CHASSE-GALERIE [ʃasgalʀi]
n. f.
L’orthographe chasse-galerie est bien établie depuis le XIXe s. Les variations occasionnelles touchent surtout l’absence du trait d’union et le second élément, qui peut être noté gallery, parfois avec majuscule à l’initiale (voir Histoire).
Vieilli(D’après une croyance populaire). Horde effrayante d’êtres surnaturels (chrétiens punis pour avoir enfreint des préceptes religieux, démons, loups-garous) qui traverse le ciel pendant la nuit, notamment à cheval, dans un tumulte de bruits, de gémissements et de cris d’animaux.
Entendre la chasse-galerie. Des histoires de loups-garous, de feux-follets, de chasse-galerie.
Au temps où l’on croyait à la chasse-galerie : à une époque révolue où les gens prêtaient foi aux légendes.
Par méton. Bruits qu’on entend dehors la nuit et qu’on associe à cette croyance.
Enfin, ils pleurent pas [les représentants du peuple assemblés à Québec], et pi c’est tout, mais dame ils font des grands visages long [sic] […] c’est asteur que vous entendez japper leurs petits aigrefins, ils mennent [sic] un train [= font du bruit] pire que la chasse-galerie […]. 1833, L’ami du peuple, de l’ordre et des lois, Montréal, 28 décembre, p. 3.
L’esprit qui inventa le sabbat, les sorciers, les sorcières, la chasse-galerie, les vampires, les loup-garoux [sic], les feu-follets [sic], tous ces drames d’iniquité et de corruption, pour cacher sous une apparence trompeuse d’événements mystérieux et surnaturels des obscénités où la sainteté du caractère sacré et des liens conjugaux étaient sacrilègement profanés, l’esprit qui accusait, jugeait, condamnait, brûlait et pillait les victimes de la séduction, dans ces siècles du moyen‑âge amenés par le prêtre pour dominer, s’enrichir et dépraver l’espèce humaine, cet esprit est toujours le même! 1850, L. Proulx, Défense de la religion et du sacerdoce, ou réponse à la presse socialiste, p. 29.
Pendant bien des années, suivant les récits populaires, des bruits étranges se sont fait entendre en ces lieux, au milieu des airs, et par les nuits sombres; c’étaient des cliquetis d’armes, des hennissements de chevaux, des coups de canon et de fusil; enfin, tout le tintamarre qui constitue une chasse-galerie dans toutes les règles. 1861, F. A. H. LaRue, Voyage autour de l’île d’Orléans, Les Soirées canadiennes, p. 162.
– Si nous racontons ce que nous avons vu à nos compagnons, ils vont rire de nous et dire que nous avons eu peur. Or, passer pour peureux parmi les voyageurs, c’est le dernier des métiers. [/] Comme il ne leur était pas possible de ne pas raconter cette aventure, ils se décidèrent à emporter un des tisons de ce bûcher diabolique, qui donnait flamme et lumière sans brûler, afin d’offrir à leurs camarades une preuve de la vérité de leur récit. Vous pouvez vous imaginer de la surprise des voyageurs à ce récit extraordinaire, tous étaient à examiner ce tison, se le passant de main en main et mettant les doigts sur la partie en apparence encore ardente, lorsqu’un bruit de chasse-galerie et un Sacakoua [= grand tapage] épouvantable se firent entendre. Au même instant, un énorme chat noir fit, d’une course furibonde, poussant des miaulements effroyables, deux ou trois fois le tour du groupe des voyageurs; puis, sautant sur leur canot renversé sur ses pinces, il en mordait le bord avec rage et en déchirait l’écorce avec ses griffes. 1863, J.‑Ch. Taché, Forestiers et voyageurs, Les Soirées canadiennes, p. 165.
