SÉRAPHIN, SÉRAPHINE [seʀafẽ, seʀafin]
n.
1. Souvent avec S majuscule, surtout lorsqu’il est employé comme nom. 2. Le masculin séraphin, plus fréquent que le féminin séraphine, est parfois employé de façon épicène.
Fam.Personne avare, trop économe.
Un séraphin, un vrai séraphin.
Faire son séraphin : agir en avare, faire preuve de mesquinerie (voir Histoire).
(En fonction attribut). Être, avoir l’air séraphin.
baise-la-piastre; baise-la-cenne, suce-la-cenne, etc. (s.v. cent, sens II.4).
Rem.Le mot est encore mal dégagé de sa valeur originelle de nom propre comme en témoignent certains exemples.
On traitera désormais de Séraphin tout sac à poivre [= avare]. Le mot passera dans le langage populaire, preuve que le personnage est plausible et bien vivant. 1941, Le Bien public, Trois-Rivières, 10 juillet, p. 4.
Une espèce de Séraphin va au cinéma avec sa blonde; un peu avant d’entrer, celle-ci, pour voir si son cavalier sait bien agir avec une fille, lui tend le prix de son entrée à elle-même. Le Séraphin l’empoche sans sourciller, puis, avec un sourire qu’il veut faire aimable. – À la bonne heure, lui dit-il; ça va comme ça; il n’y a rien que je déteste autant que de voir une jeune fille payer elle-même sa place en entrant au cinéma quand elle est accompagnée. 1942, Le Samedi, Montréal, 25 juillet, p. 34 (chron. humor.).
Jean. – Tu tiens donc absolument à ce que je te donne une allumette? Henri. – Bien oui, ça fait une heure que je t’en demande une? Vas-tu faire ton Séraphin? 1947, Oncle Jean, La cigarette, Le Droit, Ottawa, 7 avril, p. 6.
[…] je rencontrais souvent dans les gros chars, un monsieur important qui était député entre autres choses, mais qui était pas mal séraphin aussi. Ça fait que, quand arrivait l’heure de passer à la salle à manger, il laissait son siège dans le wagon de première classe et allait se promener pendant un bout de temps dans les couloirs des autres wagons. Puis, au bout d’un certain temps, mon homme revenait, un cure-dent à la bouche pour montrer qu’il revenait de luncher… 1948, É. Coderre, Rêveries de Jean Narrache, 30 mars, p. 3 (radio).
– Gertrude : Regarde, ils [les souliers] sont comme neufs. – Murielle : Tu les donneras à Marie-Paule! Moi je les porterai plus certain. Sont même pas à mode à cette heure. T’es assez séraphine m’man, j’ai jamais vu ça. – Gertrude : Écoute Murielle, on est pas si riches que tu penses! 1975, Cl. Jasmin, La petite patrie, 2 mars, p. 37 (télév.).
Parlons-en, de ton argent. T’es une vraie « Séraphine ». Tu as hérité de trente mille piastres quand ton père est mort. Qu’est-ce que tu en as fait? 1981, P. Saurel, Allô, ici la mort!, p. 15.
L’armée fédérale de séraphins rapporte gros [titre] Un peu partout au pays dans les bureaux du gouvernement fédéral, des visiteurs tiennent des statistiques : sur le nombre de photocopies effectuées, sur les utilisateurs des véhicules gouvernementaux et sur le montant des factures de téléphone. Ils font partie d’une armée de « séraphins » dont le rôle est de trouver des moyens d’épargner de l’argent aux contribuables. 1993, Le Soleil, Québec, 4 janvier, p. A5.
Il a incarné LE grand rôle de notre télévision. Séraphin, l’avare astucieux, l’homme de pouvoir des pays d’en haut. Le Québec est le seul pays au monde où un séraphin est un avare et pas l’ange du dictionnaire. […] Jean-Pierre Masson est mort. Son Séraphin vivra longtemps encore. 1995, L. Cousineau, La Presse, Montréal, 14 mars, p. B9.
