GIBELOTTE [ʒiblɔt]
n. f.
Variantes graphiques : giblotte, gibelote (voir Histoire).
Mets.
Hachis de composition variable, fait notamment de viande (souvent de gibier) et de légumes.
(Spécial.). Région.Matelote de poisson et de légumes bouillis.
La gibelotte des îles de Sorel.
Rem.En France, le mot a aujourd’hui le sens de « fricassée de lapin au vin blanc » (voir Histoire).
Presqu’au même instant une perdrix se leva à deux pas de moi. Aussitôt, sans perdre une minute, je saisis mon revolver, je l’arme et je fais feu au jugé, à tout hasard. [...] Hélas! j’y perdis ma poudre [...]. – Venez, me dirent aussitôt mes compagnons; laissons la chasse à M. Martel (Louis-Jérémie), il est bon tireur et rapportera certainement de quoi faire une gibelotte. 1869, J. Royal, La vallée de la Mantawa, p. 86‑87.
[...] faire une fière gibelote avec un lièvre, une perdrix, une truite, une brique de lard, une pincée de poivre, cinq gobelets d’eau, du feu... et une marmite. 1901, H.‑G. de Montigny, Étoffe du pays : études d’économie politique canadienne, p. 227.
– Vous ne les avez donc pas entendues [les perdrix] dans le petit bois à l’est de votre campe? Elles font un ramage à tout casser. – J’entendais quelquefois comme un petit bruit de moteur... Je ne savais pas... – La perdrix, Monsieur, quand elle va prendre son allant. Rien de meilleur en gibelotte. 1954, G. Roy, Alexandre Chenevert, p. 228.
Phonsine : (Accourt). Vous restez à dîner avec nous autres, mossieu le curé. Curé : Impossible, madame Beauchemin. Phonsine : Mais j’ai fait une gibelote en votre honneur. Amable : Avec trois sortes de poissons : du doré, de l’achigan, de la barbotte. 1962, G. Guèvremont, Le Survenant, 12 octobre, p. 5 (radio).
Un rôti de bœuf occasionnel à la Saint‑Jean ou aux moissons, mais le reste de l’année, le lard salé, les fèves jaunes et les pommes de terre. Pour le dessert, une tranche de pain trempée de lait chaud et saupoudrée de sucre d’érable. Délicieux mais drôlement invariable. Un régime pareil a de quoi rendre mémorable une gibelotte au poulet, un pâté de framboises, sans oublier la tire à la mélasse à la Sainte-Catherine. 1981, J. Pellerin, Au pays de Pépé Moustache, p. 133.
S’il est un mets digne de mention [dans l’archipel du lac Saint-Pierre], c’est la gibelotte! Popularisée surtout au chenal du Moine à Sainte-Anne-de-Sorel c’est un plat qui ressemble à la bouillabaisse. Pommes de terre, légumes divers, bouillon de tomates et poissons, canards ou rats musqués complètent le plat. […] Traditionnellement la gibelotte se mangeait le vendredi alors que la religion catholique imposait une journée de « maigre et jeûne ». Il ne fallait pas manger de viande tel que le bœuf, le porc etc. Par contre, il était permis de manger du poisson et le gibier d’eau était considéré comme « maigre » et donc permis. 2009, L’écho de la voix des Plante, vol. 3, no 2, p. 13.
Véritable bibliothèque humaine, le capitaine a réponse à toutes les questions, et sait adapter son discours à tous les publics. On apprendra jusqu’à la recette de la gibelotte, une soupe-repas locale à base d’un bouillon tomaté, de légumes et de poissons, notamment de perchaude et de barbotte très présentes dans le lac Saint‑Pierre. 2021, T. Roulot, Le Devoir (site Web), Montréal, cahier spécial Plaisirs, 24 juillet.
Faire sa gibelotte : faire sa cuisine, ses repas.
Je me vois, moi, curé gâté, dans ma petite maison,... trop pauvre pour avoir une ménagère ou me mettre en pension, obligé de faire ma gibelotte, ma lessive, mon lit… quand je voudrais aller voir un voisin, monter non pas dans mon automobile, mais sur un mulet et, quand je voudrais aller à Québec,… rester chez nous. [...]. 1953, E. Arsenault, Les loisirs d’un curé de campagne, p. 312.
VieilliGibelotter v. tr. Préparer (un plat). v. intr. Faire la cuisine.
Rem.Variante graphique : giblotter.
Elle sait gibelotter ça, une bonne soupe.
Clarisse : Je vois, Sara, qu’ici comme ailleurs on se prépare pour les Fêtes... Sara : Je fricote et je gibelotte. Clarisse : C’est pareil à la Métairie. Luce et moi nous avons fini les pâtisseries aujourd’hui. 1941, A. Brassard, La métairie Rancourt, 22 décembre, p. 3 (radio).