– Je vous dirai donc, pour ne pas mentir, que j’ai bien entendu, deux ou trois fois pendant la nuit, des grémissements (bruits, frémissements) dans les airs au‑dessus de ma tête, mais je ne puis jurer que ce fut la chasse-galerie […]. J’entends tout à coup un frémissement au‑dessus de ma tête; je crus d’abord que c’était un jibou (hibou), mais ça haltait (soufflait) comme un petit animal très-fatigué. C’est toujours drôle, que je me dis, que les oiseaux du nord haltent comme les bêtes à quatre pattes. Je fus bien vite tiré de mon embarras, quand j’entendis des bruits de chaînes, et des chiens japper comme des enragés, et puis une voix d’homme qui criait : pille! pille! chouquece! chouquece! et tout passa dans le ciel comme une vision. 1866, Ph. Aubert de Gaspé, Mémoires, p. 410‑411.
– Maintenant, ajouta-t-il, veux‑tu entendre la chasse-galerie? la nuit est noire; elle ne sera pas intimidée; le temps est calme, ses voix en seront plus nettes, plus retentissantes. – Va pour la chasse-galerie, répondis‑je en riant. [/] Paul fit entendre un cri d’appel puissant. Dix échos le répétèrent avec un crescendo réellement terrifiant, et le dernier, courant vers le sud sur la crête des montagnes, se perdit en des sons de centaines de clochettes au timbre argentin. De ma vie je n’avais entendu pareils échos. […] Il me fallut reconnaître qu’un homme seul et non prévenu pouvait être effrayé de ces voix mystérieuses que se renvoyaient les montagnes, au sein d’une nuit profonde, calme et partant pleine de mystères. 1897, A.‑N. Montpetit, Les poissons d’eau douce du Canada, p. 342.
Pour nos Acadiens du Nord, pensons un peu à la « Chasse-Galerie » qu’aujourd’hui l’on traite simplement d’« histoire de vieille femme ». Ma grand’mère LeBlanc m’a raconté elle-même ce phénomène qui n’était pas un effet de son imagination; il avait toujours lieu un peu après le coucher du soleil. « On entendait d’abord un bruit sourd et indistinct comme l’espace. Le bruit augmentait et finissait par produire l’effet de voitures roulant sur le pavé; on entendait même des sons de clochettes et de grelots, des voix d’hommes et de femmes. On pensait que les habitants qui voyageaient ainsi dans les airs étaient des autres planètes. » 1936, M. Michaud, Le Folk‑Lore acadien, Le Terroir, octobre, p. 8.
Ah, oui. Ils nous faisaient peur avec ça, les chasse-galeries. […] Ils nous faisaient des peurs. Ils disaient que c’était le diable qui s’en venait avec toutes ses chaînes puis ses mondes [qui étaient] avec lui. Ils nous faisaient une peur noire avec ça. La chasse-galerie, ça, j’ai pas vu ça, mais j’entendais conter ça, par exemple. 1966, Saint-Malachie (Dorchester), AFEUL, P. Jacob et M. Thibault 8 (âge de l’informatrice : n. d.).
La chasse-galerie, ça m’a été conté. C’est arrivé comme pour punir un gars quand il était puni, ça. [...] C’était durant la messe. Puis dans ce temps‑là, les chiens, les mondes devaient voyager, aller à messe en voiture avec les chevaux, puis bien des chiens qui suivaient. Puis le monde rentrait dans l’église, puis les chiens restaient dehors. Tout d’un coup, les chiens, la chicane prenait, les chiens se mettaient à se battre. Il y avait un gars qui était debout dans l’église qui l’intéressait plus les chiens. Il sort dehors, il se met à souquer le chien : « Souque mon chien, souque mon chien! » Puis le chien se met à se battre, puis il y a un bardas terrible. Tout d’un coup, ça a monté dans les airs, comme punition, cette affaire‑là, là. Puis de temps en temps, ils disent qu’ils entendent encore ça le soir. [...] Les chiens qui se battaient, puis un gars qui dit : « Souque mon chien, souque mon chien. » Ils ont nommé ça la chasse-galerie. Je sais pas si c’est arrivé. 1972, Saint-Irénée (Charlevoix-Est), AFEUL, L. Cyr et F. Tremblay 33 (âge de l’informateur : n. d.).
