MANCHE1 [mɑ̃ʃ]
n. f.
Pièce d’habillement qui recouvre le bras.
(Souvent dans manche sauvage). Ancienn., manchette de peau ou d’étoffe, d’inspiration amérindienne, utilisée comme vêtement de protection contre le froid.
Et à l’instant du present inventaire s’est presenté Jacques le Sot, habitant de la seigneurie de Beaupré, lequel a reclamé certaine pouche de toille cy devant inventoriée avec une robe de castors [...], huict paires de manches et quatorze castors, disant les dits castors luy appartenir [...]. 1669, Québec, BAnQQ, gr. M. Filion, 30 juillet, p. [11].
Pendant les chaleurs de l’été, les hommes [amérindiens] ne portaient d’autre vêtement qu’un brayer, descendant depuis le milieu du corps jusqu’aux cuisses; pendant l’hiver, ils s’enveloppaient d’un manteau fait de peaux d’ours, de cerf ou de castor. Ils y joignaient de longs bas ou mitasses, montant jusqu’à la ceinture, et des manches qu’ils attachaient avec des cordons sur le dos du manteau. 1861, J.-B.-A. Ferland, Cours d’histoire du Canada, 1re partie, p. 121-122.
Nous empruntons d’autres choses à l’Indien. Les manches sauvages, par exemple, sont à la mode, au XVIIe siècle. [...] la manche sauvage n’est qu’une sorte de mitasse couvrant le bras et l’avant-bras. 1968, R.-L. Séguin, Le costume civil en Nouvelle-France, p. 6.
DisparuBouton à manche : bouton de manchette.
2023, TLFQ, Boutons de manchettes (« boutons à manches ») [photo].Rem.À la même époque, on disait aussi bouton de manche, comme en France (voir Histoire).
Deux paires de petits bouttons d’argent plats a manches. 1709, Québec, BAnQQ, gr. P. Rivet, 5 février, p. [14].
Une paire de bouton à manche d’argent et des boucle aussi d’argent. 1808, Saint-Thomas (Montmagny), BAnQQ, gr. N.-G. Boisseau, 27 avril, p. [7].
Par ext.Pièce d’habillement qui recouvre la jambe.
VieilliJambe (d’une culotte, d’un caleçon).
loc. adj. Pop.À manches, à manches longues, à grand’ ou à grand-manches : à jambes longues, demi-longues.
Caleçons, combinaisons à manches longues. Culottes à grand’ manches.
– Y a-t-il encore des robes noires dans le pays? – Mieux que ça, il y a des robes entraves [« entravées »]. – Qu’est-ce que c’est que ça? – C’est comme qui dirait une créature qui se met les deux pattes dans une seule manche de culotte, sous votre respect. 1912, La Presse, Montréal, 20 avril, p. 8 (chron. humor.).
Nous nous habillons chaudement. Deux paires de bas dans les mocassins. Deux gros gilets de laine. Des sous-vêtements longs; que je n’ai pas appelés depuis longtemps des « culottes à grand’ manches ». 1976, J. Garneau, La Mornifle, p. 112-113.
[...] elle [ma mère] nous contrôlait constamment, jusqu’à soulever nos jupes pour vérifier si nous avions bien mis nos culottes à grand-manches. Je les mettais toujours. Ma sœur, jamais. 1980, Châtelaine, février, p. 110.
La jeune voyante se mit à se rouler sur le sol, à crier fort, à déchirer la jupe de la voisine, à s’agripper (euh...) aux combinaisons à manches longues du curé porteur de crucifix, à se faire des mea-culpa... 1981, R.-G. Bujold, La sang-mêlé d’arrière-pays, p. 272-273.
Région.(Surtout à l’est de Québec). Tige (d’une bottine, d’une botte).
Botte à manche : botte à tige haute et souple; (spécial.) sorte de mocassin dont la tige couvre la jambe jusqu’au genou.
Fig., fam.
