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JOUALVERT [ʒwalvɛʀ]
interj. et n. invar.

Rem.

Variantes graphiques : joual vert, joual-vert.

I

interj. Fam.Exclamation servant à exprimer tantôt l’irritation, l’exaspération, la colère, tantôt l’étonnement, la stupéfaction.

 (Avec valeur intensive, pour renforcer une propos. exclamative introduite par que).

Joualvert qu’il y a du monde!

Et comme de raison que la servante, elle, qui est encore là, qui travaille encore, elle entend parler de ça [qu’on veut tuer le cheval]. Elle aime les animaux comme le diable. – Maudasse, elle dit, ça a-tu du bon sens, elle dit, il y avait trois pommiers, elle dit, ils les ont fait couper, elle dit, un beau cheval, faut qu’ils le tuent. Ah joualvert! 1949, Baie-Saint-Paul (Charlevoix-Ouest), AFEUL, L. Lacourcière 805‑806 (âge de l’informateur : n. d.).

– Martha : Jarmaine! Tu me reconnais pas! Moi, je suis Martha! La Martha des bar-b-q, Martha ta compagne de classe... [...] – Jarmaine : Ah! ben, joalvert [sic]! Ça parle au diable! 1973, A. Ricard, La vie exemplaire d’Alcide 1er, le pharamineux, et de sa proche descendance, p. 154.

Pourquoi pas les Cyniques, Clémence, Moreau, Sol? Pour ce qui est de la chanson, un petit Félix, un Vigneault, un Gauthier, Calvé, Renée, Pauline, Zabé. N’importe quoi de chez-nous, joualvert! Quand on revient des USA, ça fait du bien d’entendre sacrer dans notre langue. Enfin la décolonisation est pas encore pour cette année. 1974, Cl. Landré, La Presse, Montréal, 19 décembre, p. A4.

Joual vert, j’m’en vas être en r’tard à matin. Déjà huit heures, vite, faut que j’me dépêche... 1980, Le Théâtre de Quartier, Un jeu d’enfants, p. 59.

– Combien d'enfants avez-vous eus? la questionna Anne-Marie. – Trois... La cigogne a arrêté de passer après la troisième. Jai deux gars pis une fille, pis y restent toutes à l'autre bout du monde, joualvert! Bertrand reste à Vancouver, Charles à Mont-Laurier pis Solange à Val-Cartier. 2009, L.‑Fr. Dutremble, La vieille laide, t. 2, p. 168.

J’ai examiné le ventre de l’animal, qu'aucun souffle n’animait plus, et j'ai murmuré joualvert, Alberte, où c’est que t’avais la tête, tu sais ben que ça roule en fou, par icitte, puis j'ai juré contre les véhicules qui font s’accumuler les carcasses sur le bord de nos routes, printemps été automne hiver, calvaire, printemps d’abord, printemps surtout, en soulevant dans leur vrombissement des vents mortels. 2017, A. A. Michaud, Routes secondaires, p. 85.

II

n. invar. Fam.

1

(Comme terme d’insulte ou d’affection, pour qualifier une personne dont le comportement irrite, agace, étonne, surprend).

Mon petit, mon gros joualvert!

Le joual vert, ça parle au joual vert, ah ben mon joual vert. Le joual vert, c’est probablement le Québécois qui est en joual vert de se faire piler sur les pieds chez lui comme ça depuis deux cents ans. 1966, G. Godin, Le joual vert, dans A. Gervais (éd.), Écrits et parlés I, vol. 1, 1993, p. 57.

– ‘Stie qu’il a eu peur, hein, Claude? As-tu vu la face qu'il a faite quand il nous a vus sortir? J’pensais qu'il allait chier dans ses culottes…! Faut dire que tu l’avais mis en confiance. Tu vas pouvoir te vanter de pogner, mon joual vert! 1999, D. Martin, La solitude est un plat qui se mange seul : fabulations, p. 91.

Il aimait raconter le jour où il avait coupé une des deux longues tresses de cheveux de la petite voisine de 5 ans, qui avait hurlé à fendre l’âme et dont la mère était sortie enragée sur la galerie, balai à la main en criant : – J’vas te tuer si je t’attrape, mon p’tit joualvert de vaurien! 2015, L. Lanoue, Le grand défi : Marie-Titine, p. 12‑13.

2

(Dans des loc. à valeur intensive). Joualvert de.

(Précédé ou non d’un déterminant, renforçant une épithète qui suit). Mon joualvert d’achalant! Une joualvert de belle maison!

(Renforçant une négation). Il disait pas un joualvert de mot.

 En joualvert

(En fonction adv., renforçant un verbe ou un adj. qui précède). Il travaille en joualvert! C’est beau en joualvert! Ça paraît bien en joualvert!

(En fonction attribut). Être, se mettre en joualvert, en beau joualvert, en colère, dans une grande colère.

Ne crie donc pas si haut [/] Tu dois t’aperce-oùere [/] Qu’Laramée joue en joual-vert. 1938, Le Droit, Ottawa, 30 septembre, p. 13 (chanson humoristique).

