HABITANT, HABITANTE [abitɑ̃, abitɑ̃t]
n. et adj.
Variantes graphiques : (XVIIe siècle) habittant; (au pluriel, XVIIe-XIXe siècles) habitans.
n. Hist.(XVIIe siècle). En Nouvelle-France, particulier établi dans la colonie pour y vivre en permanence et y faire souche, et qui jouit de ce fait d’un statut lui conférant certains avantages.
Briquetier, tonnelier, laboureur habitant. Marchand habitant et marchand forain.
Communauté des Habitants ou (chez certains historiens) Compagnie des Habitants : compagnie subsidiaire de la Compagnie des Cent-Associés, qui avait obtenu le monopole de la traite des fourrures en Nouvelle-France de 1645 à 1663 et dont les membres, établis à demeure dans la colonie, se partageaient les profits.
Rem.1. Le titre d’habitant exclut les Français qui ne sont pas établis à demeure, tels les engagés, les volontaires, les marins, les soldats, les officiers et les administrateurs (voir Notice encyclopédique, sous le sens I.3). 2. Depuis le début de la colonie, le mot s’applique aussi plus largement, comme en France, à toute personne résidant dans un lieu donné, sans nécessairement y être établie à demeure. SYN. habitué, habituée.
Si les dits associés reconnoissent ci-après avoir besoin d’expliquer ou amplifier aucuns des articles ci-dessus, même être nécessaire d’en ajouter de nouveaux, sur les remontrances qui en seront faites à Sa Majesté de leur part, il y sera pourvu suivant l’exigence des cas, laquelle permettra pareillement aux dits associés de dresser tels articles de compagnie qu’ils jugeront être nécessaire pour l’entretien de leur société, réglemens et ordonnance d’icelle; lesquels étant approuvés par mon dit seigneur le grand-maître, autorisés par Sa Majesté et enregistrés où il appartiendra, seront à l’avenir inviolablement gardés et entretenus de point en point selon leur forme et teneur, tant par les dits associés que par ceux qui sont habitans et qui s’habitueront ci-après en la dite Nouvelle-France. 1627, Acte pour l’établissement de la Compagnie des Cent Associés pour le commerce du Canada, Édits, ordonnances royaux, déclarations et arrêts du Conseil d’État du Roi concernant le Canada, 1854, p. 10‑11.
Il est faict deffences à toutes personnes de quelque qualité et condition qu’elles soient tant habitans que soldats, ouvriers, mathelots ou autres de traicter aucuns castors et autres pelleteries concernant la traicte, sur peyne de confiscation ou amande telle qu’il sera adjugé, et sy les hyvernans voulloient ou desiroient avoir quelques castors pour les habiller et couvrir, il leur sera permis et fournis au magasin à prix raisonnable à la charge de les vendre au temps convenable. 1645, Québec, dans P.‑G. Roy (éd.), Ordonnances, commissions, etc., etc., des gouverneurs et intendants de la Nouvelle-France, vol. 1, 1924, p. 6‑7.
[…] ceux qui ne se sont déclarés habitans, quels qu’ils soient, ne pourront faire venir de France, acheter ou recevoir des Matelots ou officiers des navires ny d’aucun autre que des habitans de ce païs aucunes vivres ou marchandises de quelque nature qu’elles soient. 1649, dans P.‑G. Roy (éd.), Ordonnances, commissions, etc., etc., des gouverneurs et intendants de la Nouvelle-France, vol. 1, 1924, p. 10.
[…] tous les Marchands tant forains qu’habitans donneront par declaration dans huictaine la qualité et quantité par articles avec le prix coustant tant des Marchandises qui leur restent des années precedentes, que de celles qu’ils auront receües cette année sur peines aux contrevenans, de confiscation des Marchandises qu’ils auront soustraictes et d’amende. 1664, Québec, Jugements et délibérations du Conseil souverain de la Nouvelle-France, vol. 1, 1885, p. 194.
Veu la requeste ce jourd’huy presentée en cette Cour par Jean Gitton Marchand; Contenant que par arrest du premier febvrier dernier il est permis de s’establir en ce païs, Et de joüir du privilege d’habitant, apres deux ans de demeure Et une acquisition de deux mil Livres. […] Le Conseil Enterinant les Req[ues]tes dud[it] Jean Gitton, a ordonné Et ordonne qu’il joüira a l’advenir des privileges des habitans de ce païs […]. 1683, Jugements et délibérations du Conseil souverain de la Nouvelle-France, vol. 2, 1886, p. 879‑880.
n. (Spécialement, dès le dernier tiers du XVIIe siècle). Hist.Sous le Régime français, colon auquel le roi de France a concédé une terre, appelée concession ou habitation, pour qu’il la défriche et la cultive; par ext., vieillicultivateur qui vit de la terre dont il est propriétaire, le plus souvent dans une économie de subsistance.
Femme, fille, fils d’habitant. Famille d’habitants. Un riche, un pauvre habitant. Un ancien, un vieil habitant. Nos bons, nos braves habitants. Le parler des habitants. Le métier d’habitant. Travailler chez un habitant.
Se faire habitant : devenir cultivateur.
(À partir du XIXe siècle). Un gros habitant : un cultivateur aisé, prospère. Un petit habitant : un cultivateur modeste, peu fortuné. VieuxSalle des habitants : salle paroissiale où se réunissaient les cultivateurs après la messe dominicale.
Rem.1. À partir du XIXe siècle, habitant est concurrencé par cultivateur, lequel le supplante au cours du XXe siècle (voir PPQ 677S); de nos jours, on emploie plus communément agriculteur, fermier et exploitant agricole. 2. On relève souvent aussi paysan sous la plume de lettrés et d’historiens, même si ce mot du français de France traduit une réalité bien différente de celle qui est associée à habitant (voir Notice encyclopédique, sous le sens I.4).
Pardevant nous […] a esté présant et personnellement guillaume finiou[,] marchand[,] lequel a recogneu et confessé avoir vandu[,] ceddées[,] transporté et delaissé du tout des maintenant et a toujours promis garentir de tous trouble hipoteque et generallement quelconques a marin Pin[,] habitant[,] a ce present acceptant pour luy ses hoirs ayant cause a l[’]advenir[,] c’est a savoir, une habitation sizes en la Seigneurie de godarville autrement dit le cap Rouge – consistant en quatre arpends de terre de frond sur le grand fleuve de St. Laurent [et] cinquant arpents de profondeur […]. 1659, BAnQQ, fonds Ministère des Terres et Forêts (E21, S64, SS5, SSS1), Copie du contrat de vente d’une habitation sise en la seigneurie de Godarville, 19 octobre, fo 1.
L’une des choses qui a apporté plus d’obstacle à la peuplade du Canada a esté que les habitans qui s’y sont allez establir ont fondé leurs habitations où il leur a plu, et sans se précautionner de les joindre les unes aux autres, et faire leurs défrichemens de proche en proche pour mieux s’entresecourir au besoin. Ils ont pris des concessions pour une espace de terres qu’ils n’ont jamais esté en estat de cultiver par leur trop grande estendue, et, estant ainsy épars, se sont trouvez exposez aux embûches des Iroquois, qui, par leur vitesse, ont tousjours fait leurs massacres avant que ceux qu’ils ont surpris ayent pu estre secourus de leurs voisins […]. 1665, Mémoire du Roi pour servir d’instruction à Talon, Rapport de l’archiviste de la province de Québec 1930‑1931, p. 8.
Les Païsans y vivent [au Canada] sans mentir plus commodément qu’une infinité de Gentils-hommes en France. Quand je dis Païsans je me trompe, il faut dire habitans, car ce tître de Païsan n’est non plus receu ici qu’en Espagne, soit parce qu’ils ne payent ni sel ni taille, qu’ils ont la liberté de la chasse & de la pêche, ou qu’enfin leur vie aisée les met en parallele avec les Nobles. 1703, L. A. de Lom d’Arce, baron de Lahontan, Nouveaux voyages de Mr le baron de Lahontan, t. 1, p. 10.
