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SMATTE [smat] ou  SMART [smaʀt]
adj. et n.

Rem.

1. Parfois prononcé [smaʁt]. 2. Variantes graphiques smat, smatt, smarte.

I

adj.

1

VieilliQui démontre de l’adresse, de l’habileté dans l’exécution d’un travail manuel; qui est alerte.

Charles était encore au lit, lorsque son hôte vint lui remettre cette lettre. [...] – Ah ça! dépêchez-vous donc, mon bon monsieur; vous n’êtes pas smart ce matin. Le garçon de la post-office attend. Il n’a qu’un penny de profit sur chaque lettre, et s’il lui fallait attendre partout aussi longtemps, ça lui ferait un mauvais bargain... 1853, P.-J.-O. Chauveau, Charles Guérin, p. 71.

La terre de William est plus pauvre par les ruisseaux et ça prendrait un singe pour y grimper par place, je ne serais pas capable de grimper là; j’aurais pu le faire il y a cinquante ans, j’étais plus smart1886, Arthabaska, BAnQQ, Cour d’appel (Québec), cause no 47, factum de l’appelant, p. 32.

Elle [la sage-femme] me trouve courageux d’avoir fait un pareil chemin au travers des chousses [= souches]. « Pour la première fois que vous courez, je vous trouve pas mal smatte. » 1935, Saint-Gédéon (Lac-Saint-Jean-Est), dans Les Archives de folklore, t. 1, 1946, p. 129.

A avait une façon de s’occuper de toute! Oh! j’vous dis pas que ça m’avait pas un peu bâdrée au commencement, mais, j’étais venue à m’y faire! Elle était « smatte » pour toute : laver, r’passer, faire la cuisine. C’est ben rare pour une demoiselle. 1944, A. Brisset-Thibaudeau, Ceux qu’on aime, 17 mai, p. 1 (radio).

2

Fam.Qui fait preuve d’intelligence, de jugement; qui est habile pour se tirer d’embarras ou obtenir qqch. (notam. en affaires).

Iron.Se croire, se penser smatte.

 fin, fine (sens I.A.2).

Le défendeur déclare avant l’entrée de l’action en cette cause qu’il a toujours reconnu et qu’il reconnait encore le demandeur comme un honnête homme [...] qu’il a souvent répété que le demandeur était un homme smart et habile en affaires [...]. 1888, Montmagny, BAnQQ, Cour d’appel (Québec), cause no 10 (1889), factum de l’appelant, p. 6.

Vous n’êtes pas de ces congrégations-là, vous; vous n’avez jamais volé vos amis; aussi vous avez été pauvre comme moi et, comme moi aussi, le serez probablement toujours. Eh! bien c’est votre faute, comme la mienne, fallait être plus... smart!! Il est trop tard maintenant et nous resterons pauvres, mais honnêtes, tous les deux. 1899, Sorel (Richelieu), BAnQQ, AP-P 104, 18 février.

– [...] c’est moi qui irai chez vous... tel soir; on aura moins de misère, avec votre vieille. – Vous me faites plaisir, M. le Curé; moi, je n’ai plus beaucoup d’idée, mais ma vieille est encore « ben smart ». 1953, E. Arsenault, Les loisirs d’un curé de campagne, p. 140.

[...] cou’donc, les géants, vous voulez me manger mais vous êtes pas smattes! Donnez-moi à manger pis je serai ben plus gras, je serai ben plus ragoûtant, i dit, pour manger [...]. 1959, Saint-Théodore-d’Acton (Bagot), AFEUL C. Laforte 740 (âge de l’informateur : n. d.).

D’autre part, le gouvernement se croyait bien « smart » et ratoureur en forçant une polarisation des « oui » et des « non » sous les comités-parapluie prévus par la loi 92, à l’occasion du référendum sur l’avenir du Québec. 1979, Le Soleil, Québec, 8 décembre, p. B3.

(En parlant d’un animal).

Un chien, un cheval smatte.

[...] je pense bien que du moment que la jument aurait reçu un coup de cornes, qu’elle n’aurait pas voulu en avoir deux, et je pense que la jument était assez smart pour se sauver avant que le bœuf lui donne deux coups. 1890, Rimouski, BAnQQ, Cour d’appel (Québec), cause no 41 (1891), factum de l’appelant, p. 24.

3

Par antiphrase, Fam. Qui se croit intelligent, subtil, drôle.