– Mère : N’empêche que [les résultats du vote] ça s’annonce mal... – Julia : [...] Ouais, ça s’annonce mal en joual vert! [...] – Fleurange : Ça doit être le vote des snobs de la paroisse de Saint-Armand qu’ils ont compté en premier. 1945, Gr. Gélinas, Le candidat du peuple (sketch), Fridolinons ’45, p. 10 (radio).

– L’animateur : Vous mainteniez le fait français face aux Anglo-Saxons? – Le balayeur : Garanti!... On leu parlait à nos foremen, mais y comprenaient pas un joual vert de mot... 1962, Al. Brie, dans M. Couture et collab., Chez Miville, p. 83.

Un charmant petit moineau qui passait pa[r] là lui échappa quelque chose sur la tête. Le petit chaperon rouge était en beau joualvert. Il grimpa dans l’arbre où était le nid de l’oiseau et d’un solide coup de poing effouara trois petits bébés moineaux. 1969, Les Cyniques, Le petit chaperon rouge, dans L. Mailhot et D.‑M. Montpetit, Monologues québécois 1890‑1980, 1980, p. 211.

Tu commences à m’tomber pas mal sur les nerfs [/] Tu f’rais mieux d’surveiller ton vocabulaire [/] Tu vas finir par me mettre en beau joual vert [/] Oublie pas que j’couche avec mon revolver [...]. 1972, L. Plamondon, Rill pour rire (chanson), dans J. Godbout, Plamondon, un cœur de rockeur, 1988, p. 162.

[...] j’ai rien contre le rêve de temps en temps, mais moé j’sais ben que si Pit se mettrait à me dire le quart d’la moitié de ce que les hommes disent aux femmes dans les vues, j’me tordrais de rire en joual vert! J’aime mieux rêver devant la télévision, pis agir dans’ vie, crisse! 1973, M. Tremblay, C’t’à ton tour, Laura Cadieux, p. 106.

Je me suis tourné vers la voix en question. L’interlocuteur était pas mal plus costaud que moi; son allure impressionnante m'a fait baisser le ton. [/] – Monsieur le Juge, votre jugement est juste. C’est un jour de fête aujourd’hui et v’la-t-y pas que j’monte sur mes grands chevaux pour un joual vert de cruchon d'sirop. 1999, L. Thériault, Histoires innocentes et coupables, p. 128.

Pas de doute, à ce moment-là, il y a pas personne qui avait l'air content dans la cordonnerie. C'est pour ça, mononcle, que je dis que je pense pas que ça soye une bonne solution, la visite de grand-père. Pis pour personne à part de ça. En plus, cette chicane-là s’est passée juste avant que moman vienne nous rejoindre dans la cuisine, quand j'ai dit qu'elle était en beau joual vert... Oups, excusez-moi. J'suis pas vraiment poli, moi là. 2017, L. Tremblay-D’Essiambre, Une simple histoire d’amour, t. 2, p. 114.

Histoire

De joual, et vert, d’après le sacre calvaire dont il constitue une forme atténuée dans laquelle on remplace la première syllabe du sacre par un élément non blasphématoire et on réinterprète la dernière syllabe comme la couleur vert afin de maintenir la résonance finale (v. LégSacre 33 et 50, PichJur, s.v. vert). Ce modèle a donné entre autres les interjections casse-vert et tabac-vert (dont le premier mot est une atténuation du sacre tabarnac) (v. PichJur, s.v. casse-vert, tabac et tabac-vert). Le juron joualvert s’est implanté dans l’usage d’autant plus facilement que la désignation cheval vert (souvent prononcée joual vert) faisait déjà partie de la culture populaire, notamment en tant que nom de personnages chevalins fabuleux dans des contes traditionnels du Québec et de l’Ontario francophone; vnotamment « Le grand sultan », recueilli à Tadoussac en 1916 auprès d’un témoin de 90 ans, publié dans E. Bolduc, Contes populaires canadiens (troisième série), Journal of American Folklore, vol. 32, no 123, 1919, p. 123‑149; « Le petit cheval vert », recueilli vers 1875, dans G. Lanctot, Contes populaires canadiens (sixième série), Journal of American Folklore, vol. 44, no 173, 1931, p. 264267; v. aussi « Le petit cheval vert », raconté en 1958 à Hagar, en Ontario, transcrit dans G. Lemieux, Les vieux m’ont conté, vol. 12, 1979, p. 164‑172 (la forme joual vert figure à la p. 167). Par ailleurs, à la fin du XIXe s., une bière portait le nom de petit cheval vert (v. L’Étoile du Nord, Joliette, 29 octobre 1896, p. [3] et 13 mai 1897, p. [3]).

IDepuis 1949.

II1Depuis 1966; dès 1926 comme nom fictif d’un parolier dans un texte humoristique (Le Canard, Montréal, 7 février, p. 3). 2Depuis 1938.

Dernière révision : mars 2024
Trésor de la langue française au Québec. (2024). Joualvert. Dictionnaire historique du français québécois (2e éd. rev. et augm.; R. Vézina et C. Poirier, dir.). Université Laval. Consulté le 29 mars 2024.
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