Les seigneurs pourront avoir des juments pour faire des petits harats, afin d’avoir des beaux poulins au moyens d’étalons choisis. Il ne faudroit cependant pas dès à présent faire tuer les chevaux pour en venir au point dont j’ay parlé, car la colonie est diminuée de bœufs, et les habitants, s’ils manquoient de chevaux, ne pourroient plus labourer leurs terres […]. 1757, L. A. de Bougainville, Mémoire de Bougainville sur l’état de la Nouvelle-France à l’époque de la guerre de Sept ans, Revue maritime et coloniale, mai 1861, p. 564.
Ainsi, vous voyez une foule d’habitants, qui, depuis trente, quarante, et même cinquante ans, sèment toujours le même grain dans la même pièce de terre, et mettent leur mauvaise récolte sur le compte des mauvaises années, quoi que vous puissiez leur dire au contraire. 1873, N. Legendre, Le voyageur, Album de la Minerve, 13 mars, p. 164.
– On pourrait semer du trèfle dans la vieille prairie. […] Et pourquoi pas avoir un carré de fraisiers? Les deux premières années sont un peu dures mais après, les fraises se tirent d’affaire toutes seules. [/] Amable l’interrompit : – Aïe! Ambitionne pas sur le pain bénit. Qui c’est qui s’occupera des cageaux, des casseaux, du cueillage? [/] Mais Didace admettait tout de la bouche du Survenant. Grâce à lui, avant longtemps, il serait un aussi gros habitant que Pierre-Côme Provençal. 1945, G. Guèvremont, Le Survenant, p. 171‑172.
Ceux qui se sont penchés sur la société du régime français ont observé de préférence le XVIIIe siècle, cette courte accalmie d’entre deux guerres, durant laquelle les particularismes coloniaux sont à peu près fixés. Dans la période de gestation qui précède, les événements politiques et militaires, les grands personnages occupent toute la place et les colons n’apparaissent guère autrement que sous les traits de coureurs de bois, que les autorités s’efforcent en vain de sédentariser. Pour rattacher cette image à celle des habitants qui, cent ans plus tard, cachés derrière leur grange, défendent pied à pied contre l’envahisseur le pays qu’ils ont aménagé […]. 1974, L. Dechêne, Habitants et marchands de Montréal au XVIIe siècle, p. 7.
Deux aveux et dénombrements de la seigneurie de Bonsecours, l’un en 1723 et l’autre en 1739, permettent de suivre la progression du défrichement dans l’ensemble des concessions de la partie ouest de la paroisse de L’Islet. En 1723, la seigneurie compte seulement 11 censitaires résidents, dont trois sont les fils de René Cloutier, l’un des pionniers de la région. Joseph Cloutier, le cadet de la famille, est le plus gros habitant du lieu. Il possède 10 hectares de terre labourable, soit le double de la moyenne de l’ensemble des concessions habitées. La production agricole est orientée vers la satisfaction des besoins familiaux. 1993, A. Laberge (dir.), Histoire de la Côte-du-Sud, p. 97.
Par ext., rare, vieilliAnimal qui se fixe à l’intérieur d’un territoire (voir aussi Clapin).
Le renard américain – j’entends celui du Labrador – qui n’a ni foi, ni loi, n’a également, ni feu, ni lieu. […] Ses demeures sont des demeures d’occasion. Il lui arrive, cependant, quelquefois de se fixer; il devient habitant! 1893, H. de Puyjalon, Guide du chasseur de pelleterie, p. 34.
(En emploi adjectival). Rare, péjor.Qui est relatif aux cultivateurs d’autrefois, à leur culture, leur façon de vivre.
Au moment où Marius Barbeau […] commençait sa carrière d’ethnologue et de folkloriste, il y a une soixantaine d’années, les Québécois étaient encore trop près de leur passé – à certains égards, ils y baignaient encore – pour s’occuper de choses aussi « habitantes » comme les vieilles chansons, les contes et… la ceinture fléchée. 1973, M. Rioux, dans M. Barbeau, Ceinture fléchée (2e éd.), p. 9.
Par ext., Péjor.n. Personne qui a des manières frustes, qui manque de finesse, d’éducation, de savoir-vivre.
(Comme terme d’insulte). Gros habitant! Maudit habitant! (Dans des locutions). Passer pour un habitant. Prendre qqn pour un habitant. Traiter qqn d’habitant.
VieilliFaire l’habitant : faire l’imbécile.
adj. Qui est fruste; qui est ou paraît en retard sur son époque.
C’est pas mal habitant par là-bas.
Avoir l’air habitant : avoir l’air stupide, arriéré. Trouver qqn habitant.
colon.
(En fonction adv.). Parler habitant : parler dans une langue populaire, parler mal.
– Il avait annoncé, par une lettre, qu’il allait arriver avec ce même camarade. – Les parents sont fort riches, disait-il; – il espérait qu’on lui ferait bon accueil et qu’on aurait [sic] pas l’air trop paysans (habitant). 1870, Gazette des campagnes, Sainte-Anne-de-la-Pocatière, 20 janvier, p. 345.
Il est facile de voir que Madame Delorme nous trouve trop habitants pour rester parmi nous. Elle avait dit une fois qu’Ottawa était ennuyeux comme l’intérieur d’une vache. 1881, Le Vrai Canard, Montréal, 5 mars, p. [2].
Le hasard nous faisait aller, il y a quelques semaines, de St-Roch de Québec à la Basse-ville, dans un des chars urbains et en compagnie de deux cordonniers. [/] – Où travailles-tu, maintenant, dit un gros courtaud, l’un des deux enfants de saint Crépin? – Moi, je travaille chez Bresse. Je suis dans la room de la splette. (le département où l’on emploie le cuir appelé vache fendue.) – Je travaille, moi, dit l’autre, un grand maigre jaune, je travaille à la job (à la pièce). J’emploie surtout le polish et le kid. [/] Je pris la liberté de demander à l’homme à la splette : « Puisque vous êtes Canadien, pourquoi ne dites-vous pas comme nos anciens : Vache fendue au lieu de votre affreux splette? » Savez-vous ce qu’il nous répondit, ce brave cordonnier. Voici : – « Vache fendue, Monsieur, ç’a l’air habitant!… » 1882, Anonyme, Une poignée de belles choses, Le Saguenay, Chicoutimi, 14 août, p. 4‑5 (cité dans L. Lamontagne, La conception de l’anglicisme dans les sources métalinguistiques québécoises de 1800 à 1930, 1996, p. 129‑130).
– Sous le respect que je vous dois, qu’est-ce que c’est que vous m’avez rabaché là, avec votre Arthur-Abd-El-Bennett-Ben-Moïse Sauvé? – Ça, mon vieux, c’est mon nom dans la langue du pays, Abd, ça veut dire serviteur, et Ben ça veut dire rejeton. Je m’appelle simplement, à la mode de par ici, Arthur, serviteur de Bennett et rejeton de Moïse Sauvé. On connaît les bonnes manières ou on les connaît pas. J’voulais pas passer pour un habitant. 1934, La Presse, Montréal, 3 février, p. 55.
– Josette : Dans tous les cas, Joson, il est sûrement resté quelque chose de l’ancien temps, c’est les pêcheurs de la baie de Naples. Ils sont de la même couleur que les pierres des ruines, ils doivent dater de la même époque! – Joson : Seigneur! que t’es donc habitante, Josette! C’est la mer qui les a bronzés comme ça, pauvre toi! 1936, A. Bourgeois, Voyage autour du monde de Joson et Josette, 3 mai, p. 2 (radio).
Ajoutons-y sa dent en or, son éternel sourire forcé et condescendant et vous comprendrez quand je vous dirai que cet homme ambitionnait de parler anglais afin de cesser d’être un « habitant » […]. C’est sans doute pourquoi il émigra « aux States » où, en travaillant dans une « facterie » de coton à « Lowell Mass », il apprit à parler anglais et adopta des manières plus américaines et moins « habitantes ». 1976, L. Bernier, Au temps du « Boxa », p. 69.
