INNOCENT, INNOCENTE [inɔsɑ̃, inɔsɑ̃t]
adj. et n.
adj. (En mauvaise part). (Général. en fonction attribut). Qui témoigne d’un manque d’intelligence, de jugement, de savoir-faire, qui est niais, bête, idiot.
Avoir l’air innocent. Être trop innocent pour comprendre, pour faire qqch.
n.
Prendre qqn pour un innocent. Parler, agir en innocent.
Faire l’innocent, son innocent, ou jouer l’innocent, à l’innocent : agir, se comporter en idiot, en imbécile; jouer à celui qui ne veut ou ne peut pas comprendre, feindre l’ignorance.
Arrête de faire l’innocent! Fais pas ton innocente! (Comme terme d’insulte, de mépris). Grand innocent! Espèce d’innocente! Bande d’innocents!
Rem. Le mot peut s’employer également de façon plus neutre pour désigner une personne qui est simple d’esprit (p. ex. dans l’innocent du village, un pauvre innocent), comme en France.
beigne; beignet; bozo; cave2; coco4, cocotte; concombre; dumb; épais, épaisse (sens I.4); gorlot; nono, nonotte; noune1; nounoune; sans-allure; sans-dessein; sans-génie; tarla; tata1; toto; toton; zarzais, zarsaise.
Et bien! maître Baron, dit un citadin, voilà le pont [de glace] pris malgré vos efforts pour l’en empêcher. – Il n’y a que les gens de la ville assez simple [sic], répliqua Baron, pour croire de telles bêtises! nous traversons le pont avec nos canots, bande d’innocents, quand la glace est faible, crainte d’accident pour nos pratiques qui ne peuvent attendre qu’elle soit plus ferme. 1863, Ph. Aubert de Gaspé, Les anciens Canadiens, p. 362.
Innocents, va, si vous aviez pour deux sous de jugeote, vous comprendriez que si je me suis engagé comme cela, c’était pour entrer dans le magasin. 1884, J. F. Morissette, Le fratricide, p. 92.
[...] on est quasi convaincu que le jeune collégien s’est procuré le volume d’une autre façon qu’il ne veut pas révéler au Supérieur. Ces farceurs d’étudiants, comme vous savez, ont leur petit code d’honneur particulier. Donc, si M. le Curé revient, faites l’innocent. [/] Je me permis de faire remarquer à M. Chicoine que je ne trouvais pas son expression heureuse. Si, par innocent, il voulait dire imbécile, je la récusais. Que si, d’autre part, il l’employait comme antonyme de coupable, je ne l’estimais pas non plus appropriée, attendu que je ne me sentais en rien fautif. 1960, G. Bessette, Le libraire, p. 120-121.
Aujourd’hui, il y a trop d’argent […]. Dans ce temps-là, il y en avait pas assez. […] Il y a trop de monde instruit. Dans ce temps-là, on était tous innocents. Je le suis-t-encore, un innocent, moi; je sais pas signer mon nom. Pis, j’ai vécu aussi bien comme n’importe qui. 1960 env., Isle-aux-Coudres (Charlevoix-Ouest), AFEUL, P. Perrault 560 (âge de l’informateur : n. d.).
Me prenez-vous pour un innocent? Pensez-vous que je me rends compte de rien? Pensez-vous que je me rends pas compte que tout ce que vous voulez, c’est de prendre ma place? 1987, V.-L. Beaulieu, L’héritage, t. 1, p. 41.
– Regarde donc, Cécile, l’homme qui s’en vient! – Mon Dieu, qui c’est? [...] – Un beau garçon! – Tais-toi, innocente! répond Cécile. 1989, R. Lalonde, Le diable en personne, p. 27.
adj. (En parlant de qqch.). Insensé, bête, stupide.
Tu parles d’une réponse innocente!
Innocenterie n. f. Niaiserie, stupidité.
Histoire
Depuis 1863. Hérité de France; relevé dans la langue générale depuis le premier tiers du XVe s. mais considéré comme vieilli ou régional de nos jours (v. RobHist : « a vieilli, sauf dans quelques contextes (l’innocent du village, ce pauvre innocent de X...) »; PRobert 1989, s.v. demeuré; v. aussi TLF qui atteste cet emploi surtout sous la plume d’auteurs du XIXe s., notamment dans faire l’innocent et jouer à l’innocent « feindre l’ignorance »); répandu en outre dans les parlers régionaux (v. FEW innocens 4, 699). Innocenterie (depuis 1930; P. Poirier, « Glossaire acadien », dans L’Évangéline, Moncton, 18 décembre, p. 12) a été signalé en franc-comtois ([ẽɲœsɑ̃tʀi], v. FEW 4, 699b).