ENFIROUAPER [ɑ̃fiʀwɑpe]
v. tr. et pron.
Variantes graphiques : enfirouâper; (anciennement ou rare) enfirrouâper, enfirwâper, enfirwâpper, enfirwaper, enfirwapper, anfirouaper, anfirouâper, enfirwhaper, enfirwhoper, enfirwhopper.
v. tr.
Fam.Tromper, duper, rouler (qqn).
Se faire enfirouaper.
Se laisser enfirouaper, se faire berner, aveugler ou manipuler en raison de sa naïveté.
enfifrewâper (sens 1).
Monsieur Cousineau qu’est-ce qu’il […] connaît dans la drave, lui? Rien du tout, c’est un avocat. Monsieur Gouin non plus, c’est pas un rameur. Votez pas pour eux‑autres. Ils veulent tout simplement vous enfirouaper et vous endormir avec le chloroforme de leurs belles paroles, langoureuses et pleines de miel pour vous réveiller dans la fédération impériale qui vous conduira à l’annexion aux États. 1916, La Presse, Montréal, 6 mai, p. 8.
« Y a des limites à se laisser enfirouaper, même dans Compton », disent les rouges, désespérés pour 20 ans. 1930, Le Goglu, Montréal, 19 septembre, p. 8.
Ben, il a qu’un soir qu’i’ était chaud, i’ s’est laissé enfirouaper et pi i’ a signé. Le lendemain i’ s’est réveillé en kaki; soldat? 1938, Ringuet, Trente arpents, p. 163.
– Si les créatures [= femmes] veulent pas que j’y aille, ils ont peur que je pogne la grippe. La grippe, je m’en vas la toffer. – [...] je t’avertis pour demain matin de pas te laisser enfirouaper par les créatures! 1962, île aux Coudres (Charlevoix-Ouest), AFEUL, P. Perrault 898 (âge de l’informateur : n. d.).
L’abbé Normand a de la prestance, du toupet, pas de tête du tout et la manie de se prendre déjà pour un évêque : il n’a pas été difficile de l’enfirouaper. 1972, J. Ferron, Le Saint‑Elias, p. 95‑96.
Choisissez donc le véhicule publicitaire qui vous convient et ne vous laissez pas « anfirouaper » par quelque charlatan. Des études de marché l’ont prouvé : chaque type de commerce a sa façon propre de publiciser son produit. 1990, La Revue, Terrebonne, 3 avril, p. 4.
« Ça m’apparaît fondamental d’être clair. Qu’on s’exprime de façon à ce que tout le monde soit parfaitement conscient de ce qu’on fait et de ce qui va arriver. […] Les gens ont le droit de se poser des questions et on a une responsabilité de leur donner une réponse claire et pas essayer de les enfirouaper, faire des huit sur la glace ou bien de leur dire que suis autonomiste sans être indépendantiste tout en étant souverainiste. Hey! », a laissé tomber M. Parizeau. 2005, Le Devoir, Montréal, 23 juin, p. A10.
Je m’attends à un petit recul stratégique de la part du maire qui va essayer de nous enfirouaper. Il va faire des ajustements, des petits ajustements. Il va reculer juste un peu parce qu’il nous prend pour des valises, pis qu’il pense qu’avec ça, on va accepter tout le reste. Mais on va continuer, on va se tenir debout et on ne se laissera pas endormir au gaz […]. 2015, Le Nouvelliste, Trois-Rivières, 13 avril, p. 3.
Par ext., Fam., vieuxGagner (ses élections), ravir (des sièges aux élections).
V’là les élections [titre] […] – Ça m’a toujours couté de faire des impolitesses, mais de c’coup‑là j’suis décidé. D’abord, pour commencer, plus un crapet de rouge [= libéral] dans l’île de Montréal. – Plus un bonguienne, ajoute Joe, quand même j’serais obligé de vendre un veau. – Ensuite de ça, de l’autre côté de la rivière, plus un bondance de un jusqu’à la Gaspésie. Sur la rive nord, j’laisse Tanasse à Terrebonne mais j’enfirouape tout le reste. – Chouette! approuve Joe Renaud. – Et le soir de la votation, on est au pouvoir à Québec, conclut Titur. 1927, La Presse, Montréal, 16 avril, p. 13.
– Eh, bien, mon vieux Midas, sais‑tu ce que je pense qu’il peut arriver, moi? J’serais pas surpris que le père Woodsworth qui est encore plus à sec que tous les autres [partis] profite du cassage de prix pour tout enfirouaper. – Ah! on sait bien, Timothée, les élections, c’est les élections. – Et puis, Gédéon, Woodsworth serait dans quelque combine secrète avec tous les autres que ça ne me surprendrait pas. 1935, La Presse, Montréal, 27 juillet, p. 25.