Manon a gagné beaucoup de respect l’an passé en participant au camp du Lightning [équipe de hockey] et s’entraînant comme une démone à Atlanta. […] Dans un mois, elle participera à son deuxième camp d’entraînement avec la formation de l’État de la Floride. Elle ne souhaite qu’une chose : ne pas égarer son équipement à l’aéroport comme l’an passé. « J’avais l’air d’une vraie habitante avec mes bermudas en jeans et mon t-shirt “les vrais hommes portent du noir” lors de l’examen hors glace. Cette année, je vais avoir du linge de rechange juste au cas où… » 1993, C. Tardif, Le Soleil, Québec, 31 juillet, p. S‑6.
Elle reçoit des lettres, encore, de cet habitant avec qui elle s’est mariée, Gaétan machin chose. Il se meurt d’amour, le pauvre cave, et il est même pas capable de l’écrire sans fautes d’orthographe. 1993, M. Proulx, Homme invisible à la fenêtre, p. 164.
Par la fenêtre j’y ai crié : [/] « Sacre-moi ton camp maudit incompétent! [/] En plus d’être mauvais travaillant [/] T’as l’air d’un cibole d’habitant! » [/] Et depuis c’temps-là quand j’vois [/] L’vrai Guy Lafleur à TV [/] J’ai toujours une p’tite pensée [/] Pour un gros plombier mal élevé… 1998, Les Cowboys fringants, Le plombier (chanson), Sur mon canapé…
Sa sœur a l’air du diable! Mal amanchée et enceinte en plus! Tu vois? C’est ça, la potée de l’est! Et son mari, gros habitant, avait les souliers sales de slush! Ça ne pouvait pas se manquer, il porte au moins des 12 de pointure, celui-là! 2014, D. Monette, La veuve du boulanger, p. 264.
VieuxHabitant dos blanc : « terme de mépris d’usage assez fréquent chez les jeunes gens » (Dionne).
VieuxFaire l’habitant : être mesquin (Clapin, Dionne, Blanch1‑8).
n. (Chez les historiens, les lettrés). L’habitant (canadien) : le type idéalisé du Canadien français, cultivateur propriétaire de sa terre, bâtisseur de son pays, épris de liberté et d’indépendance, et gardien de la foi, des traditions et de la langue pure de ses ancêtres.
Si jamais, sur la route, vous étiez surpris par le froid ou la neige, allez heurter, sans crainte à la porte de la famille canadienne, et vous serez reçu avec ce visage ouvert, avec cette franche cordialité que ses ancêtres lui ont transmise comme un souvenir et une relique de la vieille patrie. Car l’antique hospitalité française, qu’on ne connaît plus guère aujourd’hui dans certaines parties de la France, semble être venue se réfugier sous le toit de l’habitant canadien. Avec sa langue et sa religion, il a conservé pieusement ses habitudes et ses vieilles coutumes. 1861, H. R. Casgrain, Légendes canadiennes, p. 50‑51.
Propriétaire d’une portion du sol, l’habitant canadien s’attacha à sa patrie; il prit des habitudes d’ordre; ses mœurs se formèrent sous les yeux de la religion; des compatriotes se rangèrent autour de lui; le clocher de l’humble chapelle s’éleva au milieu de la mission ou paroisse, qui devint une municipalité réelle, quoique non reconnue officiellement. La langue française s’établit, uniforme et sans mélange de patois, mais marquée par des particularités d’expressions et de prononciation propres à la Normandie, au Maine et au Poitou. Le peuple canadien se formait […]. 1865, J. B. A. Ferland, Cours d’histoire du Canada, 2e partie, p. 11.
Il faut bien se mettre dans l’esprit, mes bons compatriotes, que l’habitant est le plus heureux des mortels qui vivent sur la terre. […] Vous connaissez pourtant le proverbe : « heureux comme un habitant ». Ce proverbe exprime une grande vérité. J’ai beaucoup voyagé; j’ai connu toutes les classes de la société. […] croyez m’en [sic], bons habitants, le peu de bonheur qui se trouve sur cette terre, se rencontre chez nos cultivateurs, dans leur petite demeure proprette, dont les quatre murs sont blanchis de chaux. Personne sur terre n’est plus indépendant que l’habitant. 1880, Z. Lacasse, Une mine produisant l’or et l’argent, p. 11.
Les habitants ont été les véritables fondateurs de notre patrie, et nous serions mal venus à rougir aujourd’hui du titre qu’ils nous ont légué, à nous, leurs descendants. Le nom d’habitant est un titre honorable entre tous. Conservons-le précieusement, comme on garde un souvenir de famille; portons-le avec orgueil; et n’allons jamais le déprécier en l’appliquant à qui que ce soit avec un sens péjoratif, comme on le fait quelquefois. 1925, L.‑Ph. Geoffrion, Zigzags autour de nos parlers, 2e série, p. 14‑15.
Prenez les Maderleau, l’aïeul était habitant, Servule est devenu cultivateur et le fils Fidélème se contente d’être agronome. Et c’est ainsi que d’abdications en déchéances se perdent les belles traditions ancestrales et que nous ne sommes déjà plus ce que nous fûmes naguère. 1940, O. Masse, Le mirage montréalais, Almanach du peuple Beauchemin, p. 161.
L’habitant incarne les qualités classiques de tous les paysans du monde : le bon sens solide, le travail intelligent, le sens familial. Ajoutons-y les qualités du paysan-pionnier : qualités d’endurance, de débrouillardise, d’attachement plus fort à la terre que l’homme a faite et qui lui renvoie son image. Enfin, et cette gloire est la sienne, l’habitant figure, au Canada, en Nouvelle-France, le seul et vrai succès. 1951, L. Groulx, Histoire du Canada français, t. 2, p. 175.
– Sans doute que vous êtes cultivateur? – Non, monsieur, répondit-il de sa voix de velours, je suis habitant. – Habitant? – Oui, habitant. Le plus beau mot de la langue française, le plus noble, le plus solide, le mot le plus réaliste et celui qui honore la personne humaine. La profession la plus digne. […] Habitant c’est celui qui possède. C’est l’homme libre, indépendant qui fait ce qu’il veut quand il veut, qui n’a besoin de personne lorsque ses taxes sont payées. L’habitant c’est le descendant direct des premiers colons français venus sur le sol d’Amérique pour y prolonger la paysannerie et sa doctrine chrétienne. L’habitant c’est le maître qui possède une maison bien à lui et une terre capable de le nourrir. L’habitant c’est l’électeur qui choisit son député. Librement; qui se trouve à la fois franc-tenancier et collabore avec l’Église pour sa plus grande gloire et son éternelle stabilité. Je répète que l’habitant c’est celui qui habite une maison, laissée par ses pères et qui habite une terre qu’il ne désertera jamais. Habitant est plus beau, plus grand, plus utile que soldat. Je suis un habitant. 1958, Cl.‑H. Grignon, Le père Bougonneux et ses contes de la montagne, Le bulletin des agriculteurs, février, p. 98.
Cet échec de Talon [à implanter des villages] traduit bien le caractère de globalité du système spatial mis en place par les Cent-Associés. Il témoigne également des valeurs nouvelles de l’habitant canadien qui peut, plus qu’en France, profiter de son statut d’homme libre, à l’abri des contrôles (royaux, seigneuriaux, cléricaux) qu’impose l’habitat groupé. 1981, S. Courville, Contribution à l’étude de l’origine du rang au Québec : la politique spatiale des Cent-Associés, Cahiers de géographie du Québec, vol. 25, no 65, p. 231.
