BONJOUR [bɔ̃ʒuʀ]
n. m. et interj.
Variante graphique : (anciennement) bonjou.
Formule de salutation.
n. m. Salutation usuelle dans la journée lorsqu’on rencontre qqn ou lorsqu’on le quitte.
Partir sans dire bonjour. Dire bonjour avant de raccrocher (le téléphone). (En emploi interj.). Bonjour, comment ça va? Bonjour, à la prochaine! Merci, bonjour!
Rem.1. En France, bonjour ne s’emploie couramment aujourd’hui qu’en arrivant quelque part ou qu’en rencontrant qqn, sauf dans des usages régionaux où il peut se dire aussi en partant. 2. Au revoir est également employé au Québec en quittant quelqu’un, mais est généralement senti comme plus soigné.
(Dans des loc. figées). Bien le bonjour!, en partant ou à la fin d’une lettre. Dire bonjour à qqn : prendre congé de qqn. Fam.Un beau bonjour : un salut particulièrement appuyé, chaleureux. Bonjour, là!, pour clore une conversation. Bonjour, là, bonjour, titre d’une pièce de Michel Tremblay créée en 1974. VieilliJe te laisse, je vous laisse le bonjour. Je vous souhaite le bonjour : en arrivant, en partant ou à la fin d’une lettre.
[…] eh restez donc! Vous êtes bien pressée? – Non pas précisément; mais j’ai mon petit train de maison à faire, de bonne heure. [–] Merci, au revoir, bonjour ma chère Mad. Germain. 1837, Le Télégraphe, Québec, 12 avril, [p. 1].
« À la santé de madame et bonjour. » Il [...] ferma la porte en sifflotant son God save the Queen. 1844, J. Doutre, Faut-il le dire !..., J. Hare (éd.), Contes et nouvelles du Canada français, 1778‑1859, t. 1, 1971, p. 173.
Je voudrais bien avant de terminer vous raconter ce que j’ai vu dans le Mid‑way [= parc d’attractions d’une exposition], mais je n’en ferai rien. Ceux d’entre vous qui n’y sont pas allés ne me croiraient peut-être pas, tant qu’aux autres, ceux qui y sont allés, ils m’en voudraient si je commettais l’imprudence de raconter ça à leurs femmes, et… comme ça pourrait m’attirer des ennuis je… j’aime autant vous dire bonjour. 1901, Les Débats, Montréal, 3 novembre, p. 1 (chron. humor.).
Quelquefois, le prêtre se promenait sur la véranda, en attendant l’heure de l’office, mais il entrait dès qu’il apercevait la visiteuse […]. Certains jours, la Scouine réussissait à l’accrocher. Elle lui racontait les histoires, les scandales qu’elle grossissait et aggravait invariablement. Pour finir, elle lui demandait une image, une médaille. En partant, en manière de bonjour, elle lui donnait familièrement un [sic] tape sur le bras, sur l’épaule. Chacune des visites de la Scouine était pour le malheureux une dure épreuve. Il ne pouvait réussir à s’en débarrasser. 1918, A. Laberge, La Scouine, p. 107.
Il couche là. Le lendemain matin, il se réveille. Le bonhomme lui fait à manger comme il faut, il souhaite le bonjour au bonhomme, puis il part, il file. 1968, Saint-René-de-Goupil (Matane), AFEUL, J.‑Cl. Marquis 354 (âge de l’informateur : n. d.).
« Ta tante, a’reste toujours sur le boulevard Saint-Joseph? » « Ben oui, c’t’affaire, vous savez ben qu’a’peut pus déménager depuis qu’a’peut pus grouiller! » « Dis‑y bonjour de ma part... » « Certain. Bonjour, là. » « Bonjour. » Quand Béatrice fut sortie, Marie‑Sylvia la suivit du regard jusqu’à ce qu’elle ait traversé la rue Gilford. 1978, M. Tremblay, La grosse femme d’à côté est enceinte, p. 64.