Fig.
« Sooortez! police! au meurtre! on me tue! on m’assassine! au secours! ma femme! au secours! » Et M. D. vit descendre madame bride-abattue, suivie d’un régiment de laquais dont un était armé d’un fourgon, un second du manche à ballai [sic], un troisième, de la canne parlementaire de son maître, le cuisinier chargeait bayonnette [sic] avec sa broche, la fille de chambre avait à la main un certain ustensil [sic] de ménage rempli de quelque chose qu’elle balançait avec une précision surprenante, et les autres attachés à la maison étaient acoûtrés dans un genre à peu près semblable. M. Desmarais voyant venir cette chasse-galerie, la laissa discrètement prendre soin de M. Barthe qu’il pensait à demi-mort de frayeur. 1844, Le Charivari canadien, Montréal, 30 juillet p. [2].
Mod.(Dans une légende). Bande de bûcherons ou de voyageurs (sens 2) qui traversent bruyamment le ciel dans un canot volant pour aller faire la fête avec leurs amoureuses, leurs proches, après avoir conclu un pacte avec le diable.
[Date inconnue], H.J. Dusseault, Chasse-galerie [photo], TLFQ.Courir la chasse‑galerie : participer à ce voyage fantastique.
Par méton. Moyen qui permet de se déplacer rapidement dans les airs (habituellement un canot).
Se promener, partir, voyager en chasse‑galerie.
Rem.Il existe diverses variantes de cette légende (voir Notice encyclopédique).
Transportons-nous seulement à 1810. […] On voyait partout des sorciers, et si une jeune fille souffrait de vapeurs hystériques, on ne doutait pas qu’elle fût ensorcelée, qu’on ne lui eût jeté un sort. Un homme ne pouvait aller veiller chez son voisin, sans rencontrer sur son chemin un revenant, un loup-garou ou tout au moins un feu follet. Nous avions la chasse-galerie ou grand veneur, comme en France au quinzième siècle, et les voyageurs aux pays hauts descendaient, sur le soir, en canot au milieu des airs pour veiller sur leurs belles à St‑Ours ou à Laprairie. Les plus ignorans [sic] ne croient plus aujourd’hui aux lettres tombées du ciel, ni aux loups-garous, ni aux chasses-galeries et personne n’ignore que le feu follet est un phénomène tout naturel. 1840, L’Aurore des Canadas, Montréal, 7 décembre, p. [1].
Tout le monde a entendu parler de la Chassegalerie [sic]; presque tous nos grands pères en ont vu passer au‑dessus de leur maison entre dix et onze heures du soir; un de mes oncles avait appris une chanson sur l’aviron de ces étranges canotiers; enfin nos grands pères ont couru la Chasse-galerie. […] On procédait comme suit : Dans un chantier où se trouvaient une vingtaine d’hommes, il y en avait un qui proposait un voyage de quelques cents lieues, aller et retour en une seule veillée. La proposition était acceptée, pourvu qu’on fût voir un parent, un ami, une amante. Les conditions faites, on embarquait dans un canot et l’on se mettait à ramer, sans sortir du chantier. Bientôt on voyait ce qu’on voulait voir et le voyage était fait. 1875, L’Opinion publique, Montréal, 19 août, p. 394.
Tout ce que je puis vous dire, mes amis, c’est que ce n’est pas si drôle qu’on le pense que d’aller voir sa blonde en canot d’écorce, en plein cœur d’hiver, en courant la chasse-galerie; surtout si vous avez un maudit ivrogne qui se mêle de gouverner. Si vous m’en croyez, vous attendrez à l’été prochain pour aller embrasser vos p’tits cœurs sans courir le risque de voyager aux dépens du diable. 1891, H. Beaugrand, La chasse galerie, La Patrie, Montréal, 31 décembre, p. 2.