La comparaison suivante fera mon affaire : je suis un peu comme le soleil éclairant nos routes et nos ponts, un soleil, je dirais, partiel comme les élections que nous allons bientôt enfirouaper dans Outremont puisque je ne me couche qu’après 16 heures d’ouvrage, prenant comme le défunt Staline mes 8 heures de sommeil... Faites comme moi! 1953, Le Devoir, Montréal, 28 mai, p. [4].
(Dérivé, hapax). Enfirouaperie n. f. Fam.Tromperie, duperie.
enfirouapage; enfirouapette; enfirouapement.
Ça c’est pas un enfirouapé qui vous le dit. C’est écrit noir sur blanc dans des rapports d’analyse obtenus par la Loi d’accès à l’information. Cette potion toxique [de la fluoration de l’eau potable] est qualifiée, tenez-vous bien, de mesure de santé publique, recommandée et commanditée par le MSSS [ministère de la Santé et des Services sociaux]. Un vrai scandale sanitaire. La voilà l’enfirouaperie dans toute sa splendeur! 2015, Le Nouvelliste, Trois-Rivières, 8 juin, p. 12.
Fam.Envoûter, captiver (qqn).
(Spécial. dans le cadre de relations amoureuses). Enjôler, charmer, séduire (qqn).
Se laisser enfirouaper par une femme. Se faire enfirouaper par un homme.
enfifrewâper (sens 4).
Clarke Gable est la dernière victime des femmes. Il doit payer un secrétaire pour le dépouillement de son courrier. […] On rapporte que ses compagnes de travail le trouvent charmant, froid, « cave‑manish » et prestigieux. Il n’y comprend rien. Les femmes non plus. Pour cette raison, elles en font un héros sentimental, capable d’« enfirouaper » une femme rien qu’à la regarder droit dans les yeux. 1931, La Patrie, Montréal, 14 décembre, p. 7.
C’est donc pour te dire que ça m’a l’air qu’elle est en train d’enfirouaper le p’tit jeune homme d’à côté, une jeunesse qui est bien plus extra pour se lever le bras du côté de l’entonnoir que pour l’abaisser du côté de l’enclume. Les voisins disent qu’elle se prépare à l’amener devant monsieur le curé vers le chant du premier wowaron. 1943, La Presse, Montréal, 17 avril, p. 41.
Oh! craignez pas, Monsieur le curé. J’ai bien averti Guillaume de pas se laisser enfirouaper par les actrices. Pas de danger. C’est un si bon garçon. 1948, R. Lemelin, Les Plouffe, p. 309.
J’le trouve un peu trop fin, un peu trop poli, un peu trop propre, un peu trop tiré à quatre s’épingles, pis un peu trop souriant à mon goût, c’est toute! […] Mais j’voudrais pas qu’une vieille chum se laisse enfirouaper par un efféminé qui la décevrait un coup marié. 1973, M. Tremblay, C’t’à ton tour, Laura Cadieux, p. 64.
Oh non! Elle est en train de l’enfirwaper, correct! Elle pourrait le faire mettre à genoux et lui faire réciter sa prière, si elle voulait. J’ai cassé deux fois avec Roger. À chaque fois Suzanne était dans le paysage. 1985, J. Barbeau, Le Grand Poucet, p. 148.
En l’espace de deux semaines, le correspondant de guerre Paul Marchand est devenu une vraie petite vedette au Québec. Jeudi dernier, le journal Voir lui offrait sa page couverture, deux pleines pages de texte, la critique dithyrambique de son bouquin sans oublier la chronique du rédacteur en chef qui lui était entièrement consacrée. Bref, la consécration ultime, preuve que mes sympathiques camarades ont été impressionnés pour ne pas dire complètement enfirouapés par ce séduisant mais néanmoins tordu personnage. 1997, La Presse, Montréal, 10 février, p. A5.
Un peu partout au Québec, octobre est le mois du conte. […] Cette année, c’est au tour de Jean‑Marc Chatel, menteur impénitent, de nous enfirouaper dans la musique de ses mots. […] ce conteur a parcouru les forêts du pays, rencontré des forestiers et autres coureurs des bois […]. Et c’est sans compter ces contes urbains où le frisson remonte la colonne vertébrale jusqu’au sommet du crâne. 2009, L’Écho de Frontenac, Lac‑Mégantic, 23 octobre, p. A23.