NOTICE ENCYCLOPÉDIQUE
1. Les Français s’installent au Canada. Jusque vers les années 1660, le mot habitant désigne de façon large tout particulier ayant établi sa demeure permanente dans la colonie. Selon l’historien Lucien Campeau, le nom était alors attribué à « ceux qui avaient feu et lieu, famille et patrimoine dans le pays, y vivant de leurs propres ressources. Cela excluait les engagés, liés à un maître par contrat et entièrement à sa charge pour le logis et pour la nourriture. Cela excluait aussi ceux qu’on appellera les volontaires, particuliers sans établissement ni attache au pays, mais y résidant provisoirement. » Il n’est alors pas réservé au seul cultivateur, comme ce sera le cas ultérieurement, puisque la personne ainsi désignée peut pratiquer un métier tout autre (briquetier, menuisier, tonnelier, tailleur d’habits, marchand, chirurgien, etc.). Le titre d’habitant permet de jouir de certains privilèges refusés aux Français qui ne sont que de passage, dont celui de pouvoir faire la traite des fourrures directement avec les Autochtones. Le profit de ce commerce est versé aux habitants membres de la Communauté des Habitants, qui administre la colonie laurentienne en 1645 en remplacement de la Compagnie des Cent-Associés. Selon Marcel Trudel, l’« organisme qu’on établit en 1645 n’est pas une compagnie au même sens que les deux précédentes Compagnies particulières ou que la Compagnie des Cent-Associés : on n’y entre pas parce qu’on détient une part qui aurait été achetée, on en fait partie du fait qu’on est “habitant” du Canada. C’est que le traité de 1645 est accordé aux habitants du Canada non pas en tant que particuliers, mais “seulement en communauté”, d’où la Communauté des Habitants. » Cette compagnie se maintiendra jusqu’en 1663.
2. La colonisation de la vallée du Saint-Laurent. À la suite de résultats médiocres en matière de colonisation obtenus par la Compagnie des Cent-Associés et la Communauté des Habitants, le roi Louis XIV reprend le contrôle de la colonie, multipliant de surcroît les efforts pour y attirer les immigrants et les convaincre d’y rester. Le roi offre certaines facilités aux particuliers désireux de s’installer au Canada, dont une terre à défricher et à cultiver que l’on appelle alors concession ou habitation. L’abondance de terres disponibles pour les nouveaux colons représentait un avantage important sur la France, où le milieu agraire était complètement saturé. Le roi tente également de rétablir un certain équilibre démographique en permettant à de jeunes filles célibataires d’immigrer en Nouvelle-France dans le but de se marier. L’arrivée des Filles du roi va permettre aux colons de trouver plus facilement une épouse afin de fonder une famille et ainsi contribuer à faire augmenter la population de la colonie. On offre aussi certaines gratifications financières aux familles nombreuses (de dix ou douze enfants). La majorité des nouveaux venus sont d’anciens soldats ou des engagés qui, à l’échéance de leur contrat, décident de s’établir sur une terre. De plus, les nouvelles politiques de colonisation permettant aux soldats de se libérer rapidement de leurs engagements s’ils désirent se marier faciliteront l’établissement de nouveaux colons.
3. L’habitant canadien versus le paysan français. Avec l’augmentation de la population coloniale, on assiste dans le dernier tiers du XVIIe siècle à un important développement du monde agraire dans la vallée du Saint-Laurent. Les traiteurs, les bourgeois, les marchands deviennent rapidement minoritaires et les cultivateurs représentent désormais la grande majorité de la population de la colonie laurentienne. C’est à cette époque que le mot habitant commence de plus en plus à se rapporter uniquement à toute personne pratiquant l’agriculture. La situation de l’habitant canadien est bien différente de celle du paysan français, et c’est pourquoi les cultivateurs de la Nouvelle-France refusent de se faire appeler paysans, comme l’écrit le jésuite Louis Nicolas vers 1675, d’autant que ce mot a déjà une connotation péjorative en France : « Jay veu des paysans disons plustot des habitans françois du Canada car l’autre mot les choque trop et ils ne veulent pas qu’on les appelle paysans […] » (les mots en italique ont été raturés dans le manuscrit original; cette même idée est reprise par le baron de Lahontan, voir la citation sous I.2). Parmi les avantages de l’habitant canadien sur le paysan français, on compte la possibilité d’obtenir une terre d’un seul tenant dont il a la propriété, qu’il peut exploiter à sa guise et qu’il peut même revendre. Dès 1699, dans une lettre adressée au Secrétaire d’État à la marine, Champigny observe que les « habitants qui se sont attachés à la culture des terres et qui ont tombé dans de bons endroits, vivent assez commodément, trouvant des avantages que ceux de France n’ont point, qui sont d’être presque tous placés sur le bord de la rivière, où ils ont quelque pêche et leur maison étant au milieu du devant de leur terre qui se trouve par conséquent derrière et aux deux côtés d’eux. Comme ils n’ont point à s’éloigner pour la faire valoir et pour tirer leur bois qui est l’endroit où se terminent leurs terres, ils ont en cela de très grandes facilités pour faire leurs travaux » (cité d’après Jacques Mathieu). De plus, les redevances que doit payer l’habitant de la Nouvelle-France à son seigneur sont beaucoup moins importantes qu’en France. Grâce à celles-ci, aux droits de chasse et de pêche, qui lui permettent de diversifier son menu, et au bon rendement des terres neuves fraîchement défrichées, l’habitant canadien peut espérer vivre de façon plus aisée que le paysan français. On comprend alors que le mot habitant ait pu mieux servir à exprimer l’identité du cultivateur canadien et qu’il se soit maintenu dans l’usage jusqu’au XXe siècle.
4. L’image de l’habitant se ternit. Vers le premier tiers du XIXe siècle, on observe que le mot habitant, en dépit de sa valeur positive, commence à subir la concurrence de cultivateur, agriculteur et fermier, ce qui est l’indice que certains changements s’opèrent dans la façon de concevoir les personnes qui exploitent la terre. Dans les manuels d’agriculture qu’on voit publiés au Canada français à partir de 1831, on emploie généralement cultivateur, mot qui paraît mieux s’accorder avec un métier dont on cherche à moderniser les principes et les méthodes. On voit peu à peu s’implanter dans les campagnes de nouvelles techniques agricoles permettant aux cultivateurs d’améliorer leur production et, du coup, leur situation économique. La culture de la terre n’est plus perçue comme un simple mode de subsistance, mais comme un métier qui est en lien avec une nouvelle économie de marché et qui exige des connaissances approfondies. Cependant, au cours du XIXe siècle, la population rurale doit faire face à l’occupation de toutes les bonnes terres dans les grandes régions du Québec. Les gens quittent les campagnes – où le milieu agraire est complètement saturé – pour s’établir dans les fronts pionniers ou, encore, pour trouver du travail dans les usines et manufactures des villes peuplées de nouveaux immigrants venus des contrées d’outre-mer (Grande-Bretagne, Irlande), ou bien pour émigrer aux États-Unis, où la révolution industrielle bat son plein. Les milieux urbains représentent – pour une grande partie de la population canadienne française – la modernité, la richesse, une ouverture sur le monde et surtout l’espérance d’un avenir plus prometteur. À l’opposé, la vie des cultivateurs est synonyme pour elle d’ignorance, d’archaïsme et de pauvreté. Le mot habitant va se charger d’une valeur péjorative qui surgit dès le dernier tiers du XIXe siècle.
