ENFARGE [ɑ̃faʀʒ]
n. f., parfois m.
Variante graphique ancienne : (d’après une variante de prononciation) enferge (attestée jusqu’au XIXe siècle, et seulement au sens 1).
Rural (Souvent au pluriel). Objet que l’on met aux pattes ou au cou de certains animaux (cheval, vache, mouton) pour restreindre leurs mouvements, les immobiliser.
Enfarge de fer, de bois. Une paire d’enfarges. Mettre les enfarges à (un animal).
SYN. entrave.
Rem.Général dans les milieux ruraux du Canada français (voir PPQ 424, Lavoie 1291 et 1395, Mass no 904, BénDétr, s.v. enfarges « noté à la Côte du lac Sainte-Claire »).
Item, trois enferges de fer et sabeauts estimé le tout trois chelins et neuf pences. 1825, La Malbaie (Charlevoix‑Est), BAnQQ, Fonds Famille Fraser (P81), 23 mai, p. [11].
Ça fait assez longtemps que ce p’tit beu‑là saute les clôtures, faut que j’y mette un enfarge... 1939, A. Rousseau, Les amours de Ti‑Jos et les mémoires de Max Potvin, 12 septembre, p. 17 (radio).
Ce cheval-là, bien il fallait l’enfarger, il fallait lui lier les deux pieds, deux pattes ensemble pour pas qu’il puisse galoper, tu sais, autrement, il sautait les clôtures. En ayant une patte d’en avant attachée avec une patte d’en arrière, ça l’empêchait de sauter […]. Alors, rendu à l’Isle-aux-Coudres, il se trouvait pas chez eux, ce cheval-là […] L’ennui l’a pris pendant la nuit, il s’est dit : « Moi, je sais nager » […], pis il savait sauter, ça fait que même enfargé, il a sauté et puis, il a pris la mer, pis il a traversé le fleuve Saint-Laurent jusqu’à la Baie Saint-Paul, pis à huit heures du matin, il passait ici devant la porte avec son enfarge dans les pattes. 1961 env., Baie-Saint-Paul (Charlevoix-Ouest), AFEUL, P. Perrault 91 (âge de l’informateur : n. d.).
P[r]enez les ambleurs, ces chevaux qui trottent de façon bizarre à l’aide d’« enfarges » : pas élégant du tout et, tout compte fait, tristement contraignant pour les bêtes. C’est comme si on demandait à un droitier de manger de la main gauche... 1994, G. Bourcier, La Presse, Montréal, 6 mars, sports, p. 12.
Sur les étalages du magasin, on trouve autant une collection de poupées à vendre que des courtepointes faites maison ou du matériel servant aux fermiers, des blocs de sel pour les chevaux jusqu’aux enfarges destinées à immobiliser les vaches durant la traite. 2015, Le Devoir, Montréal, 23 mai, p. G1.
Contention physique et manipulation [titre] Travail exécuté par au moins 2 personnes […/] Équipement utilisé : enfarge : pour chaque côté de l’animal, la patte avant et la patte arrière sont attachées ensemble avec une courroie […]. 2021, ministère des Forêts, de la Faune et des Parcs, Normes de bons soins aux animaux sauvages, p. 5.
Par anal., Fam. Ce qui entrave le pas de qqn; obstacles qui gênent les déplacements.
Il est tout près de midi et ce n’est pas chaud. En ouvrant la porte du poulailler nous voilà disparus dans un épais nuage. Instinctivement on franchit l’enfarge que présente la petite marche d’entrée et sur nous, le vent du nord‑est aidant, se referme la porte grincheuse. Les poules, comme si elles portaient des culottes trop petites pour leur taille, nous regardent, l’air gêné, respirer malgré nous l’ammoniac de leur logis. 1959, Le Bulletin des agriculteurs, Montréal, février, p. 26.
Bedeau la Cloche allait de son pas de canard à travers les hautes herbes et l’épaisse fougère. Il devait parfois lever haut les pattes pour sauter les enfarges. Ses grosses bottes enfonçaient dans le tapis moelleux des aiguilles de pin et des feuilles mouillées. 1981, J. Pellerin, Au pays de Pépé Moustache, p. 159.
Les 6, 7 et 8 avril, la Jeune Chambre de commerce du Québec métro accueille au Concorde le 11e congrès du Regroupement des jeunes gens d’affaires du Québec […]. Avec toutes les barrières et toutes les enfarges qui bloquent la ville, ils s’en souviendront de leur congrès à Québec, les jeunes. On devrait même ajouter une activité sportive au programme du congrès : le saut de la barrière. 2001, P. Champagne, Le Soleil, Québec, 6 avril, p. A6.
Fig., fam. Ce qui empêche d’agir à sa guise; contraintes.
(Au pluriel). Difficultés, obstacles qui gênent la bonne marche d’un projet, qui freinent les initiatives.
Enfarges administratives.
