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BROSSE [bʀɔs]
n. f.

1

Fig., vieuxCritique plus ou moins sévère ou violente.

En notre qualité de lecteur assidu des productions épistolaires de M. Gaudet, nous l’avertirons que sa dernière correspondance laisse à désirer. Elle n’est pas soignée comme celles qui l’ont précédée, on voit qu’elle a échappé à la brosse. M. Gaudet, gardez-vous bien de vous offenser, mais je vous le dis en vérité, vous avez tort de vous soustraire à la brosse. Vos correspondances ne sont passables qu’en autant qu’elles ont été préalablement brossées. 1868, Le Constitutionnel, Trois‑Rivières, 30 décembre, p. [2].

Vint ensuite l’égoût [sic] no 2. Faisons-le parler. Il dédaigna comme adversaire, M. Pacaud, qui est beaucoup plus intelligent que lui, recherchant, disait-il, un vieil athlète, pour le combattre, et commençant ensuite un discours de deux heures, dont le bout d’en haut fut consacré à la critique sur la politique libérale et la presque totalité à des injures contre M. Cauchon, qu’il faut détruire à tout prix, parce qu’à sa destruction est attaché, paraît-il, le salut actuel de M. Garneau et le salut futur de M. Caron. Quand il eut fini, M. Cauchon administra à l’égoût un lavage qui l’assainira pour longtemps. La « brosse » était rude, mais l’égoût était mal propre à l’extrême, et il fallut « brosser » fort. 1875, Le Journal de Québec, 28 juin, p. [2].

Pour terminer ce chapitre, je vous dirai que notre ami, M. Caron, a fait un piquant et spirituel discours [en chambre]. M. Cauchon qu’il attaquait à chaque phrase frémissait ou bondissait. Jamais il n’a été brossé de la sorte, si ce n’est à la porte de l’église de Charlesbourg, l’été dernier, quand vous l’aviez au bout des bras! Je m’en souviens comme si c’était hier. Quelle brosse!! 1876, Le Canadien, Québec, 27 mars, p. [2].

2

Fam.Accès d’ivresse qui peut s’étendre sur une période plus ou moins longue.

Une brosse de deux, trois jours. Une bonne, une grosse, une petite brosse. Un lendemain de brosse. Se remettre d’une brosse.

SYN. cuite (moins usuel).

 (Dans des expressions). Prendre une brosse, virer (revirer) une brosse, partir sur une brosse, vieillipartir en brosse, vieuxfaire une brosse, (se) mettre en brosse : s’enivrer. (Être) sur la brosse, vieillien brosse : être en état d’ivresse.

Rem.Ces expressions ont été relevées un peu partout sur le territoire du Québec, surtout prendre une brosse (voir PPQ 265). Bien connu également en Acadie (voir Mass no 1362 et CormAcad; PoirierG émet une réserve : « L’expression est plutôt canadienne, quoiqu’on l’entende des deux côtés de la Baie-des-Chaleurs »).

Indisposé. – Adjectif qui se dit d’un homme politique, ou d’un avocat, le lendemain d’une brosse. 1881, Le Canard, Montréal, 19 mars, p. [2].

Lorsqu’il faisait la vie, étant étudiant, il pouvait prendre des brosses sans avoir mal aux cheveux le lendemain matin. 1882, Le Grognard, Montréal, 14 janvier, p. [2].

Tu remarqueras aussi, mon garçon, que c’est le jour où le vote doit se prendre sur la prohibition qu’il se fait les plus grosses brosses dans la chambre [des communes]. 1887, Le Violon, Montréal, 25 juin, p. [2].

Un plombier et un menuisier sont partis en brosse, mardi soir. Ils sont tombés entre les bras des constables, et hier matin, à la cour du recorder, on leur brossait la tête au taux de deux piastres chacun. 1889, L’Électeur, Québec, 7 novembre, p. [2].

Quand vous apprenez la nouvelle d’un accident, si vous demandez quelle en est la cause, la moitié du temps on vous répond : « ils étaient en brosse. » 1899, Journal des campagnes, Québec, 22 juillet, p. 5.

J’attendais un moment libre pour t’écrire assez longuement, mais tout m’est arrivé à la fois : [...] des ennuis avec le poêle dont un tuyau coulait, puis des fêtes, cérémonies, repas, petites brosses, quelques promenades en ski dont je revenais fourbu [...]. 1940, H. de Saint-Denys-Garneau, Lettres à ses amis, 1970, p. 420.

Tout d’un coup, la bonne femme descend tandis qu’il se trimait […]. « Bien, elle dit, mes cousins sont chauds, là, ils se sont mis en brosse, ils m’ont attachée, puis ils sont partis. » 1954, Les Escoumins (Saguenay), AFEUL, L. Lacourcière 2097 (âge de l’informateur : n. d.).

Lui, il avait été à la ville, puis il a bu les deux piasses, puis il a fait une brosse; il avait pas acheté de viande. Il s’en est venu chez eux, quatre pattes dans le chemin. 1954, Saint-Raphaël-sur-mer (Gloucester, Nouveau-Brunswick), AFEUL, L. Lacourcière 1931 (âge de l’informateur : n. d.).

Joseph : Ça me fait plaisir de voir que t’as pas changé. Tu prends un coup solide. Émile : C’est avec toi que j’ai pris ma première vraie brosse. Joseph : On est pas mal parti pour recommencer. 1958, M. Dubé, Un simple soldat, p. 215‑216.