Qu’elles soient assises en avant, au milieu ou en arrière, Jeannine et Fernande quitteront l’autobus avec leur plus beau sourire par la porte d’en avant, comme d’habitude, sans oublier de dire un beau bonjour au chauffeur. C’est peut-être pour ça d’ailleurs que les Québécois tiennent tellement à descendre par où ils sont montés. Par politesse. Pour pouvoir dire bonjour au conducteur... 1994, L.‑G. Lemieux, Un amour de ville, p. 77.
VieuxBonjourer v. tr. Saluer (qqn), dire bonjour à (qqn).
Bonjourer le voisin.
Sa sœur, me dit mon père, est gênée, ce qui s’appelle gênée, quand on dit gênée. [...] Il faut que tu la voies. Elle fond, quand on la bonjoure en passant, et si on s’arrête pour engager la conversation, elle rentre sous terre, ou va se cacher derrière les bâtiments. F. Leclerc, Moi, mes souliers..., 1955, p. 75.
Rem.Paraît avoir été bien connu dans la première moitié du XXe siècle (attesté dans diverses sources).
loc. interj. VieilliBonjour la compagnie!, cour.Bonjour la visite! Pour signifier un départ précipité, une disparition soudaine, inattendue, ou encore pour clore abruptement une discussion dont on ne voit plus l’intérêt.
Rem.1. On relève, mais plus rarement, les variantes bonsoir la compagnie (vieux)et bonsoir la visite (voir Histoire). 2. En France, comme d’ailleurs aussi au Québec, on trouve de nos jours bonsoir et bonjour dans des emplois semblables (voir Histoire).
Je vis alors à côté de moi et garotté [sic] ainsi que j’étais, ce pauvre petit Pierre Mathurin qu’ils [des Indiens] avaient aussi pris. Apparemment que les blessures dont il était criblé l’avaient fait évanouir car il ne répondit pas aux paroles que je lui adressai. Pour moi, la caboche me faisait un mal d’enfer : ça me cognait en dedans, toc, toc, ça me faisait si mal, si mal, que je tombai de nouveau en faiblesse, et bonjour la compagnie. 1866, J. Marmette, Charles et Éva, Revue canadienne, vol. 4, no 5, mai 1867, p. 334.
En arrivant a la plaine, on marchait tranquilement [sic], tout a coup deux beaux bocs [= bucks] dans le chemin, on se preparait pour tirer, le maudit chien arrive comme une flèche et le chevreuil fait un bon de coté et bonjours la visite. Le maudit, il a danser, une de ses raclée don parle les St écritures, croyez moi. 1957, île d’Anticosti (Saguenay), Journal de B. Gleeton (ms.), 29 novembre.
Il faut réaliser que le néo‑libéralisme mène à des impasses, dit‑il. On voit des entreprises qui pendant des années ont exploité la ressource au maximum, et qui un beau matin ferment boutique et nous disent bonjour la visite. 1999, J.‑M. Beaudoin, Le Nouvelliste, Trois‑Rivières, 3 avril, p. 19.
Les nouveaux arrivants francophones n’ayant pas besoin de cours de français […] se dirigent directement vers les ressources externes pour une courte formation en recherche d’emploi et bonjour la visite. Pas étonnant que la communauté maghrébine francophone ait enregistré, pendant longtemps, un taux de chômage de l’ordre de 18 %. 2017, F. Houda‑Pepin, Le Journal de Montréal, 27 août, p. 12.
loc. VieilliClair comme bonjour : très clair, évident.
C’est très possible, par exemple, quand je dis qu’une propriété peut rapporter $4,000, c’est clair comme bonjour que je ne dis pas qu’elle rapportera ça, mais qu’il est probable qu’elle rapportera ça. 1893, Québec, ANQQ, Cour supérieure (Québec), cause no 2407, preuve du défendeur, p. 13.
Et si les dettes deviennent possibles grâce à un système financier qui les favorise, pour nous tirer de là n’y a-t-il pas lieu d’adopter un système financier qui aura l’effet contraire? Il me semble que c’est clair comme bonjour et il importe très peu que certain journaliste ou professeur de Montréal appelle fumisterie ce qui paraît logique à tous ceux qui se donnent la peine de réfléchir. 1945, Vers demain, Beauceville‑Est, 1er janvier, p. 3.
