JOUAL, JOUALE [ʒwal], JOUAUX [ʒwo]
n. m. et adj.
Variante graphique : (au pluriel) jouals.
n. m. Variante pop. de cheval.
Atteler, dételer le joual. Un team de jouaux.
Fort comme un joual : très fort.
Rem.Dans ce sens, parfois jouau au singulier.
Je viens ojourdui vous faire cette déclarasion, refuser moi pas hé? ma chair Scolastique. Sans compter que poupa me donne une couchette, 7 moutons du printends, 4 bêtes à cornes, le grand joual gris qui vient do mon oncle François [..]. 1882, Le Canard, Montréal, 16 décembre, p. 2, col. 5.
Moé, j’ai cassé une roue de mon boghei neuf! Mon j’oual [sic] s’est jeté dans le fossé, de peur. 1938, Ringuet, Trente arpents, p. 116.
Toujours, un bon matin, il part, pis il va faire le ménage de ses jouaux, les soigner, pis les étriller. Le joual rouge, il dit : « Coudonc, la guerre est déclarée, il dit, ton roi contre un autre roi, il a dit organise-toi pour t’en venir, pis on va y aller à la guerre, pis on lui faire gagner la guerre à ton roi. » 1965, Saint-Jean-des-Piles (Champlain), AFEUL, P. Carignan 22 (âge de l’informateur : n. d.).
Il y avait pas d’auto, ça c’est clair. Il y avait pas de chemin non plus ici. Ça existait pas ici. Pis, pour pouvoir se servir comme il faut de ce qu’il faisait, bien c’était le canot l’été. Pis, il allait soigner ses malades tout le long, à Carleton et partout, du canotage ou quelqu’un venait le chercher avec un joual qui traversait au banc des Groseilles, pis de là, il venait le chercher avec un joual à selle pour le monde malade d’urgence […]. 1971, Carleton-sur-Mer, S. Poirier 6 (âge de l’informateur : n. d.).
Si on veut arriver avant la nuit, i’ va falloir que mon joual courre plus vite que le soleil. 1974, R. Carrier, Floralie, p. 72.
n. et adj.
n. m. Péjor.(En fonction adv.). Parler joual : parler de façon inarticulée, incorrecte, inintelligible, parler mal; (spécial.) parler le joual (sens 2).
– Par ext.
Écrire, penser joual.
Toutefois, les Français qui reviennent en Nouvelle-France devraient avoir au moins le bon sens et la politesse de nous dire que nous parlons « joual » et que nous écrivons comme des « vaches », mais que nous avons encore assez de goût pour acheter le vin et les livres français [...]. J’ajoute que j’aime autant commercer avec les Français plutôt qu’avec les Anglais, les Américains, les Japonais ou les Allemands. Ce n’est pourtant pas une raison pour qu’ils viennent nous flagorner et nous dire en pleine face que nous parlons le plus pur français de France. La vérité, c’est que nous parlons et nous écrivons fort mal. 1939, Les Pamphlets de Valdombre, avril, p. 193.
J’ai quatre enfants aux écoles, des neveux et nièces, leurs amis : à eux tous ils fréquentent bien une vingtaine d’écoles. [...] entre nous, à peu près tous ils parlent joual. Faut-il expliquer ce que c’est que parler joual? [...] Ça les prend dès qu’ils entrent à l’école. [...] Les garçons vont plus loin; linguistiquement, ils arborent leur veste de cuir. Tout y passe : les syllabes mangées, le vocabulaire tronqué ou élargi toujours dans le même sens, les phrases qui boitent, la vulgarité virile, la voix qui fait de son mieux pour être canaille... Mais les filles emboîtent le pas et se hâtent. Une conversation de jeunes adolescents ressemble à des jappements gutturaux. De près cela s’harmonise mais s’empâte : leur langue est sans consonnes, sauf les privilégiées qu’ils font claquer. [...] Est-ce une illusion? Il nous semble que nous parlions moins mal. Moins mou. Moins gros. Moins glapissant. Moins joual. 1959, Candide [pseud. d’A. Laurendeau], dans Le Devoir, Montréal, 21 octobre, p. 4.
Nos élèves parlent joual, écrivent joual et ne veulent pas parler ni écrire autrement. Le joual est leur langue. Les choses se sont détériorées à tel point qu’ils ne savent même plus déceler une faute qu’on leur pointe du bout du crayon en circulant entre les bureaux. « L’homme que je parle » – « nous allons se déshabiller » – etc... ne les hérisse pas. Cela leur semble même élégant. [...] Le vice est donc profond : il est au niveau de la syntaxe. Il est aussi au niveau de la prononciation [...]. 1960, J.-P. Desbiens, Les insolences du Frère Untel, p. 24.