 Qui fait preuve d’un manque de jugement, d’honnêteté, de loyauté.

– Germaine Lauzon : Si tu veux, j’t’la prêterai, ma tondeuse, Rose... – Rose Ouimet : Jamais! J’aurais ben qu’trop peur d’la casser! J’srais obligée de ramasser des timbres pendant deux ans, après, pour te rembourser! [/] Les femmes rient – Germaine Lauzon : T’es donc smatte! – Marie-Ange Brouillette : Es-tu bonne, celle-là! Cré madame Ouimet, est pas battable! 1968, M. Tremblay, Les belles-sœurs, p. 28-29.

– Policier, très calme : Refus d’pourvoir, mon bonhomme! Tu nourris pas ta famille. Y t’font arrêter! C’est-y assez clair ça? [.../] Tonio regarde sa famille puis, s’avance vers Camille. – Tonio : C’est toé qui a eu c’t’idée d’génie-là? T’es smatte en tabarnaque, toé! 1980, J.-M. Delisle, Un reel ben beau, ben triste, p. 68-69.

4

Fam.Qui fait preuve de bonté, de gentillesse, d’amabilité, de serviabilité, de prévenance.

Être b(i)en smatte avec qqn. Trouver qqn smatte. Avoir l’air smatte.

 (En parlant d’un geste, d’une action).

C’est smatte d’être venu.

 fin, fine (sens I.A.1).

Mais tout d’un coup, [...] v’là qu’j’entends crier comme une pardue la mère Picard [...] : – Aïe! aïe! p’tit coq! arrive icite, arrête ta jument! – Ben oui, ben oui, mais quoi c’qui a pour tant vous dégosiller! Le feu est pas à la maison? – Non, non, mais écoute donc. Tu sais pas comme [tu] s’rais smart d’aller qu’ri [= quérir] m’sieu l’curé. Picard va passer [« mourir »], c’est sûr. L’véreux doit avoir de gros péchés qu’i crie comme un possédé après l’prêtre. 1899, L. de Montigny, « Le rigodon du diable », dans Le Monde illustré, 18 février, p. 662.

– Père : Ta mère m’a dit que tu voulais avoir du sirop d’érable. [...] Ça fait que je t’en ai acheté un gallon sur un habitant, en passant à Sainte-Dorothée, après-midi. – Aurore : Vous êtes ben smatte. Je vas aller chercher ma sacoche. – Père : Bah... ça presse pas. T’arrangeras ça avec ta mère. 1944, Gr. Gélinas, Fridolinons ’44, sketch « Et ils furent heureux... », p. 9 (radio).

J’aurais ben dû suivre ma première idée aussi quand je suis revenu de là-bas : faire mes affaires tout seul. J’ai voulu être « smat » avec toi et pis tu vois comment c’est que tu te conduis? 1963, J. Daigle, Margot, 22 janvier, p. 4 (radio).

Ben y [le boss] dit : tiens, tu diras pas que chus pas smatte, j’te donne congé demain matin. 1973, Y. Deschamps, Monologues, p. 178.

– Cherry, amère : Le gros Gène, si tu l’avais pas eu, t’aurais vécu maigre, hein? – Ben : J’ai rien contre lui. Y a toujours été bin smatte pour moué. Mais toué c’est pas pareil. T’as jamais été capab’ de t’nir parole. 1975, A. Major, Une soirée en octobre, p. 85.

II

n. Fam.

1

(Général. en mauvaise part). Personne intelligente.

 Personne qui se croit intelligente, qui s’amuse aux dépens d’autrui.

T’es un beau smatte, toi! Hé, le smatte!

 fin-fin.

Puisque nous y sommes, disons aux hommes de professions libérales qu’ils oublient quelquefois leur dignité jusqu’à se plier aux exigences exagérées de ceux avec qui ils font affaire, jusqu’à paraître partager des principes qu’ils n’approuvent en aucune manière. [...] Ils agissent ainsi par calcul. En politique on appelle ces hommes des fins, des politiciens, des smart [sic]. 1895, Testard de Montigny, La colonisation, p. 66.

On a beaucoup dit qu’il fallait être un smatt pour saisir la stratégie du football. On a même laissé entendre qu’un joueur devait avoir fait son cours classique pour entrer dans un groupement professionnel! Tout ça est faux. Notre travail est difficile physiquement, oui. [...] Mais [...] ça ne demande pas d’être la « tête à Papineau » pour appartenir à une « ligue » de football. 1979, Perspectives, 24 novembre, p. 33.