– Et tu l’aimes? – À la folie. – Tout de suite les grands mots! – Elle est drôle, sexy. – N’en jetez plus, la cour est pleine. – Elle m’a plus qu’emberlificoté, elle m’a enfirouapé. Tu connais ce mot? 2015, B. Marcoux, Le bonheur : mode d’emploi, p. 72‑73.
L’histoire [d’une femme victime d’un canular] est la version extrême d’une histoire devenue banale, à l’ère du numérique : se faire enfirouaper par un(e) inconnu(e) qui se fait passer pour quelqu’un d’autre : j’ai raconté ma propre expérience dans La Presse, l’automne dernier. 2015, P. Lagacé, La Presse, Montréal, 25 février, p. A5.
Fig., Par ext., en parlant d’une chose qui charme, qui envoûte.
Ce récit tendre d’un peintre paraplégique accroche le lecteur par le collet, l’enfirouape, le subjugue et ne le laisse plus s’écarter du bouleversant plaisir du texte. 1993, Le Droit, Ottawa-Hull, 27 mars, p. 46.
Simple comme bonjour, mon petit assemblage de fraises et bananes flambées n’était pas en reste pour autant. Un verre de gaillac, doux sans être trop sirupeux, avait fini d’enfirouâper nos papilles repues. 2006, Le Devoir, Montréal, 15 septembre, p. B7.
[Un artiste] s’est fait enfirwhopper par les drogues, mais elles lui ont aussi fait vivre des méchants beaux « trips ». Sa vie de poète rock a été marquée par sa relation amour-haine avec les stupéfiants. 2013, S. Durocher, Le Journal de Québec, 6 mai, p. 52.
VieilliSe faire enfirouaper. Devenir enceinte ou avoir un enfant (en parlant d’une femme non mariée) (PPQ 1793A; Lavoie 2703).
Vieilli, fam.Avaler, engloutir (un mets, une boisson).
enfifrewâper (sens 2).
Aussi, en un instant, je dévorai plusieurs livres des mêts les plus succulents et j'enfirwhapai trois à quatre bouteilles des vins les plus mousseux; tellement qu’après mon petit repas fini, je me pesai, et qu’à mon grand étonnement je m’aperçus que j’avais engraissé de dix livres en une heure!! 1880, Le Canard, Montréal, 11 septembre, p. [2‑3].
– Alors, si tu la bois pas, dit Ariane en zieutant la chartreuse toujours intacte, moi je goûte. Et d’un trait, elle enfirouape le contenu du verre. 1987, Fr. Noël, Myriam Première, p. 108.
(Variante, hapax). Enfirliwaper.
La boéson [= boisson], ça est pas dommageable, quand qu’on sait se modérer le caractère. Nos pepéres y enfirliwapaient des petits blancs [= verres de whisky blanc], et y étaient pas pire pour tout cela. 1918, La Patrie, Montréal, 17 août, p. 9 (chron. humor.).
Fig. Engloutir, dilapider (une somme d’argent).
Henri, un bonhomme de 65 ans, sortait de la prison commune en juin dernier, après y avoir passé deux ans, à cause de son gros péché d’ivrognerie. […] Le juge Proulx appelle Henri qui se défend : – J’avais $3,300 en banque quand je suis parti pour Bordeaux. A ma sortie ma vieille l’avait tout « enfirouapé » (gaspillé, Lise). Votre Honneur, je dois commencer à travailler ce soir à laver des verres dans un club… 1950, Le Canada, Montréal, 2 décembre, p. 13.
v. pron.
Fam., rareS’emberlificoter, s’empêtrer.
Tibi… est d’un caractère tranquille et un peu « new style », qui s’est enfirouâpé entièrement dans les amours et a quitté ses amis les soirs de bonnes veillées, mais il faisait partie quand même de la troupe des « pioupious » de la salle de P…l, de la rue des Forges. 1917, Le Canard, Montréal, 23 décembre, p. 12.
Ce qu’il [un auteur] nous propose ad nauseam, ce sont une série de termes qui, entre ses mains, sont vides de sens […]. [Cet auteur] ne dit pas que des grossièretés mais décidément, il a l’art de s’enfirouaper. Il nous propose un idéal de bonheur qui sonne creux et il nous explique lui‑même pourquoi ça ne fait pas le poids […]. 1982, La Vie en rose, décembre 1981 – février 1982, Montréal, p. 30.
Un SRB [service rapide par bus] est beau a priori mais qui a envie de se promener en bus plutôt qu’en auto, si ce service de bus n’est pas ponctuel, confortable et adapté? On « s’enfirouape » dans un projet à plusieurs milliards de dollars alors qu’on n’est même pas capables de régler le cas du pont de Québec! 2016, Le Soleil, Québec, 4 octobre, p. 22.
(Dérivé, hapax). Fam., fig.Se désenfirouaper Se libérer.
