RABRIER ou
RABRILLER [ʀabʀije]
v.
Le mot se prononce toujours avec un [j], quel que soit le temps ou la personne.
v. tr. VieilliCouvrir (qqch.) pour le protéger, le cacher.
abrier (sens II.1).
Q. : L’avez-vous revue cette pierre‑là, qu’il y avait là? R. : Oui, Monsieur, et je pense qu’elle y est encore. Elle a été rabrillée. Q. : Elle est disparue de terre. On a jeté de la terre par‑dessus? R. : Oui, Monsieur. 1892, Beauce, BAnQQ, Cour d’appel (Québec), cause no 20, factum de l’intimé, p. 34.
En faisant le tour du vieux, la semaine dernière, une bonne dizaine de façades se faisaient déshabiller et rabriller. Cette année, le programme Loginove a concerné une vingtaine de logements. 1984, La Revue, Terrebonne, 10 octobre, p. 12.
VieuxCouvrir (qqch.) de nouveau.
As‑tu rabrié la boîte à tabac? 1930, La Société du parler français au Canada, Glossaire du parler français au Canada, p. 555.
v. tr. et pron. Couvrir, envelopper de nouveau (une personne, une partie du corps) d’une couverture, d’un drap, etc.
abrier (sens II.3).
La nuit, il a toujours ses « couvertes » en bas du lit. Je passe mon temps à le « rabriller » même l’hiver. 1974, Cl. Jasmin, La Petite Patrie, 6 octobre, p. 32 (télév.).
Le voici qui débouche, chevauchant sa motomarine, le long de cette plage de l’Atlantique où Meg s’est couchée dans le sable avec son grand-père malade, son grand-père qui va mourir et qui, plus tard, dans sa chambre envahie de vents tempétueux, affalé dans un lit pareil à un vaisseau démâté, sera « rabrié » par sa petite-fille pour boucler la boucle de cet été inoubliable. 2000, L. Hamelin, Le Devoir, Montréal, 2 décembre, p. D6.
(Dans un jeu de mots avec rhabiller). Daniel Craig sera un James Bond dont on se souviendra longtemps […]. Tous les autres Bond sauf Sean Connery, peuvent aller se rabriller. Avec Craig la série reprendra un souffle nouveau. 2006, Le Journal de Prévost, 21 décembre, p. 38.
Après que ma fille ait fait la transition de la couchette au lit simple, nous nous sommes dit qu’elle était suffisamment grande pour dormir sous sa couverture et sa douillette. Ce n’est pas faute d’avoir essayé, mais ça a été un échec monumental. Pendant des mois, je me suis levée au moins une fois par nuit pour replacer la couverture de ma fille, me disant qu’elle comprendrait éventuellement comment se rabrier par elle‑même. 2016, M. Phénix, Ode au sac de nuit!, TPL Moms (site Web), 29 février.
Fig.
Je sais très bien pourquoi des femmes me parlent de leur colère et de leur conditionnement […] quand on aborde le sujet de l’érotisme. […] Mais le sexe comme tel est toujours mal vu et difficile à vivre. Reste à le rabriller d’émotions incertaines. 1980, La vie en rose, décembre, p. 23.
Ôte ça, tu vas voir, tu le regretteras pas, tu resteras pas toute nue, je vais te rabrier à mort, t’emmitoufler à la grandeur en épaisseurs de caresses… 1990, R. Ducharme, Dévadé, p. 140.
Fig.
v. pron. VieuxSe disculper, s’excuser, éluder ses responsabilités.
abrier (sens III.1).
Rem.L’exemple de 1904 est tiré d’un rapport de la Commission de colonisation par O. Asselin; par la suite, on relève uniquement cet emploi dans les glossaires.
Je jurerai positivement que je n’ai jamais reçu de lettre. Si j’avais reçu une lettre, je ne ferais pas un faux serment pour essayer de me rabriller […]. 1904, Labelle, Bulletin du parler français au Canada, vol. 2, no 9, p. 272.
v. tr. VieilliDissimuler (qqch.); tâcher de faire oublier (qqch. de controversé, une faute).
abrier (sens III.2).
