GANT [ɡɑ̃]
n. m.
Fig.Mettre, prendre des gants blancs : agir ou parler avec précaution, avec ménagement, en évitant de blesser ou de heurter (qqn).
Rem.1. Souvent attesté en contexte négatif (p. ex. parler sans mettre de gants blancs). 2. En France, on dit mettre, prendre des gants (voir Histoire).
Nous n’avons jamais compris l’habitude de mettre des gants blancs pour dire son fait à un homme qui a commis une trahison ou une saleté. 1862, Le Pays, Montréal, 4 janvier, p. [2].
Il y a quelque temps, un épicier du nom de James Lowe, prenait à son service comme palefrenier un nommé Simon Esculier. Lowe eut à se plaindre de la négligence de son employé et lui témoigna son mécontentement sans prendre des gants blancs. 1882, La Minerve, Montréal, 1er décembre, p. [3].
En ont-ils un toupet ces bleus là [sic]? Ils pillent le trésor depuis 18 ans – ils ont encombré tous les départments [sic], ils ont nommé à des emplois des hommes non qualifiés, ils ont placé leurs parents et leurs amis et aujourd’hui il faudrait prendre des gants blancs, nommer des enquêteurs, faire un tas de cérémonies pour soulager le budget affreusement chargé, pour démettre des gens incapables ou inutiles. 1896, L’Union des Cantons de l’Est, Arthabaskaville, 1er octobre, p. [2].
Le juge Victor Cusson n’a pas pris de gants blancs, la semaine dernière, pour savonner comme il convenait l’avocat-député […] qui a déjà insulté publiquement notre archevêque en le qualifiant de féroce. 1932, Le Goglu, Montréal, 29 janvier, p. 8.
Il ajusta la courroie de son sac sur son épaule et s’enfonça, de la neige jusqu’aux genoux, dans le petit bois clairsemé et silencieux […] plus très certain, à mesure qu’il avançait, de la manière dont il allait s’y prendre avec Calixa : « Lui dire ça net pis sec, ou bin mett’ des gants blancs, ça r’vient au même, tel que j’le connais. » 1974, A. Major, L’épouvantail, p. 107.
[Un politicien] se sait vulnérable. Il est encore leader de l’Opposition, mais s’il veut échapper à la meute, il lui faut faire place nette et sans mettre de gants blancs. Son gouvernement a été pitoyable. 1985, J.‑L. Gagnon, Les apostasies, t. 1, p. 169.
Le mot d’ordre contenait 3 exigences absolues : qualité des appareils, qualité des travaux et « tolérance zéro » quant au bruit, aux senteurs ou aux saletés qui pourraient déranger les locataires de l’édifice ou les employés de Sajo, ce qui fait qu’une partie du travail devait être effectuée de nuit. Bref, il fallait prévoir mettre des gants blancs. 2005, A. Dupuis, Un défi relevé haut la main, IMB, septembre, p. 26.
– Tu n’avais pas la bonne manière, dit-il. Avec eux, il ne faut jamais prendre des gants blancs, sinon tu te retrouves solidement ficelé à ton lit. Ne crains rien, dans une demi-heure, le repas sera là. 2011, Cl. Poirier, Otages, p. 46.
Dans toute situation conflictuelle ou tendue, la communication est souvent un enjeu de premier plan. Comment communiquer un message difficile auprès d’une personne? De quelle façon puis-je m’assurer de ne pas la heurter? Jusqu’à quel point dois-je mettre mes gants blancs? 2016, M.‑Chr. Rainville-Lajoie, Quelques trucs pour mieux communiquer, L’Institut, janvier-mars, p. 8.
Je ne suis pas du genre à tourner autour du pot ou à mettre des gants blancs. C’est décidé, je le mets devant le fait accompli : « Jo, je dois te dire quelque chose. Léonie et moi, on va partir en voyage. En juin. Pour un an, en Europe. » Un lourd silence envahit la pièce. Sa bouche tombe. Essayant de le rassurer maladroitement, j’ajoute : « Si jamais tu veux venir aussi, tu es le bienvenu. » 2017, L. St-Onge et L. St-Onge, Lydiane autour du monde, p. 60.