Enfin, puis‑je, en bon parler québecoys, souhaiter que la France se décarême un peu de tant de correction & se désenfirouape & se rejarnigoine & se revire un peu vers son propre héritage? Car si elle portait d’une part moins d’intérêt aux fines bouches de Paris et davantage au premier venu de province, si elle accordait d’autre part, moins d’importance à sa grammaire ou à son fin vocabulaire et plus d’honneur aux ressources encore vives de sa bonne vieille syntaxe, elle nous viendrait pour une fois ultimement en ayde; et la langue française d’Europe, d’Afrique, d’Asie ou d’Amérique aurait meilleure chance d’évoluer sans ipso facto se détériorer… Car c’est dans le génie populaire et le parler des Anciens que toutes langues, quand elles veulent rester bien vivantes, reprennent leur pinte de bon sang. 1973, Maintenant, avril, p. 22.
RareS’emmitoufler, se couvrir le corps pour le protéger, pour le réchauffer.
[M.] Legault (l’un de nos boucs-émissaires préféré) a été aperçu en train de s’enfirouaper. Le verra‑t‑on à la froide saison se réchauffer dans un parka de chat sauvage? 1987, La Revue, Terrebonne, 6 janvier, p. 4.
[...] y a‑t‑il lieu, pensez-vous, de craindre à ce point l’éraflure, de fuir tant la teinture d’iode et le mercurochrome, qu’il faille se coussiner ainsi l’épiderme, s’attifer « en sécurité maximum », « s’enfirouaper » de la sorte pour s’adonner aux simples plaisirs du patin à roulettes? 1993, Le Devoir, Montréal, 4 septembre, p. B10.
S’emmêler, s’enchevêtrer (dans qqch.).
Jeu de contorsion, maintien précaire d’un équilibre tout en force et en retenu, l’artiste circassienne s’extirpe de cette toile comme la nymphe sortant de sa chrysalide. Métamorphose, émergence, envol. La femme insecte s’agrippe, s’enfirouape dans cette muqueuse blanche, muscles et chair tendus, en une sorte de combat onirique qui se passe au‑dessus de nos têtes. 2019, Jeu : revue de théâtre (site Web), 21 janvier.
Histoire
Forme syncopée, par haplologie, de enfifrewâper (prononcé [ãfifəʀwɑpe]), vraisemblablement créée par le journaliste et humoriste Hector Berthelot, quelques années après avoir créé enfifrewâper. Comme l’a démontré le linguiste A. Thibault dans un article (v. Thibault 2008), l’étymologie populaire ayant cours depuis les années 1960 et voulant rattacher ce mot à l’hypothétique locution anglaise *in fur wrap(ped) est irrecevable, et ce, pour plusieurs raisons : *in fur wrap(ped) n’est pas attesté, car la syntaxe de l’anglais exigerait plutôt wrap(ped) (up) in fur; le mot anglais wrap ne se prononce pas rouâpe (cf. le nom de marque Saran Wrap dans la prononciation des Québécois unilingues francophones); la forme la plus ancienne, enfifrewâper, compte une syllabe excédentaire par rapport à *in fur wrap. De plus, le sens 2 de cette forme ancienne et le sens I.3 de enfirouaper (« avaler, engloutir ») ne sauraient s’expliquer à partir d’une locution signifiant « enveloppé dans de la fourrure ». En outre, les anecdotes évoquées pour justifier ce rattachement diffèrent sensiblement entre elles, sont relativement tardives et ne reposent sur aucune documentation historique. Ce mot, connu partout au Québec, est relevé en outre en Ontario, au Manitoba et en Saskatchewan, mais est pratiquement inusité en Acadie.
I1Depuis 1909 (BPFC 8/3, p. 109). 2Depuis 1931. 3Depuis 1880. Le sens figuré d’« engloutir (une somme d’argent) » s’emploie depuis 1950, mais on le rencontre dès 1919 sous la variante enfirliwaper (hapax en ce sens) : En tout cas, c’est un trique [= trick] qui a pas mal réussi [parier à des courses de chevaux], puisque des gros « boss » s’y sont fait enfirliwaper leur portefeuille. (La Patrie, Montréal, 8 février, p. 19).
II1Depuis 1917. 2Depuis 1987. Ce dernier sens semble avoir subi l’influence de l’étymologie populaire *in fur wrap.
enfifrewâpé, enfifrewâpée; enfifrewâper; enfirouapage; enfirouapant, enfirouapante; enfirouapé, enfirouapée; enfirouapement; enfirouapette; enfirouapeur, enfirouapeuse; fiferlot; fifre; rouâpe; rouâper.