FARLOUCHE [faʀluʃ] ou
FERLOUCHE [fɛʀluʃ]
n. f.
1. Bien que la prononciation [faʀluʃ] soit la plus courante, la graphie ferlouche tend à être privilégiée à l’écrit, ce qui pourrait traduire un phénomène d’hypercorrection. 2. Plusieurs variantes, aujourd’hui vieillies, sont relevées dans la documentation dès la fin du XIXe siècle et le début du XXe siècle : farluche, forlouche, fourlouche et rarefrelouche (voir citations plus bas).
Préparation à base de mélasse, de farine (ou de fécule de maïs) et de raisins secs, à laquelle on incorpore fréquemment des noix, de la cassonade ou du sirop d’érable selon les régions ou la tradition familiale, et qui a pour caractéristique d’être très rassasiante.
Tarte à la farlouche.
Rem.1. La tarte à la farlouche, dessert typique de la gastronomie canadienne-française, est connue sous d’autres appellations, telles que tarte à la pichoune, tarte aux raisins, tarte à la mélasse, etc. 2. Depuis les années 1980, ce mot est consigné dans certains dictionnaires français comme particularisme du français du Canada ou du Québec (voir Robert 1985‑2001 et Robert (en ligne) 2023‑11, s.v. ferlouche; et Larousse (en ligne) 2023‑11).
DESSERTS. – Snelles [= senelles], croquesignolles [= croquignoles], biscuits à la menasse [= mélasse], plârines [= pralines] de sirop d’érable aux noix longues, tire, tartes à la ferlouche. 1879, Le Canard, Montréal, 3 mai, p. [2].
Les tartes à la « ferlouche » étaient et sont encore un dessert bien populaire dans les campagnes. Dans ces tartes les confitures étaient remplacées par un mélange de mélasse et de farine. 1884, La Patrie, Montréal, 20 décembre, p. [4].
[…] on avait bien gagné de réveillonner. Avec l’entrain qu’on imagine, on se rua aux tourquières et au boudin. Puis, le premier appétit passé, on attendit, non sans une petite impatience, la « surprise » de la mère Vogelle […]. Elle avait bien dit, du reste, que chacun en aurait pour sa bonne bouche, car ce qu’elle déposa avec fierté au beau milieu de la table n’était rien [de] moins qu’une superbe tarte à la « ferlouche », faite de beau sirop d’érable, et à la croûte épaisse toute dorée. 1921, S. Clapin, L’ultime récompense, La Presse, Montréal, 24 décembre, p. 38.
Nous attendîmes, rassasiés mais impatients, les fameuses tartes à la ferlouche. Elles s’amenèrent à point, luisantes de mélasse, boursoufflées de raisins, avec une généreuse couronne de pâte dorée. La mère Thibault posa l’assiette devant nous. Alors Jos Dufour lança d’un ton complimenteur : « J’vous l’avais bien dit, les p’tits gars, regardez-moi ces tartes-là! Elles n’ont pas leurs pareilles dans tout le Saint-Maurice! ». 1940, Sylvain, Dans le bois, p. 27‑28.
J’ai pas fait de soupe, mais un dessert surprise pour toi Edouard. J’ai fait de la tarte à farlouche d’après une recette de ta vieille mère Albina. 1974, Cl. Jasmin, La petite patrie, 17 novembre, p. 28 (télév.).
Tarte à la mélasse [/] Elle est aussi appelée tarte à la ferlouche, tarte à la pichoune. Quel qu’en soit le nom, la recette est la même, et elle est de celles qui sont presque oubliées. 1987, J. Benoit, Ma cuisine maison, p. 302.
Il en va des tartes à la ferlouche comme des tourtières. Sujet de conversations au cours desquelles on n’en finit plus d’essayer de trouver qui est en possession de la vraie recette. En Mauricie, certaines familles la font à la mélasse depuis plusieurs générations. 1996, Institut de tourisme et d’hôtellerie du Québec, Cuisine traditionnelle des régions du Québec, p. 161.