En apprenant, la semaine dernière, que le Dr. Poulin avait convoqué une assemblée de ses électeurs pour hier, lundi, nous ne pouvions nous imaginer quel pouvait être son but, sinon de faire renverser la décision qui avait été rendue à la grande assemblée du comté de Rouville, tenue le vingt-trois décembre dernier; car cette décision gênait terriblement les mouvements du Dr. Poulin. […] Gêné par ces résolutions détestées, mal mené probablement par M. Cartier pour s’être laissé mettre une pareille enfarge, le Dr. Poulin n’y tenait plus : il résolut de tenter les chances d’une nouvelle assemblée. 1865, L’Union nationale, Montréal, 15 février, p. [2].
On entre dans la politique tout feu tout flamme, on a de grands projets, on veut faire mer et monde, puis crac! […] c’est l’intérêt du parti, c’est la machine à air comprimé, c’est les enfarges, c’est le cernage, c’est la lenteur, c’est les intérêts inconnus et qu’on ne voit pas qui vous bloquent n’importe quel projet […]. 1932, Le Goglu, Montréal, 3 juin, p. 5.
Sincèrement et foncièrement convaincus que le régime actuel, lié et vendu aux trusts […]; combines industrielles et commerciales comme les magasins à chaînes – que ce régime néfaste conduit la province à la ruine et les Canadiens-français à l’esclavage, des hommes courageux ont rompu les « enfarges » qui les attachaient au parti libéral provincial, ou plutôt au régime arbitraire du gouvernement Taschereau. 1935, Le Franc‑Parleur, Québec, 6 juillet, p. 4.
« Il faut au plus tôt dissiper cette impression extrêmement répandue, que la religion chrétienne est une entrave, une enfarge à la liberté », continua le recteur de [l’Université] Laval. 1947, Le Soleil, Québec, 4 juillet, p. 23.
Il vise un pays dont l’économie serait intégrée, sans enfarges aux libertés de circulation des individus, des biens et des services. 1980, Le Soleil, Québec, 13 septembre, p. B1.
Le maire le dit sans détour : ses fonctionnaires ont élaboré un système pour faciliter la vie de tout le monde, pour qu’il y ait « moins d’enfarges » avec le ministère de l’Environnement. 2015, Le Soleil, Québec, 18 avril, p. 26.
Mais ce qui pourrait avoir un impact bien plus significatif, c’est le choix des prochains ministres des Transports et des Affaires municipales. C’est dans ces ministères que se débattent les grands enjeux de mobilité et d’aménagement du sol. Et d’où pourraient venir des enfarges au projet de 3e lien. Y verra-t-on des ministres « poids lourds », capables de changer le cours des choses et de l’histoire? 2022, Le Soleil (site Web), Québec, 6 octobre.
Histoire
Enfarge est une variante de enferge, déverbal de l’ancien français enfergier (v. enfarger, sous Hist.). Enferge a survécu jusqu’au XXe siècle en France, parallèlement à enfarge, alors qu’au Canada, c’est enfarge qui est la seule forme usuelle depuis le XIXe siècle.
1Depuis 1691 (ASQ, Québec, Livre de comptes 1688‑1700, août, p. 189 : Une p[ai]re d’enferges); enfarges, depuis 1725 (AJM, Montréal, greffe G. Barette, no 553 : une paire d’enfarges). Héritage de France, où le mot est attesté de 1472 à Cotgrave 1611 au sens de « chaîne, fers, menottes »; on le relève au XVIe siècle chez D’Aubigné au sens d’« entrave que l’on met aux jambes » (v. FEW ferrea 3, 469; Godefroy, Huguet). Depuis cette époque, le mot paraît avoir été restreint aux parlers régionaux du Nord-Ouest, du Centre et de l’Ouest, où il s’emploie surtout en parlant d’une entrave pour cheval (v. DottMaine 42, s.v. [ɑ̃fɛʀʒ] « entrave de fer »; VerrAnj, s.v. enfarges « entraves formées de deux anneaux de fer réunis par une chaîne, dans lesquels on engage les pieds de devant d’un cheval »; JaubCentre2, s.v. enfarges, enferges « entraves en fer avec cadenas qu’on met aux pieds des chevaux au pâturage »; MussSaint, s.v. enfarges, enferges « entraves pour les chevaux, pour les empêcher de courir quand on les met à paître »; TLF, s.v. enferges « mot dial., notamment de l’Ouest et du Centre, répandu également au Québec »; ALF 1550; FEW 3, 469b). C’est à titre de mot régional qu’il est employé par George Sand au XIXe siècle; il était alors considéré comme un mot « ancien » ou « provincial » (v. Guérin, s.v. enferge; GuérinS, s.v. enfarge). En Amérique, outre le Canada français, enfarge a été relevé dans quelques paroisses de la Louisiane (v. DLF, s.v. enfarge (enferge); DitchyLouis, s.v. enfarges, et HickmJeff, s.v. enferges). 2Depuis 1959. Héritage probable de France (relevé au sens d’« obstacles » dans le Poitou et la Saintonge (v. FEW id.). 3Depuis 1865. Est également un héritage de France. L’emploi figuré est relevé dans l’œuvre de Calvin (par la remission des pechez, les consciences sont delivrées de vrayes enferges, cité dans Huguet). Attesté aussi en Louisiane (« hindrance, impediment », v. DLF), ce qui conforte l’hypothèse d’une origine française.