Mon homme me proposait de courir la chasse-galerie, et de risquer mon salut éternel pour le plaisir d’aller embrasser ma blonde au village. C’était raide. Il était bien vrai que j’étais un peu ivrogne et débauché, et que la religion ne me fatiguait pas à cette époque, mais vendre mon âme au diable, ça me surpassait. 1893, L’Almanach du peuple illustré, p. 61.
Si vous savez pas ce que c’est que la chasse-galerie, les enfants, c’est moi qui peux vous dégoiser ça dans le fin fil [= d’une façon précise], parce que je l’ai vue, moi, la chasse-galerie. Oui, moi, Jos Violon, un dimanche midi, entre la messe et les vêpres, je l’ai vue passer en l’air, dret devant l’église de Saint-Jean-Deschaillons [...]! C’était comme qui dirait un canot qui filait, je vous mens pas, comme une ripouste [= comme un coup de vent], à cinq cents pieds de terre pour le moins, monté par une dizaine de voyageurs en chemise rouge, qui nageaient [= pagayaient] comme des damnés, avec le diable deboute sus la pince de derrière, qui gouvernait de l’aviron. 1900, L. Fréchette, La Noël au Canada, p. 220‑221.
« Qu’est‑ce qu’on va faire demain, là? C’est Noël. » Ou bien : « C’est le jour de l’An. Eh, moses! Je voudrais bien aller voir mon amie tout d’un coup. » Il y en avait un qui était plus agressif que les autres. Il disait : « Veux‑tu, on va y aller? Embarque avec moi, on va y aller. On va y aller avec la chasse-galerie! » Alors, il prenait un gros madrier quelconque ou une bille de bois, là, et puis il disait : « On va embarquer là‑dessus. » Il y avait trois, quatre mots à dire, trois, quatre signes à faire, puis ça partait. Puis tout le monde était surpris quand il les voyait arriver. 1972, Giffard (Québec), AFEUL, F. Bernier 9 (âge de l’informateur : n. d.).
Vous connaissez l’histoire, nous bûchions au chantier [/] Loin de nos êtres chers, dix gars ben esseulés [/] Dans notre désespoir, le soir du jour de l’An [/] Nous avons fait, ciboire, un pacte avec Satan [/] Dans le ciel du pays, le canot fendit l’air [/] Et nous menant, ravis, aux maisons de nos pères [/] Toute la nuit en famille nous pûmes rire et boire [/] Mais sans toucher aux filles, le diable veut rien savoir [/] C’est moi le plus jeune des dix, dans ce canot maudit [/] Volant par maléfice au‑dessus de vos vies [/] Épargnez vos prières, mes parents, mes amis [/] Je suis un beau torvis, [/] Martin de la chasse-galerie [/] 1994, La bottine souriante et M. Rivard, Martin de la chasse-galerie (chanson), La mistrine.
Ce qui passionne également les collectionneurs et amateurs de belles choses, ce sont toutes ces œuvres sculpturales, les personnages issus de notre patrimoine québécois. Les pièces de pin sculptées et peintes de couleurs vives représentant le bucheron, la chasse-galerie ou le couple de « p’tits vieux » se berçant devant la chaleur du poêle à bois en font partie. 2021, Le Canada Français, Saint-Jean-sur-Richelieu, 24 juin, p. A36.
Fig.
Je suis embarqué dans ce que Groulx appelle Notre Grande Aventure, sur les rivières, les lacs, parmi les bois de mon pays. J’arriverai bientôt devant la grande Ile royale et à Kaministiquia; et le cœur me bat fort. Que tout cela me semble hardi et beau! Combien m’enchante ce voyage qui participe de l’histoire et un peu d’une sorte de chasse-galerie de la mémoire! Si je ne l’écrivais pas, mon canot, mes bras, mon aviron la chanteraient cette épopée virile et poétique des nôtres. 1975, F.‑A. Savard, Journal et souvenirs, t. 2, p. 24.
