DÉFARGER [defaʀʒe]
v. tr. et pron.
v. tr. Rural Désentraver (un animal; cheval, mouton ou vache), lui enlever ses enfarges.
Rem.Relevé surtout dans des lexiques (Dunn, Blanch1, GPFC, Bélisle1‑3, DulCanad2); connu en Acadie (voir Poirier).
J’actais un ch’val rétif, mauvais. [...] P’is moé, je ruais. P’is ça ruait, més amis! Un moment donné, toujours, j’échappe, p’is j’m’en va dans la clôture dés femmes. [...] I’a fallu qu’i’ m’donne du sucre pour pouvoir m’poigner ‘a patte p’is m’défarger [...]. 1968, Nord, 1977, no 7, p. 130.
v. tr. Fig. Libérer (qqn) d’un obstacle.
Mais voilà, l’argent manque et il faut remettre cela à plus tard… et c’est bien dommage. C’est toujours dommage d’ailleurs, de voir une idée « s’enfarger » dans une piastre. Soit dit en passant, la même piastre « enfarge » aussi huit petits chalets, soit environ cent vingt petits gars qui attendent leur tour. Peut-être y aura-t-il moyen de les « défarger »; espérons‑le pour eux, pour nous aussi, puisque ce sont les nôtres. 1957, La Patrie, Montréal, 10 novembre, p. 30.
Défargé adj. (Ancienn., en parlant d’un prisonnier). (Dans une tournure passive). Libéré des entraves qu’on lui avait mises.
Rem.La forme féminine défargée n’est pas attestée dans la documentation consultée.
Nous ne sommes restés enfargés dans le steamboat qu’une demi-heure et nous fûmes défargés ensuite. Vers dix heures et demie, M. Pierce nous renfargea pour nous livrer au capitaine du Buffalo. Nous fûmes rendus à Québec vers onze heures du matin et, à midi juste, nous étions sur le pont du Buffalo où nous fûmes défargés et on nous fit descendre dans les chambres du devant, non pas des chambres mais des cachots bien noirs. Les prisonniers américains sont arrivés au Buffalo à 5 heures du soir et ils étaient au nombre de 79 prisonniers politiques et quatre félons pour meurtre, tous ensemble, et nous sommes restés tous dans le même appartement sans distinction. 1839, B. Roy, Un patriote en Australie : 1839‑1844, 2020, p. 39‑40.
Il y a un matelot qui est aux fers depuis plus de 15 jours pour avoir soi-disant voulu poignarder un autre matelot. Toutes les règles du bâtiment sont strictement bien observées. Notre matelot ne doit être défargé qu’à Sydney où il doit être mis à terre. 1840, B. Roy, Un patriote en Australie : 1839‑1844, 2020, p. 68.
(Hapax). Défargé, défargée adj. et n. Fig., vieilli (Garçon) Évaporé, coureur, qui court la prétentaine; (fille) garçonnière, qui recherche la compagnie des garçons, qui court les rues.
Ses parents ont besoin de la surveiller, car elle est défargée. 1930, La Société du parler français au Canada, Glossaire du parler français au Canada, p. 265.
v. pron. Par anal., Vieilli Se dévêtir, enlever ses vêtements.
Rem.Figure dans DulCanad2. Relevé également aux îles de la Madeleine (voir Mass no 1624 : « ôter son paletot »; CormAcad : « enlever un manteau, un vêtement qu’on portait en surplus »; NaudÎM).
(Manitoba). Eh! la vieille, dit‑il à sa femme, […] aide donc Mme Laroche à se défarger de son capot et fais‑y à manger. 1924, M. Constantin‑Weyer, Manitoba, p. 110‑111.
Histoire
1Depuis 1908 (BPFC 6/9, p. 349). Probablement un héritage de France, puisqu’il a été relevé en Saintonge (sous la forme syncopée déf’rger, v. FEW ferrea 3, 469b); il s’agirait dans ce cas d’une variante de l’ancien verbe desfergier « délivrer des fers (un prisonnier) » attesté du XIIe au XVe siècle et, sous la forme defferger, au XVe (v. FEW id., 469a; Godefroy et Huguet). Il pourrait cependant avoir été recréé au Québec à partir d’enfarger, par substitution de préfixe. Le sens de « (prisonnier) libéré de ses entraves » (depuis 1839) n’est pas attesté directement en France, mais il y a tout lieu de croire qu’il a existé. Défargé « évaporé, coureur… », depuis 1930; paraît être une création québécoise. 2Depuis 1924. N’a pas été relevé ailleurs qu’au Canada.