Vous pensez me confondre et rabriller toutes vos fautes en glanant dans 400 vers, faits à la hâte et dans un tumulte de distractions, huit incorrections dont la plupart appartiennent à l’imprimeur et dont le reste est encore l’effet de votre ignorance de la prosodie […]. 1840, L’ami du peuple, de l’ordre et des lois, Montréal, 20 juin, p. 1.
Les rouges ne font pas de coups de poche aussi sérieux que les bleus, parce que ces derniers lorsqu’ils font un gros scandale, ont soin de rabriller les choses si bien que le public se trouve complètement emberlificoté. 1880, Le Vrai Canard, Montréal, 7 février, p. 2.
Q. – Vous avez voulu prendre son paquet de robes; qu’est‑ce qui est arrivé alors? R. – L’autre jeune homme est arrivé et il a dit : « tu as changé mes robes. » Moi j’ai dit : « Non. » Alors, le foreman est arrivé et il a commencé à me bourrasser, à me donner des tappes [sic] par la tête. Quand j’ai vu cela, je me suis levé et le foreman a dit : « Puisqu’il ne veut pas faire comme il faut, descends‑le donc dans le black-hole. » […] Q. – Vous avez été mené au Recorder en sortant du cachot? R. – Oui […]. Q. – Et vous êtes retourné à l’ouvrage le jour même? R. – Oui. Ensuite, le foreman est venu lui-même me demander si je voulais faire mieux, pour rabriller ce qu’il avait fait; en s’en allant, il m’a amené dans un hôtel un peu plus loin et il m’a fait prendre un peu de boisson. 1888, Commission royale, Enquête sur les rapports qui existent entre le capital et le travail au Canada, vol. 2, 1re partie, p. 91.
– Y a‑t‑il du nouveau dans la cochonnerie de Québec? – Non, rien. – C’est ça, ils vont, comme toujours, rabriller l’affaire et la finir en vent. C’empêche pas qu’on sait, nous autres, que c’est rien qu’un tas de graisseux et de graissés. 1914, L’Action, Montréal, 21 février, p. 1.
Le Général [de Gaulle] est venu, il a vu, et on peut bien ajouter qu’il a... vaincu. Qui ose nier que le peuple, instinctivement, l’a suivi? Certes les notables ont su par la suite « rabrier le tas », mais le cri du cœur lancé à Montréal a irrémédiablement trahi un penchant populaire dont la vitalité et la spontanéité ont surpris tout le monde […]. 1970, Le Devoir, Montréal, 19 décembre, p. 11.
[...] ce dernier [un enquêteur] était de mèche avec le ministre [...] et le juge [...] « pour rabrier le scandale entourant l’affaire […] ». 1997, Le Devoir, Montréal, 22 mai, p. A3.
(Dérivé). RareRabrié, rabriée ou rabrillé, rabrillée adj.
abrié, abriée (sens II).
Film ennuyeux par surcroît où j’ai retrouvé tout ce que je déteste dans un film : propos insignifiant rabrillé par des effets techniques qui ne convainquent de rien sinon de l’inutilité de cet abus pelliculaire. 1982, La vie en rose, novembre, p. 65.
Histoire
Dérivé du verbe abrier (voir ce mot).
I1Depuis 1892. Cet emploi, où le préfixe re- ne véhicule aucune idée de répétition, n’a pas été relevé ailleurs qu’au Québec (sur l’utilisation sans valeur itérative du préfixe re‑, déjà courante en français populaire au XVIIe s. ainsi que dans les parlers régionaux de France, v. JunBerg 87‑88). Dans le sens de « couvrir (qqch.) de nouveau », depuis 1894 (Clapin). 2Depuis 1894 (Clapin).
II1Depuis 1904. 2Depuis 1840.