Fidèle à lui-même, [un humoriste] livre le fond de sa pensée, sans fard. Il n’a pas peur d’exprimer ses opinions sans mettre de gants blancs, sans peur de déplaire, entre quelques jurons bien sentis. 2020, M. Dallaire, Le Collectif, 22 janvier, p. 13.
NOTICE ENCYCLOPÉDIQUE
1. La fabrication du gant blanc. Au XIXe siècle, la plupart des gants fins sont faits de cuir, la soie ayant passé de mode temporairement à la fin du XVIIIe siècle. Les gants blancs sont généralement fabriqués dans un cuir de chevreau ou d’agneau de grande qualité : on sélectionne les peaux les plus blanches, les plus fines et les plus douces, puisque ce cuir ne sera pas teint, mais poncé et mouillé à plusieurs reprises (huit à dix fois, contre trois à quatre fois pour une peau destinée à être teinte), et parfois exposé au soleil pour le blanchir davantage.
2. Un accessoire incontournable. En France, à la fin du XVIIIe et au début du XIXe siècle, les gants font encore partie des vêtements du quotidien : les règles de l’étiquette dictent qu’ils doivent être portés par les femmes comme par les hommes. Les gants blancs sont associés à la distinction et au raffinement puisqu’ils sont portés dans différentes occasions officielles, notamment lors des mariages religieux et des soirées mondaines. Dans la mode québécoise, qui est grandement influencée depuis les débuts de la colonie par la mode française, cette association existe aussi, comme en témoignent les journaux du XIXe siècle (v. p. ex. Le Fantasque, Québec, 17 novembre 1838, p. 267 : Dieppe s’était endimanchée. – Dieppe avait mis ses gants blancs et son habit le plus muguettement coupé) ainsi que les publicités, où l’on trouve des formules comme gants blancs de parure ou gants blancs de cérémonie (v. p. ex. La Gazette de Québec, 9 décembre 1824, p. [3] (annonce) et 15 décembre 1825, p. [3] (annonce)). À la même époque, dans la mode masculine française, l’habit noir assorti de gants blancs est caractéristique d’une position sociale élevée : une marque de l’appartenance d’une personne à la bourgeoisie, ou de sa volonté d’ascension sociale. Encore une fois, on trouve des traces de cette association dans les écrits québécois, où elle est souvent teintée de jugements de classe : Il est compère et compagnon avec le gouverneur qu’il ne reçoit plus qu’en gants blancs. Ça fait pitié de le voir (A. Ouimet à A. Papineau, 21 août 1838, dans G. Aubin (éd.), Au temps des Patriotes, t. 2, 2020, p. 297); Quelques gentlemen, riches propriétaires, marchands, assureurs, ou officiers publics, bien chaudement vêtus, engloutis sous de vastes redingotes de caoutchouc, portant gants blancs, bottes cirées, et légères badines (Le Fantasque, Québec, 5 octobre 1840, p. 335).
3. Un mythe tenace. Le port de gants blancs est parfois associé à la protection de vieux livres ou de documents d’archives. Cette image remonte à Nicolas Fouquet, superintendant des finances sous Louis XIV et bibliophile français du XVIIe siècle, qui conservait une pile de gants blancs dans l’antichambre de sa bibliothèque à l’usage des visiteurs, qui devaient impérativement en revêtir une paire avant de toucher aux ouvrages. Cette pratique dont Fouquet serait à l’origine a été reprise plus tard par d’autres collectionneurs et a marqué l’imaginaire collectif, au point où les recommandations en rapport avec la consultation de certaines collections d’archives continuent de mettre de l’avant l’usage de gants blancs, allant ainsi à l’encontre des normes de l’industrie de l’archivistique, qui ne cautionnent pas cette pratique.
