Recherche avancée

PATATE [patat]
n. f.

Rem.

Variantes graphiques : (d’après des prononciations populaires) petate, pétate, pataquepétaque (voir Histoire).

I
A
1

Pomme de terre; plante qui produit ce légume.

2022, TLFQ, Patates [photo].

Champ, pièce, lot, carré, rang de patates. Minot, boisseau de patates. Une poche, un sac, un 10 livres de patates. Pochetée de patates. Caveau, cave à patates. Patate germée.

Bibitte à patate : doryphore; coccinelle.

Semer, renchausser, arracher, rentrer les patates. Éplucher, peler des patates. Piler les patates. Patate crue. Une assiettée de patates. Salade de patates.

 (En composition).  Patate de semence. Patate nouvelle, neuve, récoltée lorsque la pelure est encore mince. Patate rouge, rose, verte, blanche. Patate hâtive, d’avance, de quarante jours.

Rem.1. Le mot pomme de terre est également en usage au Québec depuis longtemps (voir Histoire), mais il demeure moins usuel que patate et s’emploie surtout dans la langue soignée. 2. Patate « pomme de terre » est moins courant en France et est perçu comme très familier.

On peut dire qu’il n’y a pas de repas au Canada sans pommes de terre ou « patates, » qui est le seul nom sous lequel on les connaît dans les campagnes; on les préfère généralement au pain, dont la confection laisse du reste beaucoup à désirer. 1875, Ch.-H.-Ph. Gauldrée-Boilleau, « Paysan de Saint-Irénée de Charlevoix en 1861 et 1862 », dans P. Savard (éd.), Paysans et ouvriers québécois d’autrefois, 1968, p. 34.

Excusez, mes amis, si j’appelle pomme de terre, ce que, entre cultivateurs, nous sommes tous convenus d’appeler patates. C’est que, voyez-vous, écrire et parler c’est bien différent : les paroles passent mais les écrits restent. Dans cent ans d’ici – qui sait? peut-être dans beaucoup moins! – quelqu’un qui nous lirait pourrait bien ne point nous comprendre, ou, tout au moins, nous taxer d’ignorance, si nous ne donnions pas aux choses leurs noms propres. 1877, Le Journal d’agriculture, Montréal, février, p. 12.

L’année suivante, je l’ai revu chez lui, dans son fief de Placide. Il piochait à petits coups quelques patates au pied d’une grosse roche. 1943, F.-A. Savard, L’abatis, p. 110.

Je leur aidais à « pocheter » les patates. Les patates étaient pas en poches comme aujourd’hui, ils vidaient ça dans la cale des bateaux, pis nous autres, on « empochetait » ça quand le monde était parti le soir, là. Bien, on « empochetait » ça dans les poches durant la veillée, dans la nuit pour être prêts le lendemain matin sur les quais pour livrer les patates. 1960 env., Isle-aux-Coudres (Charlevoix-Ouest), AFEUL, P. Perrault 560 (âge de l’informatrice : n.d.).  

Les mains de sa tante retournent une patate, le couteau glisse rapidement sous la pelure qui se déroule dans la terrine à moitié remplie; rien ne se passe. 1983, A. Poissant, J’avais quatorze ans, p. 26.

C’est qu’il a l’air de vraiment m’aimer, l’animal, pensa Juliette en s’éloignant dans le corridor. [...] Mais qu’est-ce qu’il peut bien me trouver, pour l’amour? se demanda-t-elle en posant un regard attristé sur sa poitrine énorme qui ballottait comme une poche de patates sur l’épaule d’un épicier. 1989, Y. Beauchemin, Juliette Pomerleau, p. 578.

VieuxCourse aux, à patates.

Course à patates [...]. Deux des quatre concurrents se distinguent par la facilité avec laquelle ils font le va et vient [sic] de l’enlèvement partiel de chacune des dix patates disposées de 5 verges en 5 verges et qui doivent être rapportées séparément dans un panier placé au point de départ. 1885, La Presse, Montréal, 16 mars, p. 4.

Vieilli(Dans des comparaisons). Battre, toquer comme une patate dans un sabot, dans une chaudière (en parlant du cœur) : battre très fort.

Bénoni, je souffre horriblement. [...] Je sens une oppression dans le reintier. J’ai des vents dans l’estomac et le cœur me toque comme une pataque dans un sabot1879, Le Vrai Canard, Montréal, 20 décembre, p. 1. (Cp. patate2, sens 2).