Moyenne offensive de deux buts par match seulement. Toujours en quête d’une première victoire à l’étranger. C’est clair comme bonjour […] : celui qui ne voit pas dans ces données matière à paniquer est condamné à patauger dans la plus fangeuse des médiocrités. 1997, J. Dion, Le Devoir, Montréal, 4 et 5 octobre, p. C12.
Ainsi, dans ce cas précis, il est clair comme bonjour que l’entraîneur a regardé les stats et a conclu : « Si on ne les gagne pas tous, ça m’a tout l’air qu’on va pédaler dans la bouette. » 2003, J. Dion, Le Devoir, Montréal, 4 mars, p. B6.
Par euphémisme, comme forme atténuée de bon Dieu.
interj. Exclamation servant à exprimer la surprise, la joie, l’admiration, ou l’impatience.
Eh bonjour! Par renforcement, VieilliBonjour de la vie!
Une quinzaine d’hommes bondirent comme des diables hors du taillis, en brandissant des armes. – Tonnerre de Dieu! s’écria Lavigueur, ça va chauffer avant de nous prendre, messieurs les anglais [sic]! […] – Arrêtez! nous sommes des amis! leur cria-t-on en bon français. [...] – Mais bonjour! ce sont des nôtres, dit une autre voix. 1871, J. Marmette, L’intendant Bigot, L’Opinion publique, Montréal, 13 juillet, p. 343, et 20 juillet, p. 355.
Vendal : La guerre est commencée. Le ministre de la milice, à Ottawa, vient d’appeler en service actif et d’expédier au Nord-Ouest tous les volontaires répartis dans les différentes villes de la Puissance. Langevin : Bonjour de la vie! ils vont ben tous nous assommer! 1886, E. Paquin, Riel : tragédie en quatre actes, p. 81.
Q. : A Montréal, il parait qu’il y a des poteaux de cent pieds? R. : J’y ai été et je n’en ai pas vus. Q. : Quatre-vingt-dix pieds peut-être? R. : Je n’en ai pas vu de quatre-vingt-dix pieds. Q. : Jurez-vous qu’il y en a pas? R. : Je jure pas qu’il y en a pas. Bonjour, je n’ai pas pris de galon pour mesurer les poteaux à Montreal [sic], je travaille à Québec, ici. 1914, Québec, ANQQ, Cour d’appel (Québec), cause no 8, vol. 2, p. 116‑117.
Janine : On sait jamais ce que l’avenir nous réserve... tiens, je peux mourir par exemple. Denise : Parle donc pas comme ça, Janine... pourquoi‑ce que tu veux me faire de la peine pour rien... bonjour, que t’es drôle depuis quelque temps! 1944, R. O. Boivin, Rue Principale, 24 mars, p. 5 (radio).
(Acadie). – Va-t’en dans le jardin du roi puis sème toutes les graines. Je te dis que demain matin, à neuf heures, quand que le soleil chauffera, tous les bouquets seront poussés à leur maturité. [...] All right, il fit ça. Quand que le roi se levit, il voulit regarder au châssis. Eh, bonjour! le beau jardin qu’il avait. Tous les bouquets fleuris, poussés. 1957, Chéticamp (Nouvelle-Écosse), G. E. Aucoin (éd.), L’oiseau de la vérité, 1980, p. 187‑188.
(Ontario). « Quelqu’un a essayé de pirater mon compte Gmail et, heureusement, Gmail l’a bloqué, mais Twitter ne l’a pas fait », affirme-t-elle. « Mais plus tard, nous avons compris que c’est Twitter [qui] nous avait supprimé notre compte. Et nous les avons contactés deux jours plus tard... sans réponse. » Sa mère a alors tenté de faire restaurer le compte en envoyant les informations de son passeport et de celui de Sophia à Twitter en utilisant une plateforme sécurisée. « J’ai [téléversé] le mien pour montrer que j’étais la mère, et celui de [Sophia] pour montrer qui elle était », explique [sa mère]. « J’ai été patiente, j’ai attendu cinq ou six jours, puis j’ai dit : ‛Bonjour, que se passe-t-il?’ » 2019, Société Radio‑Canada, ICI Nord de l’Ontario (site Web), 16 juillet.
loc. adj. invar. Fam.Un (des, etc.) bonjour de. Pour qualifier négativement qqn ou qqch. qui agace, énerve.
