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POISSON [pwasɔ̃]
n. m.

I
1

AcadieNom donné spécialement au hareng ou à la morue, chacune de ces espèces étant considérée traditionnellement, selon la région, comme le poisson par excellence.

Lorsque le poisson donne, c’est-à-dire que la pêche va bien, les hommes n’ont pas un instant de repos; pendant qu’ils décrochent le poisson pris à une ligne, l’autre est attaquée par d’autres poissons et prête à tirer. Chaque ligne est munie de deux hameçons, et quand ça mord bien, chaque coup de ligne rapporte deux morues. 1884, J. C. Langelier, Esquisse sur la Gaspésie, p. 35.

Quoique le mot poisson ait conservé son sens générique ordinaire, il est devenu, au Nouveau-Brunswick, synonyme de hareng. Absolument, faire la pêche au poisson, c’est faire la pêche au hareng. Ceci provient du fait que le hareng fut souvent le seul poisson que les proscrits purent se procurer, faute d’agrès de pêche. Le menu, à l’année courante, s’est longtemps composé pour eux de patates (pommes de terre) et de hareng. Au lieu du hareng, c’est la morue qui est le poisson, à la baie Sainte-Marie de la Nouvelle-Écosse. 1928, P. Poirier, Le parler franco-acadien et ses origines, p. 200, n. 5.

Cette histoire se passe un vendredi soir, dans le temps de la grosse été chaude du commencement du siècle... Coq-à-Chien et la Grosse Zelda finissions leur souper, quand leur fille Julienne arriva chez-eux, sur Lés Borgitte. [/] Elle se prépara un assiettée de restant de patates grâlées dans le fourneau, et du poisson fricassé dans la poêle [...]. 1974, R. Brun, La Mariecomo, p. 11 (dans le « Petit lexique chiac-français », à la p. 127, poisson est défini par « hareng »).

2

(En composition, surtout dans la langue spécialisée). (Le plus souvent au pluriel). Poisson-appât : nom servant à désigner toute espèce de poissons, souvent de peu de valeur, utilisés comme appâts à la pêche.

Des poissons-appâts vivants, morts.

 goujonméné.

 (Le plus souvent au singulier, avec valeur de collectif). Poisson-fourrage : nom servant à désigner toutes les espèces de poissons qui vivent en bancs et qui sont à la base de l’alimentation des espèces prédatrices.

Le poisson-appât constitue une des offrandes les plus irrésistibles qu’un pêcheur puisse faire à son poisson. Encore faut-il faire un choix judicieux d’espèce d’appât du point de vue de la disponibilité naturelle, de l’attrait ainsi que de la résistance, et présenter cette offrande de façon adéquate pour arriver à provoquer la réaction escomptée. 1981, Québec Chasse et Pêche, avril, p. 32.

Soucieux de prévenir une aggravation du mal, le Ministère invite tous les pêcheurs à bien observer la réglementation concernant les poissons-appâts. Il y va de notre intérêt à tous et de celui des générations futures, car l’envahissement d’un milieu aquatique par les poissons vifs est irréparable. 1986, Ministère du Loisir, de la Chasse et de la Pêche, Pêche, chasse et piégeage, 1987-1988, p. 20.

La [truite] grise se nourrit surtout de poissons fourrage [sic] : « ménés » de toute sorte, éperlans, perchaudes, carpes, corégones, etc. 1989, Le Soleil, Québec, 20 avril, p. S3 (cahier spécial).

On peut difficilement s’opposer aux politiques qui visent à interdire l’utilisation des poissons-appâts vivants dans les lacs « à truites ». L’impact négatif des ménés est bien connu. Une fois introduits dans un cours d’eau, ils prennent rapidement la place disponible. Comme ils se nourrissent eux aussi d’insectes aquatiques, les ombles de fontaine finissent par disparaître, incapables de faire face à cette compétition alimentaire. 1991, La Presse, Montréal, 23 mars, p. H4.

Dans le lac Ontario, les poissons prédateurs étaient aussi devenus introuvables, contaminés par leurs proies empoisonnées. Le poisson-fourrage, devenu alors très abondant, a permis aux poissons ensemencés de s’établir. 1995, Le Devoir, Montréal, 18 avril, p. A2.

II

(Dans des noms spécifiques formés de poisson suivi d’un déterminant).