[...] dans le fond, ça ne lui a pas servi à grand-chose de savoir lire avant les autres, au contraire, on l’a traitée de « smatte »! « Si tu sais déjà lire, tite fille, fais semblant de rien! » a marmonné la Maususse. 1987, Fr. Noël, Myriam première, p. 15.

Quand tu comprends même pas les mots de la question, avec quels mots tu veux répondre? [...] J’ai juste souligné les mots des questions que je connaissais pas, en mettant un point d’interrogation au-dessus, c’est toute! Au moins y vont savoir que c’est pas les réponses que je savais pas mais les questions que je comprenais pas! Vous autres, les smattes, on sait ben, j’suppose que vous avez toute compris toute la journée! 1989, M. Tremblay, Le premier quartier de la lune, p. 223.

2

Faire le smatte, son smatte : se montrer gentil.

 Iron.Faire l’intéressant, le malin.

Fais pas ta smatte!

 fin, fine (sens II.1).

(Ontario). Mon Ti-Georges fait son smatte; i’ a fait du bois à la vieille, le matin, après qu’i’ a été debout de bonne heure [...]. 1963, Warren, dans G. Lemieux, Les vieux m’ont conté, t. 11, 1978, p. 200.

Dans les premiers temps d’la t.v. j’ n’avais vendu deux à un gars, à $39. chaque. La police a m’arrête pis a dit : « C’est quoi ces t.v.-là? T’as volé ça à campagne? » J’y ai dit : « Ah oui, tu veux faire le sma’t? Amène-moé au poste, c’correct ». Y m’amène au poste pis y s’essayait de m’faire peur. J’y ai dit : « Prouve-lé qu’y sont volées, prouve-lé ». 1968, Montréal, dans M. Letellier, On n’est pas des trous-de-cul, 1971, p. 115.

Après avoir lancé le moteur, Jean-Louis se retourne à demi et dit : « Guette-le comme y faut, Clément. Pis, s’y essaye de faire son smatte, manque-le pas... T’as compris, Van Den? » 1971, G. La Rocque, Corridors, p. 29.

Lorsque le téléphone sonne, je laisse le répondeur socialiser à ma place [...]. Ce matin, distraitement, j’ai décroché. – T’as la même voix, Long Man! [...] Ne fais pas ton smart, ton finfin, ton « je ne vous replace pas, mon dou, madâme »... 1993, M. Proulx, Homme invisible à la fenêtre, p. 55.

Histoire

I1Depuis 1853. De l’anglais smart « marked by special skill or dexterity » ou « alert and brisk » (v. OED, v. aussi Harrap 1985). 2Depuis 1860 (Gingras, « habile, capable, fin »). De l’anglais smart « clever, capable, adept; quick at devising, learning, looking after oneself or one’s own interests » (v. OED qui signale que, dans ces emplois, smart est aujourd’hui surtout en usage aux États-Unis; v. aussi Webster 1986). 3Depuis 1968. De l’anglais nord-américain smart « witty, humorous, or clever in an annoying way » (Gage 1984); cp. aussi l’expression to be smart « to be pert, forward, impudent » (v. OED et OED-Suppl 1986). 4Depuis 1899. Paraît être une innovation sémantique.

II1Depuis 1895. De l’anglais nord-américain smart « one that affects smartness (as in dress, speech, manners, attitudes) » (Webster 1986); cp. aussi smart aleck « individu présomptueux qui se croit toujours plus malin que les autres » et smarty « personne qui se croit supérieure, maligne » (Deak 1973; v. aussi Gage 1984, s.v. smart alec(k)). 2Depuis 1963. Au sens de « se montrer gentil », faire le, son smatte découle de I.4; l’emploi ironique s’explique par les sens I.3 et II.1. Cp. aussi cette tournure familière en anglais nord-américain : trying to be smart, eh? « tu essaies de faire le malin, hein? » (Harrap 1985; v. aussi CollinsR 1987).

Version du DHFQ 1998
Trésor de la langue française au Québec. (1998). Smatte ou smart. Dictionnaire historique du français québécois (2e éd. rev. et augm.; R. Vézina et C. Poirier, dir.). Université Laval. Consulté le 27 mars 2024.
https://www.dhfq.org/article/smatte-ou-smart