À côté d’elle c’est sa mère, Pierrette. Dans ce gros chaudron qu’elle brasse avec une rame, elle nous gibelotte sa spécialité, les spare ribs de brontosaure enrobées de paupières de lièvres. Un délice! 1987, Le Nouvelliste, Trois-Rivières, 4 avril, p. 2A.
Fig., vieilliv. tr. Manigancer, préparer (un mauvais coup).
Quand Jasmin se décida à entrer dans le restaurant, le fils de l’ancien prémieur bavait une tasse… buvait plutôt une tasse à sa table. L’ancien ami de l’ancien Maurice du Plexi giblottait sans doute quelques vieilles salopperies [sic] de l’ancien cheuf [sic]! 1973, A. Carpentier, Axel et Nicholas, p. 38.
Région.Gibelotteux n. Enfant qui joue avec sa nourriture. (Lavoie 2757).
Péjor., fam.Mets peu appétissant; mauvaise nourriture.
[...] l’un des Français, qui se prétendait cuisinier, s’était imaginé de mêler des pommes vertes à la bouillie de maïs, histoire de donner plus de consistance à la ration commune. Cela vous faisait une gibelotte dont les chiens n’auraient pas voulu. 1884, R. Tremblay, Un revenant, p. 251.
Et, par‑dessus le marché, pas beaucoup bien nourris, surtout du temps de Ovide Potvin. Une fois, écœurés de sa « giblotte » qu’il nous faisait, on le mit dehors. 1935, Grande-Baie (Chicoutimi), V. Tremblay, Mémoires de vieillards, no 108, p. 1.
Toi, Laurent, t’es comme le père, t’as un faible pour elle. On voit que t’es pas obligé de manger ses giblottes. 1963, A. Laurendeau, Marie‑Emma, Écrits du Canada français, vol. 15, p. 18.
Une fois que vous avez bien en main disons votre fourchette et votre couteau, il est temps de commencer à manger. Écraser tout le manger pour en faire une gibelotte en disant : « Ben quoi, ça va toutte à même place! » n’est pas très élégant. 1986, Croc, no 88, p. 77.
Petite, ma mère pestait contre ma façon de manger du pâté chinois. J’aspergeais le pâté de ketchup avant de mélanger le tout. Évidemment, ce qu’il y avait dans l’assiette finissait par ressembler à une belle grosse gibelotte. 2012, Progrès-dimanche, Chicoutimi, 8 juillet, p. 20.
Malgré son succès, la poutine n’a pas toujours été source de fierté pour les Québécois. En fait, dans la province, on en parlait souvent comme d’une gibelotte un peu sortie de nulle part ou comme une plaisanterie ayant fait boule de neige. Chefs et restaurateurs l’ont snobée pendant de nombreuses années. 2021, Le Nouvelliste (site Web), Trois-Rivières, opinions (carrefour des lecteurs), 10 mai.
Nourriture pour les porcs.
Le cochon gobe, en général, toute nourriture saine qu’on veut bien lui donner. Il suffira de faire cuire la giblotte 30 minutes au préalable afin de détruire tout germe qui pourrait éventuellement s’y trouver. 1974, P. DesRuisseaux, Le p’tit almanach illustré de l’habitant, p. 41.
Par anal., Fam., souvent péjor.
Mélange, amalgame quelconque de matières diverses, d’éléments disparates.
Le monde est rempli de Laridons, de marmitons qui ne sentent plus. […] En religion, ils sont éclectiques; ils ont du catholique, du protestant, du juif, du mahométan et même du mormon. En philosophie, ils sont pour la décoction et les gibelottes : panthéistes, naturalistes, déistes, rationalistes, sceptiques, ils sont tout cela et ne sont rien […]. 1871, Le Franc-parleur, Montréal, 14 décembre, p. 147.
Ceux qui disent merci en recevant les coups de sabot du Vieux Cheval n’ont pas la fierté, la force de caractère suffisante pour présider aux destinées du peuple canadien-français. Laissons les valets et les marmitons à leur service, faire tranquillement leur petite gibelotte politique. 1900, La Patrie, Montréal, 21 août, p. [4].
Il y a je ne sais combien d’années, en effet que nous entendons dans nos campagnes cette légende […] : « Les conseils de municipalités rurales n’ont pas le pouvoir d’exiger l’enlèvement de la neige des trottoirs. » […] Voulant défricher la situation sur ce point, je me suis embarqué dans l’étude du code municipal. Mes amis, quelle gibelotte qu’un mélange de médecine, de littérature et de code municipal. 1908, Le Canada, Montréal, 18 février, p. 4.
Il s’agit d’un Franco-Américain dont le langage est une gibelotte de français et d’anglais. 1957, G. Dufresne, Cap-aux-Sorciers, 28 novembre, p. 38 (télév.; indication scénique).