1

Vieilliou région.Poisson armé : nom donné au lépisosté (en partic. à l’espèce nommée Lepisosteus osseus), poisson prédateur des eaux douces et saumâtres de l’Amérique du Nord, au corps allongé recouvert d’écailles dures et épaisses, et au museau effilé pourvu de nombreuses petites dents acérées.

J’oubliois à vous faire la description d’un poisson, qu’on appelle Poisson armé : il a environ deux pieds & demy de long, & mesme trois pieds; il est tout rond, & a six ou huit poulces de tour; il est quasi également gros par tout : il a une écaille extremément dure, & qu’on ne sçauroit avoir percé d’un coup d’épée; son bec à environ huit poulces de long, & est dur comme de l’os; armé de trois rangées de dents de chaque coste, qui sont pointuës comme des alesnes : la chair ne vaut pas grand chose à manger. Il est fort facile à prendre, mais il est rare. 1664, P. Boucher, Histoire veritable et naturelle, p. 80-81.

– Rivet : Tu ne t’es pas encore baigné cette année? C’est pour ça que ça te coûte tant [de te jeter à l’eau], beau bleu? – Toupin : C’est pas que ça me coûte; je ne suis pas pressé et c’est tout. Et puis, laisse donc faire la politique, beau rouge. – Gérard : Je crois qu’il a peur des poissons armés. 1936, R. Choquette, Le curé de village, p. 56.

Si on s’essayait à capturer un de ces fanfarons de poisson armé qui nous lancent des défis en se dorant au soleil de juillet, souvent si près de la surface qu’on peut les apercevoir de la berge (on dirait même qu’ils nous font des pieds de nez!)? Un jour, je me suis mis en tête d’en capturer un. Après leur avoir lancé tout ce que j’avais dans mon coffre sans que cela ne dérange aucun de ces grands fainéants, j’étais à bout de patience. 1977, Québec Chasse et Pêche, mars, p. 109.

2

Poisson blanc : nom donné au corégone (en partic. à l’espèce nommée Coregonus clupeaformis, fam. des salmonidés), poisson des eaux douces et froides de l’Amérique du Nord, au corps aplati, argenté sur les flancs, que de nombreux pêcheurs dédaignent même si sa chair blanche est réputée savoureuse.

Rem.Comme en France, on applique aussi le nom aux espèces de poissons qui ont peu de valeur, notamment aux cyprinidés et aux catostomidés (espèces habituellement désignées au Québec par les noms de carpe, de goujon ou de méné).

Si on aime la pesche du poisson [...], les rivieres, ruisseaux, lacs, & estangs sont en tel nombre que l’on peut desirer, y ayant abondance de [...] carpes de toutes sortes, dont y en a de tres-grandes; & des brochets, aucuns de cinq pieds de long, barbus qui sont sans escaille, de deux à trois sortes grands & petits : poisson blanc d’un pied de long : poisson doré, esplan [= éperlan], tanche, perche [...] & beaucoup d’autres que nous n’avons point, & ne se trouvent dedans nos rivieres & estangs. 1632, Les voyages de la Nouvelle France occidentale, dicte Canada, faits par le Sr de Champlain, 1re partie, p. 6.

Vous ne sçauriez croire, Monsieur, combien de Poissons blancs il se pêche à mi-Canal de la Terre ferme à l’Isle de Missilimakinac [...]. Ce Poisson est à mon goût celui de tous les Lacs qui peut passer pour bon. Il est vrai, qu’il surpasse toutes les autres espéces de Poisson de Riviére. Ce qu’il y a de singulier, c’est que toute sauce diminuë sa bonté, aussi ne le mange-t’on que boüilli ou rôti sans assaissonnement [sic]. 1703, Nouveaux voyages de Mr. le baron de Lahontan, t. 1, p. 116.

Le gouvernement fédéral vient de publier les règlements concernant la pêche. Voici les périodes pendant lesquelles la pêche sera interdite dans la Province de Québec. Le Poisson Blanc, depuis le 10 novembre au premier décembre. La Truite Saumonée et la Truite des Lacs, du 15 octobre au premier décembre. 1877, Le Nouvelliste, Québec, 20 juillet, p. 2.

