DÉSABRIER ou
DÉSABRILLER [dezabʀije]
v.
Le mot se prononce toujours avec un [j], quel que soit le temps ou la personne.
v. tr. Dégarnir (qqch.) de ce qui le couvre, le protège; mettre à découvert.
J’vas avoir dépensé trois cents belles piastres dans l’chemin, à m’faire mourir, faire mourir les chevaux et traîner ce ménage‑là. Là, l’ramener après c’pluie‑là, y’vaudra pas cher, le ménage. Tout notre linge mouillé aussi. J’ai déshabrillé [sic] les valises pour essayer de protéger les matelas de la pluie : c’était pas assez grand, y’se sont tout fait mouiller. 1974, M. B. Froment, Les trois courageuses Québécoises, p. 58.
Dans le quartier, les conteneurs à déchets de construction et de démolition se comptent par dizaines. Un peu partout, des travailleurs s’affairent à démolir, assécher et reconstruire. « Ici, il y a de l’eau qui a monté jusqu’à au moins trois pieds. On désabrille tout le sous-sol au moins jusqu’à quatre pieds pour s’assurer qu’il n’y a plus d’eau, plus de moisissures, enlever des planchers aussi » […]. 2018, Société Radio-Canada, Ici Québec (site Web), 5 février.
Quand on veut planter un arbuste dans son jardin, on va généralement acheter le dernier truc cher à la mode à la jardinerie du coin, souvent un arbuste arraché à son continent d’origine ou fabriqué de toutes pièces qu’il faudra abrier l’hiver et désabrier au printemps. 2021, J.‑F. Noulin, Et pourquoi pas un pimbina?, Carnet naturaliste (site Web), 3 juin.
Fig.
Quand ma pensée se traîne, que j’ai le cerveau à marée basse et que j’arrive mal à me désengager du mois de février qui me colle après comme la misère sur le pauvre monde, je me tourne vers Jacques Ferron […]. Ce grand cartographe de notre imaginaire que fut Ferron me désabrille de ma pesanteur et me redonne le goût de l’écriture. 2001, V.‑L. Beaulieu, Le Couac, Montréal, mars, p. 8.
[J]’ai voulu désabriller tout ce que je pouvais dans ton couloir de temps [/] maintenant tout se refroidit des cerfs d’où tu habites [/] ça fends [sic] tout le bois la fibre du froid et le matin [/] une chance pareil qu’on a eu le crime du feu [/] ramenés à pied semaine après semaine sur des routes de poêles [/] à les regarder trop que les chars s’abîment dans des côtes de lendemain [/] dans ce que la vie contracte de foulure et d’idées aux plafonds dorés des clubs empiriques[.] 2013, S. Cotton, Vickie Gendreau in memoriam, LaFreniere&poesie (site Web), 5 septembre.
(Dérivé). Désabrié, désabriée ou désabrillé, désabrillée adj. Dégarni de ce qui couvre, protège qqch.; à découvert.
La Claquette rase les poubelles avec une lame désabrillée, il a la garde de nos enfants qui grelottent et assume en sifflant ce rôle de guilt‑trip communautaire. 2013, M. Bergeron, Corps de métier, Liberté, no 300, p. 65.
Plusieurs structures de bois sont érigées à la queue leu leu, surplombant autant de sites d’extraction [de glaise]. Tout en protégeant des intempéries la surface désabriée, elles supportent un palan qui permet de hisser les seaux de glaise. 2017, A.‑M. Sicotte, Le pays insoumis, t. 1, p. 286.
Si vos cèdres sont désabriés, un petit arrosage de feuillage ne leur ferait pas de tort. Ne les oubliez pas lorsqu’il fera beau; on y pense moins, mais les arbres ont soif autant que les plantes! 2018, M.‑J. Saucier, Préparatifs pour le début de saison, Marie-Joëlle Saucier : paysagiste conseil (site Web), 13 avril.
v. tr. Ôter, enlever (à qqn., à un animal) une couverture, un drap qui le couvre.
v. pron. Se découvrir.
Le jour de l’an au matin, vers 7 heures, j’ai été regarder le défunt. Je l’ai découvert jusqu’à la ceinture. […] Je ne puis dire si Michel Lemaire y était. Sophie Boisclair était descendue quand j’ai désabrillé le défunt. 1867, Procès Provencher-Boisclair, p. 89.
Celui‑ci, après avoir disposé au mieux les sacs, raquettes et carabines dans les traîneaux, demanda : – Faut‑il désabrier (ôter les couvertures de) mes chevaux? – Oui, ces Messieurs sont prêts, répondit Maître Labbé, sorti de la maison pour assister au départ et faire des souhaits de bon voyage. 1934, F. Van Bruyssel, Jean Vadeboncoeur et Marie-Anne Lafrance : Canadiens Français, p. 62‑63.
Pour l’enfant qui se désabrille souvent la nuit, voici de chaudes dormeuses pratiques […]. Fini flanellette, avec pieds, jambes longues et panneau à l’arrière, boutonnées en avant. 1946, Radiomonde, Montréal, 8 juin, p. [16] (annonce).
Si vous pensez que papa faisait venir le médecin pour un bouillon de fièvre, détrompez-vous. Le premier recours, quand un enfant faisait de la fièvre, appelez ça grippe, appelez ça pneumonie, appelez ça rhume…Il nous mettait les pieds dans l’eau chaude; si c’était pas assez des pieds, il nous sauçait [= trempait] jusqu’au cou dans l’eau chaude. Aussi chaude qu’on pouvait l’endurer, c’était pas nous autres qui mesurions la chaleur […]. Et après quelques minutes de friction à l’eau chaude, nous n’étions pas libres de prendre le bord qu’on voulait. On embarquait dans notre lit, bien emmitouflés dans des couvertes de laine du pays et il fallait transpirer ou bien non, on allait mourir. […] Après le bain d’eau chaude, sans nous désabrier, il nous faisait ingurgiter une bonne dose d’huile de castor. 1963, AFEUL, Saint-Séverin (Robert-Cliche), J.‑Cl. Dupont 143 (âge de l’informateur : n. d.).