– Oui. Voici mon plan : j’ai tout prévu. Mon passeport est encore valide, et j’ai des économies : je n’ai presque jamais touché à l’argent que je gagne depuis quatre ans à livrer des journaux… – Tout le monde sait que tu es un vrai Séraphin… 2006, L. Laforce, Le trésor des templiers, p. 47.
Je n’aime pas payer un vêtement plein prix alors que je sais que je peux payer moins cher pour la même qualité. Toutefois, ça ne me dérange pas de payer si je vois ça comme un investissement. Bref, je m’assume : je suis cheap. Ok, non, je ne suis pas une Séraphin, je magasine intelligemment. 2013, Comment magasiner intelligemment sans être un Séraphin, Ton petit look (site Web), 5 avril.
Pour caricaturer sa prévoyance : une Vierge ira jusqu’à comptabiliser le prix d’un litre de lait dans un petit calepin pour être sûre de se conformer à son budget. Ses amis et même sa famille la traitent de Séraphin. Pourtant, ils sont les premiers à faire la queue devant sa porte pour lui emprunter quelques dollars lorsque leur compte en banque frise l’apoplexie. 2017, A.‑M. Chalifoux, Horoscope 2018, p. 214.
(Acadie). Moment intense entre tous où l’on présente le roi à l’assemblée, comme si personne ne le connaissait. […] Vite, on lui fait enfiler une sorte de jaquette blanche sans manche, appelée le Colobium Sindonis, déjà portée par George VI, puis une tunique en soie d’or qu’avait aussi portée Élisabeth II, et on lui couvre les épaules avec une super belle chape, tissée de fil d’or également, vu que c’est pas le temps de faire son Séraphin, ornée de broderies de roses rouges, de chardons bleus, de trèfles verts et de fleurs de lys, symboles du Royaume-Uni, et qui n’avait pas été sortie des boules à mites depuis le couronnement du roi George IV en 1821, il y a deux siècles. 2023, R. Morin Rossignol, Acadie Nouvelle, Caraquet (Nouveau-Brunswick), 10 mai, p. 13.
rareSéraphiner v. intr. Agir en séraphin.
Mon uniforme me sied comme un gant et je ne regrette pas d’avoir pris ce qu’il y a de mieux, et dans la meilleure maison. […] J’ai comparé avec d’autres cadets qui se vantaient d’avoir la meilleure qualité en ‘séraphinant’, et j’ai constaté qu’ils s’étaient fait roulés [sic] magistralement. 1942, J. Gouin, Lettres de guerre d’un Québécois, 1975, p. 24 (lettre).
J’ai eu vent que les urgences débordent, les départements d’obstétrique aussi et Hydro qui séraphine ou manque de funambules après le verglas. Y a une femme qui va accoucher cette nuit. En plus, avec les rénovictions dans le Faubourg à m’lasse, le jeune couple a été maudit à la rue. 2022, J. Blanchette, Le Devoir (site Web), opinion (chroniques), 23 décembre.
Histoire
Depuis 1941. Par allusion à Séraphin Poudrier, personnage d’une avarice sordide, créé par Cl.‑H. Grignon dans le roman Un homme et son péché, paru en 1933. Adaptée comme feuilleton radiophonique (de 1939 à 1965), puis comme feuilleton télévisé (de 1956 à 1970), sans compter de nombreuses adaptations à la scène comme à l’écran (v. notam. DOLQ 2, p. 1115‑1116), cette œuvre allait jouir d’une popularité qui vaudrait à certains de ses personnages d’accéder à l’imagerie populaire. Séraphin a connu une évolution semblable à celle d’harpagon, « homme d’une grande avarice », qui vient d’Harpagon, nom du personnage central de L’Avare de Molière (v. TLF). Ainsi, dès 1940, on trouve l’expression faire son (petit) Séraphin Poudrier « agir en avare », qui renvoie directement au comportement du personnage romanesque (v. Le Droit, Ottawa, 15 mai, p. 3; v. aussi Le Nouvelliste, Trois-Rivières, 31 octobre 1942, p. 6 : […] qu’il n’aille donc pas faire son Séraphin Poudrier en frustrant les amateurs de Shawinigan d’une joute où ils se rendront nombreux.). Séraphiner, depuis 1942.