Pendant les avents, vers le soir, on voyait arriver, devant chez nous, deux fois par semaine, une voiture d’habitant, un traîneau à lices, portant deux ou trois quarts [« tonneaux »] de petits poissons blancs. On accourait à la porte avec un grand « plat de vaisselle » que le marchand remplissait des pauvres petites bêtes gelées, enneigées, et tordues en des poses variées. Il y en avait qui étaient plats, et l’on se disputait pour les avoir! 1916, M. LeNormand, Autour de la maison, p. 93.

Pourquoi les Montagnais semblent-ils éclater de bonheur et de confiance quand il y a du poisson blanc dans leur lac? La raison en est simple : c’est qu’en plus de posséder une chair délicate, il est le poisson le plus gras du nord, si bien qu’en faisant bouillir cinq à six poissons blancs, on peut récolter plusieurs cuillerées de graisse ou d’huile. 1976, P. Provencher, Mes observations sur les poissons, p. 58.

Hist.Poissons blancs : autre nom donné aux Attikamègues* au XVIIe s.

[...] il y a quantité de petites nations dans les terres, situées au Nord des trois Rivieres, dont l’une est appellée en Sauvage Attikameg8ek, & des François les Attikamegues, ou les poissons blancs pour ce que le mot Attikamegue signifie un poisso[n] qui se rencontre en ce nouveau monde, auquel les François ont fait porter le nom de poisson bla[n]c à cause de sa couleur. 1647, dans RJ 31, p. 208.

3

Poisson-castor : poisson prédateur (Amia calva, seule espèce survivante de la fam. des amiidés), au corps allongé se terminant par une queue arrondie, qui ne se rencontre que dans les eaux douces et chaudes de l’est de l’Amérique du Nord.

Rem.1. A remplacé chez les spécialistes l’appellation amie qu’ils utilisaient auparavant. 2. L’appellation poisson-castor a été normalisée par le BNQ et par l’OQLF (voir BNQ-Pêches2 33, et OLF-Avis4, no 1176).

Les captures de poissons-castors sont beaucoup plus courantes. Au printemps, on les capture fortuitement en pêchant la barbotte, la perchaude ou d’autres blanchailles dans les baies et les rivières peu profondes. 1977, Québec Chasse et Pêche, mars, p. 109.

Le Poisson-castor est souvent considéré comme une peste étant donné son peu d’intérêt économique et la compétition alimentaire avec plusieurs espèces sportives. Il mord facilement aux appâts vivants, aux leurres et peut fournir des combats intéressants. 1991, L. Bernatchez et M. Giroux, Guide des poissons d’eau douce du Québec, p. 20.

4

(Surtout dans le folklore des pêcheurs du golfe du Saint-Laurent). Poisson (de) Saint-Pierre ou, par ellipsESaint-Pierre : nom donné à l’aiglefin (Melanogrammus æglefinus), poisson marin apparenté à la morue, pourvu d’une tache noire de chaque côté du corps sous la première nageoire dorsale.

Rem.En France, saint-pierre sert à désigner la dorée, un autre poisson marin présentant une tache noire sur chaque flanc (voir Histoire).

 haddock.

On a encore la Goberge que les pescheurs nomment poisson de saint Pierre, pour deux marques noires qu’il a au dessus des deux costez de la teste, que l’on dit estre l’endroit par où nostre Seigneur le prit; il est fait comme une petite moluë, excellent à manger, & mesme on le fait secher comme la moluë. 1672, N. Denys, Description geographique et historique des costes de l’Amerique septentrionale, t. 2, p. 267 (le nom de goberge désigne ici l’aiglefin, v. l’article goberge).

[...] pour certains pêcheurs il y a des poissons auxquels on ne touche pas. Exemple : l’espèce de morue que le commerce désigne sous le nom de hadock [sic] et que le vulgaire appelle le poisson de Saint-Pierre. La légende veut que ce soit la première pièce tirée hors des filets par le grand apôtre, au jour de la pêche miraculeuse. 1874, Faucher de Saint-Maurice, À la brunante, p. 272-273.

Avant la Saint-Pierre, il faut avoir pris un Saint-Pierre (aiglefin) pour avoir une bonne pêche l’été. 1976, P. DesRuisseaux, Dictionnaire de la météorologie populaire au Québec, p. 170 (dicton gaspésien).