Séraphin [parlant à son or] : Ah! les p’tites bonjour de pièces d’or, y veulent se cacher... [...] Les p’tites bonjour, v’nez icitte. [...] Regarde don si c’est doux [...]. C’est prope... Ça brille. 1939, Cl.‑H. Grignon, Un homme et son péché, 29 décembre, p. 8 (radio).
Mère : […] Vous voulez vous marier quand? Jeannine : Après la graduation du McGill. Il passe ses grades en juin, pour se faire avocat. Mère : Oui, oui... Janvier, février, mars, avril, mai, juin. Ha! Avec le temps on réfléchit, puis on change d’idée... Jeannine : Vous changerez pas, maman? Mère : Pas moi, ni toi... mais lui! Jeannine : Vous pensez? Ah! c’est c’te bonjour de graduation aussi... 1940, J. Bernier, J’veux m’marier bon!, P. Pagé, Le comique et l’humour à la radio québécoise, t. 1, 1976, p. 331.
Père : Tu penses que j’avais l’air fin! J’ai calé jusqu’au cou le temps de le dire avec un trou [dans la chaloupe] grand comme un... grand comme un cinquante cents. Puis le bonjour de cousin, le fatiguant [sic], sais-tu ce qu’il faisait, là ben installé sur la grève?... Il riait à se torde les côtes! 1945, J. Laforest, Pierrot Latulipe, 16 novembre, p. 3 (radio).
Clara : C’est pas moi qui chasse Basile toujours? Alice : Voyons tante Clara, jamais! Colombe (choquée) : Les bonjour d’hommes. Fabien, tu vas me payer ça. 1966, M. Gamache, Cré Basile, 14 avril, p. 17 (télév.).
loc. adv. Vieilli(Renforçant un verbe ou un adj. qui précède).
En bonjour.
[…] les hommes puis le mariage pour une femme, c’est toujours un peu comme la pêche […] t’envoye ta mouche sur l’eau pas trop fort et tu la fais danser pour que le soleil tape bien dessus […]. Puis bang, la truite mord… elle est prise… c’est là qu’il faut faire attention en bonjour. C’est bien pire qu’avant, si tu tires trop fort, la truite se déchire la bouche ou bien ta corde casse […].1944, R. O. Boivin, Rue Principale, 21 février, p. 5 (radio).
n. m. ou f. Fam.(Exprimant tantôt un léger reproche, tantôt une certaine admiration, général. précédé de l’épithète petit ou petite). Enfant espiègle, turbulent, ou audacieux.
Qu’est-ce qu’elle a encore fait, la petite bonjour? Mes bonjours, vous autres! (Par ext., en parlant d’un adulte, ou même d’un animal). Ce bonjour‑là!
Rem. Parfois invariable au pluriel.
La grande sœur surtout allait et venait, regardait inquiète, et du côté du village et du côté du bois et se disant : « Qu’est-ce qu’il fait encore le petit bonjour? » 1916, L. Groulx, Les rapaillages, p. 130.
Monsieur Duplessis toussait, s’interrompait, s’étouffait, retoussait pendant la partie émouvante de son discours. Cette émotion de commande finissait par faire sourire. Après une de ces séances annuelles d’encensement, j’ai croisé feu le [...] député de Maisonneuve. Il avait le mouchoir à la main, les yeux rouges. « Il m’a encore eu ce bonjour-là », s’est-il écrié en me voyant. 1960, P. Laporte, Le vrai visage de Duplessis, p. 62.
Apercevant ensuite Fleurette, il la pourchasse autour de la table pour s’amuser un peu. [/] Fleurette, qui rit comme une enfant : T’es fou, Joseph! T’es fou! [/] Joseph : T’es aussi agile qu’un chat, ma p’tite bonjour!... 1967, M. Dubé, Un simple soldat, p. 20.
