MOUILLEUX, MOUILLEUSE [mujø, mujøz]
adj.
Vieilliou région.
Humide, détrempé (en parlant d’un sol).
Un terrain, un chemin mouilleux.
Rem.1. Cet emploi est particulièrement attesté en Beauce et au Saguenay–Lac-Saint-Jean. 2. Cet emploi n’est pas inconnu en France, mais il y semble peu usité (voir Histoire).
La luzerne demande un bon fonds qui ne soit pas mouilleux. Il faut en Canada clorre [sic] les champs d’un arpent de largeur, pour qu’en hiver la neige la couvre entièrement et le [sic] préserve des attaques du froid. 1834, A. Girod, Conversations sur l’agriculture, p. 43.
Il faut éviter aussi de préparer un champ de blé tant que la terre est encore froide et humide. Remuer une terre mouilleuse, c’est gâter sa récolte d’avance et se préparer une moisson de mauvaises herbes, surtout les chardons. 1882, B. Lippens, La culture du blé, p. 16.
Il y a, par chez nous, une haute vallée qu’on nomme Placide. Elle renferme quelques alluvions de bonne terre, quelques maisons. […] Or, un gros bonhomme m’est venu de ce pays dormant, avec tous ses garçons. Je lui ai fait voir des lots. Il a partout levé le nez. Aucun n’était de son goût […]. Il s’était fait une complainte : « C’est trop mouilleux! c’est trop sec! Il y a trop de bois vert! Il y a trop de bois mort! C’est trop près de la rivière! C’est trop loin du grand chemin! » 1943, F.‑A. Savard, L’abatis, p. 109.
Un élevage nécessite un terrain absolument sain, extrêmement perméable et sec. Le faisan dans son jeune âge, ne supporte en aucune manière une humidité latente, encore moins un sol mouilleux où se développent les germes des maladies qui déciment les élevages. 1980, G. Cauffopé, Le Soleil, Québec, 1er novembre, p. F‑4.
Il y avait des touffes de bouleaux. On aurait dit que ça avait été planté exprès, mais c’était la nature. De temps en temps, il y avait un sapin, un [sic] épinette mais c’était très rare. Ça prenait un terrain mouilleux. Le tour du lac des Pères était en cèdre. Le père oblat avait obtenu une cédrière un peu plus haut, à peu près à cinq milles d’ici. C’était savaneux. Il y a encore du cèdre dans ce coin. C’est mouilleux et graisseux. Le cèdre a besoin de beaucoup d’eau et d’humidité. 2004, C. Girard et G. Tremblay (dir.), Le Grand-Brûlé, p. 121.
Imprégné d’eau (le plus souvent en parlant d’un fruit ou d’un légume).
Des bleuets mouilleux. Des fraises mouilleuses.
Mil, trèfle, choux, navets, carottes, panais, tout cela vient très bien en ce pays [l’île d’Anticosti]; les pommes de terre aussi, mais on me dit qu’elles sont « mouilleuses ». L’avoine ne mûrit pas toujours, et le plus souvent on la fauche lorsqu’elle est encore verte, pour en faire du fourrage. 1897, V.‑A. Huard, Labrador et Anticosti, p. 204.
Y’a des bleuets noirs pis y’a des bleuets qui sont bleus […]. Le bleuet noir y’est plus mouilleux, i mouille plus vite qu’un bleuet bleu, oui… pas mal plus vite. Pis [....] quand i vient à maturité là quand c’est assez gros là… i fend. 1982 env., Ascension (Lac-Saint-Jean-Est), Corpus Gilbert (enq.) (âge de l’informatrice : 41 ans).
[…] la boîte de plastique a plusieurs désavantages : le bleuet est souvent écrasé, parce qu’il y en a une trop grande quantité dans la même boîte alors qu’il est mieux réparti dans la boîte de bois; le bleuet devient mouilleux plus vite au contact du plastique. 1983, Progrès-dimanche, Chicoutimi, 15 mai, p. 29.
Pour une salade délicieuse qui ne deviendra pas « mouilleuse » et dont tous les ingrédients peuvent entrer dans un même contenant, on opte pour un grand pot de 1 litre, dans lequel on empile tous nos ingrédients, la vinaigrette au fond et la laitue au sommet. 2015, Le Vortex de Bagotville, Saguenay, mars, p. 10.