C’était surtout l’ouvrage de la femme et des enfants de faire sécher la morue. Vous savez, le haddeck, ou poisson de Saint-Pierre, c’est de la même famille que la morue, et on retrouve toujours un certain pourcentage d’aiglefin avec la morue. Comme c’était quasiment un poisson de luxe à l’époque, la femme le mettait de côté et pouvait le vendre par la suite. 1980, J.-Cl. De L’Orme et A. Leblanc, Histoire populaire des îles de la Madeleine, p. 102.

5

Petit poisson, ou, plus couramment, petit poisson des chenaux ou poisson des chenaux : noms donnés au poulamon.

La pêche aux petits poissons des chenaux à Sainte-Anne-de-la-Pérade.

Rem.1. Dans ces appellations, le mot chenaux était parfois écrit avec une majuscule à l’initiale autrefois. 2. Ces appellations étaient au départ caractéristiques de la région de Trois-Rivières, où se pratique depuis longtemps la pêche au poulamon, mais elles se sont répandues à travers tout le Québec, surtout les deux dernières; de nos jours, (petit) poisson des chenaux est associé principalement à la pêche populaire qui se tient à Sainte-Anne-de-la-Pérade.

 loche; morue (sens 3); poulamon.

Avez-vous remarqué, lecteur, que je me sers dans cet article du terme petit-poisson, au lieu d’employer un nom reconnu, comme cela se fait pour toutes les espèces de poissons? [...] Les Trifluviens disent petit-poisson, parce qu’il n’y a encore que ce mot d’adopté en français pour le désigner. Il n’a pas été étudié. Les hommes de science ne l’ont pas baptisé. Notre public français en général le nomme petite-morue; les Anglais disent tom ou tommy-cod, soit, morue naine. [...] C’est une espèce à part. Il faudrait lui composer un nom grec ou latin qui signifierait poisson de Noël, puisqu’il nous visite seulement à cette époque de l’année. 1890, B. Sulte, dans A.-N. Montpetit, Les poissons d’eau douce du Canada, 1897, p. 166-167.

La pêche au petit poisson des Chenaux, comme on l’appelait autrefois, va commencer pour de bon cette semaine car la glace est solide et les gens qui sont déjà installés disent que « ça mord ». Ce n’est plus malheureusement l’industrie d’autrefois car ce petit poisson des Chenaux ne vient plus jamais visiter le Saint-Maurice. Depuis que les grandes pulperies ont installé leurs usines le long de notre belle grande rivière le « petit poisson » qui ne prise ni les odeurs fortes ni les bouillons déversés chaque jour dans l’eau autrefois si limpide du Saint-Maurice, se détourne de notre ville. 1929, Le Bien public, Trois-Rivières, 17 janvier, p. 1.

S’il vous était donné de passer en hiver sur la place du marché aux Trois-Rivières, vous y verriez de nombreux étalages devant lesquels des poissonniers chaudement vêtus tapent de la semelle pour se réchauffer. Dans ces étalages, vous trouveriez de la morue salée, des filets de différents poissons du golfe, du hareng fumé, des anguilles pêchées sur la rive sud. Mais vous remarqueriez surtout des amoncellements de petits poissons d’environ six pouces, gelés et roses. C’est le poisson des Chenaux : le délice des tables trifluviennes au cours des fêtes. Il se vend à la mesure. On le sert tout simplement dans un bouillon généreux, mêlé à des tranches de pommes de terre. Ou encore frit dans le beurre. 1938, Le Mauricien, février, p. 13.

Sept heures. Nous nous attablons à l’hôtel de Lanaudière devant une bonne soupe aux pois qui préparera la voie aux petits poissons des chenaux frits qu’on nous a promis tout à l’heure. [...] Le temps de « lichoter » un petit verre de vin blanc et les petits poissons nous arrivent, dorés et croustillants, les queues retroussées débordant des assiettes. 1957, J.-B.-S. Huard, Hameçons et cartouches, p. 113-114.

La salle de danse de l’hôtel se remplit, les filles se sèchent les cheveux en gigotant comme des petits poéssons [sic] des chenaux qu’on sort de l’eau glacée, au printemps. 1965, Cl. Jasmin, Pleure pas, Germaine, p. 75.

Il est toujours agréable d’avoir du poisson frais sur sa table en plein cœur de l’hiver. Mais la pêche aux poissons des chenaux, c’est plus qu’une simple activité d’approvisionnement. C’est une véritable institution sociale, un rituel familial qu’on pratique avec dévotion, même quand il fait 25 sous zéro. C’est, dit-on, la pêche sur glace la mieux organisée au monde. 1988, L’Actualité, janvier, p. 28.

