DÉJEUNER [deʒœne]
v. intr. et n. m.
v. intr. Prendre le repas du matin, le premier repas de la journée.
Déjeuner à la maison, au restaurant. Déjeuner au lit. Déjeuner en vitesse avant d’aller travailler. Bien déjeuner le matin.
(Emploi critiqué). Déjeuner avec des céréales, des toasts, etc. : prendre des céréales, des toasts, etc. au déjeuner.
Rem.1. S’emploie aussi en France comme équivalent de prendre le petit déjeuner, mais moins fréquemment qu’au Québec. 2. L’emploi de déjeuner avec le sens de « prendre le repas du midi », comme en France, se rencontre à l’occasion dans la langue soignée.
Ceux qui souhaiteront loger chez lui, y trouveront des bons lits, et s’ils jugent à-propos de déjeuner avant de partir le matin, ils auront s’ils le desirent, du Thé, du Caffé ou du Chocolat. 1788, La Gazette de Québec, 10 juillet, p. [3].
Les anciens Canadiens, lorsqu’ils étaient en famille, déjeunaient à huit heures. Les dames prenaient du café ou du chocolat, les hommes quelques verres de vin blanc avec leurs viandes presque toujours froides. 1863, Ph. Aubert de Gaspé, Les anciens Canadiens, p. 409.
– Vous avez parlé de la nourriture chétive. Qu’est-ce que c’est que ça veut dire la nourriture chétive? – Ça veut dire, m’en vas vous dire rien qu’un mot là-dessus. Le Jour de l’An au matin, j’ai pleuré, j’avais trois de mes garçons avec moi, et pis on a déjeuné avec des pétaques réchauffées du soir pis du gruau à l’eau et pis pas de beurre à manger avec notre pain. C’est-y assez chéti ça? 1970, Sainte-Angèle-de-Mérici (Rimouski), AFEUL, G. Dulong 37 (âge de l’informateur : 85 ans).
Elle veut des toasts : « Je peux pas déjeuner sans mes deux toasts. » Je m’empresse de lui faire ses deux toasts. Même si le pain et le beurre développent des lots de calories, on ne proteste pas, elle n’est visiblement pas dans un état pour tolérer qu’on se mêle de tout ce qu’elle nous a dit qui nous regardait. 1973, R. Ducharme, L’hiver de force, p. 234.
J’avais pas déjeuné, à matin. Rendue à 10 heures, j’ai failli perdre connaissance... Demain matin, je vas manger quatre œufs! 1983, M. Pelletier, Du poil aux pattes comme les cwac’s, p. 39.
Fig.
Puis, las, nous nous couchions, frissonnants jusqu’aux moëlles, Et parfois, radieux, dans nos palais de foin Nous déjeunions d’aurore et nous soupions d’étoiles... 1903, É. Nelligan, dans L. Dantin (éd.), Émile Nelligan et son œuvre, p. 65.
Déjeuner-dîner v. intr. Prendre un déjeuner tardif, p. ex. le dimanche, à la maison.
Je me suis levé tard ce matin, j’ai déjeuné-dîné.
n. m. Repas du matin, premier repas de la journée; mets composant ce repas.
Préparer, faire le déjeuner. L’heure du déjeuner. Le déjeuner est servi. Prendre une tasse de café, du bacon et des toasts au déjeuner. Manger du gruau, des céréales au déjeuner. Prendre un bon gros déjeuner. Un déjeuner consistant, léger.
SYN. petit déjeuner (dans la langue soignée).
Rem.L’emploi de déjeuner pour désigner le second repas de la journée, comme en France, se rencontre à l’occasion au Québec, dans la langue soignée.
Le déjeuner, qui se prend le matin entre six et huit heures, est d’ordinaire le repas le moins copieux : on y sert du lard rôti, du jambon, des rillettes, qu’on appelle ici cretons; les jours maigres, on mange des œufs, des conserves de sardines, de homards, etc. 1904, St.-A. Lortie, dans P. Savard (éd.), Paysans et ouvriers québécois d’autrefois, 1968, p. 91.