 Gelé comme une patate dans un sabot : très gelé, glacé. (JutrParl 248 et DesRExpr2 274).

 Très fam.Mâche-patate n. m. Bouche.

Se fermer le mâche-patate.

Se faire aller le mâche-patate : parler beaucoup.

2

(Dans des appellations spécifiques, en parlant de la façon de cuisiner, de consommer le légume). Patates au four, en robe de chambre, en robe des champs, cuites au four avec la pelure. Patates rondes, bouillies. Patates pilées, en purée. Patates jaunes, brunes, cuites dans le jus d’une viande rôtie, général. du porc. Patates fricassées, mijotées en morceaux dans un corps gras (jus des grillades, graisse de rôti). Patates rôties, sautées à la poêle. Patates fleuries, farineuses, qui s’émiettent.

2022, TLFQ, Patate au four [photo].

 Patates frites : frites.

Un casseau de patates frites, par ellipse de patates. Une roulotte, une cabane à patates (frites).

Commander un, une patate (frite), une portion de frites. Un, une patate sauce : une portion de frites servies dans une sauce brune.

 Patates chips : chips.

Un sac de patates chips, par ellipse un patate chips.

 croustille.

 Bonbon aux patates, fait de pommes de terre en purée, de sucre et de beurre d’arachide.

Pensez donc, les invités ne sont pas pour s’en aller rien dans le ventre, et ce n’est pas leur peur; il y en a de quoi sur la table; des poulets rôtis... des bonnes patates jaunes... du pain d’habitant fait avec de la farine de l’année et combien d’autres choses qui mettent l’eau à la bouche... jusqu’aux belles confitures de fraises... et des fraises ramassées dans le clos sur la côte. 1917, É. Gagnon, « Le plumage des oies », dans La corvée, p. 116.

Vous pensez, vous, qu’on va recevoir comme ça un monseigneur, un jour de maigre, avec du macaroni et des patates pilées... Pour qu’il rapporte à l’évêché qu’votre ménagère sait pas cuisiner!! Non! pas d’danger! j’vous en assure ben!!! 1925, H. Bernard, La terre vivante, p. 110.

Des odeurs de patates frites flottaient dans l’air. Denis en acheta un sac. [...] Il mâchouillait ses patates chaudes, cachait ainsi son immense bALButiement aux bûcherons qui se faufilaient dans les tavernes. Une sorte de bonheur l’allégea soudain. 1944, R. Lemelin, Au pied de la Pente Douce, p. 302-303.

Il fricota sur le poêle. Le goût lui était venu de manger des patates fricassées, un mets dont il avait eu une grande envie depuis longtemps, mais, le digérant mal, il l’avait bonnement déclaré grossier. Aujourd’hui, il ne s’en porta pas plus mal; au contraire, il souffrit moins qu’après ses repas de légumes fades et de bouillie. 1954, G. Roy, Alexandre Chenevert, p. 210.

Quand j’avais neuf ans, une pièce de cinq sous en poche et le goût de m’encanailler, j’allais jouer aux flippers à la cabane à patates frites de la rue Sainte-Thérèse, sur le chemin de l’école Saint-Gabriel, à Lévis. 1994, B. Aubin, dans L’Actualité, 15 septembre, p. 34.

VieilliPatates à la pelure, à l’épelure, cuites avec la peau. Patates écrasées, en purée. Patates mâchées (ou machées, ou mashées), en purée. (Voir notam. GPFC, s.v. macher).

B
1

Patate sucrée : plante originaire d’Amérique tropicale, principalement cultivée dans les pays chauds pour ses grands tubercules au goût sucré (Ipomœa batatas, fam. des convolvulacées); tubercule de cette plante.

2022, TLFQ, Patates sucrées [photo].

Rem.En France, on dit patate ou, plus souvent, patate douce (appellation connue aussi au Québec).

[...] tomates, radis, rhubarbe, patates sucrées, échalottes [...]. 1913, Le Soleil, Québec, 27 mars, p. 5.

Le topinambour, découvert dans l’est du Canada par Samuel de Champlain, pénètre en France avec l’historien Marc Lescarbot. La pomme de terre, nommée patate au Canada et dans plusieurs provinces de France, vient du Pérou. Les Caraïbes ont fourni le manioc et la patate sucrée. Au Mexique, le piment constituait le principal condiment et un légume apprécié. 1964, J. Rousseau, « Le Canada aborigène dans le contexte historique », dans Revue d’histoire de l’Amérique française, vol. 18, no 1, p. 60.

