ENFIFREWÂPER [ɑ̃fifəʀwɑpe]
v. tr.
Variantes graphiques : enfifrewaper; (uniquement dans les glossaires) anfiferouâper, enfiferouâper, enfiferouaper, enfiferwâper, enfifreouâper.
VieuxTromper, duper, rouler.
Se faire, se laisser enfifrewâper.
Joly – Ma grande conscience du bon ieu, la province de Québec s’est fait joliment enfifrewâper. Langelier – C’est ben agréable d’arriver au pouvoir avec un trésorier qu’a pas c’te tôle. Ben sûr que si on n’a pas d’argent le peuple va nous passer au bob aux élections générales. 1878, Le Canard, Montréal, 23 mars, p. [2].
Langelier – Écoute, Joly, tu me dois une fameuse chandelle pour t’avoir tiré cet [sic] épine du pied. Si ça avait pas été pour moi, tu te faisais enfifrewâper comme Ouimet et Chapleau dans l’affaire des Tanneries. 1879, Ladébauche [pseud. de H. Berthelot], Le Vrai Canard, Montréal, 30 août, p. [2].
Savez-vous, M. Caraquette, que votre conversation est loin d’être agréable. Tenez, vous me sciez le dos ave[c] une latte. Je ne suis pas pour me laisser enfifrewâper par un bommeur de votre espèce. 1898, H. Berthelot, Les mystères de Montréal, p. 35.
Le sort en est jeté, et le 21 septembre le peuple canadien leur dira : Pas de marine! Pas de réciprocité! Je suis bien! J’y reste. Et nous ajouterons ceci : « Quos vult perdere Deus, prius dementat ». Ce que nous traduisons comme suit : Pour les gens qui n’ont pas eu l’avantage de faire un cours classique : « Dieu commence par embrouiller ceux qu’il veut enfifrewaper ». 1911, Le Peuple, Montmagny, 15 septembre, p. [2].
Avoir le dessus sur (qqn).
Voyons maintenant les péchés que j’ai pu commettre contre mon prochain. Ai‑je prononcé des jugements téméraires? Oui, j’ai dit à tous ceux qui voulaient m’entendre que je balayerais la province de Québec et que j’enfifrewâperais Boucherville et ses amis par une majorité d’au moins trente. 1892, Le Loup‑Garou, Montréal, 12 mars, p. 2.
Dans la partie [de baseball] d’hier à Toronto, les joueurs du club local, Lynch, Carr et Roach ont « enfifrewapé » trois joueurs de Worcester dans un triple jeu sensationel [sic]. La balle frappée par Blake fut saisie au vol par Lynch; celui-ci prompt comme l’éclair l’envoya à Carr qui fit mourir Pittenger qui s’était éloigné de son premier but, Carr renvoya à Roach faisant mourir Bean qui entrait au home. 1900, Les Débats, Montréal, 29 juillet, p. 5.
DisparuEnfifrewâpage n. m. Action de tromper, duper qqn; résultat de cette action.
L’Orateur prend son siège à trois heures. Sir John A. MacDonald. – M. l’Orateur, je propose que l’on passe au premier ordre du jour, la motion du député de Bagot pour l’enfifrewâpage du lieutenant-gouverneur de la province de Québec. 1879, Le Canard, Montréal, 15 mars, p. [2].
Je connais le plaignant en cette cause. J’ai lu l’article du Violon où il parle de lui. J’ai compris par le mot « promptitude » que le plaignant était allé chercher de la laine et qu’il était revenu tondu. Promptitude dans notre jargon signifie bien des choses. Le maître d’école m’a dit que c’était un terme d’enfifrewâpage auquel on peut attribuer un sens politique, littéraire, commercial, agricole et d’annonces. 1887, Le Violon, Montréal, 26 novembre, p. [2].
DisparuEnfifrewapeur, enfifrewappeur ou (hapax) enfifreouâpeur n. m. Homme trompeur, manipulateur.
Voici le personnel de la nouvelle administration : Grand Manitou en chef et ministre de la Marine. Edward Haulan. Enfifrewapeur général et Ministre des chemins de fer. L. A. Senécal. Chef du pouvoir exécutif et exprévaluateur en état de service actif. C. A. Dansereau. 1882, Le Canard, Montréal, 10 juin, p. [2].