Par anal., Disparu Troupe d’enfants se poursuivant à la queue leu leu, et faisant force tapage. (Clapin).
VieilliRéunion de personnes qui fêtent et qui font du bruit. (PPQ 2272).
Oh! qu’elle a été heureuse la Rue St. Amable de se voir une fois de plus honorée de la présence de la fleur rouge de Londres traînée par des chevaux aussi luisans [sic] que leurs maîtres et presque tous de leur même couleur aussi. L’Aurore, devant qui ils se sont arrêtés, comme on voit, en a aussi emprunté son brillant d’aujourd’hui; nous souhaitons que la Chasse-Galerie s’y retrouve en rayons; malheureusement, les beuglements sont impossibles à reproduire! […] nous invitons tous les sourds seulement (car les autres pourraient le devenir!) à profiter du tems [sic] de la mascarade. Ils y verront des têtes de loup sous des enveloppes de buffle, des loup-marins, que savons-nous? peut-être des loup garous – qui font fuir leurs chevaux à toutes jambes. Pourvu qu’on se laisse écraser tranquillement, il n’y a pas le moindre danger de venir voir l’arche de Noé flottant sur la neige au milieu d’un déluge de folies. 1842, L’Aurore des Canadas, Montréal, 22 décembre, p. [3].
Par méton., Vieilli Bruits, grand tapage. (Clapin, s.v. sacakoua; PPQ 2023).
Fig.
Par cet hiver qui exulte [/] dans la chasse-galerie des paroles [/] ici et là l’errance immobile [/] sur la trame de l’insu soudaine [/] où s’allume la lignée d’ancêtres […] dans la floraison du songe [/] Emmanuelle ma fille [/] je te donne ce que je réapprends. 1975, G. Miron, Courtepointes, 1975, p. 50‑51.
NOTICE ENCYCLOPÉDIQUE
1. Une légende héritée de France. Une version de la légende de la chasse-galerie a été apportée au Canada par des immigrants français originaires de l’Anjou, du Poitou et de la Saintonge, où elle est connue sous le même nom. Cette légende découle d’une croyance populaire selon laquelle on pouvait entendre, pendant la nuit, un vacarme provoqué par le passage dans les airs d’un cortège infernal (diables, damnés, animaux fantastiques). À l’occasion, elle met en cause un seigneur nommé Gallery, qui aurait été condamné à chasser éternellement dans le ciel, accompagné d’une troupe de cavaliers et de sa meute de chiens, pour s’être adonné à cette activité pendant la messe du dimanche, d’où la variante chasse Gallery, qu’on rencontre notamment dans le Poitou. Cette chevauchée fantastique se rattache à une tradition représentée dans toute la France sous diverses appellations : chasse volante – le mot fait l’objet d’un article dans Trévoux 1771 –, chasse à beaudet, chasse à rigaud, chasse galière, chasse galopine, chasse à Arthur, etc. On relève la même légende en Angleterre, en Allemagne et dans les autres zones d’influences celtiques et germaniques.
2. Un mythe païen récupéré par la tradition chrétienne. La croyance aux chevauchées fantastiques dans le ciel serait issue d’un mythe ancien associé aux changements de saison. Selon l’ethnologue J. Du Berger, les Germains auraient entendu, lorsque le ciel était tumultueux, la chevauchée d’un dieu germanique qui servait de guide aux hommes ayant péri à la guerre. Cette croyance, réinterprétée par les chrétiens, serait à l’origine de la célèbre mesnie Hellequin, qui remonte au Moyen-Âge en France, où Hellequin personnifie le meneur des diables et des démons. La croyance serait devenue une légende illustrant la punition exemplaire infligée à un chrétien qui ne s’est pas soumis aux préceptes de l’Église. De nombreux folkloristes ont émis l’hypothèse que les grands vents d’automne ou la migration des oiseaux – par exemple les oies dont le cri ressemble à l’aboiement d’un chien – seraient à l’origine de cette légende qui fournissait une explication à des bruits inspirant la crainte.