2

Patate en chapelet : nom commun de l’apios d’Amérique (Apios americana), plante herbacée à tige volubile et à fleurs rougeâtres qui produit des chapelets de tubercules comestibles, commune le long des rives du Saint-Laurent (notam. dans la région du lac Saint-Pierre); tubercule de cette plante.

 jarnotte.

Parmi les plantes alimentaires cultivées, il n’y a, à proprement parler, qu’une espèce d’origine canadienne, le topinambour, qui jouit d’une assez grande faveur. Une autre plante indigène, la patate en chapelet [...] ne connut pas le même succès. [...] En 1845, alors que la pomme de terre était menacée de destruction par un mildiou, – champignon microscopique, – on a essayé d’introduire dans la grande culture la patate en chapelet; mais sans résultats intéressants. 1941, J. Rousseau, dans Le Devoir, Montréal, 4 octobre, p. 12.

II

Fig.

A

Par anal. Grosse bille, de plus grande valeur que les billes ordinaires.

J’ai donné, avant de revenir au chalet, toutes mes « bébelles » à mon frère Raynald qui vient d’avoir dix ans : mes trois canifs, [...] mes billes d’agate, même les grosses « patates » géantes excellentes pour remporter une « soupe de marbres ». 1973, Cl. Jasmin, Pointe-Calumet, boogie-woogie, p. 98.

Vieilli(Gros) nez.

Et tout ce qu’on croira De ce que l’on dira, C’est que de Cyrano Tu n’as que le museau Et qu’en fait de génie Tu n’as que ta toupie, Ton immense patate Enflée et écarlate. 1931, Le Goglu, Montréal, 16 octobre, p. 3.

VieilliPomme d’Adam.

B

Par métaph.

1

Fam.Être dans les patates : être dans l’erreur, se tromper, divaguer.

Aristote, un niochon qui a vécu trois cents ans avant Notre-Seigneur [...] prétend que la base de la politique est l’honnêteté et la justice. Le pauvre homme était dans les patates. 1882, Le Grognard, Montréal, 27 mai, p. 2.

[…] je ne suis pas encore fort. Dieu le sait! et le moindre excès de travail me fatigue. C‘est pourquoi je n’écris pas de longues lettres. Jean était dans les patates en te disant que j’écris des essais. Je m’en garde comme de la peste. 1934, Saint-Denys Garneau, Lettres à ses amis, Montréal, 1967, p. 122.

« Après tout, j’ai peut-être tort. J’suis dans les patates, j’suis anormal. [...] Je dois être détraqué. La preuve, je m’intéresse aux parias de la société, aux robineux. C’est un signe. Malade là-dedans », dit-il en se touchant le front. 1964, A. Major, Le cabochon, p. 143.

La bataille de la pomme de terre contre la patate nous indique que les tenants de l’un comme les tenants de l’autre sont précisément dans les patates. La vérité est qu’il y en a qui disent patate (en France comme ici) et qu’il y en a qui disent pomme de terre. Ceux qui sont dans la bataille, d’un côté comme de l’autre, savent très bien que la vraie question n’est pas là. 1973, J. Marcel, Le joual de Troie, p. 51.

Elle repassa dans sa tête une discussion qu’elle avait eue la veille avec son patron au sujet d’une prétendue erreur dans le bilan hebdomadaire de la compagnie. Finalement, monsieur De Carufel, quinquagénaire jovial et sans façon, mais quelque peu Jos Connaissant, avait reçu en plein visage la preuve accablante qu’il était dans les patates. 1989, Y. Beauchemin, Juliette Pomerleau, p. 23.

VieilliÊtre dans un état de somnolence, de torpeur en raison d’un malaise, d’un abus d’alcool, etc.

Coq Pomerleau, lui, qu’avait fêté, c’était pas surprenant qu’y fût un peu dans les pataques; mais moi, qu’est toujours sobre... vous me connaissez. 1898, L. Fréchette, « Coq Pomerleau », dans La Presse, Montréal, 24 décembre, p. 23.

 Tomber dans les patates : s’évanouir.

(Bruit de balle frappant un crâne) [...] excusez notre annonceur, il vient de tomber dans les patates1946, O. Légaré, Nazaire et Barnabé, 7 juin, p. 7 (radio).

VieuxÊtre en mauvaise situation (financière).