5. À la défense de l’habitant et de son nom. Cette valeur péjorative du mot habitant circule chez les citadins et donne à penser que les cultivateurs eux-mêmes délaissent ce mot autrefois si populaire. La réaction des lettrés canadiens-français à la péjoration du mot habitant ne se fait pas attendre. On veut la contrer et, pour ce faire, on tente de redorer le blason du cultivateur canadien-français en faisant de l’habitant d’autrefois le fondateur de la patrie et de la race canadienne-française, le gardien de la langue et de la foi, le défenseur des valeurs traditionnelles. Cette image idéalisée s’inscrit dans les courants agriculturiste (refus du modernisme) et régionaliste (réaction contre l’exil des fils d’habitants vers les villes et les États-Unis), dans l’idéologie de conservation. Elle témoigne de l’inquiétude qui s’empare d’une certaine élite, laquelle assiste à la transformation de l’identité des Canadiens français, menacée par la modernité, l’industrialisation et l’urbanisation. Mais l’attitude de cette élite qui veut garder la population canadienne-française à la campagne est également une façon de conserver les valeurs et l’identité de ce peuple qui sont menacées par la puissance économique des Américains et des Canadiens anglais. En effet, ceux-ci installent leurs usines et manufactures au Québec à la recherche d’une main-d’œuvre ouvrière bon marché. On invite la population canadienne-française à conserver habitant en parlant du cultivateur, comme le fait T. P. Bédard en 1882 : « Conservons donc au cultivateur canadien cette appellation d’habitant qui a une origine authentique et honorable, que l’habitant ne rougisse pas de s’entendre appeler ainsi, enfin que les écrivains emploient le mot sans hésitation et surtout sans le mettre en italique. » Afin de réhabiliter l’image même de l’habitant, on essaie d’établir l’origine du mot. Un débat prend forme en 1918, où l’on tente de légitimer son usage. Pour ce faire, Adjutor Rivard affirme que le nom d’habitant est des plus honorables et mérite d’être conservé, puisqu’il a une origine française. Cette interprétation se rattache à l’emploi colonial de habitant décrit dans les dictionnaires. Paul Vigué va encore plus loin : il prétend que l’emploi de habitant au Canada était connu autrefois en France et utilisé en milieu rural. Pour avoir une idée de la dialectique des défenseurs de l’habitant au début du XXe siècle, on peut se reporter au plaidoyer que Claude-Henri Grignon fait tenir à l’un de personnages, tiré de ses souvenirs d’enfance (voir la citation sous I.4). Malgré tous les efforts fournis pour redonner à habitant ses lettres de noblesse, la valeur péjorative attribuée au mot continuera à prendre de l’expansion au Québec, allant même jusqu’à supplanter le sens de « cultivateur ».
Sources : Académie 1718; T. P. Bédard, dans Nouvelles Soirées canadiennes, 1882, p. 48; L. Bovet, dans Québec français, été 1998, p. 101‑103; L. Campeau, Les finances publiques de la Nouvelle-France sous les Cent-Associés : 1632‑1665, 1975, p. 65; G. Carpin, Histoire d’un mot : l’ethnonyme canadien de 1535 à 1691, 1995, p. 131‑138; S. Courville (dir.), Le pays laurentien au XIXe siècle, 1995, p. 34, 46 et 99; L. Dechêne, Habitants et marchands de Montréal au XVIIe siècle, 1974, p. 77‑80; S. Dépatie, El ser mas independiente del mundo? La construccion del “habitant” canadiense, dans A. Chacon Gutiérrez et C. Poupeney-Hart (dir.), El discurso colonial : construccion de una diferencia americana, 2002, p. 189‑221; K. Fillion, Essai sur l’évolution du mot habitant (XVIIe‑XVIIIe siècles), Revue d’histoire de l’Amérique française, vol. 24, no 3, 1970, p. 375‑401; Fur 1690; A. Laberge (dir.), Histoire de la Côte-du-Sud, 1993, p. 112‑115; G. Leroux, Volontaires, engagés et habitants, Thémis, février 1959, p. 133‑151; J. Mathieu, La Nouvelle-France, 1991, p. 67‑68 et 85; L. Nicolas, Traitté des animaux a quatre pieds terrestres et amphibies, ms. 12223, fo 9; Richelet 1680; A. Rivard, Habitant, Le Canada français, 2e série, vol. 1, no 4, 1918, p. 273‑275; Trévoux 1721; M. Trudel, Histoire de la Nouvelle-France, vol. 3, t. 1, 1979, p. 174‑175; P. Vigué, À propos du mot « habitant », Le Canada français, vol. 1, no 3, 1918, p. 217‑219.
Les Habitants : surnom donné au Club de hockey Canadien, communément appelé Canadiens de Montréal.
Rem.Fréquemment utilisé par les chroniqueurs sportifs au cours du XXe siècle. On le relève parfois encore sous leur plume, surtout avec une valeur stylistique.
Ontario continue à se porter à l’attaque et Vézina bloque avec succès plusieurs lancés [sic] de Vair, […] le Canadien reprend bientôt l’avantage et Hébert à son tour se voit forcé de défendre ses buts car « Jack » Laviolette multiplie ses courses furibondes et toute l’attaque des « Habitants » semble décidée, coûte que coûte à remporter la victoire. 1914, Le Devoir, Montréal, 5 janvier, p. 4.
Les Canadiens ne se sont pas servis de Polly Drouin, qui est blessé à un poignet. Drouin pourra probablement jouer lorsque les Habitants rencontreront les Black Hawks de Chicago, dans leur prochain match, jeudi soir au Forum. 1940, La Presse, Montréal, 23 décembre, p. 25.
Enfants, plus jeunes, on se passionnait vraiment, absolument, fous comme braques, pour « notre » club. C’était une « institution ». Je regrette que les plus jeunes – à cause des melting-pots fades – ne puissent plus connaître cette fougue, cette ferveur, cette « dévotion », disons le mot, que nous portions pour les « Habitants » de Montréal, pour nos « Canadiens » du Forum. Nous les suivions partout où ils allaient porter nos couleurs, par la radio; c’était une fièvre terrible lors des éliminatoires. 1976, Cl. Jasmin, Feu à volonté, p. 153.
Acquérir NHL 2001, c’est se préparer à vivre une saison de hockey diablement plus intéressante et beaucoup plus fertile en émotions que ce à quoi nos « Habitants » nous ont habitués au cours des dernières années. 2000, M. Dumais, Le Devoir, Montréal, 23 octobre, p. B3.
Bon, revenons à nos moutons ou si vous préférez, vos Habitants préférés, les Canadiens. De toute évidence, votre digestion en souffre depuis que les Flyers ont renversé la vapeur pour placer le Tricolore sur le bord du gouffre. 2008, J.‑G. Rancourt, La Tribune, Sherbrooke, 2 mai, p. 40.
[Jay] Baruchel, qui s’est donné dans Goon le rôle du meilleur ami du matamore Doug Glatt (Sean William Scott), ne rate jamais ou rarement un match du Canadien. C’est avec le gilet des « Habitants » sur le dos qu’il s’installe devant le petit écran, un clavier jamais loin pour livrer ses impressions sur ses deux comptes Twitter. 2012, N. Provencher, Le Soleil, Québec, 18 février, p. A3.
VieuxSurnom donné au club de crosse Le National.
Nous partageons l’opinion des joueurs du National mais nous croyons pouvoir leur dire qu’il ne faut pas avoir un excès de confiance car cela pourrait leur jouer un mauvais tour. […] Il est vrai que les « Habitants » ont vaincu les Bleachers, samedi dernier ce que les Irlandais ont été défaits par les Indiens de Charlie Querrie le même jour, mais il n’est pas dit que l’Irish-Canadian perdra toujours. 1912, Le Devoir, Montréal, 9 juillet, p. 4.
(Variante; par l’intermédiaire de l’anglais). Habs.
Mais avez-vous remarqué qu’autant à l’épicerie du coin qu’au pub ou au garage, on parle autant de baseball que de hockey depuis une bonne semaine. Et ce, même si les Habs sont en pleine [sic] séries éliminatoires (… qui ont été inventées je crois pour étirer la saison des autres équipes avant que le Canadien ne porte la coupe aux lèvres). 1980, A. Cyr, La Voix de l’Est, Granby, 17 avril, p. 8.
Ayant habité les deux villes, c’est en arrivant à Québec que j’ai adopté les Nordiques. Je n’ai jamais appuyé le Canadien, mais j’aime bien le club cette année. Pas pour le CH, mais plutôt pour l’équipe qu’a bâtie André Savard. Cependant, il serait plaisant un jour de recommencer à haïr les Habs au profit du fleur de lys. 2002, Le Soleil, Québec, 6 mai, p. S4 (lettre).
Avec deux parties des Habs, le Super Bowl et les finales des Internationaux d’Australie, RDS a connu un costaud week-end. La partie de samedi du Canadien, qui a triomphé des Kings de Los Angeles, a attiré 661 000 fans. 2009, H. Dumas, La Presse, Montréal, 3 février, cahier Arts et spectacles, p. 1.