3. Transformation de la légende au Canada. Dans la version qui est aujourd’hui la plus connue au Québec (sens 2), la légende a perdu son caractère sinistre, se transformant en un récit d’une joyeuse expédition. Des aspects effrayants de la légende de départ sont cependant attestés dès l’époque de la Nouvelle-France. Évoquant les calamités ayant marqué la période 1660‑1661, dont un tremblement de terre dans la région de Montréal et la guerre contre les Iroquois, le père Lejeune fait état de croyances populaires associées à la chasse-galerie quand il parle des « voix lamentables, qui se sont fait entendre en l’air sur les Trois Rivieres » et des « Canots qui ont paru tout en feu, voltiger par le milieu des airs aux environs de Kebec ». Le père Fr. X. de Charlevoix rappelle en 1744 ces signes qu’il attribue à l’imagination du peuple. Outre ces premières indications, on relève dans la tradition orale des francophones du Québec, d’Acadie et d’ailleurs (Détroit, Missouri) de nombreux éléments hérités tels quels de France. Ainsi, dans de nombreuses versions de la légende, on fait référence à un cavalier armé suivi d’une meute de chiens, à un vacarme associé à des cris de chasseurs, à des aboiements de chiens, à des coups de fusil, à des bruits de galop, ou encore à des chrétiens morts en état de péché et condamnés à parcourir les airs (voir des exemples sous le sens 1). En 1894, Louis Fréchette estimait que, « [d]ans le district de Québec, la chasse-galerie se rapproch[ait] plus de la légende française » (rappel de l’homme qui est allé à la chasse pendant la grand-messe du dimanche). C’est surtout à partir des années 1870 qu’on voit apparaître dans les textes canadiens de nouvelles interprétations de la légende qui vont finir par la transformer profondément. La principale d’entre elles, popularisée par H. Beaugrand en 1891, a pris naissance dans les chantiers forestiers, voire plus tôt, dans le milieu des voyageurs faisant la traite des pelleteries, et la trame principale en était déjà bien établie depuis longtemps, semble-t-il (voir le passage de 1840 tiré de L’Aurore des Canadas et celui de 1875 provenant de L’Opinion publique, cités sous le sens 2). Le récit de Beaugrand a connu une grande diffusion et a été repris par divers auteurs, dont L. Fréchette. Il met en scène des bûcherons qui n’ont pas froid aux yeux, défient les interdits et font un pacte avec le diable, auquel ils réussiront à échapper. La légende n’est pas totalement dépouillée de son caractère moralisateur, puisqu’elle rappelle les interdits que doit respecter tout chrétien : l’alcool, la danse et les jurons. La transition du modèle original vers celui de Beaugrand s’est faite à travers de multiples versions intermédiaires, où le moyen de transport n’est pas toujours le canot (il peut s’agir d’une simple bille de bois). Dans la version qu’édite J. Tremblay en 1920, parue dans le Journal of American Folklore, les passagers du canot sont des loups-garous, donc des êtres maléfiques, alors que dans celle rapportée par O.‑Ch. Pelletier en 1940, il s’agit de coureurs de bois morts en état de péché dont les témoins de la chasse-galerie peuvent atténuer le châtiment par leurs prières. Dans une autre encore, rapportée par É.‑Z. Massicotte, le canot volant est suivi par une meute de cavaliers. Des folkloristes sont d’avis que la légende de la chasse-galerie a été réinterprétée parce que la chasse n’était pas interdite au Canada et qu’on n’y pratiquait pas cette activité en compagnie d’une meute de chiens. L’image du canot volant n’a pas de quoi surprendre dans le contexte canadien, surtout qu’on trouve dans les légendes européennes l’évocation de barques et de navires qui volent.
