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BRUNANTE [bʀynɑ̃t]
n. f.

Rem.

1. Une prononciation [bʀœnɑ̃t] a eu cours jusqu’à la fin des années 1970. 2. Variante graphique brûnante.

1

Moment de la journée où une lumière faible et incertaine suit immédiatement le coucher du soleil, tout juste avant la tombée de la nuit; par méton. cette lumière.

2012, TLFQ, Brunante à l'Étang-du-Nord (Îles-de-la-Madeleine) [photo].

SYN. crépuscule.

Rentrer, arriver, revenir avant la brunante. Travailler jusqu’à la brunante. VieilliLa brunante descend, tombe. La brunante a pris, est venue, est arrivée.

(Dans une loc. adv.). À la brunante (ou, vieillisur, vers la brunante) : au crépuscule, à la tombée de la nuit.

Une promenade à la brunante. Sortir à la brunante. Arriver, rentrer à la brunante. Concert, spectacle, projection qui débute à la brunante. Pêcher, chasser à la brunante. Monter sa tente à la brunante.

VieilliÀ la petite brunante : en début de soirée, alors que la nuit commence à tomber. Par oppos., VieilliÀ la grande, à la grosse brunante : en fin de soirée, alors que le niveau d’obscurité est sur le point d’atteindre son sommet.

Rem.1. Bien que brunante soit un mot particulièrement prisé par les écrivains et les poètes (voir Notice encyclopédique), il n’est pas pour autant restreint aux registres littéraire et poétique; il fait partie de la langue générale, bien qu’il soit en perte de vitesse chez les jeunes, qui tendent à le percevoir comme vieilli ou soigné. 2. La locution à la brunante était autrefois concurrencée par à la brune qui n’était presque plus usitée à la fin du XXe s. 

Il est aussi évident par toutes les relations que les François vouloient éviter un combat avec Mr. Keppel […]; car vers la brunante, alors que Mr. Keppel pensoit qu’ils formoient leur flote [sic] pour recommencer le combat le lendemain, ils firent une maneuvre très prudente, en rangeant leurs meilleurs voiliers de front en ligne étendues [sic] avec des lumières d’Amiraux, tandis que leurs vaisseaux les plus pésans etoient rangés derriere, mais qui au lieu de rester pour combattre, s’esquiverent comme ils purent […]. 1778, La Gazette de Québec, 15 octobre, p. 2.

Le service de la compagnie de la lumière électrique laisse trop souvent à désirer. Hier soir de 6 heures à 9 heures, alors que le temps était épouvantable et la nuit très obscure, la lumière électrique a fait complètement défaut, de sorte que nos rues étaient presqu’impassables. […] Le comité de la voirie qui a charge de l’éclairage de la ville, pourrait voir en même temps à nous faire donner la lumière plus à bonne heure que d’habitude, c’est-à-dire du moment que la brunante commence. 1897, L’Événement, Québec, 3 novembre, p. 4.

Ils pleuraient, les deux valets, puis ils regrettaient de la laisser dans la forêt. Ils entendaient hurler les loups, déjà, hein, c’était à la brunante. 1954, Chicoutimi, AFEUL, C. Laforte 103 (âge de l’informatrice : n. d.).

Le ciel gris si bas qu’on pourrait le toucher du doigt, au bord de l’horizon. C’est une petite fille emmitouflée […], dans la neige, au crépuscule, debout devant la porte du 101, rue Bourlamaque. C’est l’heure d’hiver, triste entre toutes. La brunante. Entre chien et loup. Avant la nuit. Alors que le jour est déjà retiré. La lumière blafarde de la neige, à perte de vue, comme une lanterne sourde. Ce peu de jour au ras du sol respire son souffle froid à moitié avalé par la neige. 1988, A. Hébert, Le premier jardin, p. 64.