(Variantes). RarePetit poisson de(s) Trois-Rivières.

M[icrogadus] tomcod est abondant dans l’estuaire du St-Laurent durant la plus grande partie de l’année; au mois de décembre, il remonte le fleuve jusqu’aux Trois-Rivières qu’il ne dépasse guère que pour pénétrer dans la rivière St-Maurice, et c’est de là que lui viennent les surnoms de Petit Poisson des Trois-Rivières et de Petit Poisson des Cheneaux de la rivière St-Maurice. 1937, Le Naturaliste canadien, vol. 64, no 2, p. 35.

 Rare(Petit) poisson de Noël.

Tout porte à croire que la pêche du poulamon reprendra le rythme de croisière des bonnes années. [...] L’optimisme règne à Sainte-Anne-de-la-Pérade. [...] C’est donc un rendez-vous à ne pas manquer, et tout porte à croire que les ‘p’titspoissons de Noël y seront nombreux! 1989, Sentier Chasse-Pêche, décembre, p. 69.

Rem.Ces appellations n’ont pas de véritable assise dans l’usage (voir Histoire).

6

VieilliPoisson doré : ancien nom du doré.

 doré.

Le poisson doré ne tient rien de cette belle espece d’un autre poisson qu’on appelle la d’aurade [= daurade] sur les rives du golphe de Leon, nous l’avons appellé le poisson doré a cause de cette belle couleur de l’or bruny qu’on voit sur tout son corps, couvert de tres petites ecailles [...]. Ce beau poisson est d’un goût exquis [...] il n’a presque point d’arete. 1685 env., L. Nicolas, Histoire naturelle, Anc, ms. 24225, fos 175-176.

[...] dans le chenail du sud du fleuve St-Laurent, au-dessus du lac St-Pierre, en allant à l’isle du Pas [= île Dupas], il se pêche des poissons de toutes espèces, comme brochets, maskinongés, poissons dorés, achigants, crapets, carpes, de deux espèces, éturgeons maillés et autres [...]. 1754, le sieur Boucault, dans Rapq 1920-1921, p. 14.

Le poisson doré, on aimait quasiment autant qu’il en ait pas parce que c’est traître ça. Ça l’a des espèces d’épines sur le dos, là, pis aussitôt qu’on leur touchait, là, là on se piquait là-dessus. Ça fait qu’on aimait mieux qu’il en ait pas trop malgré que c’est le meilleur poisson qu’on peut manger, là, qu’il y a dans le fleuve. 1969, Saint-Jean-Port-Joli (L’Islet), AFEUL G. Dulong 62 (âge de l’informateur : n. d.).

7

(Surtout chez les pêcheurs du golfe et de l’estuaire du Saint-Laurent). Poisson rouge : nom donné au sébaste (fam. des scorpénidés), poisson marin de couleur rouge vif et aux yeux noirs proéminents.

La sébaste (Sebastes marinus), appelée aussi poisson rouge ou perche de mer, est pêchée près de l’île Anticosti. Ce poisson ne fait l’objet que d’une pêche de fin de semaine, lorsque les chalutiers reprennent la mer après leur expédition de pêche à la morue, qui dure quatre jours en moyenne. 1959, P.-Y. Pépin, dans Cahiers de géographie de Québec, no 6, p. 361.

III

Fig.

1

VieilliPetit poisson : personnage de peu d’importance, de peu de valeur.

Ne pas être un petit poisson, ou (variante) ne pas être un poisson ordinaire.

 (Encore relevé de nos jours). Gros poisson : un personnage important, influent, bien nanti.

 méné (sens 2).

Le petit Sam que voilà, que je continue, est dans les volontaires, vous savez, c’est pas un petit poisson, rapport qu’il a le grade de ministre de la milice, dans la compagnie du foreman Borden. 1912, La Presse, Montréal, 21 septembre, p. 18 (chron. humor.).

– Auguste : Ville-Marie c’est pas un p’tit mené. – Ovide : Non çartain. C’est un gros poisson... – Auguste : ...qui mange les p’tits. – Ovide : Je l’sais pas. En par cas i a de l’argent à prêter. Pour ben dire i a rien que lui par icitte. J’ai pas besoin de vous dire qui prend ses précautions. – Auguste : Comme tous les hommes d’affaires? 1944, Cl.-H. Grignon, Un homme et son péché, 28 novembre, p. 4 (radio).