Il est six heures. Déjà des hommes circulent, bottés de cuir, le col ouvert à l’air froid, imprécis dans la fumée d’eau qui se referme sur eux. Ils attendent l’appel du déjeuner que battra en cadence, sur le triangle d’acier suspendu à une corde, le cuisinier du poste. 1942, H. Bernard, « Dans les chantiers », dans Le Canada français, vol. 29, p. 321.
J’me lève, pis j’prépare le déjeuner. Toujours la même maudite affaire! Des toasts, du café, des œufs, du bacon... 1968, M. Tremblay, Les belles-sœurs, p. 13.
De mes études classiques je n’ai que deux mauvais souvenirs, mais ils sont de taille : le règlement et la nourriture. Parlons-en de la nourriture. Six matins par semaine, déjeuner de fèves au lard sans lard. Elles n’ont jamais la même consistance ni la même saveur : elles flottent dans une sauce poisseuse ou sont compactes comme du mortier. 1989, G. Filion, Fais ce que peux, p. 87.
Seule devant son café, ses œufs (c’est Noël, après tout!), ses toasts, Anne se sent presque soûle de plaisir. Neuve, elle avalerait le monde avec son déjeuner. 1992, M. Laberge, Quelques adieux, p. 68.
VieilliRepas de noces faisant suite à un mariage célébré dans la matinée.
Déjeuner de noces.
Le lundi suivant ils étaient mariés, et au déjeuner qui suivit la messe nuptiale, Jean me disait joyeusement : – Sans l’amour, vois-tu, Henri, la vie n’est rien. 1874, Faucher de Saint-Maurice, À la brunante, p. 157.
Histoire
1Depuis 1538 environ (J. Cartier, dans M. Bideaux (éd.), Relations, 1986, p. 187 : donnez moy à desjuné). Maintien d’un emploi attesté depuis l’ancien français (v. FEW disjejunare 3, 95a). La construction déjeuner avec a fait l’objet de critiques (v. Maguire, DictBarb, JFerdRefr3 44; J. Clément, dans La Presse, 25 août 1951, p. 21) et on l’a attribuée à tort à l’influence de l’anglais (v. Dagenais2 414); cet emploi prépositionnel avec déjeuner et dîner est en fait bien connu en France (v. Grevisse12, § 1007b 2o, et TLF, s.v. déjeuner). Un composé déjeuner-dîner est attesté comme substantif en français depuis le XVIIe s. (v. FEW id. et TLF). 2Depuis 1634 (RJ 7, p. 110 : on commence par le desjeuner s’il y a dequoy). Maintien d’un emploi attesté depuis l’ancien français (v. TLF). Ce n’est guère que depuis le début des années 1970 que les lexicographes français donnent ce mot comme marqué en référence au repas du matin (v. GLLF; TLF : « vx, région. »; Robert 1985 : « vieilli ou rég. »), mais l’emploi de déjeuner pour désigner le second repas de la journée date de la première moitié du XIXe s. (v. TLF; BW5; GoosseDîn 87). « Cette innovation sémantique originaire de Paris fut conditionnée par l’évolution des pratiques sociales dans la capitale; tout le système de la désignation des repas y subit un déplacement qui eut pour conséquence l’apparition de petit déjeuner et le quasi-abandon de souper. » (DSR). Cette réorganisation du système ne s’est pas imposée dans toute la France et encore moins dans les communautés francophones à l’extérieur de l’Hexagone. Déjeuner au sens de « premier repas de la journée » est courant non seulement au Canada, mais aussi en Belgique (d’où il est passé au Rwanda) ainsi qu’en Suisse; en France, dans des sources contemporaines, on le relève dans le Nord-Ouest, le Nord, le Nord-Est, l’Est, et çà et là dans le Midi, à tout le moins dans les régions rurales (d’après DSR).