Le Tricolore doit trouver une formule différente que celle utilisée lors de la série contre les Bruins de Boston. Durant cette longue série de sept parties, les Habs avaient utilisé une stratégie de style « dump and chase ». Cela signifie de mettre la rondelle dans le fond de la zone offensive et utiliser la vitesse des joueurs pour être premier et donc récupérer le palet. 2014, O. Senay-Latendresse, Le Plus, Granby, 21 mai, p. 14.
(Dans une formule d’encouragement). Go Habs go!
Les loyaux partisans du bout d’affluence avaient beau crier « Go-Habs-Go », Gamble sortit de ses buts dans l’espoir d’arrêter la rondelle pendant que deux Canadiens retenaient le brillant Hicke. À demain après-midi donc à l’Aréna de Hull pour la revanche. 1958, Ch. Daoust, Le Droit, Ottawa, 3 mai, p. 8.
Il faut absolument oublier la tradition. En revenir aux choses réelles, comme vendre le produit à un public qui se veut plus exigeant de jour en jour. Ce n’est pas les cris de « Tu l’as eu… Tu l’as eu… et Go.. Habs Go… ou encore Habs on the warpath… Oomph Ha…[ »] que l’on entend à chaque match qui rend la foule vraiment partisane. 1975, J.‑P. Chartrand, Montréal-Matin, 17 mai, p. 58.
Les Habitants se trouvaient enveloppés d’acclamations bilingues. Les chants de « Les Canadiens sont là » et « Go Habs Go » instillèrent une vie nouvelle à la plus grande ville de hockey au monde. 1981, Cl. Mouton, Les Canadiens de Montréal, p. 18.
Depuis le début des séries éliminatoires de la Ligue nationale de hockey, le Québec vit au rythme du Canadien de Montréal. […] Mardi 8 mai, 22 h 05. Donald Audette vient de compter en prolongation contre les Hurricanes de la Caroline; la foule est en liesse. À l’extérieur, quelques instants plus tard, c’est l’euphorie. Les klaxons des automobilistes répondent aux partisans qui chantent leur joie : « Go habs go, go habs go, go habs go… » 2002, Fr. Vailles, La Presse, Montréal, 11 mai, p. B3.
Au cours des dernières années, le hockey professionnel a atteint une popularité sans précédent. À Montréal, durant les séries éliminatoires de 2008, 2009, 2010 et 2011, tous les autobus de la ville scandaient « Go, Habs, Go! » sur leurs tableaux d’affichage, plusieurs voitures arboraient le drapeau des Canadiens et tous les restos et bars de la ville étaient bondés lors des matchs de l’équipe locale. 2012, C. Girard-Audet, L’ABC des filles 2013, p. 480.
NOTICE ENCYCLOPÉDIQUE
Au début du XXe siècle, on donne le surnom de Habitants à des équipes sportives composées essentiellement de joueurs d’origine canadienne-française. On l’associe d’abord dès 1912 aux joueurs de l’équipe de crosse Le National avant de le réserver définitivement, à partir de 1914, à ceux du Club de hockey Canadien, communément appelé Canadiens de Montréal. L’origine de ce surnom donne lieu à plusieurs interprétations, mais il est probable qu’il ait un lien avec le sens de « cultivateur » qu’a longtemps eu ce mot. Bien qu’à cette époque on lui connaît déjà une connotation péjorative sous cet emploi, notamment dans les villes, le mot habitant reste néanmoins encore très positif chez une bonne partie de la population rurale, de même que chez les défenseurs de la littérature du terroir. Chez ces derniers, le cultivateur représente un idéal de vie pour les Canadiens français. Homme libre, descendant des premiers colons de France, l’habitant symbolise la force, la robustesse, l’ardeur au travail et, en outre, il représente le gardien de la langue, de la foi et des traditions des ancêtres. Ces qualités auraient pu être véhiculées par le surnom, qui aurait alors eu une fonction identitaire. Quoi qu’il en soit, il est certain que le surnom n’a pas été créé à partir du H inscrit dans le logo CH identifiant les Canadiens de Montréal, puisque le logo n’a été créé qu’en 1916, soit bien après l’apparition du surnom. Habitants a eu cours sous la plume des commentateurs francophones de la presse sportive jusque dans les années 1970 – en concurrence avec d’autres surnoms encore bien vivants comme le Bleu Blanc Rouge, la Sainte-Flanelle ou les Glorieux – et on ne l’emploie plus aujourd’hui qu’avec une valeur stylistique. Vers le début des années 1920, les commentateurs sportifs anglophones ont également adopté le surnom Habitants, qu’ils ont remplacé petit à petit par l’abréviation Habs. Ce mot est parfois utilisé par les francophones, mais surtout dans la formule d’encouragement Go Habs Go! que la foule des partisans scande lors des matchs du Canadien.
Sources : Fr. Black, Habitants et glorieux, 1997, p. 20 et 25‑29; S. Courville (dir.), Population et territoire, 1996, p. 112; D. Guay, L’histoire du hockey au Québec, 1990, p. 72; É. Laflamme, Go Habs go! Les Habitants : plus qu’un surnom, une légende!, Québec français, printemps 2003, p. 103‑105.
Locutions.
(D’après le sens I.2, avec connotation positive). D’habitant : qui est fabriqué sur la ferme par les gens de la campagne et auquel on reconnaît des qualités supérieures aux produits fabriqués dans les manufactures, les industries.
Beurre, pain d’habitant. Crème d’habitant, plus riche en matière grasse que la crème commercialisée. Saucisse d’habitant. Étoffe, flanelle, laine, toile d’habitant. Savon d’habitant.
pays.
Qui est typique de la culture, des traditions des gens de la campagne.
Maison, voiture d’habitant. Dîner, souper d’habitant. (En apposition). Style habitant.
canadien.
Quelques catéchismes bien écrits traitant des meilleures rotations de récoltes, pour les différents sols et localités, et les méthodes les plus appropriées à la culture des différents grains et racines, imprimés sur de grandes feuilles suspendues dans les maisons d’habitants, feraient plus de bien que n’en produirait le journal périodique le mieux conduit. 1850, Rapport du Comité spécial sur l’état de l’agriculture du Bas-Canada, p. 137.
Vous n’habitez pas ici [Cacouna] dans le Canada; rien ne peut y donner l’idée d’un village de notre pays : toutes les anciennes maisons d’habitants ont fait place à de somptueuses villas construites par des étrangers, entourées de jardins, s’échelonnant à perte de vue sur une ligne droite, assises triomphalement sur le coteau qui domine le fleuve et d’où l’on embrasse une vue qui s’étend à plus de vingt lieues dans tous les sens. 1871, L’Opinion publique, Montréal, 27 juillet, p. 358.
Quatre farceurs […] se sont habillés complètement de toile blanche d’habitant et coiffés de grands chapeaux de paille à forme conique très élevée. 1882, J.‑F. Verret, dans R. Ferland (éd.), Mes souvenirs, t. 1, 2001, p. 338.
Le bon « pain d’habitant », le noble pain de ménage! Dans mon enfance, il était blond, frais et rose, avec une saveur exquise, un parfait goût de terroir. Il était appétissant, le pain d’autrefois, solide comme ceux qu’il nourrissait, tendre comme le cœur de ma mère qui me l’offrait. Il était fait du plus pur froment de nos champs dorés, il méritait son nom d’aliment complet, parce que la meunerie ne l’avait pas privé des précieux éléments minéraux placés dans le germe et sous l’enveloppe du blé. Le sang qu’il engendrait était plus généreux, et nous lui devons une bonne part de l’énergie de notre race. Le pain d’habitant, le robuste pain de nos ancêtres est rare aujourd’hui. Les goûts dépravés de certaines gens lui ont substitué le pain blanc. Le « pain blanc » au teint pâle et livide prend des airs de ville. 1917, G. Bouchard, Premières semailles, p. 25‑26.
Quand on partai [sic] pour ces voyages de 40 à 50 milles sur la glace on était habillé d’étoffe d’habitan [sic], de bons bas tricotés avec de la belle laine douce – et on avait un bon capot de fourrure. 1919 env., dans Saguenayensia, vol. 20, no 6, 1978, p. 149.