Les femmes de la maison, allez savoir pourquoi, ne boulangeaient jamais et n’acceptaient qu’une seule fois par année de faire de la pâtisserie. Les tartes aux pommes ou à la farlouche, les tourtières et les beignes étaient donc réservés pour le temps des fêtes […] Quelques jours avant Noël, la cuisine se remplissait de bruit et de poussière de farine, les femmes s’agitaient autour de la grande table centrale où s’entassaient le shortening, le beurre, le gros sac de cinq livres de farine Brodie XXX, la poudre à pâte, le cornstarch, le lait […]. 2002, M. Tremblay, Bonbons assortis, p. 99.
[…] nous n’avons jamais été trop fiers de notre gastronomie. Du cochon nous avons pris la tête, et les côtes, et les pattes; nous en avons fait des cretons, de la viande hachée, du rôti de porc avec des patates jaunes cuites dans sa graisse et, bien entendu, des boulettes de toutes tailles et de toute venue. Mais nous n’avons jamais pensé que nos plats valaient ceux des vieux pays, que nos tartes à la farlouche valaient la tarte Tatin, que notre pain de ménage accotait la baguette et que nos boulettes s’inscrivaient dans un élan œcuménique propre à une grande tradition culinaire planétaire. 2016, S. Bouchard, Les yeux tristes de mon camion, p. 61‑62.
Nous avons tous besoin […] de retrouver nos repères, de nous enfouir la tête dans le tablier de nos grands-mères, peu importe leur origine. Surtout quand la planète ne tourne plus rond. Mes ami.e.s Facebook m’ont énuméré les plats qui les faisaient retomber en enfance à Noël, ragoût de pattes, bûches, treize desserts provençaux, cigares aux choux ou soupe aux gourganes. J’y ai même aperçu les mots « tartes à la ferlouche ». Celle de ma grand-mère, raisins secs et mélasse, incarnait pour moi toute la misère du Québec faite dessert. Je préférais son tiroir à bonbons. 2021, J. Blanchette, Le Devoir, Montréal, 3 décembre, p. B8.
(Variantes). Vieilliou région.
Farluche.
Sur le bâteau, pas de souilliers de bœu, pas de tuque bleue […]; ne crie pas à table; donnez moé des pétaques [= patates], des tartes à la farluche, des s’nelle [= senelles], etc, fais comme je t’ai vu faire à Bytown et tout sera « all right ». 1897, Le Canard, Montréal, 12 juin, p. 4.
La soirée se termine par le Souper progressif à l’ancienne où l’hospitalité traditionnelle des Saguenéens est à l’honneur : apéritif chez l’un… soupe aux gourganes chez l’autre… tourtière chez matante… tarte à la « farluche » chez grand’maman… digestif chez Ti-Pit… 1976, La Seigneurie, Boucherville, 18 février, p. 13.
Forlouche.
Geneviève avec les filles, dans la maison, s’était mise aux préparatifs de la fête. Des tourtiéres, des chaudronnées de ragoût de boulettes, de six-pâtes […]. Pis ben d’aut’ choses : des beignes, des croquecignoles [= croquignoles], de la tarte au sucre, à la forlouche, des dompleines, des affaires pas possibles, de quoi nourrir une armée. 1976, Y. Thériault, Moi, Pierre Huneau, p. 123‑124.
Fourlouche.
Il [le père] a goûté sa tarte, mais sans éclater de plaisir, et surtout sans dire comme il le faisait toujours quand il aimait vraiment un plat : « Ça goûte l’amande. » S’il prononçait ces mots, la magie de la reconnaissance opérait à trois cent soixante degrés. […] L’objet lui-même, la tarte, était-il à la mélasse ou au sucre d’érable? Était-ce une tarte à la bise, à la fourlouche, à la farlouche, à la pichoune? C’était une question féconde. Ma mère prétendait une fois sur deux que la recette utilisée contenait de la mélasse et des raisins. Elle se souvenait de sa cousine travaillant dans le coton et vivant en Nouvelle-Angleterre qui la lui avait donnée. 2007, D. Boucher, Une voyelle, p. 12‑13.