Le ministère usurpateur de M. Joly était corrompu jusque dans le coton [...]. Nos finances étaient dans les pataques et la hideuse banqueroute nous menaçait comme un loup-garou ou une bête à grande queue. 1880, Le Vrai Canard, Montréal, 21 août, p. 2.

2

Fam.Parler avec une patate chaude dans la bouche, la bouche pleine de patates chaudes, comme si l’on avait une patate chaude dans la bouche : parler indistinctement, sans articuler, ou (plus rarement) en y mettant un effort exagéré.

 (Variantes de même sens).

Avoir une patate chaude dans la bouche, avoir la bouche pleine de patates chaudes.

Lorsque vous parlez, ouvrez-vous la bouche. N’imitez pas vos compatriotes de langue française, ni ceux de langue anglaise, ni les millions d’habitants des Etats-Unis qui vous parlent avec une vitesse déconcertante et comme s’ils mâchaient des pétaques chaudes. Il n’y a qu’en Europe où les gens prennent la peine d’articuler. Appliquez-vous à dire clairement et simplement ce que vous avez à dire. Les hautes sciences viendront par surcroît. 1942, Les Pamphlets de Valdombre, mars-avril, p. 37.

Vois-tu, je suis comme ces gens qui ont passé huit jours en France et qui ne savent plus que parler, « la bouche pleine de patates chaudes », en s’écriant à tout propos et surtout hors de propos : « C’est formidable! »... 1963, É. Coderre, Jean Narrache chez le diable, p. 50.

Par allusion à ces expressions.

Mes bien chers frères, c’est la Toute-Puissance Divine qui me fait m’adresser à vous en ce beau matin d’automne frais. [/] La voix du curé Rainville se présentait aux auditeurs comme feutrée, à sonorité de patate chaude1980, R.-G. Bujold, Le P’tit Ministre-les-pommes, p. 44.

3

Patate chaude : problème délicat, question embarrassante, épineuse (surtout de nature politique).

Avoir une patate chaude entre les mains. Se passer, se renvoyer la patate chaude.

Je porterais aux nuées le parti politique qui aurait le courage de saisir tous les biens des communautés [religieuses] qui appartiennent de droit au peuple Québécois [sic]. Malheureusement, c’est une patate chaude sur laquelle tous ont peur de se brûler. 1973, Ch. Bay, J’ai osé..., p. 80.

Utilisant une stratégie habile, un courtier anglophone de Montréal [...] a lancé une patate chaude au conseil d’administration de l’Association de l’immeuble du Québec en le forçant, d’ici quelques semaines, à se prononcer sur la place du Québec dans l’ensemble canadien. 1977, Le Soleil, Québec, 1er avril, p. A11.

[...] c’est aussi la solution à laquelle en étaient venus presque tous les experts qui s’étaient penchés depuis des années sur la question [celle de la restructuration scolaire de l’île de Montréal], jusqu’à ce que le gouvernement de 1971 relance la patate chaude à un organisme qui, de par sa nature même, est incapable d’en arriver à l’ombre d’un consensus, soit le Conseil scolaire de l’île. 1977, L. Gagnon, « L’énigme de la patate chaude », dans L’Actualité, mai, p. 74.

Or l’imbroglio constitutionnel, comme celui des paiements de péréquation, tout aussi inqualifiable sur le fond, voilà décidément des patates très chaudes et qui n’importent essentiellement qu’au Québec. 1986, R. Lévesque, Attendez que je me rappelle..., p. 34.

4

Fam.et plais.(Général. à l’impératif). Ne pas lâcher la patate : tenir bon, persévérer; ne pas abandonner, ne pas se décourager.

J’pense que c’est un peu à moi que revient le mot de la fin. Je pense que ça me sert à rien de dire n’importe quoi, vous savez c’que j’pense, tout c’que j’pourrais ajouter si j’étais maniaque c’est, euh... lâchez pas, pis pas rien que la patate, hein? Toutte! Toutte! 1981, Cl. Meunier et L. Saia, Appelez-moi Stéphane, p. 122.

Ti-Gus et Ti-Mousse, c’est fini. Sol et Gobelet, c’est fini. Les Jérolas, c’est fini. Nous autres, on lâche pas la patate. [signé] Le Cardinal Léger et le Père Legault. 1983, Croc, juillet, p. 4.