Puis, le soir, par temps clair, […] on assiste à l’indicible prestation de la brunante. À mesure que l’azur s’irrigue de pourpre, une éblouissante mosaïque ambrée s’assemble sur la surface du fleuve, tesson de lumière après tesson de lumière. Et alors que le soleil soigne sa chute derrière les montagnes, les paillettes se soudent entre elles pour former une longue jetée lumineuse, jusqu’à relier Kamouraska à Charlevoix. 2003, G. Lawrence, Le Devoir, Montréal, 19‑20 juillet, p. D1.

Ces masses noires qui apparaissent devant vous, sur la route, après la brunante. Ces voitures qui roulent sans aucun feu de position, en pleine noirceur, avec tous les risques et dangers que cela implique. Je ne sais pas pour vous, mais ça me met en furie à chaque fois. J’ai même compté récemment, en une poignée de minutes, au moins quatre véhicules sur dix qui roulaient sur ce mode furtif involontaire. Avec les dangers que vous imaginez. 2017, M. Lachapelle, Le Journal de Québec, 1er octobre, p. 4.

Par anal.RareAube, aurore. (1975, Grandes-Bergeronnes (Saguenay), voir Lavoie 24).

On partait à la brunante pour aller travailler. 1980 env., Mauricie, Centre d'études linguistiques de la Mauricie (enq.).

 (Variantes). Brumante.

Jubiau, le guitariste-charretier est dehors dans son petit parterre et traîne la patte entre ses idées qui sont à terre toutes mêlées. Seul… Il est seul. […] Entouré de chaises vides, les jolies chaises de bois rond que se disputaient les voisins à cette heure-ci au commencement de la brumante, il marche seul. 1958, F. Leclerc, Le fou de l’île, p. 174.

 AcadieÀ la brunette (voir Mass no 69, CormAcad).

2

Fig. Ce qui empêche de voir, de comprendre clairement, de bien cerner qqch.

 Ce qui est incertain, flou, mal défini.

mais cette brunante dans la pensée [/] même quand je pense [/] c’est ainsi [/] par contiguïté, par conglomérat [/] par mottons de mots [/] en émergence du peuple [/] car je suis perdu en lui et avec lui 1965, G. Miron, Notes sur le non-poème et le poème – extraits, Parti pris, juin-juillet, p. 94.

Cette pièce pose en définitive le problème de la disparition des grandes balises morales. Nous sommes ici en terrain d’équivoque, de brunante relativiste où les eaux du vrai et du faux se mélangent en un gris fleuve d’une langueur mystificatrice. 1997, J. St‑Hilaire, Le Soleil, Québec, 24 mars, p. C5.

Fig. Déclin, fin.

La brunante d’une vie, d’un siècle.

À la brunante de ce siècle, certains groupes ou artistes ont choisi d’attendre que l’on entame le nouveau millénaire avant d’entreprendre une nouvelle tournée. 1999, M. Bilodeau, Le Soleil, Québec, 11 septembre, p. [D4].

NOTICE ENCYCLOPÉDIQUE

Depuis la seconde moitié du XIXe siècle, brunante a fait l’objet de très nombreux commentaires favorables de la part des linguistes et des observateurs de la langue au Québec. Plusieurs d’entre eux ont souligné le caractère poétique, imagé et pittoresque de ce mot dont la légitimité – fait exceptionnel – a été largement reconnue (notamment par O. Dunn, N. Legendre, L. de Montigny, P. Poirier, A. Rivard). Cela explique qu’il figure dans la courte liste des « canadianismes de bon aloi » de l’Office de la langue française, en 1969 (voir OLF-Can). Poètes, écrivains et artistes québécois chérissent également ce mot évocateur qui les inspire : le chansonnier Raymond Lévesque a écrit la chanson À la brunante (enregistrée à la fin des années 1950); plus récemment, l’écrivain acadien Herménégilde Chiasson a publié un récit poétique intitulé Brunante (2000), et le cinéaste Fernand Dansereau a réalisé le film La brunante (2007), qui relate le cheminement émotif d’une femme frappée par la maladie d’Alzheimer et se sachant au crépuscule de sa vie. L’écrivain Faucher de Saint-Maurice avait écrit dans l’avant-propos de son recueil de contes À la brunante (1874, p. V, n. 1) : « C’est [le mot brunante] un néologisme canadien français pur sang, et m’est avis qu’à la brunante est beaucoup plus harmonieux et plus poétique que son synonyme français : – sur la brune. » On conçoit donc pourquoi brunante est souvent considéré comme un mot emblématique du français québécois. 