Sources : C. A. Baker et R. Silverman, Fausses idées sur les gants blancs, International Preservation News, décembre 2005, p. 13; A. Colonel, Le gant : un héritage des siècles passés, p. [10], Global Fashion Conference (site Web), proceedings (Global Fashion Conference 2020 Lyon – France); S. Godfrey, « Rien que ton costume, on te met à la porte », Law & Literature, vol. 7, no 2, 1995, p. 245‑246; A. Harding-Hlady, Pas besoin de gants blancs, Le blogue de Bibliothèque et Archives Canada (site Web), 5 avril 2019; R.‑L. Séguin, Le costume civil en Nouvelle-France, 1968; Universalis (en ligne) 2024‑06, s.v. Gant, histoire du costume; J.‑Fr. Vallet d’Artois, Manuel du fabricant de gants (2e éd.), 1835.
(Dans le vocabulaire du baseball). Pièce d’équipement recouvrant la main, généralement en cuir et rembourrée à l’intérieur, servant à attraper la balle.
2022, TLFQ, Gant de baseball [photo].Gant de baseball. Gant du receveur.
(Dans le vocabulaire du hockey). Pièce d’équipement analogue servant à protéger les mains des joueurs.
Gants de hockey.
Laisser tomber les gants : au cours d’un match, jeter ses gants par terre pour se battre à poings nus.
Rem.1. En parlant du gant du receveur et de celui du joueur de premier but, au baseball, et du gant du gardien de but, au hockey, on dit souvent mitaine, en raison de la forme de cette pièce d’équipement. ( mitaine1, sens II.1 et II.2; mitt). 2. Gant (de hockey) se rencontre à l’occasion en France, où le hockey commence à être un peu plus connu.
La saison de baseball bat maintenant son plein, et l’attention des joueurs de baseball est attirée sur l’immense variété d’articles requis pour ce jeu favori qui se trouve toujours au Grand Magasin, à des prix plus bas qu’il soit possible de rencontrer ailleurs. […] 150 masques de baseball, 25c. 275 gants de baseball, 18c. 1899, La Patrie, Montréal, 19 mai, p. 3 (annonce).
Les Huttes de l’armée canadienne des Chevaliers de Colomb n’ont pas oublié les divertissements. En effet, on a reçu outre-mer 700 raquettes de tennis […] 200 raquettes de ping-pong, 366 paires de gants de baseball, 425 mitaines de baseball, 348 masques de baseball […]. 1944, Le Soleil, Québec, 20 décembre, p. 3.
Il lance vers le coin droit du filet. Frank tend son bâton au bout des bras et fait dévier la rondelle vers le coin gauche. Il lève son hockey pour annoncer le but. Alors je lui montre la rondelle dans mon gant. 1974, J. Poulin, Faites de beaux rêves, p. 45.
– C’est du cheval, ça. Le cheval, tu peux le tanner comme ça. – Parce qu’il est souple; il est pas mince, il est pas épais […]. – Des gants de hockey, je réparais tous les gants de hockey avec ça. Les gants de hockey sont faits avec ça. Faut que ça soit souple, un gant de hockey. – Bien oui! 1975, Les Bergeronnes (Haute-Côte-Nord), AFEUL, Y. Chouinard 39 (âge de l’informateur : 79 ans).
Il fallait s’y attendre. À peine Thompson est-il sur la patinoire que la bataille éclate entre Mac Templeton et lui. Un combat furieux. Les autres joueurs laissent tomber leurs gants. La clameur de la foule les encourage. […] Ce n’est plus du hockey, c’est de la lutte amateur. 1986, R. Tremblay, Lance et compte, p. 208.
Le frappeur essuya avec sa manche la sueur au-dessous de son nez et il ajusta son bâton en le ramenant deux fois derrière ses omoplates. La balle fit une embardée loin du marbre, pour se retrouver dans le gant du receveur brandi à bout de bras. 1993, V. Nadeau, Nous irons tous à Métis-sur-Mer, p. 25‑26.
