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CIPAILLE [sipɑj] ou  CIPÂTE [sipɑt]
n. m.

Rem.

1. Attesté parfois au féminin. 2. Variantes graphiques : (dont certaines s’expliquent par l’étymologie populaire, voir Notice encyclopédique) : sipaille, six-paillessea pie; six-pâtescipâtre; cipârecipare.

I
1

Grand pâté dans la préparation duquel entrent des pommes de terre et diverses sortes de viandes.

Cipaille au lièvre, à la perdrix, à l’orignal.

Jean Dechêne, c’était un homme terrible. Il ne craignait ni Dieu ni Diable. Un dimanche dans un de ses camps, où il nourrissait très mal son monde, les bûcherons avaient apporté au cuisinier des lièvres et des perdrix. Le cuisinier prépara un bon cipâtre. Les convives, qui n’aimaient pas Jean Dechêne, avaient profité de ce qu’il était sorti pour manger immédiatement tout le bon cipâtre. Jean Dechêne arrive après le dîner et s’écrie en entrant : Maudit Geu!! que ça sent bon. Donnez-moi du pâté! 1936, Chicoutimi, dans V. Tremblay, Mémoires de vieillards, no 142, p. 231.

Voyant sourire leur mère, flattée des compliments que lui attirait la seule odeur de sa cuisine, les enfants s’empressèrent d’ouvrir le four où se dorait la croûte du six-pailles, pour en faire au moins respirer le parfum au visiteur. 1945, L. de Montigny, Au pays de Québec, p. 258-259.

Si vous voulez, proposa l’Acayenne, je vous préparerai un six-pâtes [pour la noce], avec trois, quatre sortes de viande, puis un beau rang de pâte entre. 1947, G. Guèvremont, Marie-Didace, p. 85.

Le menu [d’un petit restaurant] s’appuyait pour l’essentiel sur la cuisine traditionnelle québécoise, mais une cuisine discrètement affinée, complétée en sourdine par quelques spécialités françaises ou européennes. Les crêpes au sirop d’érable, la tourtière, le cipâte, les fèves au lard et le pâté chinois voisinaient avec le coq au vin et le sauté de veau Marengo [...]. 1981, Y. Beauchemin, Le matou, p. 515.

NOTICE ENCYCLOPÉDIQUE

Le cipaille ou cipâte est un mets réputé de la cuisine québécoise. La manière la plus courante de le préparer consiste à verser un mélange de pommes de terre et de plusieurs sortes de viandes coupées en morceaux dans un récipient profond tapissé d’une abaisse de pâte épaisse, puis de recouvrir le tout d’une autre abaisse. On peut également disposer ce mélange en couches séparées chacune par une abaisse, ce qui explique qu’on ait obtenu, par étymologie populaire (d’après le mot pâte), la variante cipâte (parfois écrite six-pâtes, sous prétexte que le mets comporte six rangs de pâte). Traditionnellement fait à partir de viande de gibier et de boucherie, le cipaille ou cipâte peut être préparé aussi avec du poisson ou des fruits de mer (notamment dans les régions où la pêche est importante). Ce mets, jadis très populaire dans les chantiers forestiers, est aujourd’hui associé à la saison de la chasse ainsi qu’aux repas copieux du temps des fêtes. Il rappelle un autre pâté que l’on désigne sous le nom de tourtière au Saguenay–Lac-Saint-Jean, région où le mot cipaille ou cipâte sert plutôt à désigner un dessert (voir le sens II).

2

Vieilli Ragoût, hachis dans lequel sont habituellement incorporés des morceaux de pâte.

– Q. : Vous avez parlé de cipaille, pourriez-vous nous donner la recette ou quelque chose? – R. : Du lard, de la patte de cochon bien cuite, toute la patte, les os [...] et puis les morceaux de bœuf les plus maigres, les moins gras, avec de l’oignon ou du poireau. Maman faisait bouillir ça longuement, à petit feu. Elle mettait des épices là-dedans [...] et puis elle servait ça [...] sous forme liquide [...]. 1963, Saint-Séverin (Beauce), AFEUL, J.-Cl. Dupont 142 (âge de l’informateur : n.d.).

II

Par ext.Région. (notam. dans Charlevoix et au Saguenay–Lac-Saint-Jean). Grande tarte dont la garniture (aux fruits) est répartie entre plusieurs abaisses de pâte.

Cipaille aux bleuets, aux fraises, aux framboises.

 poutine (sens I.1).

[...] du poisson frais rôti au beurre, au cuissot de daim assaisonné à la façon de grand’maman, au cipâtre aux bleuets, l’appétit attisé par l’ondée, les convives n’auraient rien eu à reprocher à un Gargantua de plantureuse mémoire. 1944, J. Pelletier, Quinze jours chez les colons du Nord, p. 93.

Région. Dessert fait de pâte molle déposée à la cuillère dans du sirop ou de la confiture de fruits en ébullition. (Voir p. ex. PPQ 238 et MassFar 54).

 poutine (sens I.2).

Histoire

I1Depuis 1914 (Blanch1). De l’anglais sea-pie (v. OED, qui atteste cet emploi depuis 1751, notamment dans la langue des marins). Si le mot a pu être transmis d’abord par les marins anglais, il doit sans doute une bonne part de sa diffusion aux travailleurs forestiers canadiens-anglais chez qui le mets appelé sea pie paraît avoir joui d’une certaine popularité (v. DictCan); de toute évidence, c’est par la même voie que le mot s’est introduit également dans la langue des Montagnais forestiers, ce qui infirme l’hypothèse de J. Rousseau selon laquelle cipaille aurait été emprunté du montagnais chipaille (ou sipaille, abrév. de sipay-djano, v. RoussHist 17) plutôt que de l’anglais sea-pie. 2Depuis 1906 (d’après FSPFC).

IIDepuis 1944.

Version du DHFQ 1998
Pour poursuivre votre exploration du mot cipâte, consultez notre rubrique Les fins mots de l'histoire et visionnez notre capsule vidéo Dis-moi pas!?.
Trésor de la langue française au Québec. (1998). Cipaille ou cipâte. Dictionnaire historique du français québécois (2e éd. rev. et augm.; R. Vézina et C. Poirier, dir.). Université Laval. Consulté le 30 août 2024.
https://www.dhfq.org/article/cipaille-ou-cipate