La police de la Communauté urbaine de Montréal a peut-être mis la main sans le savoir sur un important personnage recherché par Interpol à travers le monde. L’individu en question, qui serait un très gros poisson dans certains milieux en Italie, serait en fuite depuis plusieurs mois, sinon des années, de son pays. 1995, Le Journal de Montréal, 30 novembre, p. 8.

2

Fam.Personne qui est facile à attraper, à duper, qui est crédule.

Se faire traiter de poisson.

Faire le poisson : se laisser attraper, duper facilement. (En fonction adj.). Elle est poisson ou (parfois) poissonne.

 fish.

Pour se lancer dans cette imposante et nationale industrie du biscuit au gingembre, il ne faut qu’une seule chose sans grande importance : un associé un peu poisson prêt à se faire taper de quelques centaines de piastres. 1930, Le Goglu, Montréal, 12 décembre, p. 4.

[...] quel est selon vous dans l’idée des jeunes filles modernes le type d’homme qui a le plus de chances d’être aimé? Est-ce celui qui la comble de cadeaux, l’emmène à tous les cinémas et toutes les danses, celui que tout bas plusieurs appellent « poisson »? 1944, Le Soleil, Québec, 24 décembre, p. 4.

Les palabres de la Saint-Jean-Baptiste, les campagnes de souscription pour le maintien de nos droits, de notre langue et de notre culture, c’est pour les « poissons », les « suckers », en d’autres termes : les poires. Ce qui pèse dans le monde, ce ne sont pas les sacrifices aux mânes des ancêtres mais le portefeuille quand il est rempli. 1966, A. Maillet, Nouvelles montréalaises, p. 115.

Et c’est dans une ruelle que, préférablement, on amène son client éventuel pour lui faire faire le paiement de l’aubaine [c.-à-d. un téléviseur volé], et lui livrer son appareil fort bien camouflé. [...] c’est de cette façon qu’un jeune homme de 21 ans aurait amené trois « poissons » bien conditionnés à lui remettre la somme requise, avant la livraison. Une fois l’argent empoché, toutefois, il aurait dit chaque fois à l’acheteur déjà tout ravi : « Une toute petite minute, et je reviens avec ». Mais, dans les trois cas, il ne serait jamais revenu. 1970, La Presse, Montréal, 24 avril, p. 11.

Ce n’est pas possible, les cochonneries qu’on essaie de vendre [dans un marché aux puces de la Floride]. L’autre jour, je vois un vieux chaudron usé. Le propriétaire du kiosque, un Québécois par surcroît, demandait 5 $. Je lui ai dit que je pouvais en avoir un neuf pour 7 $. Il m’a répondu sèchement de ne pas le prendre et que, de toute façon, il trouverait bien son « poisson ». 1993, Le Journal de Québec, 29 janvier, p. 7.

Histoire

I1 Depuis 1884. En parlant de la morue, cet emploi particulier du mot poisson est sans doute ancien puisqu’on le retrouve dans le vocabulaire des pêcheurs terre-neuviers (v. LaMPêche 1381 : « Synonyme de morue »; P. Brasseur précise que, dans le parler des îles de Saint-Pierre et Miquelon, on oppose même poisson, désignant la morue, à faux poisson, désignant tout poisson de la famille des gadidés autre que la morue, v. BrassAtl 341). On observe un emploi semblable chez les pêcheurs anglophones de Terre-Neuve et de la Nouvelle-Angleterre pour qui le mot fish sert à désigner spécialement la morue (v. Dne qui donne des exemples du XIXe s. où fish s’oppose à herring ou encore à salmon; v. aussi DictCan et DARE); il s’agit sans doute d’emplois spontanés parallèles en anglais et en français. 2Poisson-appât, une première fois en 1897 (A.-N. Montpetit, Les poissons d’eau douce du Canada, dans l’index de la p. 550 où poissons appâts renvoie à un développement traitant de la pêche au moyen de petits poissons vivants), puis régulièrement depuis 1976 (dans Québec Chasse et Pêche, mai, p. 34 : des ménés qui n’ont aucun intérêt pour les sportifs si ce n’est qu’ils s’en servent à l’occasion comme poisson appât); paraît être un calque de l’anglais baitfish (v. Webster 1986 et Gage 1997). Poisson-fourrage, depuis 1980 (dans Québec Chasse et Pêche, mai, p. 19); probablement d’après l’anglais forage fish (v. Webster 1986).

