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MORUE [mɔʀy]
n. f.

Rem.

Variantes graphiques : (anciennement) mourue, molue, molluemoulue (voir Histoire).

1

(Surtout chez les pêcheurs du golfe du Saint-Laurent). Morue barbue ou, par ellipse, barbue : nom donné à des poissons marins apparentés à la morue, en partic. à l’ogac (Gadus ogac), pourvu d’un fort barbillon sous le menton, et à la merluche (genre Urophycis), à nageoires pelviennes en forme de filaments.

Rem.L’ogac est aussi connu sous le nom de morue de roche (voir sens 2).

Ce poisson du genre Phycis, bien connu sur nos côtes, sous le nom de barbue, n’a pas la délicatesse des deux espèces précédentes. Il diffère surtout de la morue et de l’aigrefin par ses longues nageoires ventrales fourchues et son corps plus élancé. [...] On le prépare peu pour l’exportation, mais il est bon mangé frais. 1863, Rapports annuels de Pierre Fortin pendant les saisons de 1861 et 1862, p. 118.

Car ce ne serait pas d’hier, ni d’il y a trois, quatre ans que le marsouin s’est constitué le féroce ennemi de la morue franche, barbue ou autre. 1934, Le Terroir, août, p. 4.

La pêche, en Gaspésie, fournit au moins une quinzaine d’espèces de poissons, de crustacés et de mollusques comestibles. [...] Nous avons, en effet, vendu du saumon et de l’éperlan, des filets de morue, d’églefin, de barbue et de sole de Gaspé, de la morue et de l’églefin, du flétan, du maquereau, du hareng et du homard. 1936, L. Bérubé, dans Le Canada français, vol. 23, p. 754.

(Acadie). Mon père a shippé à l’entour de [« aux alentours de »] 1400 livres de barbue. C’était pas de la morue, c’est une qualité plus basse qu’elle, que la morue. 1950, Saint-Raphaël-sur-Mer (Nouveau-Brunswick), AFEUL L. Lacourcière 916 (âge de l’informateur : 26 ans). 

2

Région.(Surtout Basse-Côte-Nord). Morue de roche : nom donné à l’ogac (Gadus ogac).

Rem.Ailleurs, mieux connu sous le nom de morue barbue (voir sens 1).

Bien que la Morue de roche soit moins abondante que la Morue commune (Gadus callarias), on peut en prendre plusieurs quintaux par année entre Harrington et Blanc-Sablon. Sur le marché de la Morue sèche, où les poissons de taille plus grande rapportent un meilleur prix, on ne voit pas de Gadus ogac. Les spécimens de cette dernière espèce, de taille beaucoup plus petite, sont souvent considérés comme de jeunes individus de la Morue commune, et, conséquemment, ne sont pas en demande sur le marché. [...] Au dire des pêcheurs, la Morue de roche reste toute l’année le long de la Côte-Nord, contrairement à la Morue commune qui ne séjourne qu’une partie de l’année dans le golfe. 1945, V. D. Vladykov, dans Le Naturaliste canadien, vol. 72, nos 1-2, p. 29.

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Vieilliou région.(Notam. dans la région de Québec). Petite morue : nom donné au poulamon.

De la petite Moulue. Ce poisson est ainsi appellé à cause du grand raport et de l’entiere ressemblance qu’il a avec la grande moulue et plusieurs pensent que veritablement c’est cette telle moulue qu’on prent en tant d’endrois du Canada, qui venant de la mer ce vient renger sous nos glaces du Canada pendant le plus grand froit de ce pays en sorte que depuis 3 ou 4 ans on en a descouvert la pesche qui se fait sous la glace depuis Baptiscan jus[ques] au 3 Rivieres dans l’espace de 6 a 7 lieues [...] de maniere q[ue] beaucoup d’habitans, s’ils s’attachent a cette pesche, ne manquent pas d’en saler des barriques entieres. 1675 env., L. Nicolas, Traitté des poissons, Anc, ms. 12223, fo [80].

[...] vers les Trois-Rivières on prend un petit poisson qui est très-bon en friture, que l’on appelle petite morue; on le dit de même espèce que les grandes morues; je ne le crois pas. 1757, Bougainville, « Mémoire sur l’état de la Nouvelle-France », dans RAPQ 1923-1924, p. 56.

La petite morue, à cause de sa petite taille et de la nature molle de sa chair, n’est pas susceptible d’être transformée en préparations salées. Elle doit, par conséquent, être mangée fraîche, et pour cette raison ne peut souffrir un transport éloigné pendant la saison de l’été. Il n’y a qu’en hiver, lorsqu’elle est gelée et qu’on l’éloigne autant que possible du contact de l’air, qu’elle est susceptible de se conserver tant que la température de l’air se tient basse. 1864, P. Fortin, dans Appendices des pêcheries du rapport annuel pour 1863, p. 74.