Source : J. Bédard, Quand le soleil dit bonjour aux montagnes ou le sombre destin de la brunante, Québec français, n° 109, printemps 1998, p. 9798.

Histoire

Du radical de brunir et de la forme féminine de la finale –ant, « sur le modèle des part. prés. adjectivés des verbes en er » (TLFi, s.v. brunante), sous l’influence du mot brune « crépuscule », attesté en français depuis le XVe siècle (depuis 1450 environ dans la locution à la brune « de nuit » et depuis 1444-1453 dans la locution sur la brune « au crépuscule », v. DMF). Brune est lui-même issu de l’adjectif brun « sombre, obscur (en parlant de la nuit) » (v. FEW germanique *brūn 151, 307b; TLF s.v. brune).

1Depuis 1778. Héritage des parlers de France : la locution à la brunante au sens de « au crépuscule » a été relevée en tourangeau; cf. aussi la breunant en manceau, au sens de « instant qui suit le coucher du soleil » (FEW id.; Mass no 69). Brunante au sens de « crépuscule » est par ailleurs connu en Acadie et en Louisiane, ce qui confirme que le mot a été apporté par des locuteurs régionaux de France (CormAcad, Mass id., Poirier; DitchyLouis, GriolLouis). Le sens secondaire d’« aube » (sous le sens 1) découle, par analogie, du sens principal, les faibles lueurs de l’aube étant associées à la lumière incertaine qui suit le coucher du soleil; le mot crépuscule est attesté avec le même sens dans le français de référence (v. p. ex. TLF). Brunante est enregistré dans plusieurs dictionnaires français, depuis la fin du XIXe s., avec la mention qu’il s’agit d’un mot propre au français du Canada (GuérinS, PLar depuis 1969, Bordas 1972, PRobert depuis 1978, TLF). Brumante, depuis 1900 (Journal des campagnes, Québec, 21 juillet, [p. 5] : L’ennemi attaqua en nombre supérieur, à la brumante); attesté à la même époque dans un journal franco-américain (La Tribune, Woonsocket (Rhode Island), 13 mai 1907, p. [6] : On se présentait à la brumante et ce fut une agréable surprise pour Mlle Lizie Richard en l’honneur de qui la fête avait été organisée); s’explique sans doute par un croisement avec le mot brume. À la brunette, depuis 1946 (Mass no 69); relevé en français du début du XVIIe s. ainsi que dans un parler de l’Artois (v. GodCompl, EdmStPol 122). 2Depuis 1965. Ces sens figurés sont des innovations qui découlent du sens 1. D’ailleurs, le mot crépuscule, en français général, a connu une évolution sémantique analogue : le sens premier de ce mot a donné lieu à des emplois figurés qui rappellent ceux de brunante (v. Robert 19852001; TLF). Le sens de « déclin, fin », depuis 1979 (J. Lanctôt, Rupture de ban, p. 67 : à la brunante de l’exode).

Nouvelle entrée de la deuxième édition

Dernière révision : mars 2021
Pour poursuivre votre exploration du mot brunante, consultez notre rubrique Saviez-vous que sur le site Web du Trésor de la langue française au Québec
Trésor de la langue française au Québec. (2021). Brunante. Dictionnaire historique du français québécois (2e éd. rev. et augm.; R. Vézina et C. Poirier, dir.). Université Laval. Consulté le 9 décembre 2024.
https://www.dhfq.org/article/brunante