NOTICE ENCYCLOPÉDIQUE
Selon l’historien Michel Lambert et l’auteur Jean-Marie Francoeur, qui ont tous deux publié des ouvrages à propos de l’origine de la cuisine québécoise, la recette de la tarte à la farlouche était connue dès le Régime français. M. Lambert souligne que l’utilisation de la mélasse dans les desserts, comme la tarte à la farlouche, a débuté en Nouvelle-France dans la deuxième moitié du XVIIe siècle : « […] vers 1660, on importait plus de mélasse et de cassonade foncée que de sucre granulé, sucre en poudre et cassonade pâle […]. On faisait beaucoup de desserts festifs avec la mélasse et la cassonade, comme la tarte au sucre, la tarte à la farlouche, les pets de sœur, etc. ». L’historien de l’alimentation Yvon Desloges soutient toutefois que l’importation des différentes formes de sucres et de la mélasse était somme toute limitée en Nouvelle-France au cours des XVIIe et XVIIIe siècles. Ces produits importés étaient coûteux : ils n’étaient donc pas à la portée de toutes les familles. De plus, les moules à pâtisserie utilisés pour la confection des desserts n’étaient pas très présents dans les foyers québécois à cette époque. Ainsi, à supposer que l’existence de la tarte à la farlouche remonte bel et bien au Régime français, sa consommation devait être restreinte. Comme le rappelle J.‑M. Francœur, ce dessert allait toutefois devenir très populaire quelques siècles plus tard dans les camps forestiers, étant de confection simple, nécessitant peu d’ingrédients (le sirop d’érable, devenu abondant dans certaines régions, pouvait remplacer avantageusement la mélasse ou la cassonade) et pouvant aisément sustenter les rudes travailleurs (bûcherons, draveurs, etc.) à faible coût.
Sources : Y. Desloges, À table en Nouvelle-France, 2009, p. 82‑83; M. Francoeur, entrevue télévisée, L’épicerie, 27 janvier 2016; M. Lambert, Histoire de la cuisine familiale du Québec, vol. 1, 2006, p. 361; JJ. Rousseau, Quelques jalons de l’histoire et de la géographie gastronomiques du Québec, Les Cahiers des Dix, no 32, 1967, p. 28.
Histoire
Depuis 1879. Mot d’origine incertaine. Certaines sources suggèrent, sans le démontrer d’aucune façon, qu’il pourrait être d’origine autochtone (v. PRobert 1987, s.v. ferlouche, et Robert (en ligne) 2023‑11; v. aussi H. Matteau, Des mots savoureux, Cap-aux-Diamants, no 44, hiver 1996, p. 38). Une autre hypothèse, relevant de l’étymologie populaire, fait venir le mot de far « dessert breton » et de louche « suspicieux » (v. J.‑L. Bordeleau, Le Devoir, Montréal, 19 décembre 2022, p. A8). Cette tentative d’explication est évoquée avec humour par l’auteur Michel Langlois dans le premier tome de son roman Il était une fois à Montréal (2015) : Tenez, il vous faut manger de la tarte à l’affaire louche. […] Vous savez, certains l’appellent la tarte à la farlouche, alors qu’en réalité, le vrai terme est « ferlouche », d’où la tarte à l’affaire louche. Enlevez-lui les raisins, à cette fameuse tarte, et elle devient une tarte à la pichoune comme celle-ci. Elle perd alors du galon. N’est-ce pas un peu louche? (p. 237). Il est beaucoup plus probable, cependant, que le mot soit en réalité un héritage des parlers de France. En effet, farlouche pourrait être rapproché du mot faluche, de forme assez semblable et qui a été relevé en Artois au sens de « galette, grosse tarte que les ménagères faisaient avec un morceau de pâte prise dans celle préparée pour faire le pain ». Faluche a aussi été signalé dans d’autres parlers du Nord (dont la Flandre), où il a servi à désigner certains types de pains et de pâtisseries (galettes, etc.) auxquels on pouvait notamment incorporer de la cassonade, des raisins secs et même de la mélasse, comme on le fait dans la tarte à la farlouche québécoise (v. fEW 21, 476a; DRF (en ligne) 2014‑02; H. Walter, Le français d’ici, de là, de là-bas, 1998, p. 315; v. aussi PaqPât 80 pour une explication concernant les filiations possibles entre les formes farlouche et faluche).