BRETTEUR [bʀɛtœʀ]
n. m. et adj.
n. m. Litt., péjor. Débatteur, orateur fanfaron et démagogue; journaliste de combat, écrivain qui aime en découdre.
Bretteur de (la) plume. Redoutable bretteur du langage. Bretteur de salon, bretteur politique.
adj. Rare
Poète bretteur. Style bretteur.
Rem.Ne semble pas attesté au féminin.
Un ramassis de trivialités, d’injures et d’insultes à mon adresse. Ce sont les arguments avec lesquels bataille hardiment le bretteur Carle Tom. Mais, fabricant de chroniques, sachez que l’insulte retombe sur son auteur plus souvent qu’elle ne blesse celui qu’elle veut atteindre, et qui remue de la boue en est, presque toujours, le premier sali. 1867, L’Ordre, Montréal, 20 mars, p. [1].
L’être rabougris qui rédige la feuille voisine n’a‑t‑il pas travaillé de toutes ses forces en dessous, avant son élection, pour engager le comté St. Maurice à faire passer le chemin au centre du comté? Est‑ce que le Journal de Québec ne lui a pas fait alors des reproches amers sur l’attitude qu’il prenait? Est‑ce que le triste bretteur politique qui rédige la feuille voisine n’a pas écrit à M. Des[a]ulniers, préfet du comté St. Maurice, […] une lettre pour l’engager à faire passer le chemin du Nord au centre du comté? 1871, Le Journal des Trois-Rivières, 31 août, p. [2].
La politique du journal libéral se résume donc à faire une guerre sans trève [sic] ni merci à tout ce qui s’appelle conservateur, hommes et principes. Mais livré à ses seules ressources il eût été bien vite écrasé. Sans réputation littéraire, sans étude préalable un rédacteur de journal est bientôt réduit à jouer le rôle de bretteur de plume. Il ne vit qu’à l’aide d’expédients, et ces derniers ne sont guères [sic] propres à faire une réputation à un journaliste. 1881, Le Courrier du Canada, Québec, 26 septembre, p. [2].
Un nommé Jacques d’Ivry publie dans l’Écho de Charlevoix deux colonnes d’injures à l’adresse des rédacteurs des Débats, parce qu’ils se sont permis de demander quels services M. Jetté a rendus à sa race et à son pays. D’après ce monsieur d’Ivry, les Débats ne seraient qu’une feuille « cosmopolite et enjuivée, » rédigée « par des insulteurs venus d’outre-mer, qui s’estiment en pays conquis et répandent sur nos hommes les plus distingués l’insulte et la calomnie. » « Nous serions des bretteurs de la plume, fraîchement importés dans notre pays et dont le seul but est de calomnier l’Église et ses saints ministres, de ne respecter aucune de nos institutions les plus chères et de terminer de leur bave immonde la réputation de nos gloires nationales. » 1902, Les Débats, Montréal, 2 mars, p. 2.
L’on est fatigué des grands discours « magistrals » (ou magistraux), des bretteurs politiques et professionnels, « nos ainés », fatigué de l’ignorance ambiante et traditionnelle et toujours admirablement suffisante, ignorance de l’Histoire et de notre histoire […]. 1915, L’Escholier, Montréal, 18 novembre, p. [1].
Voilà pourquoi ce mal élevé dont on a lu la grossière littérature, parcourt aujourd’hui les campagnes, pour baver sur les hommes honorables qui président à nos destinées à Québec. C’est une campagne de dénigrement systématique organisée au bénéfice du parti conservateur […]. Pour nous, rien ne nous surprend de la part de cette organisation, si ce n’est les respectables citoyens qui paient de leur personne aux réunions convoquées par le chef goglu. Que de braves gens aient assisté à ces réunions, il n’y a rien à dire. […] Et il est naturel de croire que bon nombre de personnes ont volu [sic] voir la binette de cet insulteur public. […] Et ce qui nous a non moins surpris ce fut de voir des membres du clergé, à l’assemblée des Trois-Rivières, taper des mains devant les exposés de ce bretteur. 1930, L’Écho du Saint‑Maurice, Shawinigan Falls, 26 juin, p. 1.
N’est‑ce pas que ce vibrant crédo national peut se résumer à ceci : « Pour devenir maîtres chez nous, mettre en rapport nous-mêmes nos immenses ressources; il y a trop de pleurnichards, de critiques stériles; ce sont des réalisateurs qu’il nous faut ». J’en appelle à tout lecteur intelligent et impartial, n’est‑ce pas là la condamnation pure et simple de tous ces « bretteurs » de la plume et du husting [= assemblée électorale tumultueuse], qui n’ont absolument rien de constructif à leur actif, plutôt que celle de l’humble réalisateur que je suis dans une modeste sphère. 1936, F. Bélanger, Mémoires d’un cultivateur, p. 238.