On n’aime pas : le coût prohibitif (on ne s’en sort pas avec les menus de cabane…) de la tartelette au sucre à la carte (9 $). En revanche, c’est l’une des meilleures (sans croûte insignifiante ou mouilleuse) que j’ai dégustées récemment. En plus, on ne nous fait pas l’injure de la servir avec un succédané de crème fouettée, mais de la 35 % sucrée à l’érable. 2015, S. Bois-Houde, Le Soleil, Québec, 20 juin, p. A25.
Perméable à l’eau, qui s’imbibe d’eau facilement.
[…] antérieurement quand on faisait le trappage, on n’achetait pas de peau, on prenait de la peau d’orignal. Tant qu’i’a eu du caribou, on se servait de peau de caribou, c’était plus imperméable, c’était un cuir qui ne mouillait pas, tandis que l’orignal, i’ est très mouilleux, mais on n’avait pas le choix, i’ avait peu de caribou. 1968, Saint-Urbain (Charlevoix-Ouest), dans N. Lafleur, La vie traditionnelle du coureur de bois aux XIXe et XXe siècles, 1973, p. 177‑178.
Fam., en parlant de phénomènes atmosphériques.
Qui est marqué par des chutes de pluie abondantes.
Un temps mouilleux. Une journée mouilleuse. Une nuit, une soirée mouilleuse. Un été, un automne mouilleux. Une région mouilleuse.
Qui annonce ou indique un temps de pluie.
Un vent, un ciel mouilleux.
SYN. pluvieux.
Il fait un temps mouilleux depuis plusieurs jours, ce qui và [sic] causer un certain retard dans la fénaison [sic], qui n’est pas encore achevée dans les environs de la ville, où les terres sont presque toutes en foin; et aussi dans la maturité des blés, qui avec quelques jours de beau temps seraient prêts pour la faucille. 1835, L’Écho du pays, Debartzch, 3 septembre, p. [2].
Beau temps mais chaleur très forte, la nuit a été mouilleuse. Nous voilà à l’entrée de cet affreux portage que j’ai appelé le Portage des Martres. Je ne sais comment mon pauvre Xavier peut transporter son canot dans de pareils abîmes. 1866, L. Babel, dans H. Tremblay (éd.), Journal des voyages de Louis Babel 1866‑1868, 1977, p. 31.
– Tu parles d’un maudit temps de chien… un vrai déluge! Si ça continue, l’automne va être mouilleux pis venteux pas pour rire. Pas chaud à part de ça! Ça sera pas long qu’i’ restera pus de feuilles dans les arbres. La nature va venir ben chétive encore une fois… oua, c’est l’automne… Pis comme de coutume on n’a pas eu d’été. 1982, B. B. Leblanc, Tit-Cul Lavoie, p. 25.
Tu ne dis pas : encore un autre soir, encore un autre jour. Tu vas soulever un bras, puis l’autre, une jambe, puis l’autre. Tu vas soulever le ventre parcouru d’un frisson chaud. Tu ne dis pas : encore demain ou pas demain. Le chemin parcouru se poursuit. Il avance d’un pas de plus, maintenant qu’il pleut, dans cet air mouilleux du jour, tombé depuis, où cela est maintenu, maintenant tenu. 1987, P. Paré, Hôtel des Grandes Écoles, La Nouvelle Barre du jour, no 206, p. 60.
Le temps, voilà le grand inconnu, le sujet de toutes les conversations dans ce pays mouilleux et brumeux du Bas de Québec. Une semaine complète de temps clair est un phénomène exceptionnel dont on se souvient longtemps. 2004, V. Dubé Ouellet, Fleuris là où tu as été semé, p. 219.
Bien que son dossier lui fermât la porte, Bella se présenta à la suite des autres et entra dans le bureau du secrétaire de l’Institut par un après-midi frais et mouilleux. Une première surprise : l’homme avait la soixantaine avancée et, sans tourner la tête, occupé à lire une partition, lui avait crié d’entrer. 2011, L. Haché, Le dernier gérant des Robin, p. 53.