A Québec, la pêche à la petite-morue commence aux Rois, comme à Trois-Rivières, mais elle ne se fait qu’à la ligne, dans la petite rivière Saint-Charles, depuis son enbouchure [sic] jusqu’à l’hôpital de la Marine. Le poisson arrive à heure fixe, avec une exactitude quasi officielle. Vous l’attendez à coup sûr, dans une maisonnette chaudement installée sur la glace, au milieu d’un groupe d’amis, ou en famille, distribués dans deux ou trois pièces meublées, qui jouant aux cartes, qui devisant de politique, qui vidant un verre, à côté des pêcheurs de vocation occupant en vis-à-vis deux bancs de dix à douze pieds de longueur, donnant sur une coupe de même longueur et d’une largeur d’un peu plus d’un pied, pratiquée dans la glace. 1897, A.-N. Montpetit, Les poissons d’eau douce du Canada, p. 169.

On irait fére des tours à l’Île-aux-Grues, pis on irait à pêche. On ramènerait d’la p’tite morue en masse à maison. 1981, M. Laberge, C’était avant la guerre à l’Anse à Gilles, p. 64.

(Variante d’auteur, d’après petit poisson des chenaux). Petite morue des chenaux.

Aux aliments végétaux [consommés par les Autochtones] s’ajoutaient le gibier [...] et les nombreux poissons d’eau douce, sans oublier la petite morue des chenaux que l’on pêchait l’hiver à travers des trous dans la glace. 1957, J. Rousseau, dans Les Cahiers des Dix, no 22, p. 195.

Histoire

Les variantes mourue, molue et moulue sont bien attestées dans l’histoire du français (v. CatOrth, s.v. morue); les formes avec ou sont relevées aux XVIe et XVIIe s. et celles avec l du XVIe au XVIIIe. Les premières s’expliquent par une hésitation entre [o] et [u] qui est représentée au Québec dans un grand nombre de mots (colombage, froment, poche, rôtir, etc.) du début du Régime français jusqu’au milieu du XIXe s. (v. JunPron 15-20, qui relève la graphie mourue de 1675 à 1852); molue, relevée au Québec de 1653 à 1758, résulte d’une hésitation entre [ʀ] et [l] en position intervocalique (ibid. 161), hésitation qui pourrait remonter jusqu’au latin dans le cas de ce mot (moruca / moluca, v. CatOrth). Ces diverses variantes de prononciation du mot morue se sont maintenues longtemps dans les parlers de France (v. FEW lūcius 5, 436).

1Depuis 1863. Se rattache à un emploi qui a été relevé en français du XVIIIe s. jusqu’au XXe; l’appellation morue barbue a en effet servi à désigner des poissons apparentés à la morue (famille des gadidés) et possédant un barbillon développé, par exemple la lingue (v. RollFaune 11, p. 218; Larousse 1897-1928). Morue barbue est une appellation qui a cours, sans doute depuis longtemps, chez les pêcheurs terre-neuviers (v. LaMPêche 1380; v. aussi BrassSPM) et c’est à leur contact que les pêcheurs canadiens l’ont appris, en l’appliquant à d’autres poissons de la famille des gadidés, comme l’ogac et la merluche. Robert 1985 (s.v. morue) relève morue barbue avec le commentaire suivant : « se dit abusiv[emen]t au Québec pour merluche »; cette remarque de Robert paraît peu pertinente compte tenu que morue barbue est un nom vernaculaire et que, à ce titre, il n’a pas à satisfaire aux exigences de la terminologie scientifique (le terme qui a été normalisé au Québec dans la terminologie des produits de la pêche est merluche, v. BNQ-Pêches2 26, et OLF-Avis4, no 970). 2Depuis 1945. Probablement d’après l’anglais nord-américain rock cod qui se dit de diverses espèces de morue, dont l’ogac (v. Craigie : « A variety of true cod found on rocky bottoms and leDGes »; Mathews, s.v. rock; Webster 1986; DNE; v. aussi B.W. COAD, Guide des poissons marins de pêche sportive de l’Atlantique canadien et de la Nouvelle-Angleterre, 1993, p. 188, qui relève morue de roche et rock cod parmi les noms vernaculaires de l’ogac). 3Depuis 1675 environ. Petite morue a été relevé en France au XIXe s. comme appellation pouvant s’appliquer à différentes espèces de poissons de petite taille de la même famille que la morue (v. RollFaune 11, p. 218-219; Dupiney 1864, s.v. gadoïdes : « Le Dorsch, ou Petite Morue, appelé à Paris Faux Merlan [...] »; Larousse 1866; Besch 1892); le fait que petite morue soit relevé au Québec depuis le XVIIe s. (en parlant du poulamon) indique qu’il s’agit d’une appellation ancienne en France. Son existence en français du Québec a été remarquée au XVIIIe s. par Duhamel du Monceau, inspecteur général de la marine de France, qui a décrit, dans son Traité général des pesches (3e section, 1769, p. 19), la pêche au petit poisson ainsi désigné qui se pratiquait au Canada : « Pêche qui se fait dans le Fleuve S. Laurent, au-dessus de Quebec, pour prendre un petit poisson gros comme un Eperlan, que les habitants nomment petite Morue. Cette Pêche se fait dans le courant du mois de Janvier. 

Version du DHFQ 1998
Trésor de la langue française au Québec. (1998). Morue. Dictionnaire historique du français québécois (2e éd. rev. et augm.; R. Vézina et C. Poirier, dir.). Université Laval. Consulté le 30 août 2024.
https://www.dhfq.org/article/morue