Les passants me regarde [sic] comme si j’étais désabrié, tout nu dans la rue. Ça paraît donc tant que ça que je file mal? C’est pourtant dans le lit qu’on se désabrille. Parce qu’il fait trop chaud. Parce que les couvertes nous traînent sur les reins quand on fourre. 1973, J.‑J. Richard, Centre‑ville, p. 22.
Je ne sais pas comment je suis sorti de l’étable du Grand Pit à Dublanc, mais je sais ce que j’ai vu quand j’ai ouvert cette porte de chambre où Mathilde venait d’accoucher : rien qu’une grosse tête sans cheveux appuyée contre l’épaule nue de Mathilde, tout le reste du corps secret parce que abrillé de literie blanche. Venue de ce que j’avais vu dans l’étable, ma peur était tellement grande qu’elle m’a emporté jusqu’à cette grosse tête sans cheveux. Et brusquement, je l’ai désabriée, cherchant le corps dessous, cherchant la patte manquante. 1997, V.‑L. Beaulieu, Trois‑Pistoles et Les Basques : le pays de mon père, p. 123.
À cette époque, mon père est de plus en plus souvent hors de contrôle, ivre. Il réfléchit mal, il agit mal. Ma chambre n’a que des portes-accordéons, impossible de les verrouiller. Même si j’ai un réveille-matin, il vient me réveiller en tirant les couvertures […]. Chaque jour, je lui crie de ne pas me « désabriller ». 2016, F. Lefebvre, Visite de mon jardin, p. 55.
Vers une heure et demie, Eva prépara Rosalie. La petite, depuis qu’elle était réveillée, ne faisait que brailler. Eva avait beau la bercer, la tenir au chaud, la désabriller, rien à faire. Le bébé hurlait à faire trembler les murs. Le bonheur tranquille qui régnait quelques heures plus tôt avait visiblement fui le logis. Eva était ben en peine. 2020, M. Laverdière, Les collines de Bellechasse, p. 15.
les amants s’abrillent et se désabrillent [/] et s’aiment à tendre rire et vraiment à en pleurer [/] ils se désâment à dire ce qui les a réunis [/] se font du plaisir avec la joie elle‑même[.] 2021, E. Bori et M. Garneau, Les amants s’abrillent et se désabrillent (chanson), Garneau, Bori.
(Dérivé). Désabrié, désabriée ou désabrillé, désabrillée adj. Qui n’est pas ou n’est plus couvert d’une couverture, d’un drap, d’un vêtement.
Ça arrivait souvent à mon père, en hiver, d’aller veiller à trois milles, chez les voisins. La nuit, il passait là ou [sic] le noyé était (placé) pour l’hiver. Les renards avaient dérangé les slaps de sur lui, et ils l’avaient déshabillé, comme pour le manger. Quand mon père le voyait désabrié, il réinstallait son butin et il réparait son abri, pour essayer de la conserver (jusqu’)au printemps. 1918, C.‑M. Barbeau, Anecdotes populaires du Canada, Journal of American Folklore, vol. 33, no 129, 1920, p. 236.
Encore désabrillé! – Me bats avec mes couvertes, maudits draps sales... 1974, J.‑M. Poupart, C’est pas donné à tout le monde d’avoir une belle mort, p. 66.
Puis l’ourson entra dans la maison et se rendit auprès de son frère qui dormait. Il savait exactement où son frère dormait. Il s’y rendit, s’étendit à côté de lui et s’endormit. Le lendemain, lorsqu’on les trouva, ils étaient désabrillés. Ils étaient couchés ensemble, les deux frères, ils dormaient, les deux oursons. 2019, D. Clément, Les récits de notre terre : les Naskapis, p. 93.
Fig.
La première fois. Il en parlait avec tellement d’intensité. Des mots. Des mots. Quand vous vous êtes enfin touchés, ce fut bref, sans profondeur. […] Tu essayais de fouiller dans ses yeux, à la recherche d’une émotion, d’un coin de l’âme désabrié. Tu ne voyais que le vide, à peine un léger tremblement. 2012, L. Richard, Ne dites pas à ma mère que je suis vivant, p. 109‑110.
Histoire
1Depuis 1841 (désabryer, dans Maguire 181). Dans cet emploi, le mot est dérivé d’abrier (sens II.1) « couvrir (qqch.) pour le protéger, le cacher ». Il a été relevé en ancien français sous la forme du participe passé au sens de « sans abri ». On le rencontre par la suite dans les parlers de l’Ouest, du Nord-Ouest, du Centre et de l’Est de la France avec le même sens qu’en français du Québec (v. FEW apricare 25, 56b), de même qu’en Acadie et en Louisiane (v. CormAcad et DLF). 2Depuis 1841 (désabryer « découvrir », dans Maguire 181, dont la définition couvre probablement cet emploi). Cet emploi est dérivé d’abrier (sens II.3) « couvrir, envelopper (une personne, un animal, une partie du corps) d’une couverture, d’un drap, etc. ». Il a été relevé dans un parler du Poitou (v. FEW apricare 25, 56b) ainsi qu’en Ontario, au Manitoba, en Acadie et en Louisiane (v. BénMots, GabMan, CormAcad et DLF). Désabrié, depuis 1918.