernois, dont la population est en majorité de langue française et de religion catholique, suisse a été relevé en référence à un protestant (de langue allemande, dans ce cas; v. FEW id.), mais il n’y a pas de relation directe avec l’usage québécois.

Dernière révision : mars 2023
Pour poursuivre votre exploration du mot suisse, visionnez notre capsule vidéo Dis-moi pas!?.
Trésor de la langue française au Québec. (2023). Suisse. Dictionnaire historique du français québécois (2e éd. rev. et augm.; R. Vézina et C. Poirier, dir.). Université Laval. Consulté le 28 mars 2024.
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