Jeudi soir […] aura lieu, dans les salles de l’hôtel de ville, le « souper d’habitants » donné par le cercle catholique des voyageurs, de Longueuil. Les dames y seront admises. Il y aura tout un programme de gigues, danses du bon vieux temps et de violoneux. Les chansons du terroir et la vieille pipe de plâtre seront en honneur. 1930, La Presse, Montréal, 18 novembre, p. 29.
Et voici même que renaît avec assez d’intensité même, dans plusieurs de nos paroisses, la fabrication du savon, le bon, solide, durable mais malodorant « Savon d’habitant » fait avec tous les restes de la cuisine, graisse, lard, couenne et suif que dans les jours d’abondance l’on s’était mis à jeter sans profit aucun pour acheter du « savon de manufacture. » Les ménagères se seraient mises, comme leurs mères à fabriquer elles-mêmes leur provision de savon pour l’année. À la fin de l’été, elles auront, au grenier, de belles rangées de briques jaune [sic] d’or qui serviront pour un an au lavage, des parguets [sic] et du linge et qui ne leur aura coûté, en somme, que de la résine et… de la patience. 1933, D. Potvin, D’un mois à l’autre, Le Terroir, octobre, p. 6.
Ajoutons qu’au printemps, tous les matins, à l’heure du silence le plus pur, je vais donner un coup de ligne. À mon retour, je déjeune de truites succulentes, de patates bouillies, d’un bon bol de café, de petits pains chauds et de « beurre d’habitant ». […] Il n’est plus permis d’ignorer que du bon pain, du bon beurre […], de la bonne truite, du bon air, un bon lac, un bon ciel, de la bonne encre et une bonne plume, c’est tant qu’il faut pour apporter la joie dans la vie d’un écrivain. 1940, Les Pamphlets de Valdombre, juin, p. 8‑9.
Tout juste avant de tourner sur la 3, à votre gauche, il y a un kiosque de fruits et légumes, « Le Cultivateur » vous faites provisions de pain de ménage, de fruits frais et une chopine de « crème d’habitant » imbattable comme dans le bon vieux temps… Après cette agréable tournée passée au grand air tout en admirant et partageant des plaisirs « un peu vieillots » rien de mieux que de revenir à la maison et se cuisiner un petit souper BBQ sur la terrasse avec les victuailles ramassées au cours de nos visites et comme dessert des framboises avec de la bonne crème d’habitant… 1989, La Presse, Montréal, 19 juillet, p. A3 (lettre).
J’essaie de voir l’église. C’est là que les hommes de Wetherall ont allumé leur grand feu de joie, après la victoire. Ils ont célébré jusque tard dans la nuit, à côté des cadavres de leurs ennemis entassés devant l’autel. Des dizaines et des dizaines de macchabées empilés au pied de la croix comme du bois de chauffage. Une vingtaine de survivants avaient été parqués dans la sacristie pour la nuit. Le lord qui les surveillait les a décrits : à genoux dans le noir, éclairés par une chandelle, priant en silence pendant que les goddam riaient et chantaient juste à côté. Les officiers ont bien soupé ce soir-là : volailles rôties, bacon frit, crêpes, pommes de terre au four, pain d’habitant. Les Anglais sont retournés dans l’église le lendemain pour se débarrasser des corps. 2010, L. Hamelin, La constellation du Lynx, p. 150.
J’avais vu papa stationner son beau Ford 1935 Coupé V8, le mettre sur des blocs de bois, parce que les pneus étaient usés jusqu’à la toile. Je me souviens, papa m’avait amené avec lui jusqu’à la Baie-Saint-Paul afin d’acheter du bon beurre d’habitant, comme il disait. Mais le chemin du retour fut une véritable expédition, car c’en était une, en effet, que de faire deux crevaisons au cours du voyage. 2017, J.‑Cl. Turcotte, Le Charlevoisien, Baie-Saint-Paul, 20 décembre, p. 26.
(D’après le sens I.3, avec influence du sens I.2 (« cultivateur ») dans certains emplois, avec connotation péjorative). En habitant : à la manière des habitants, grossièrement, sans raffinement.
Attelé(e), habillé(e) en habitant. Bronzer, fam.griller en habitant, sans retirer ses vêtements, engendrant ainsi un bronzage inégal et disgracieux. Être bronzé(e), grillé(e) en habitant. Parler en habitant, d’une manière populaire. Se moucher en habitant, sans utiliser de mouchoir.
À Lourdes, mon canayen a continué de parler en habitant. L’autre jour, sur le boulevard de la grotte, il arrête un passant : – Voulez-vous me dire par « ousse » qu’on passe pour aller au « dépôt »? – Au dépôt de la préfecture, monsieur? – Non, au dépôt du chemin de fer? – Le chemin de fer n’a pas de dépôt. Toutes les marchandises sont déposées dans la gare. Prenez cette route. Dans dix minutes vous serez rendu à la gare. 1894, Le Canard, Montréal, 8 septembre, p. [2].
Sur le parcours des quelques centaines de milles où j’ai passé cet été, je me suis aperçu que beaucoup de cultivateurs sont dans la même position. J’écris aussi fidèlement que possible le résumé de ce qui s’est dit dans les deux heures passées à discuter, croyant rendre service. Nous avons parlé en habitant. J’écris en habitant pour être compris des habitants. 1929, Le Bulletin des agriculteurs, Montréal, 26 septembre, p. 1.
Sur le bord de la piscine Wilfrid-Hamel jeudi, les Cygnes (équipe de nage synchronisée) comparaient leur couleur de peau avec les autres nageurs, se bidonnant ferme en regardant l’un deux [sic] bronzé « en habitant ». Un golfeur, probalblement [sic]. 1994, L. Leduc, Le Soleil, Québec, 25 juin, p. S‑8.
C’est plein de ministres qui ne cessent de « perler » et de se « dimensionner », qui n’ont comme souci constant que de se donner de la stature, de l’envergure, de la portée nationale. Qu’on est loin du vrai monde ordinaire! Personne ne demande à quiconque de parler en habitant, de faire peuple. N’empêche que ça fait du bien d’entendre un ministre dire qu’en 1980, après la défaite du référendum, « je me suis retrouvé sur mon tracteur à gercer ma terre et je n’aimais pas tout le monde. » 2002, J.‑M. Beaudoin, Le Nouvelliste, Trois-Rivières, p. 5.
Maudite piscine. Si agréable et si traître à la fois. Que les grands-parents se rassurent par contre, maman, papa et les deux grands frères ont eu leur leçon. Toute une en fait. Nous avions beau être déjà fort sensibilisés aux dangers d’une piscine avec un Émile autour, notre garçon va bronzer en « habitant » cet été. En fait, il devra s’habituer au port d’un vêtement de flottaison, même en écoutant les 101 dalmatiens. 2003, I. Légaré, Le Nouvelliste, Trois-Rivières, 5 juillet, p. T3.
[Le réalisateur] a étudié en multimédia. Pourtant, c’est en chantant, habillé en habitant et entouré de six faux frères aussi colons, qu’il a commencé à se faire connaître. 2005, L. Martin, La Tribune, Sherbrooke, 6 décembre, p. D1.
« Quand je suis revenue [d’un été à planter des arbres], j’étais super en forme et bronzée en “habitant” », relate cette architecte de formation, qui était l’une des 10 filles sur un groupe de 80 personnes qui plantait au nord de l’Ontario. « Une aventure, un rite de passage, mais aussi une culture cow-boy macho. » 2012, La Presse, Montréal, 23 avril, cahier Arts, p. 6.
720 km de fait aujourd’hui pour visiter deux centre [sic] d’escalade intérieur [sic]. Mon pote journaliste est content : le plus gros est fait. Tout ça une belle journée radieusement (!) ensoleillée. Forcément, j’ai grillé en habitant… mdr [mort de rire]. 2013, La fraternité du scoutisme (site Web), forum (divers; délires & insouciances; venez vous réjouir deux bons coups!), 16 juin.