On devrait pointer du doigt, non plus celui qui parle mal (joual si on veut) mais celui qui ne parle pas. C’est lui qui est dangereux. Il est complice. Il a peur. 1976, Cl. Jasmin, Feu à volonté, p. 56-57.
n. m. Péjor. Variété de français québécois caractérisée par un ensemble de traits (surtout phonétiques et lexicaux) jugés incorrects ou mauvais, généralement identifiée au parler des milieux populaires et souvent considérée comme signe d’acculturation.
Parler le joual. Une pièce de théâtre, un roman écrit en joual. L’utilisation du joual dans la littérature. La querelle du joual.
Le joual est une langue désossée : les consonnes sont toutes escamotées, un peu comme dans les langues que parlent (je suppose, d’après certains disques) les danseuses des Iles-sous-le-Vent : oula-oula-alao-alao. [...] Cette absence de langue qu’est le joual est un cas de notre inexistence, à nous, les Canadiens français. [...] Notre inaptitude à nous affirmer, notre refus de l’avenir, notre obsession du passé, tout cela se reflète dans le joual, qui est vraiment notre langue. 1960, J.-P. Desbiens, Les insolences du Frère Untel, p. 24-25.
Mais nous étions [...] partagés en deux camps violemment antagonistes : ceux qui s’abandonnaient au joual parce que nous identifiant, même s’il s’agissait d’une identité de déchéance, et ceux qui optaient pour le français original de France, même s’il ne nous exprimait plus qu’en partie. 1966, R. Lorrain, La mort de mon joual, p. 59.
Même émigrés à la ville, nos contingents de prolétaires ont été parqués dans des quartiers et des occupations où se maintenaient des mœurs et un langage plus ou moins bâtards mais quand même distinctifs. Ne médisons pas trop du joual : il a été et reste le plus fidèle compagnon et le témoin le plus incontestable de notre survivance. 1971, F. Dumont, La vigile du Québec, p. 60.
Je chante en joual Le mécano de mes bobos Je chante en québécois En flèche et en pourquoi [...] Je parle en « moi » Je parle une lumière Ensorcelée de nos hivers Qui fait l’amour à l’univers. 1974, L. Forestier, « En flèche et en pourquoi », disque Louise Forestier, Gamma GS-186 (chanson).
Mon seul vrai souci maintenant, et il est majeur, c’est celui du langage. Ce livre, je le sens bien, n’a pas à être écrit en joual. Mais je remarque, au fil des pages déjà faites, qu’il y a fatalement du joual – du français magané – chaque fois que je suis en état de conversation avec toi ou que je fais parler des personnages du milieu. En définitive, il ne peut en être autrement. [...] En y pensant bien, le maudit joual a toujours existé chez nous, seulement on n’en parlait pas. Je crois finalement que nous ne sommes en rien différents des autres pays francophones du monde : nous avons notre langue commune, la française, avec variantes, couleurs particulières et tournures propres selon les régions. Nous avons aussi notre langue en compote, sans queue ni tête, appartenant avant tout aux couches sociales les plus défavorisées. Cessons donc de nous énerver avec ça. 1975, J.-P. Filion, Saint-André Avellin... le premier côté du monde, p. 60-61.
Par ext. Toute variété linguistique considérée comme déviante par rapport à une norme donnée.
Le joual anglais. Le joual parisien.
Dans tous les pays du monde il y a des gens qui écrivent en joual. 1969, M. Tremblay, La Presse, Montréal, 16 août, p. 26.
Joualisme n. m. Mot, expression caractéristique du joual.
Joualiser v. intr. Parler, s’exprimer en joual.
Joualisation n. f.
La joualisation de la langue, des Québécois.
Joualer v. tr. ind. Parler en joual. Joualez-moi d’amour, pièce de Jean Barbeau créée en 1970.
Joualeux, joualeuse adj. et n. Syn. de joualisant, joualisante.
(Chez M.-Cl. Blais). Joualon n. m., joualonais n. m., joualonie n. f.