(Pour souligner que qqch. est tout à fait différent de qqch. d’autre). C’est pas (ou ce n’est pas, ça n’est pas) la même paire de manches (que) : ce n’est pas la même affaire, la même chose (que). C’est deux paires de manches : ce sont deux choses bien différentes.
Rem.On dit aussi c’est une autre paire de manches, comme en France.
– Joson : J’sais pas quelle idée on avait eue de se coller des frusques japonaises, car ces nippes-là ne sont plus de mise à la cour depuis qu’en 1835 l’impératrice du Japon et sa suite sont apparues pour la dernière fois en public revêtues de ce joli costume du passé. [...] – Josette : Les costumes, tu sais, c’est sans comparaison comme le mariage; sur les images et dans la réalité, c’est pas la même paire de manches, comme on dit. 1937, A. Bourgeois, Voyage autour du monde de Joson et Josette, 14 février, p. 3 (radio).
Mon héroïne de roman, Rosalba Friquet, a ses aventures et vous, vous avez les vôtres, et ça, c’est deux paires de manches, comprenez-vous! 1945, J. Bernier, Coupable ou non?, [7 janvier], p. 3 (radio).
Harponner un canot d’écorce, ça n’est pas la même paire de manches que de couler un cuirassé. 1983, B. B. Leblanc, Variations sur un thème anathème, p. 137.
(Pour souligner que qqch. est tout à fait semblable à qqch. d’autre). C’est la même paire de manches (que) : c’est la même affaire, la même chose (que).
Dans la cuisine, dans la politique, dans l’art, dans la guerre, ça ne fait pas de différence. [...] Mais [...] rapport à la suppression de la guerre, c’est la même paire de manches que pour le fricot, Josette. 1942, A. Bourgeois, Voyage autour du monde de Joson et Josette, 25 janvier, p. 2; radio.
Dans la manche de qqn : dans les bonnes grâces de qqn. (Avec un verbe dont le sujet désigne une personne qui bénéficie de la bienveillance, de la confiance d’une autre personne, souvent au point de pouvoir en disposer à son gré).
Être, rentrer, tomber dans la manche de qqn.
Rem.Connu également en France, mais ne paraît pas y être aussi courant qu’au Québec (voir Histoire).
(Avec un verbe dont le sujet désigne une personne qui fait bénéficier une autre personne de sa bienveillance, de sa confiance).
Avoir, prendre qqn dans sa manche.
Rem.S’emploie également, comme en France, avec un sujet désignant une personne qui bénéficie de la bienveillance, de la confiance d’une autre personne (p. ex. dans : il a le patron dans sa manche, ou dans : elle a ses élèves dans sa manche, ils font tout ce qu’elle veut).
Quand il vit cela, v’là mon François qui se met à faire faire connaissance à mon cousin l’avocat, avec le bourgeois; et petit-à-petit, v’là mon cousin qui se pousse dans la manche du bonhomme. C’était une consulte par-ci, un mot par-là. Puis le bonhomme lui passe une petite affaire par-ci, une petite affaire par-là : enfin, il s’apperçut [sic] que mon cousin l’avocat était justement l’homme qu’il lui fallait [...]. 1853, P.-J.-O. Chauveau, Charles Guérin, p. 235.
Excusez-moi, bon saint Antoine, Si j’vous arriv’ de but en blanc [...]. [...] Pensez donc qu’me v’là pus d’ouvrage! [...] Priez l’bon Dieu qu’i’ m’donne un’ chance, Vous qu’êt’s dans la manch’ d’notr’ Seigneur. 1939, J. Narrache, J’parl’ pour parler..., p. 107-108.
– Zézette : [...] veux-tu faire ma secrétaire? – Fifine : Ben... comment qu’on fait ça? – Zézette : [...] Bon ben c’est moi le patron... euh... Yvette! Apportez-moi le courrier! – Fifine : Pourquoi que tu m’appelles Yvette? – Zézette : Parce que c’est le nom de la secrétaire de papa... [...] Même que maman l’a pas ben ben dans sa manche la Yvette... parce que papa lui téléphone des fois puis il l’appelle par son petit nom... 1962, O. Légaré, Zézette, 20 novembre, p. 3 (radio).