Les ministres dont les portefeuilles seront les plus volumineux seront nommés Commandeurs de la Grosse Poche, et ceux dont les portefeuilles seront les plus minces seront créés Chevaliers de la Bourse Plate. Voici le personnel de la nouvelle administration : Grand Manitou en chef, M. Laurier. Enfifrewappeur général et ministre des chemins de fer : M. Tarte. 1897, Le Canard, Montréal, 16 octobre, p. 4.
DisparuAvaler, engloutir
Il a enfiferouâpé son repas dans le temps de le dire. 1930, Société du parler français au Canada, Glossaire du parler français au Canada, p. 318.
DisparuRéprimander, semoncer (GPFC 40, s.v. anfiferouâper : Tu as fait un mauvais coup, ta mère va t’anfiferouâper.).
Je crois que son but était de passer le plaignant au smotte [= donner une vive réprimande]. […] Plusieurs paroissiens sont venus me demander ce que signifiait le mot enfifrewâper. J’ai consulté là dessus les autorités ecclésiastiques et civiles. C’est un verbe déponent signifiant passer au bob [= se faire tancer]. 1887, Le Violon, Montréal, 26 novembre, p. [2].
DisparuSéduire.
À tout je préfère [/] La fill’ d’ma bell’ mère [/] Dont le sourire moqueur [/] Séduisit mon cœur. [/] À tout je préfère [/] La fill’ d’ma bell’ mère, [/] Dont le sourire moqueur, [/] M’enfifrewapa mon cœur, [/] Mon cœur, [/] M’enfif-rouapa mon cœur. 1881, Le Canard, Montréal, 15 octobre, p. [2].
M. Sévigny, le député de Dorchester, – un descendant de Madame de Sévigné, pas plus directement qu’il descend des bleus, – s’exerce en grand, de ce temps‑ci, à faire la cour aux rares suffragettes qu’il y a au Canada. Il se met la bouche en cœur et la chevelure en dreadnought pour tâcher de faire monter les suffragettes à son bord. Et il ne désespère pas, tout flamboyant qu’il est, de monter dans l’azur terrestre et d’enfifrewaper les suffragettes en faveur… de ceux qui paieraient le plus. 1913, Le Canard, Montréal, 2 novembre, p. 5.
Histoire
Les premières attestations de enfifrewâper (v. aussi s.v. enfifrewâpé) sont toutes dues à la plume du journaliste, essayiste et humoriste Hector Berthelot (1842‑1895), qui en est sans doute le créateur. Le mot semble avoir été forgé à partir du verbe enfifrer « enculer », dérivé de fifre, « petit vit » (glissement métaphorique du sens d’origine « flute »), attesté en argot parisien au XIXe siècle (v. FEW pfifer 16, 620a, où l’on trouve aussi enfifré adj. « trompé (au jeu) »; DelvÉro, p. 321), et du verbe rouâper, ancienne variante franco-québécoise de râper signifiant non seulement « râper », mais aussi « battre », « réprimander, gronder » et « gratter (le chemin) » (GPFC; v. aussi BovQFrChronI‑34 et Thibault 2008, 170). Une autre hypothèse verrait dans le second élément le verbe anglais d’origine argotique to whop « to strike with heavy blows; to beat soundly; to overcome » (OED, s.v. sens 2), dans la perspective où Berthelot eût voulu se livrer à un jeu de mots bilingue. Cependant, puisque ce mot n’est attesté à aucune époque en franco-québécois et qu’il ne semble pas avoir été très courant en anglais à cette époque, cette hypothèse paraît peu vraisemblable. On remarque que enfifrewrâper s’inscrit dans un paradigme de nombreux verbes de structure similaire en français (en‑ + radical + ‑er) évoquant tous la duperie, en plus d’une connotation sexuelle dans bien des cas (emberlificoter, embobiner, enculer, enfiler, enjôler, entortiller, entourlouper, entuber, etc.). Le mot sous cette forme a pratiquement disparu et a cédé la place depuis le début du XXe siècle à enfirouaper.
1Depuis 1878. 2Depuis 1909 (BPFC 8/3, p. 109, s.v. enfiferwâper). Cp. avec les sens argotiques du verbe transitif enfiler qui signifie « rouler, tromper » et « posséder sexuellement », mais aussi « avaler » (en emploi pronominal : s’enfiler un verre); v. TLF, s.v. enfiler et FEW filum 3, 529. 3Depuis 1887. Cet emploi fait écho à rouâper « réprimander, gronder », second élément formateur probable de enfifrewâper (v. explication plus haut). 4Depuis 1881.