Pour Tom, c’était encore plus compliqué : sa brosse à la taverne Nowhere durait depuis maintenant douze ans et elle était devenue un peu irréelle. Maryse se demandait parfois ce qui lui était arrivé et s’il avait dessoûlé, depuis le temps. 1983, Fr. Noël, Maryse, p. 190.

Abonné aux petits métiers, l’homme n’a jamais trop demandé à la vie. Virer une brosse, fumer un joint, coucher à l’occasion avec une fille pas trop vilaine. Et la vie, conséquente, ne lui a pas fait de cadeau non plus. 2008, Le Devoir, Montréal, 24 mai, p. F2.

Le comédien ne se prive pas de dire combien il aime jouer ce mal-aimé [Bidou]. « De prime abord, c’est un sale type mais mon défi personnel, ç’a été de le rendre attachant. J’avais envie que les gens se disent que, sans l’aimer, ils auraient bien envie de partir sur une brosse avec lui. Pour ça, j’ai insisté un peu plus sur sa vulnérabilité. […] » 2021, F. Houde, Le Nouvelliste, Trois‑Rivières, 16 janvier, p. E11.

Histoire

1Depuis 1868. Probablement déverbal de brosser au sens de « critiquer violemment qqn, exposer publiquement ses travers » (v. brosser, sens I), avec une influence du sens général « nettoyer en frottant avec une brosse » (v. TLFi), pris au figuré. 2Depuis 1879 : je relève d’une « brosse » (Le Canard, Montréal, 25 octobre, [p. 4]). D’origine obscure. Brosse dans ce sens a peut-être eu cours en France, mais cet emploi y est mal documenté. TLF l’a consigné avec la marque ‛argotique’, mais en s’appuyant, semble-t-il, uniquement sur des attestations nord-américaines, d’après les sources bibliographiques citées, ce qui donne à penser que cet emploi est d’origine québécoise. De même, Robert 1985 le présente comme familier et vieilli, mais ne fournit aucun autre indice de son usage (v. aussi ColArg qui renvoie au TLF). Diverses hypothèses ont été émises quant à l’origine du mot au sens de « cuite », mais ces explications sont ponctuelles et ne permettent pas de comprendre comment cet emploi a pu émerger au Québec (v. notamment GeoffrZigz 1, p. 123‑126, BraultCan 19, StrakaRom 283‑284). Ainsi, certains ont fait un rapprochement entre (prendre) une brosse (emploi analogique de prendre un verre) et la forme ancienne breusse « tasse, coupe » (v. GodCompl, qui l’atteste chez Rabelais; v. aussi Huguet et GreimMFr). Une autre piste rattacherait l’expression à un emploi ancien ou régional de brosse(s) au sens de « broussailles » (v. Littré s.v., sens 3; v. aussi few *bruscia 1, 572); cp. l’expression être dans les brossailles (ou broussailles), attestée aux XVIIIe et XIXe siècles, en parlant de qqn qui a trop bu, qui est gris (v. Trévoux 1771, s.v. brossailles; D’Hautel 1808 et DelvArg 1866, s.v. broussailles). On peut mentionner également des formes assez proches en Wallonie pour parler de l’ivresse (v. FEW 21, 466b : breûs n. f. « ivresse », brioss adj. « ivre »), mais il est peu probable que celles-ci aient eu un rôle à jouer dans l’apparition de cet emploi québécois de brosse. Par ailleurs, il y a aussi l’anglais qu’il faut prendre en compte, car il fournit des données qui pourraient expliquer la provenance de cet emploi de brosse. Ainsi, RandomSlang atteste le subst. brush « a drink of whiskey or other liquor », notamment dans la locution to take a brush, relevée dès 1836 (Well, now I was just as much interested as if I had come across a couple of men who were going to take a brush); cet emploi, qui semble toutefois avoir été très peu courant (l’attestation de 1836 est un hapax), se rapproche de l’utilisation du mot bross (« boisson à base de rye ») par Faucher de Saint-Maurice, dans L’Opinion publique, Montréal, 18 janvier 1872, p. 34 : […] Jérôme Migneault venait de faire son apparition sur le seuil de la porte, tenant sous son bras trois bouteilles de Old Rye […]. Le quart d’heure de Rabelais venait de sonner pour eux, car l’on se préparait à confectionner une bross, mot parfaitement acclimaté dans le vocabulaire des étudiants en médecine […]. Mais il est difficile d’établir avec certitude une filiation directe entre cette occurrence, qui est également un hapax, et brosse « accès d’ivresse ». Il reste une dernière hypothèse que la documentation invite à considérer sérieusement. On relève, bien attestée dans le dernier quart du XIXe siècle, l’expression brosser le chien dans un sens figuré, signifiant « Prendre une cuite, faire la fête, faire la noce ». Cette expression, qui figure sous la plume des humoristes (en particulier Hector Berthelot), pourrait bien être à l’origine de brosser au sens de « se mettre en état d’ivresse », qui apparaît à la même époque. Dans ce cas, cet emploi de brosse, serait issu du verbe brosser et non l’inverse.

  brosser.

Nouvelle entrée de la deuxième édition

Dernière révision : octobre 2022
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Trésor de la langue française au Québec. (2022). Brosse. Dictionnaire historique du français québécois (2e éd. rev. et augm.; R. Vézina et C. Poirier, dir.). Université Laval. Consulté le 3 octobre 2024.
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