Je suis pas un trou-de-cul, comme on dit en joualon. Tu sais ce que je veux dire, le joualon, ta langue? 1973, M.-Cl. Blais, Un Joualonais, sa Joualonie, p. 12.
notice ENCYCLopédique
D’abord usité dans l’expression parler joual (depuis 1930, voir Histoire, sens II.1), reprise en 1959 par André Laurendeau dans un billet paru dans Le Devoir, le mot joual s’est répandu comme une traînée de poudre à partir de 1960, grâce notamment à Jean-Paul Desbiens et à ses célèbres Insolences du Frère Untel. Parler joual, c’est « parler comme on peut supposer que les chevaux parleraient s’ils n’avaient pas déjà opté pour le silence et le sourire de Fernandel », affirmait l’auteur de ce pamphlet virulent; c’est dire non seulement « joual » au lieu de « cheval », mais aussi « chu pas apable » au lieu de « je ne suis pas capable » et « l’coach m’enweille cri les mit[s] du gôleur » au lieu de « le moniteur m’envoie chercher les gants du gardien », proclamait-il encore (p. 23-24). Dès lors associé à des prononciations dites déformées ainsi qu’aux anglicismes, le joual allait du coup être identifié au parler des milieux populaires, parler qu’il fallait à tout prix réformer. S’ensuivit une vaste entreprise de rectification langagière qu’est venue soutenir toute une batterie d’ouvrages correctifs, tel le Petit dictionnaire du « joual » au français d’Augustin Turenne (1962). Pendant ce temps, le populisme s’intensifiait dans la littérature. En raison d’une idéologie particulière (Parti pris, 1963-1968) ou par simple souci de réalisme, bon nombre d’écrivains n’hésitaient pas quant à eux à recourir à ce joual tant décrié, non seulement dans le roman (par ex. Le cassé de J. Renaud, 1964) mais aussi dans la poésie (par ex. Les cantouques de G. Godin, 1967) et, surtout, au théâtre (par ex. Les belles-sœurs de M. Tremblay, 1968). L’avènement de cette littérature qualifiée de joualisante contribua à affermir l’idée que le joual correspondait bel et bien à une nouvelle langue, sinon tout à fait distincte du moins passablement différente du français véhiculé par les grammaires et les dictionnaires faits en France. À la faveur d’un nationalisme montant, cette présumée nouvelle langue, considérée par plusieurs comme la seule vraiment apte à exprimer l’identité de l’âme québécoise, finit par devenir le symbole même de cette identité; c’est pourquoi, à partir de 1970, le terme joual céda peu à peu le pas à des appellations plus larges et moins péjoratives, québécois et français québécois, mais toujours plus ou moins explicitement opposées à français de France. De là surgit toute une nouvelle polémique autour de l’originalité et de la légitimité du français en usage au Québec par rapport à celui usité en France (H. Bélanger, Place à l’homme!, 1969; G. Turi, Une culture appelée québécoise, 1971; J. Marcel, Le joual de Troie, 1973), question qui soulève bien des controverses encore de nos jours. Inscrit au cœur de la Révolution tranquille, le mot joual aura donc marqué à sa manière l’histoire récente du Québec.
adj. Péjor.(En parlant de qqch.). Qui est relatif au joual, en a les caractéristiques.
Langue, parlure, écriture, expression jouale. Dialecte, mot, accent joual. (Relatif au joual considéré comme moyen d’expression littéraire). Littérature jouale. Roman joual. Théâtre joual.
(Relatif au joual considéré comme symbole d’une culture axée sur les milieux populaires). Univers joual. Idéologie, civilisation jouale. Avoir une origine jouale.
Je me flatte de parler un français correct; je ne dis pas élégant, je dis correct. Mes élèves n’en parlent pas moins joual. Je ne les impressionne pas. Je leur échappe plutôt. Pour me faire comprendre, je dois parfois recourir à l’une ou l’autre de leurs expressions jouales. Nous parlons deux langues, eux et moi : et je suis le seul à parler les deux! 1959, Frère Untel, dans Le Devoir, Montréal, 3 novembre, p. 4.
Je vous présente Jacques Renaud, un cassé. [...] Pour lui, Le cassé, la ville est comme un abcès, un clou, une maladie contagieuse dans laquelle il est lui aussi un déchet souffrant. Le remède : que ça crève! Renaud presse l’abcès, et ça sort, un beau pus sale, qui a le goût de notre âme, qui sent le renfermé. Presser l’abcès... C’est une manière de vivre, de penser et d’écrire. Le mouvement de l’écriture et l’écriture sont tout d’une traite : comme le pus qui jaillit du clou. Vous ne vous arrêterez pas à un mot joual, à un mot anglais, à une phrase maganée, pour la bonne et simple raison que du pus c’est laid, ça fait mal quand ça sort, c’est dégoûtant. Vous suivrez le rythme de l’opération comme si c’était sur vous qu’on la pratiquait. 1964, A. Major, dans J. Renaud, Le cassé, p. 9-10 (préface).