« Ici, un bon mélange luzerne-graminée produit plus de lait que de la luzerne pure, dit [un producteur laitier]. On en a eu la preuve l’an dernier. C’était mouilleux en juin et on avait fauché un peu tard. La luzerne était donc plus longue que d’habitude. […] Il y avait plus de restants et la production était un peu moins bonne. » 2023, Le Producteur de lait québécois, juillet-août, p. 21.
mouiller (sens I.1).
Neige mouilleuse : syn. de neige mouillante.
Le marché de samedi dernier a été gâté par une neige mouilleuse qui durait depuis la veille, empêchant un grand nombre de cultivateurs de se rendre à la ville. 1903, Le Prix courant, Montréal, 10 avril, p. 12.
Quand la neige est dite « mouilleuse », les enfants s’amusent à faire des boules de neige qu’ils piquent ensuite aux branches des arbres. La gelée les solidifie et tout l’hiver on a le spectacle d’une végétation assez curieuse. 1980, M. Doyon-Ferland, Jeux, rythmes et divertissements traditionnels, p. 72.
Malheureusement, la neige « mouilleuse » et lourde avait fait plier les arbres en travers des chemins, rendant la circulation impossible. Dans le chemin qui menait au camp Dufferin sur le bord du lac portant le même nom, les arbres étaient rabattus comme des arches en travers du chemin. 2002, R. Blackburn, Progrès-dimanche, Chicoutimi, 20 octobre, p. A68.
« J’ai marché dans de la grosse neige. À un moment donné, il y avait un pied et demi de neige mouilleuse. J’étais épuisé et trempé jusqu’aux os […]. Il est rendu 15 h 30. T’es dans le bois. Tes traces sont effacées par la neige. Tous les arbres sont blancs. Des repères, il n’y en a plus. Complètement épuisé, je suis tombé deux fois à plat ventre. » 2016, Le Manic, Baie-Comeau, 7 décembre, p. 5.
Histoire
De mouiller, suff. -eux/-euse, qui forme des adjectifs indiquant la présence de qqch. et pouvant impliquer l’idée d’abondance (v. TLF, s.v. -eux/-euse).
I1Depuis 1824 (Journal of the House of Assembly, Lower-Canada, 4 mars, p. 334 : La nature du sol consite [sic] en marécages, marais et terreins [sic] mouilleux). Cet emploi n’est pas inconnu en France, mais on ne le relève là-bas que depuis 1873, soit près de cinquante ans après l’apparition du sens en français québécois (FEW *mŏlliare 63, 46b). Absent de la plupart des dictionnaires usuels à l’exception de Larousse (en ligne) (« Se dit d’un terrain ayant tendance à rester excessivement humide »), cet emploi semble surtout restreint en France au vocabulaire spécialisé de l’agriculture (LittréS; v. aussi Guérin, Besch 1892, Quillet 1937‑1948 et Larousse 1982, qui enregistrent le mot avec la marque « Agric. »). Il est fort probable qu’il s’agisse d’un héritage des parlers de France : le fait que mouilleux « très humide, en parlant du sol » ait été relevé en Suisse romande (PierrNeuch) et en Acadie (Mass no 8) permet de supposer que cet emploi a eu cours anciennement sur le territoire de la France. 2 Depuis 1897. Cet emploi a été également signalé en Suisse romande, et ce, dès le début du XVIIIe s. (FEW id.; RézApp 369), indice qu’il pourrait s’agir – encore là – de survivances des parlers de France.
II1Depuis 1775 (A. Foucher, Journal tenu pendant le siège du fort Saint-Jean, 21 septembre, cité d’après BRH, vol. 40, no 3, 1934, p. 142 : La nuit a été mouilleuse et froide). Comme pour le sens I.2, cet emploi a été signalé en Suisse romande dès le début du XVIIIe s. (FEW id.; v. aussi PierrNeuch, qui cite notam. un ex. de 1707 au sens de « pluvieux » : Ce mois a été trop mouilleux). 2Depuis 1868 (L. Babel, dans H. Tremblay (éd.), Journal de voyage de Louis Babel 1866‑1868, 1977, p. 67 : Neige mouilleuse et nous sommes dans les portages). Cet emploi est probablement une innovation du français québécois qu’on peut mettre en relation avec les dénominations voisines neige mouillée (aussi attestée en France) et neige mouillante, de même sens.