T’es un bon gars, Artché, j’t’ai toujours eu dans ma manche, tu l’sais. C’est pas aujourd’hui que j’vas t’lâcher parce que t’es dans marde jusqu’au cou. J’suis pas un gars comme ça. 1965, A. Major, La chair de poule, p. 166.
[...] le Canadien National s’occupait de l’installation des cent cinquante autres familles [de Sudètes] dans le nord-ouest de la Saskatchewan. Il achetait à leur intention plusieurs des terres mises en vente par les fermiers allemands des environs de Saint-WALBurg [...]. [...] Les directeurs du .c.n. répartirent sagement le capital qu’ils administraient [...]. Ce n’est pas l’avis de tous les Sudètes. On vit chez eux ce qu’on voit en tout pays de colonisation. « Un tel a reçu plus que moi pour son argent. Mon voisin doit être dans la manche des c.n. Voyez, il a trois chevaux quand je n’en ai que deux! » 1978, G. Roy, Fragiles lumières de la terre, p. 71-72.
(Dans le voc. des sports).
Au baseball, chacune des périodes réglementaires de jeu d’un match, au cours de laquelle les deux équipes ont tour à tour l’occasion de frapper la balle et de marquer des points.
Lancer une manche : servir la balle aux frappeurs de l’équipe adverse pendant la durée d’une manche.
Rem.Un match de baseball se joue en neuf manches; en cas d’égalité après la neuvième manche, il se prolonge au-delà.
Le club des Trois-Rivières a inauguré la saison de base-ball, dimanche après-midi, en jouant avec Grand’Mère, devant une assistance de 250 personnes environ. À cause de deux erreurs dès la première inning, le club local perdit la partie et Grand’Mère fit deux points dès la première manche. 1921, Le Nouvelliste, Trois-Rivières, 2 mai, p. 3.
Profitant du beau temps, les porte-couleurs locaux s’entraînaient tous les soirs avec le deuxième club, de façon à être fin prêts pour le match de l’année. On dorlotait le lanceur, on l’incitait à ne pas trop fatiguer son bras qu’on couvrait entre chaque manche d’une couverture de laine, même si le mercure flirtait avec des records. 1978, B. B. Leblanc, Les trottoirs de bois, p. 45.
La foule [...] finit par s’agiter : la première manche ne pouvait vraiment plus attendre. Le match de base-ball final de la saison allait mettre aux prises les deux meilleures formations de la ligue, celle du collège de Lévis et celle du petit séminaire de Québec. 1993, V. Nadeau, Nous irons tous à Métis-sur-Mer, p. 25.
VieuxAu hockey, chacune des subdivisions réglementaires d’un match (normalement au nombre de trois), d’une durée de vingt minutes de jeu chronométrées.
Rem.Le terme usuel est période.
Une partie de hockey s’est jouée hier soir, à l’Arena. [...] Après s’être assuré une avance de deux points à la première période, les gars de la vallée du Saguenay s’efforcèrent de réduire à néant les attaques des Québécquois [sic]. La deuxième manche ne fut productive d’aucun changement dans la situation. 1923, Le Soleil, Montréal, 4 janvier, p. 3.
Les Leafs ont dû avoir recours aux services de deux gardiens de buts hier soir car vers la fin de la première manche, alors qu’il restait quatre minutes de jeu, Rollins vint en collision avec Pete Horeck et fut blessé au genou, blessure qui obligea ce cerbère à se retirer du jeu. 1951, Le Devoir, Montréal, 29 mars, p. 7.