Et la Langue Québecoyse n’est doncques pas réductible à ce que par dérision j’ai baptisé le « Québecway » et que l’on appelle plus ordinairement « joual » ou parlure jouale. Laquelle parlure on confond souvent bel & bien, vu la grande incertitude actuelle des esprits, tantôt avec la langue québecoyse dans sa totalité, tantôt avecques les jurons ou blasphèmes qui la ponctuent, tantôt avecques l’accent, tantôt uniquement avec nos anglicismes... 1973, M. Lalonde, « La deffence & illustration de la langue québecquoyse », dans Maintenant, avril, p. 22.
[...] quand les tenants de l’idéologie jouale, cette maladie infantile du nationalisme, font du langage un test de pureté, quand le cycle du sirop d’érable réapparaît dans les encriers, il est grand temps d’insulter sa mère, de bousculer ses cousins [...]. 1975, J. Godbout, Le réformiste, p. 195.
(En parlant de qqn). Qui s’exprime en joual, qui utilise le joual comme moyen d’expression littéraire.
Auteur, écrivain joual.
Oui, que sonne l’heure où toutes nos écoles, à commencer par nos universités, fermeront leurs portes à ces tristes petits maîtres qui vous écorchent et défigurent, parfois on ne peut plus, leur propre langue maternelle! Un seul professeur joual suffit bien souvent à ruiner l’œuvre longue et pénible de vingt collègues sous ce rapport. 1959, dans G. Dagenais, Réflexions sur nos façons d’écrire et de parler, 1965, p. 165.
(Au pluriel).
Les plus ‘jouaux’ des Canadiens français n’ont jamais cessé de comprendre fort bien le français le plus correct [...]. Les Canadiens français parleraient bien s’il était d’usage de bien parler, et le plus vulgaire des nôtres n’a jamais souhaité écrire mal quand il doit prendre la plume pour quelque raison que ce soit. 1966, R. Lorrain, La mort de mon joual, p. 92.
Histoire
IDepuis 1882; le pluriel jouaux depuis 1897 (dans Le Canard, Montréal, 15 mai, p. 8, col. 1 : Je l’appelle la ‘Grise’ parce que jai toujou aimé les jouaux gris étant p’tit). Dès 1870 dans la bouche d’un jeune Franco-Américain vivant à Chicago (v. NatCan 2/9, p. 277 : un p’tit jouaux [sic] du Canada). D’après une prononciation populaire de cheval, héritée des parlers de France, notamment de ceux de l’Ouest et du Centre où le mot est bien attesté sous la forme jouau, tant au pluriel (des jouaux) qu’au singulier (un jouau) (v. ALO 576, DavTour et G. Tuaillon dans TraLiLi 9/1, 1971, p. 132); cp. en outre [ʃwal] dans les parlers du Nord-Est, [ʃəwal] dans ceux du Centre, ainsi que chual dans ceux du Nord-Ouest (v. ALCB 895, ALIFO 543 et FEW caballus 2, 8b).
II1Depuis 1930 (Le Goglu, Montréal, 14 février, p. 7 : y parle pas joual, celui-là). Découle de l’expression parler cheval « baragouiner, s’exprimer d’une manière inintelligible », relevée en France au début du XIXe s. dans la langue populaire (v. D’Hautel 1808, s.v. cheval). Cette expression est attestée également au Québec, en 1880, dans un chapitre du livre Une mine produisant l’or et l’argent, de Zacharie Lacasse, où l’auteur déplore l’anglicisation de la langue des jeunes, constat que reprendra le frère Untel en 1960. Le chapitre, intitulé « Ces jeunes-là, on ne les comprend plus », se termine par une strophe où figure l’expression : Que l’Anglais parle anglais, je l’écoute et l’admire, Que le Turc parle turc, je n’ai rien à redire. Mais que le Canadien, d’un sot orgueil rempli, Vienne nous annoncer qu’il veut parler « yankee », Rouge alors de colère, à ce fat je répète : Parle singe ou cheval, si tu veux, grosse bête! 2Depuis 1959 (Frère Untel, dans Le Devoir, 3 novembre, p. 4 : Le joual est leur langue). 3Depuis 1959.