II1Depuis 1664 (Boucher). Cette appellation a eu cours autrefois en français en parlant de divers poissons couverts d’écailles épineuses; elle a été relevée du XVIIe au XIXe s., notamment en parlant de poissons présents sur les côtes de l’Amérique (v. FEW armare 25, 247b; Cotgrave 1611, s.v. armé; Corn 1694, GrVoc 1767, Besch 1847-1892 et Larousse 1866-1897, s.v. poisson; v. aussi PellFaune 169-170). 2Depuis 1632 (Champlain). Par extension de l’emploi que l’on fait de cette appellation en France depuis le XVIe s. au moins (attesté une fois au XIIIe s. sous la variante blanch pisson, v. TLF); poisson blanc s’y dit de poissons d’eau douce dont la chair est pâle et d’un goût peu prononcé, en particulier des cyprinidés dont certaines espèces présentent des flancs de couleur argentée (v. FEW pĭscis 8, 584a; Estienne 1549 et Nicot 1621, s.v. poisson, où l’aphya est décrit comme étant « une sorte de poisson blanc, mol & tendre »; GrEnc, s.v. able : « [...] les Cyprins qui sont vulgairement désignés sous le nom de poissons blancs [...] »; GLLF, TLF, Larousse 1982-1987, Robert 1985, s.v. poisson; v. aussi G. Bordes, Les carnets du pêcheur, 1980, p. 7-9). 3Depuis 1866 (Rapport annuel de Pierre Fortin [...] pendant la saison de 1865, p. 81; l’auteur précise que c’est « la forme de sa queue [qui lui] a valu le nom vulgaire qu’il porte en Canada, à cause de quelque ressemblance avec la queue du castor [...]. »). 4Depuis 1672 (Denys). Héritage des parlers de France; saint pierre « aiglefin » a été signalé en Picardie (v. FEW Petrus 8, 331b; L. Joubin et E. Le Danois, Catalogue illustré des animaux marins comestibles des côtes de France et des mers limitrophes, 1re partie, 1925, p. 184). Dans la langue générale en France, on a également relevé le nom de poisson (de) Saint-Pierre du début du XVIIe s. jusqu’au début du XXe, nom qui s’est maintenu sous la forme réduite saint-pierre (signalée depuis 1793 d’après TLF), mais on l’applique à la dorée, un autre poisson marin présentant une tache noire sur chaque flanc (v. FEW id., 331; Larousse 1866-1928, s.v. poisson; Robert 1953-1985, GLLF, Larousse 1982-1987 et TLF, s.v. saint-pierre). Selon l’explication courante, le nom de ce poisson vient « [d]u n[om] de Saint-Pierre, parce que ce poisson porte sur les côtés une tache ronde qui serait la marque laissée par les doigts de l’apôtre quand, sur l’ordre du Christ, il tira de la bouche du poisson le statère du cens » (TLF; pour d’autres interprétations, v. P. Sébillot, Le folk-lore de France, t. 3, 1906, p. 344-345). 5Petit poisson, depuis 1822, dans un livre de comptes d’un marchand de Trois-Rivières (acheter du petits poison [sic], document du 16 janvier, cité dans HouleCompt 132); petit poisson des chenaux, depuis 1929, puis poisson des chenaux, depuis 1938. L’appellation petit poisson des chenaux a été formée à partir de petit poisson, attesté clairement depuis 1882 en relation avec la pêche qui se pratiquait sur la rivière Saint-Maurice (v. La Gazette de Joliette, 17 janvier, p. 1 : Les pêcheurs du St-Maurice prennent une immense quantité de petit poisson, mais jusqu’à présent les acheteurs sont rares.). Le déterminant des chenaux, qui s’est accolé à l’appellation de départ, fait référence aux « trois chenaux par où le Saint-Maurice déverse ses eaux lourdes dans les eaux plus claires du Saint-Laurent » (A. Tessier, Petite histoire de notre « petit poisson des chenaux », 1975, p. 5); le passage suivant, tiré de H. Beaugrand (La chasse-galerie, 1900, p. 42), montre comment l’appellation a pu se former à partir d’énoncés dans lesquels figurait le mot chenaux : [...] lorsque je naviguais l’été à bord des bateaux et que je faisais la pêche au petit poisson, l’hiver, aux chenaux des Trois-Rivières [...]. Même si le poulamon ne fréquente plus la rivière Saint-Maurice, devenue trop polluée, l’appellation petit poisson des chenaux s’est maintenue, souvent réduite à poisson des chenaux, la présence de l’adjectif petit devenant moins indispensable à mesure que s’imposait le nouveau déterminant. Petit poisson des Trois-Rivières, depuis 1883 (B. Sulte, dans L’Opinion publique, Montréal, 18 janvier, p. 1 : « Apprécié de tout le monde [...] il est désigné comme le ‘petit-poisson des Trois-Rivières’. »); poisson de Noël, appellation lancée par B. Sulte en 1890 (v. le premier exemple cité); ces appellations ne correspondent pas à des usages réels même si on les mentionne dans certains ouvrages descriptifs sur les poissons qui en ont favorisé l’emploi occasionnel dans des articles de journaux. 6Depuis 1632 (Champlain, dans le passage cité sous le sens II.2). Poisson doré a été signalé aux XVIIIe et XIXe s. dans des textes d’anglophones en contact avec des voyageurs ou des habitants canadiens-français (v. DictCan). On trouve la même appellation en français de France, mais pour désigner le cyprin doré, de la fin du XVIIIe s. jusqu’au début du XXe s. (v. FEW 8, 584a, et Larousse 1866-1928; GLLF le donne encore comme usuel malgré son absence de tous les autres dictionnaires consultés; v. aussi PellFaune 203-205). 7Depuis 1959. Il est possible que le recours à poisson rouge par les pêcheurs du golfe et de l’estuaire du Saint-Laurent pour parler du sébaste, poisson de couleur rouge vif, se soit fait de façon spontanée, mais il paraît plus probable que cette appellation se soit imposée sous l’influence de l’anglais nord-américain redfish qui se dit de divers poissons de couleur rougeâtre, notamment du sébaste (v. Random 1983 et WebsterC 1988; v. aussi OED, s.v. red fish, sens 2b : « The name of various American fishes, esp[ecially] [...] the red perch or rose-fish [...]. »). L’appellation poisson rouge est attestée parallèlement en français de France depuis la seconde moitié du XVIIIe s.; elle a d’abord été relevée en parlant d’un gros poisson pourvu d’écailles et « d’une couleur de feu assez vive » qui se rencontre dans les Antilles (v. GrVoc 1767, qui renvoie à un texte du père Labat; v. aussi ValmHNat 1764), puis, depuis 1866 (Littré, s.v. poisson, sens 3), en parlant du cyprin doré, le « poisson rouge » des aquariums (FEW et TLF indiquent à tort que les relevés du XVIIIe s. concernent le cyprin doré).