Histoire

IA1Depuis 1764 (dans un texte traduit de l’anglais : [...] ils ne payeront pas à l’avenir la dime des patates au Clergé [...], dans La Gazette de Québec, 29 novembre, p. 1); attesté régulièrement depuis. Héritage de France. Le mot est relevé dans les dictionnaires français au sens de « pomme de terre » depuis Enc 1765 qui rend compte des multiples noms que reçoit alors ce légume (t. 13, p. 4, article qui a pour titre pomme de terre, topinambour, batate, truffe blanche, truffe rouge et qui ne traite que de la pomme de terre); GrVoc 1768 (s.v. batate et patate) confirme que « cet aliment est aujourd’hui très-commun » et précise que l’appellation qui domine en France est celle de pomme de terre (v. aussi FEW arawak batata 20, 57b, qui signale l’emploi de patate au sens de « pomme de terre » depuis 1769 en français, mais dès 1760 dans un parler français de Bretagne). On peut cependant estimer que patate « pomme de terre » est déjà chez Fur 1727 qui, traitant de la patate douce, la confond avec la pomme de terre dans le passage suivant (noter l’allusion à l’Irlande) : « Les patates sont fort communes en Irlande, & les habitans en ont toûjours fait grand usage. On les trouve assez communément aussi en Angleterre, dans les Païs-Bas, & ailleurs. » Plusieurs auteurs évoquent en effet la confusion qui existe en France, au XVIIIe s., entre la patate douce, la pomme de terre et le topinambour (v. EncSuppl 1776, t. 4, p. 473b et 475b; BrunotHLF 6, p. 292, qui cite Parmentier; v. aussi Besch 1847-1892 : « [Patate] s’est dit quelquefois improprement de la pomme de terre ou du topinambour »), confusion qui est à la source de la diffusion de patate au sens de « pomme de terre » dans diverses régions de France (surtout dans l’ouest du pays, des Landes jusqu’en Normandie, v. ALF 1057), sans doute avant le milieu du XVIIIe s. si l’on prend en compte l’histoire du mot au Québec. En effet, bien que la culture de la pomme de terre ne s’y soit développée qu’avec l’arrivée des Anglais, il ne fait pas de doute que le mot patate était déjà connu au sens de « pomme de terre » sous le Régime français. On trouve en effet, dès 1779, des variantes avec [k] final (pétaque, Neuville, BAnQQ, gr. B. Planté, 19 août; aussi pactaque en 1781, pataque en 1785; v. JunPron 197-198) qui ne peuvent s’expliquer que par une influence directe des parlers de France, influence qui n’a pu s’exercer qu’avant la Conquête de 1760 (cp. pataque dans le Poitou, dans le Centre et en Wallonie, v. FEW 20, 58a, ALF 1057; petaque dans le Poitou, v. MinVienne2; aussi patraque, pétraque, etc. dans l’Ouest et dans l’Est, d’après FEW id.; ces variantes avec [k] final sont probablement issues d’abord d’une dissimilation de t – t en t – k, puis ont pu être confondues avec le mot patraque, v. patate2); de même, la variante petate est attestée dans le Poitou (v. RézOuest2, s.v. petatou). L’ensemble de ces données concernant l’histoire de patate « pomme de terre » invite à revoir l’hypothèse de RobHist qui, tenant pour acquis que cet emploi est attesté d’abord au Québec (en 1765), l’explique par l’influence de l’anglais potato (sur ce point, v. JunLex 206 et PoirAngl 58-59). Il est cependant possible que l’anglais potato ait favorisé au Québec la suprématie de patate; pomme de terre y est également bien attesté depuis le début du XIXe s., mais le mot s’était appliqué antérieurement à diverses racines, ce qui a pu contribuer à l’émergence de patate à partir des années 1760 pour désigner le légume dont la culture commençait à s’implanter. Course aux patates (depuis 1885) est un calque de l’anglais potato race (v. Webster 1986; v. aussi OED, s.v. potato). 2Patates pilées (depuis 1925; cp. cependant piler des patates depuis 1862); patates jaunes (depuis 1917); patates fricassées (depuis 1954); patates fleuries (depuis 1872, Faucher de Saint-Maurice), adaptation par étymologie populaire de l’anglais floury potatoes (v. Longman 1981, s.v. floury : « soft and rather powdery : floury potatoes »; v. aussi Harrap 1983). Patates frites (depuis 1900, dans Les Débats, Montréal, 7 octobre, p. 3; annonce : Steak (avec patates frites) 15 cents); on retrouve patate frite dans le français de Belgique (v. PohlBelg), mais cet emploi paraît être une création parallèle. Patates chips (depuis 1944, dans Le Soleil, 1er mai, p. 14; annonce : Manufacture Patates Chips à vendre); d’après l’anglais nord-américain potato chip (v. Webster 1986 et FunkC 1982; OED-Suppl 1982, s.v. potato). Patates mâchées (depuis 1905, CouchCan 635) est une adaptation par étymologie populaire de l’anglais mashed potatoes (v. AHD 1981, s.v. mash, et OED, s.v. mashed). B1 Depuis 1862 (patate sucrée, dans ProvFlore 409). Calque probable de l’anglais sweet potato (v. Webster 1986; OED, s.v. potato); TLF signale cependant une attestation de patate sucrée en France au début du XIXe s. 2Depuis 1935 (patates en chapelet, dans Frère Marie-Victorin, Flore laurentienne, p. 354). Le rapprochement entre la plante et le chapelet remonte au début de la colonie, cf. ce témoignage du père Le Jeune en 1634 (cité d’après M. Faribault, dans Recherches amérindiennes au Québec, vol. 21, no 3, 1991, p. 68) : « Ils mangent en outre [...] une autre [racine] que nos François appellent des chapelets pour ce qu’elle est distinguée par nœuds en forme de grains [...] ».