4. Une légende à valeur emblématique. La version originale de la légende de la chasse-galerie ne subsiste de nos jours que dans le souvenir de personnes âgées. Par contre, la version moderne de la légende demeure très présente dans l’imaginaire québécois. Dans le domaine culturel, elle a fourni le thème de quelques chansons et de diverses œuvres en art visuel, dont de nombreuses illustrations de Henri Julien (1851‑1908) qui sont encore bien connues. Elle a aussi inspiré le logo d’une bière québécoise et prêté son nom à un groupe de musique, à une maison de production, ainsi qu’à divers commerces. Des artistes associent la légende de la chasse-galerie à une certaine fierté nationale, par exemple le groupe La bottine souriante présente ainsi sa chanson : « Voici donc un fruit défendu : une chasse-galerie revue et corrigée encore plus près de nous tirée de notre identité québécoise bien prête à traverser le temps. »
Sources : H. Beaugrand (1989), La chasse-galerie et autres récits (Fr. Ricard, éd.), p. 7‑95; La bottine souriante (1994), La mistrine [album]; L. Bovet (1996, hiver), Le voyage fantastique, la chasse-galerie, Québec français, 110‑112; Fr. X. de Charlevoix (1744), Histoire et description générale de la Nouvelle France, t. 1, p. 348; J. Du Berger (1979), Chasse-galerie et voyage, Studies in Canadian Literature, 4(2), 35‑43; Encyclopédie universelle du XXe siècle (1904), s.v. Hellequin; L. Fréchette (1894, 24 février), La Patrie, Montréal, p. 1; J. Grignon (1900), La chasse-galerie, Le Bulletin des recherches historiques, 6(2), 51‑53; N. Guilbault (1980), Henri Julien et la tradition orale, p. 65‑95; Grand dictionnaire encyclopédique Larousse (1982‑1985), s.v. chasse; C. Jolicœur (1975), La Chasse-Galerie, Revue d’histoire et de traditions populaires de la Gaspésie, 13(4), 209‑210; id. (1976), 14(1), 51‑52; ibid., 14(4), 333‑337; P. Lejeune (1662), The Jesuit Relations and Allied Documents, vol. 46, p. 202; C. Lépine (1875, 19 août), La chassegalerie, L’Opinion publique, Montréal, p. 394; Le Quellec, J.‑L. (1999), La chasse‑galerie, du Poitou à l’Acadie, Iris, 18, 125‑146; É.‑Z. Massicotte (1938), Diverses sortes de chasse-galerie, Le Bulletin des recherches historiques, 44(6), 163‑166; G. Mercure et J. Tremblay (1920), Anecdotes de la Côte‑Nord et de Portneuf, Journal of American Folklore, 33(129), p. 263; O.‑Ch. Pelletier (1940), Mémoires, souvenirs de famille et récits, p. 139‑140; Br. Purkhardt (1992), La chasse-galerie, de la légende au mythe; M. Tremblay (1996), Le cycle de la chasse-galerie.