III1Petit poisson, depuis 1909 (Dionne); gros poisson, depuis 1944. A sans doute été hérité de France. On trouve, dans les mêmes emplois, petit poisson en créole haïtien (v. FaineDict, s.v. petit) et gros poisson en créole mauricien à la fin du XIXe s. (v. BakMaur, s.v. gro poson); de plus, gros poisson est signalé dans un emploi très proche en français argotique au XXe s. (v. TLF qui le relève dans un texte de Mauriac de 1958, et ColArg qui le définit ainsi : « Gros poisson, personnage important, prise intéressante (dans le langage des policiers, des magistrats, par opposition à menu fretin). ». 2Depuis 1929 (Le Goglu, Montréal, 15 novembre, p. 8 : Enormément de gens sont poissons (en anglais : fish), mais rares sont ceux qui peuvent allier à cette qualité celle d’homme-poisson, comme notre ministre des Pêcheries [...].). D’après l’anglais nord-américain fish, lequel a également pénétré avec le même sens dans le français du Québec (v. fish).

Version du DHFQ 1998
Trésor de la langue française au Québec. (1998). Poisson. Dictionnaire historique du français québécois (2e éd. rev. et augm.; R. Vézina et C. Poirier, dir.). Université Laval. Consulté le 29 août 2024.
https://www.dhfq.org/article/poisson