Dans le Canadien du 17 août 1838, un texte d’Étienne Parent nous dit l’anxiété des aînés : « Tous les ans nos nombreux collèges rendent à la société un bon nombre de jeunes gens que des études brillantes et solides mettent en état de travailler à l’honneur, à la gloire et à l’avancement de leur pays. Mais malheureusement les plus belles carrières qui, dans les autres pays, s’ouvrent devant une jeunesse studieuse, pleine d’énergie et de capacité, se trouvent fermées à la jeunesse du Canada. Le Génie, l’Armée, la Marine et l’administration même sont pour l’élite de notre jeunesse, des carrières interdites. » Trop souvent l’on s’est représenté les hommes de cette génération comme de simples bretteurs de hustings ou de parlement, esprits impratiques, indifférents aux problèmes économiques et sociaux de leur province. 1952, L. Groulx, Histoire du Canada français depuis la découverte, t. 3, p. 176‑177.
Jean Éthier-Blais résume sans doute l’opinion de ses confrères lorsqu’il suggère : « Il y a, en Jasmin, sous le bretteur, un homme de ‘gros bon sens’ qui ne demande qu’à sortir. » 1987, K. Landry, dans M. Lemire (dir.), Dictionnaire des œuvres littéraires du Québec, t. 5, p. 451.
On disait de Pierre Elliott-Trudeau, avocat, globe-trotter, bretteur, polémiste, ministre de la Justice qui a décriminalisé l’homosexualité et premier ministre qui a instauré le bilinguisme et obtenu l’indépendance du Canada, qu’il était né avec une cuiller en or dans la bouche. 2013, Le Journal de Québec, 2 avril, p. 17.
Histoire
Depuis 1867. Dérivé de bretter « ferrailler, chercher querelle ». Bretteur s’est dit en français de quelqu’un qui porte une brette (longue épée), particulièrement de quelqu’un qui se bat souvent à l’épée, qui aime ferrailler (attesté en français depuis 1653, mais vieux de nos jours, v. TLF et FEW brittus 1, 538b). Le mot est fortement marqué négativement dès ses premières mentions dans les dictionnaires. Richelet 1680 souligne sa valeur péjorative dans un commentaire : « Le mot de breteur donne quelque idée de mépris de celui dont on parle »; voir aussi Fur 1727 (reprenant en partie la formulation d’Académie 1694) : « Batteur de pavé; garnement; celui qui porte une brette; qui aime à se battre, & à ferrailler. Ce mot emporte du mepris. Il a l’air d’un Bretteur. On le dit aussi des filous, des gens qui ne vivent que des violences, & de rapine; ou qui servent à venger les querelles d’autrui. » Ces emplois figurent depuis 1831 dans des feuilletons d’écrivains français comme Paul Féval, qui étaient repris au Canada dans les journaux, les revues et les almanachs (v. L’Observateur, 22 janvier 1831, p. 43 : un fier bretteur). On le trouve parfois sous la plume d’auteurs canadiens, comme Joseph Marmette (Le Chevalier de Mornac, 1873, p. 44 : Et lui, l’homme de cap [sic] et d’épée, le Gascon railleur, le bretteur, le coureur de ruelles, l’esprit fort, leva les yeux au ciel et pria Dieu de sauver la jeune fille; encore en 1927 chez Jean Féron, Le drapeau blanc, p. 7 : un autre bretteur, ferrailleur sans scrupule). Au Canada, le mot conserve ses connotations de violence, mais la notion d’agression physique est remplacée par celle de violence verbale, de polémique : les spadassins sans scrupules ont cédé la place aux orateurs démagogues, aux tribuns d’élection, aux journalistes de combat, en somme aux bretteurs de la plume. Cet emploi analogique a aussi ses racines en France, comme le suggèrent les définitions de Miege 1677 (s.v. bretteur) et de Cotgrave 1611 (sous la variante breteleur) : « vain, litigious talker », qu’on peut traduire par « fanfaron qui cherche la querelle ». D’ailleurs, on rencontre cet emploi dans la littérature française du XIXe siècle (v. p. ex. Alexandre Dumas (fils), Dieu dispose, 1866, t. 2, p. 60 : Armand Carrel, un bretteur d’épée, un bretteur de plume) et parfois encore dans la presse française (bretteur de mots, bretteur du barreau).