Deux jours avant, elle a fait une recette de soupe Les Pitounes en mélangeant dans une chaudière tous les détergents pis toutes les lessives qu’elle a pu trouver dans les armoires de la maison. Ma gibelotte au savon! Elle a ensuite mis la chaudronnée sur le feu. 1974, J.‑M. Poupart, C’est pas donné à tout le monde d’avoir une belle mort, p. 97.
Les patineurs tricolores restent dans le peloton de tête, malgré un esclandre par ci, une « crisette » par là, qui ne sont, eux, rien d’autre que quelques condiments répandus sur cette gibelotte souvent insipide qu’est le calendrier régulier de six mois et 84 matchs, sans compter les dix autres pré‑saison. 1994, Le Devoir, Montréal, 7 février, p. B5.
Pour le chef de l’opposition libérale, Daniel Johnson, la commission annoncée par M. Bouchard « déçoit et inquiète ». « On fait une gibelotte avec cette commission qui analysera à la fois les faiblesses de la Sécurité civile, les phénomènes météorologiques et la sécurisation du réseau d’Hydro », a‑t‑il soutenu. 1998, La Presse, Montréal, 29 janvier, p. 1.
Comment décrire l’objet? Ce disque est une recette de tourtière découpée au dos d’une boîte de Capitaine Crunch. Ou alors un père Noël en plastique jeté dans une piscine de canneberges. […] Bref, une cochonnerie à donner aux sangliers. Le contenu? Une gibelotte de saison qui mêle sans goût nouveaux enregistrements […] et anciens, provenant d’ici […] mais également d’ailleurs […]. 2000, Le Devoir, Montréal, 16 décembre, p. C5.
Mélange d’eau et de neige; boue, mélange boueux.
Les chemins sont en gibelotte. 1912, Bulletin du parler français au Canada, vol. 10, no 5, p. 190.
C’est plein de boue partout. La glace fondue avec le sable, ça fait une de ces giblottes! Je m’amuse à courir là‑dedans pour salir les gens. Ils s’étouffent, crient au meurtre, trouvent pas ça drôle du tout. 1965, A. Major, La chair de poule, p. 64.
C’est que les plants de fraises [d’un producteur] ont été lourdement endommagés par les caprices de Mère Nature, l’hiver dernier. Tout d’abord, il y a eu des pluies abondantes en décembre puis une couche de neige pesante, un peu plus tard. Toute cette gibelotte, qui a fait littéralement suffoquer la plupart des plants de fraises en dormance, a été couronnée par des froids records, en janvier et février. 2004, Le Nouvelliste, Trois‑Rivières, 30 juin, p. 3.
Le problème particulier du chemin qu'empruntent les vaches de la Ferme Rouillard, c’est qu’il conduit à un quai municipal sur les rives du lac Malartic. « Les Rouillard ont beau ramasser la merde de leurs bêtes avec un tracteur, il en reste toujours dans le gravier. Ça se mélange et ça finit par faire toute une gibelotte quand il pleut. Quand viennent des gens qui ont un bateau, ça revole sur les coques et ça finit par aboutir dans le lac. […] », a fait valoir [le maire de Rivière‑Héva]. 2012, Abitibi Express, Val‑d’Or–Amos, 22 mai, p. 6.
RareTravail mal fait; gâchis.
Laisse ça là, tu vas faire rien que de la gibelotte. 1912, Bulletin du parler français au Canada, vol. 10, no 5, p. 190.
Histoire
Les graphies giblotte et gibelote sont attestées en français (v. Boiste 1834 et ci‑dessous).
I1Depuis 1746 (PotierH 89 : giblotte f. : ragout miton, mitaine... frigousse... fricassée). Héritage de France. En français actuel, gibelotte fait généralement référence à un mets à base de lapin (v. p. ex. PLar 2021, PRobert 2021, Robert 1985, GLLF), mais autrefois, il désignait un plat qui pouvait comporter du poulet ou toute autre sorte de viande (v. p. ex. Trévoux 1752, GrVoc 1767, et notamment Besch 1847 qui précise que gibelotte était jadis synonyme de capilotade « ragoût fait de restes de volaille et de pièces de rôti dépecées »). Pour le sens de « mets composé de morceaux de poisson et de légumes », cp. l’expression à la gibelote « manière de préparer les poissons », attestée en français depuis le XVIIe s., mais qui n’a plus cours aujourd’hui (v. FEW ancien bas‑francique *gabaiti 16, 2a; v. aussi TLF et GLLF). Gibelotter « faire la cuisine », depuis 1941; gibelotter « manigancer », depuis 1912 (BPFC 10/5, p. 190). 2Depuis 1884.
II1Depuis 1871. Au sens de « mélange d’eau et de neige, boue », depuis 1912. 2Depuis 1912.