Histoire
I1Depuis 1627, mais ne semble pas se prolonger au-delà du tournant du XVIIe s., époque où l’emploi décrit en I.2 (ci-dessous) le supplante peu à peu; découle du sens de « celui qui habite un endroit, une maison », qu’a le mot habitant en français depuis le XIIIe s. (v. FEW habitare 4, 369a). Il était utilisé en Nouvelle-France, notam. dans le langage administratif, pour différencier des personnes de passage de celles établies à demeure dans la colonie (v. la notice encycl., sous le sens I.3). 2Depuis 1659. Cet emploi se rattache directement au sens de « particulier auquel le souverain a accordé des terres à défricher et à planter dans les colonies », qu’a pris le mot habitant dans le français des Antilles à l’époque coloniale, comme le suggère déjà ce passage de J.‑B. du Tertre en 1654 : Pour venir about d’une entreprise si hardie & si difficile dans son execution, il prend environ cent des vieux habitans de l’isle de sainct Christophe, tous gens d’élite, accoustumez à l’air, au travail, & à la fatigue du pays, & qui en un mot n’ignoroient rien de tout ce qu’il faut faire, pour deffricher la terre, la bien cultiver, y planter des vivres & y entretenir des habitations (v. Histoire generale des isles de S. Christophe, de la Guadeloupe, de la Martinique, et autres dans l’Amérique, 1654, p. 70; v. aussi FEW id., Enc et Trévoux 1771). Il résulte d’une spécialisation de habitant « celui qui habite un endroit, une maison » (v. sens I.1, ci-dessus) qui s’est produite au XVIIe s. dans le français des Antilles, d’où il s’est diffusé dans les colonies de la Nouvelle-France, de la Louisiane, de la Guyane et de la Réunion par l’intermédiaire des marins et des administrateurs (v. K. Fillion, dans RHAF, vol. 24, no 3, 1970, p. 384; G. Frégault, La société canadienne sous le régime français, 1954, p. 7; BlaisTop 45; pour la Louisiane, v. M.‑M. Hachard, 1727, dans G. Gravier, Relation du voyage des dames religieuses ursulines de Rouen à la Nouvelle-Orléans, 1872, p. 77 (lettre); RJ 67, 1727, p. 282; pour la Guyane, v. RAQ 1965, p. 76). Il s’est maintenu jusqu’à nos jours dans les parlers créoles de ces anciennes colonies françaises (pour les Antilles, v. HallCréole, s.v. abitâ, FaineDict, BentKreyòl, s.v. abitan, PelCréole, s.v. abitan, ValdHait, s.v. abitan; pour la Réunion, v. ChaudRéun 599‑600, BaggRéun, s.v. zabitan, BenRéun, CarRéun 120; pour la Louisiane, v. ValdmCreole, s.v. abitant). En Nouvelle-France, on ne relève cet emploi de façon assurée qu’à une époque où l’administration royale a déjà repris en main les destinées de la colonie (1663) et au cours de laquelle s’est accru de façon sensible le nombre d’immigrants, à qui le roi est désireux de concéder une terre seigneuriale pour qu’ils la défrichent et la cultivent. L’habitant correspond alors à un type social intégré de plain-pied à la colonie, contrairement au coureur de bois, qui vit de façon plus marginale. On retrouve une typologie analogue aux Antilles, comme le rapporte le chirurgien normand A. O. Exquemelin au XVIIe s. à propos d’aventuriers français : « Voilà comme le petit nombre de ces Avanturiers fut divisé en trois bandes, dont les uns s’appliquerent à la chasse, & prirent le nom de Boucaniers, les autres à faire des courses, & prirent le nom de Flibustiers, du mot Anglois Flibuster, qui signifie Corsaire; les derniers s’adonnerent au travail de la terre, & on les nomma Habitans » (A. O. Exquemelin, Histoire des avanturiers flibustiers, t. 1, 1699, p. 25‑26). Aux Antilles, la spécialisation du sens de habitant doit être mise en relation directe avec le développement sémantique de habitation, mot qui a servi à désigner une plantation, importante exploitation rurale où se faisaient de grandes cultures comme celle du tabac, du coton et de la canne à sucre (v. J. Bouton, Relation de l’establissement des François depuis l’an 1635 : en l’isle de la Martinique, l’une des antilles de l’Amerique, 1640, p. 26‑27; ChaudRéun 597). Gros habitant, depuis 1831 (Le Canadien, Québec, 28 décembre, p. [3] (lettre) : J’entendais par notables les paroissiens distingués par leur rang leur éducation, leur profession, et enfin par leur propriété, tels qu’Officiers de milice, Notaires, marchands, et ce qu’on appelle gros habitans). Petit habitant, depuis 1882 (B. Sulte, Les Interprètes du Temps de Champlain, dans MSRC, vol. 1, section 1, p. 53 : Des hommes tels que Jean-Paul Godefroy, les Le Gardeur, les Le Neuf décident de la marche des choses dans un jeune pays. Sans rougir d’être appelés « les petits habitants, » […]). L’habitant canadien, depuis 1855 (J.‑G. Barthe, Le Canada reconquis par la France, p. 66 : Son tribunal était l’âme de la justice qui était déniée à l’habitant canadien partout ailleurs). En parlant d’un animal qui se fixe en un endroit donné, depuis 1893. En emploi adjectival, depuis 1894 (Clapin : J’peux pas porter ça, c’est trop habitant). On trouve également le mot dans les dictionnaires canadiens-anglais et américains sous deux emplois différents. Il est utilisé, dans un premier temps, pour désigner le cultivateur canadien-français ou tout cultivateur d’origine francophone, tant au Canada qu’aux États-Unis (v. J. Long, Voyages and travels of an Indian interpreter and trader, 1791, p. 167; v. aussi Webster 1905, DictCan, Craigie). Dans un deuxième temps, le mot désigne, par extension du premier sens, le Canadien français de façon générale, sans considération pour son occupation professionnelle (v. The Quebec Gazette, 5 février 1789, p. [4]; v. aussi EncDict, DictCan, OED). Bien que les dictionnaires n’en fassent pas clairement la démonstration, il semble que le mot habitant soit fréquemment utilisé par les anglophones avec une valeur péjorative (v. C. G. D. Roberts, By the marshes of Minas, 1900, p. 78; L’Opinion publique, 10 mars 1881, p. 115; BouthChoc, p. 286). 3Depuis 1870 en parlant d’une personne rustaude. Cet emploi aurait contribué à la disparition du mot pour désigner le cultivateur canadien-français puisqu’aujourd’hui on lui préfère cultivateur ou agriculteur. On retrouve également ce sens aux Antilles et à la Réunion (v. ChaudRéun 597; ValdHait). Sa présence dans les différentes colonies françaises nous amène à considérer qu’une évolution parallèle du sens I.3 de habitant se serait produite à la même époque en Amérique du Nord, aux Antilles et à la Réunion. 4Depuis 1861.
IIDepuis 1914 en parlant du Club de hockey Canadien de Montréal, mais est utilisé dès 1912 pour désigner l’équipe de crosse Le National. Paraît découler, par extension, du sens I.2. Surnom donné aux équipes sportives composées majoritairement de joueurs canadiens-français. Habs, depuis 1980, mais dès 1958 dans la formule Go Habs go!. De l’anglais canadien Habs, qui a cours dans la langue des chroniqueurs sportifs anglophones depuis 1944 (The Gazette, Montréal, 25 décembre, p. 14 : Habs Edge Hawks 2‑1 as Wings Clip Leafs 5‑4 [titre] […] Two first period goals gave Canadiens a 2‑1 victory over the desperate Chicago Black Hawks at the Forum on Saturday night before a pre-holiday crowd of 10,640 cash customers); est une abréviation de Habitants adopté par les mêmes chroniqueurs dès 1916 (The Quebec Chronicle, 12 janvier, p. 6 : […] should the Ancient Capital representatives beat the Habitants and Ottawa down Toronto, the Canadiens will drop down into fourth position in the standing).
III1Depuis 1850. 2Depuis 1894 (parler en habitant). Se moucher en habitant, depuis 1970 (PPQ 2338 : se moucher en habitant « se moucher avec les doigts »). Bronzer en habitant, depuis 1994.