Histoire
I1Depuis 1669. Cet emploi précis n’a pas été relevé comme tel ailleurs qu’au Canada, mais le mot manche a connu en français divers emplois voisins; cp. par exemple fausse manche « manche que les femmes attachent par-dessous l’autre pour avoir plus chaud aux bras » en français des XVIIe et XVIIIe s. (v. FEW manĭca 61, 207a; v. aussi Fur 1690 : « On appelle des fausses manches [...] de doubles manches de ratine, & doüate, qui sont postiches, pour tenir plus chaudement les bras »); cp. encore fausse manche ou manche « pièce de vêtement isolée, semblable à la manche attachée au vêtement et qui se met par-dessus celle-ci, soit pour l’orner, soit pour la protéger », attesté en français depuis Fur 1690 (v. FEW 61, 207, GLLF, s.v. manche2, et Robert 1985, s.v. manche1). Tous ces emplois sont issus, par spécialisation, de manche « partie du vêtement dans laquelle on met le bras », qui a cours en français depuis le XIIe s. (v. FEW 61, 206b). 2Depuis 1709 jusqu’à 1808. Variante de bouton de manche, lequel est attesté dans le même sens en français depuis 1716 (dans un document canadien, v. ParVerr 33; dans la documentation française, seulement depuis Laveaux 1820, s.v. bouton), mais qui n’est plus guère en usage de nos jours (tant au Canada qu’en France, v. par ex. TLF, s.v. manche2).
II1 Depuis 1912. Héritage des parlers de France. Relevé en Savoie (caleçon à manches longues, v. BrussSav 104); cp. par ailleurs mans kilot « jambe de pantalon » et kilot gran mans « pantalon long » en créole réunionnais (v. BaggRéun 202). 2Depuis 1970 (d’après PPQ 1933 et 1953). N’a pas été relevé comme tel ailleurs qu’au Québec; cp. néanmoins manchette de botte « espèce de genouillère de toile interposée entre la chaussure et la culotte », attesté en français de France depuis le début du XIXe s. mais considéré comme vieux de nos jours (v. TLF, s.v. manchette, et FEW 61, 209b).
III1Depuis 1937. Variante de c’est une autre paire de manches, expression attestée dans le même sens en français depuis le XVIIe s. (v. FEW 61, 208b). 2Depuis 1853. L’expression être dans la manche de qqn « être dans les bonnes grâces de qqn » figure dans quelques dictionnaires français depuis la fin du XIXe s. (v. Besch 1892, Larousse 1928 et 1960, Quillet 1937-1948, DFV 1975 et GLLF, s.v. manche2), mais elle ne paraît guère courante en France (les autres dictionnaires qui relèvent cette expression lui donnent plutôt le sens d’« être à la disposition de qqn pour servir ses intérêts », emploi qu’ils attestent depuis le XVIIe s. et qu’ils donnent comme vieilli; v. par ex. FEW 61, 207b, et Robert 1985, s.v. manche1); ailleurs qu’au Canada, elle paraît être courante également en Belgique (v. PohlBelg, s.v. manche1, et BaetBrux 386). L’expression avoir qqn dans sa manche est également en usage en France, mais toujours avec un sujet désignant une personne qui bénéficie de la bienveillance, de la confiance d’une autre personne (depuis le XVIIe s., v. FEW id., et TLF, s.v. manche2; donnée comme vieillie dans PRobert 1993, s.v. manche1).
IV1Depuis 1912 (BlanchGarde1 32, qui le recommande pour traduire l’anglais américain inning). Attesté également en français de France (Deux équipes de 9 joueurs s’affrontent en 9 manches, v. RobSports, s.v. base-ball), mais n’y est pas vraiment en usage (pour traduire inning, les dictionnaires de traduction non canadiens proposent plutôt tournée ou tour de batte, v. par ex. LarFrAngl 1979 et Harrap 1983, s.v. innings, CollinsR 1995). Découle de manche « une des parties liées (d’un jeu) que les joueurs ont convenu de jouer », attesté en français depuis le début du XIXe s. (v. FEW 61, 209a); cp. par ailleurs manche « fraction d’un match divisé en plusieurs parties (set au tennis) » dans Larousse 1949 (d’après FEW id.). 2Depuis 1923.