Après une petite séance de « catch » où il se retrouvait à environ 80 pieds de moi pour une cinquantaine de tirs, Pétronzio rassemble tous ses jeunes joueurs et il demande à Aumont d’en « pousser » quelques-unes. Là, le gant de receveur qu’on m’a prêté se met à faire « pop » encore plus quand la balle arrive dans le panier. 2012, M. Brassard, Le Droit, Ottawa-Gatineau, 20 décembre, p. 43.
La Maison des Jeunes est à la recherche d’horloges, de tuques, de mitaines, de foulards ainsi que de gants de baseball. Si vous avez un de ces articles encore fonctionnel à la maison et que vous ne savez plus quoi en faire, l’Adomissile se fera un plaisir de les prendre afin qu’ils puissent servir aux jeunes. 2013, L’Écho de Saint-Rémi, 4 octobre, p. 3.
Malgré l’empressement de certains jeunes de laisser le contrôle de la station de jeu vidéo pour leur gant de baseball, il faudra cependant se montrer prudent, question d’éviter des blessures inutiles. 2020, S. Martin, La Relève, Boucherville, 19 mai, p. B6.
Histoire
1Depuis 1862. Variante de l’expression mettre, prendre des gants « agir avec ménagement, précaution » (Robert (en ligne) 2024‑06, s.v. gant), attestée en français depuis la fin du XVIIIe s. (v. p. ex. Dialogue intéressant et vrai entre le maire, le procureur-syndic d’une province, le curé, un bourgeois, une riche fermière, un grenadier & deux fédérés, 3e partie, [1790], p. 14 : Vous êtes bon de prendre des gants pour manier ces gredins-là; v. aussi J.‑R. Hébert, Je suis le véritable père Duchesne, foutre!, no 168, 1792, p. 6 : Pour leur parler il n’est pas besoin de prendre des gants). Dans l’expression française, on peut interpréter l’action de mettre des gants comme le fait de prendre des précautions, comme lorsqu’on enfile un gant avant de manipuler un objet précieux ou dangereux (v. entre autres ReyExpr, s.v. Prendre (mettre) des gants : Gant a ici le sens métaphorique de « précaution »), une association qui était déjà présente en français du XVIIIe s. (v. p. ex. J. B. Freiherr von Sind, Manuel du cavalier (2e éd.), 1766, p. 227‑228 : On ne peut, en administrant le remede, user trop de précaution pour ne pas être mordu ou lésé de ces bêtes […] il faut mettre des gants & introduire dans la bouche de la bête, un bâton pour qu’elle ne puisse pas mordre). Cette idée est aussi présente dans la variante québécoise de l’expression, dans laquelle la couleur blanche des gants évoque néanmoins des images de finesse, de statut élevé, de bienséance, par l’association de ces gants à un produit fin porté dans des situations officielles ou par des personnes de marque (v. Encycl.). L’idée de mettre des gants de couleur blanche en particulier lorsque l’on doit agir ou parler avec précaution, avec ménagement pourrait donc faire écho au fait d’être en présence d’une personne qu’on juge importante, ou encore de vouloir protéger sa position sociale en agissant avec circonspection, déférence afin d’éviter de heurter son interlocuteur. À l’inverse, le fait de ne pas mettre ou prendre de gants blancs pourrait traduire une certaine honnêteté, un franc-parler détaché des normes de bienséance. 2Depuis 1899 en parlant du gant de baseball (aussi relevé dans Blanch1, où gant sert à définir le mot mit, variante de mitt); gant de hockey, depuis 1904 (dans La Patrie, Montréal, 6 décembre, p. 2). Emplois spécialisés du mot, du même type que gant (de boxe); gant (de hockey) est d’ailleurs attesté en France (v. RobSports et Robert (en ligne) 2024‑06).