IIADepuis 1971 (Bélisle2). Le sens de « (gros) nez » (depuis 1931) est un héritage de France; attesté dans le français argotique (« nez épaté », v. TLF), dans le français de Belgique (ibid. et PohlBelg) et dans les parlers de l’Ouest de la France (v. DoussPays2 34, « un gros nez aplati »). B1Depuis 1882. Ne paraît pas avoir eu cours en français d’Europe au sens d’« être dans l’erreur ». Par contre, pour celui d’« être dans un état de somnolence, de torpeur » (depuis 1898) et pour l’expression tomber dans les patates « s’évanouir » (depuis 1946), cp. en français de Bruxelles être dans les patates « être dans les pommes » (v. BaetBrux 420) qui permet de suggérer l’hypothèse d’une origine européenne de l’expression québécoise; de même, le sens d’« être en mauvaise situation (financière) » (1880) paraît correspondre à un emploi bruxellois (ibid. : « avoir des difficultés, être dans une situation difficile »). 2Depuis 1942. L’image paraît avoir été empruntée à l’anglais; cp. le verbe potato-mouth « to mutter » et l’adjectif potato-mouthed « which never utters plain terms » (v. OED-Suppl 1982, s.v. potato); cp. également l’expression take a red-hot potato! « By way of silencing a person... a word of contempt. [...] A very hot potato in one’s mouth is a sharp deterrent from loquacity » (v. PartrSlangS8, s.v. potato). 3Depuis 1973. Calque de l’anglais nord-américain hot potato « a question or issue that involves unpleasant or dangerous consequences for anyone dealing with it » (v. Webster 1986 et Random 1983; Mathews et OED-Suppl 1976, s.v. hot). 4Depuis 1981. Emprunt au français de la Louisiane par suite du succès d’une chanson intitulée Lâche pas la patate!, popularisée au début des années 1970 et à laquelle fait référence Cl. Jasmin dans Revoir Éthel, 1976, p. 131 : « Il a un petit accent. Celui de l’Acadie, du Nouveau-Brunswick? Du ‘Cajun’ venu de Louisiane pour chanter, l’an dernier : ‘Lâche pas la patate?’ » L’expression louisianaise, enregistrée dans ReadFr (s.v. lâche pas la patate « don’t give up the ship ») et GriolLouis (s.v. lâcher), rappelle une image qu’évoque en anglais américain l’expression (to drop something) like a hot potato (v. Mathews, s.v. hot, et OED-Suppl 1982, s.v. potato; cp. en outre la patate est chaude; ne lâche pas!, variante signalée dans ReadFr).

Version du DHFQ 1998
Pour poursuivre votre exploration du mot patate, consultez notre rubrique La langue par la bande : être dans les patates, parler avec une patate chaude dans la bouche. 
Trésor de la langue française au Québec. (1998). Patate1. Dictionnaire historique du français québécois (2e éd. rev. et augm.; R. Vézina et C. Poirier, dir.). Université Laval. Consulté le 17 avril 2024.
https://www.dhfq.org/article/patate