Histoire
Le mot chasse-galerie est un apport des parlers de l’Anjou, du Poitou et de la Saintonge, où il est connu sous cette forme ou des variantes voisines, comme chasse Gallery, chasse‑galerit, chasse‑galerite (v. FEW *captiare 21, 320a; CormMauges; RézOuest1‑2; TravPoit 136‑138; FavrePoit, s.v. chasgalerie; MussSaint, s.v. chasse galeri; DoussTrav 457‑458; relevé en outre dans TLF et Robert 2001). Le mot n’est attesté en France que depuis 1829 (peut-être depuis 1791, v. RézOuest1), mais il est certainement arrivé au Canada dès le XVIIe siècle, puisqu’il est bien implanté au Québec et en Acadie. Chasse‑galerie est formé de deux éléments dont le premier, chasse, paraît employé avec sa valeur collective, désignant les chasseurs, chiens et équipage de la chasse (sens attesté depuis le XIVe siècle en français, v. DMF, s.v. chasse1, v. aussi FEW *captiare 21, 320a). Le second élément pose problème et a été interprété de diverses façons. On a notamment cru y voir dans le Poitou le nom d’un certain Gallery, seigneur impie qui aurait été condamné à chasser pour l’éternité dans le ciel parce qu’il avait chassé le dimanche pendant la messe. Cette hypothèse était confortée par le fait que, parmi les divers noms donnés aux chasses volantes, certains comportent comme second élément le nom d’un personnage historique (p. ex. chasse Arthur, chasse Saint-Hubert, chasse Saint-Eustache). Toutefois, il s’agit ici d’une étymologie populaire. Galerie se rattacherait plutôt aux mots galier et gail(le), connus autrefois en français ou dans des parlers régionaux et signifiant « cheval » (galier est attesté en français depuis le XVe siècle, d’abord comme mot d’argot : v. DMF, FEW galla 4, 34a et FEW, 221, 621b). Cette explication est d’autant plus vraisemblable que l’on retrouve dans les régions de France des appellations comme chasse galière, chasse gallère, chasse gaillère et chasse gayère, où l’on reconnaît les mots galier et gail(le), ou chasse galopine, qui évoque aussi le cheval (v. L. Sainéan, La Mesnie hellequin, Revue des traditions populaires, mai, 1905, p. 177‑186; RézOuest1; FEW *captiare 21, 320a, Robert 2001 et LeQuellChass).
1Depuis 1833 (v. la citation sous le sens 1) et dans une énumération sous la plume d’un Français citant un informateur canadien : Nos souvenirs populaires, nos contes de vieilles, nos chansons, nos proverbes, nos superstitions, tout en nous est normand ou breton, m’écrit un homme politique du Bas‑Canada. Les contes […]; les chansons […], les histoires des Fifollets, de la Chasse Galerie, du Lutin qui fait trotter les chevaux, etc.; ces contes, ces fadaises‑là me font plaisir à entendre. (I. Lebrun, Tableau statistique et politique des deux Canadas, p. 267). Le sens donné au mot dans les exemples relevés au Québec correspond à ceux qu’on relève dans les parlers angevins, poitevins et saintongeais, soit « troupe infernale (damnés, diables, sorciers, etc.) supposée parcourir les airs durant la nuit » (RézOuest2), « grand vacarme nocturne dans les airs, fait de hurlements, d’aboiements, de sifflements et de battements d’ailes » (DoussTrav 457), ou encore « chasse fantastique menée de nuit par des cavaliers galopant dans les airs » (MinVienne2). Ce sens du mot est le seul à être noté au XXe siècle, dans Dionne, GPFC et Bélisle1‑3 (« ronde nocturne des sorciers ou des loups-garous »); pourtant, Clapin relevait déjà le sens 2 en 1894. Cet état de fait peut révéler que la version européenne de la légende était la mieux implantée dans la région de Québec, où ont été réalisés ces dictionnaires, ce qui confirmerait ce qu’écrit Fréchette en 1894 (v. Notice encyclopédique, point 3). 2Depuis 1840 (notamment dans courir la chasse-galerie). Découle d’une adaptation canadienne de la légende (v. Notice encyclopédique). Le sens de « troupe d’enfants se poursuivant à la queue leu leu, et faisant force tapage » résulte d’une extension qui s’était déjà produite dans le Poitou (v. RézOuest1‑2); ce sens a mené à celui de « réunion de personnes qui fêtent et qui font du bruit » (depuis 1842). Le sens de « tapage » est noté comme régional (Ouest de la France) dans TLF et Robert 1985‑2001.