Elle [une petite fille] était venue se réfugier chez moi. Elle voulait que je la garde. Bien entendu, j’ai refusé. Elle m’a fait une scène terrible, mais j’ai tenu mon bout et j’ai décidé de la ramener ici, moi-même. [...] Et c’est au moment de monter dans le taxi qu’elle m’a échappé. J’ai couru après, j’ai fait toutes les rues avoisinantes, tout le quartier... Rien... Elle avait disparu. C’est qu’elle court vite la petite bonjour. 1975, M. Cabay‑Marin, Grande ville, p. 70.
Elle colla son nez à la vitre. « Sont belles, les p’tites bonjour! Sont-tu assez belles! » [...] Les premières communiantes passaient, enrubannées et roses de gêne et Victoire se revit quelque soixante ans plus tôt [...]. 1980, M. Tremblay, Thérèse et Pierrette à l’école des Saints‑Anges, p. 360.
Bien évidemment, elle a réussi à sortir du stationnement à reculons, sans égratignure. Dans ma tête, c'était une première étape importante bien réussie. […] Et occasionnellement, je la sentais rire dans sa barbe de voir à quel point j'étais nerveux. La petite bonjour avait beaucoup plus de pratique au volant dans le corps que je ne le pensais. 2002, M. Lebœuf, La Tribune, Sherbrooke, 4 mai, p. G2.
Nombreux sont les témoignages de gens qui disent avoir croisé de trop près des joggeurs ces dernières semaines. Ce n’est pas parce que l’on est en mouvement que l’on est exempté de respecter les nouvelles règles de distanciation énoncées par la Santé publique. Ma mère a raison de se plaindre de la « petite bonjour » qui l’a frôlée la semaine dernière sur le trottoir, alors qu’elle marchait près du mont Royal. 2020, M. Cassivi, La Presse (site Web), Montréal, chronique, 5 avril.
Histoire
I1Depuis 1837 comme terme de salutation en quittant quelqu’un; depuis 1759 dans la locution souhaiter le bonjour (à qqn), utilisée pour terminer une lettre (v. Lettres du marquis de Vaudreuil au chevalier de Lévis, p. 65). Dans des locutions employées à l’adresse de quelqu’un que l’on aborde ou dans des contextes non explicites, comme donner le bonjour, depuis 1640 (Lettre de Mère Anne de Ste‑Claire, dans H. Oury (éd.), Marie de l’Incarnation, Correspondance, p. 968 : nous nous aprochasmes de la grille et leur donnasmes le bon jour); s’entredonner le bonjour, depuis 1769 (dans La Gazette de Québec, 9 novembre, p. 2); souhaiter le bonjour à qqn, depuis 1770 (ibid., 7 juin, p. 1). En France, le mot bonjour a été relevé comme formule de salutation à partir du XVe siècle (v. TLF, s.v. bonjour), mais ce n’est que dans les dictionnaires du XXe siècle qu’on fournit des précisions sur la situation où s’emploie le mot. Dans les dictionnaires Larousse, le mot est présenté depuis 1928 comme une salutation utilisée quand on aborde quelqu’un, mais qui peut se dire aussi quand on quitte la personne (v. aussi Larousse 1960‑1982; DFC 1966‑1980 et Lexis 1975‑1989 : « utilisé lorsqu’on rencontre quelqu’un dans la journée ou, plus rarement, lorsqu’on le quitte »; GLLF : « Salutation employée quand on prend congé : Bien le bonjour! »). TLF prend acte de ces relevés de Larousse qui confirment un emploi qu’il a noté chez quelques auteurs (notam. Pesquidoux, 1923), mais il paraît être le premier (en 1975) à dégager clairement, comme étant la pratique générale en France, le fait de n’employer bonjour comme formule de politesse qu’en rencontrant quelqu’un. Cette définition restrictive a été reprise dans Robert 1985, qui considère comme régional le fait de recourir à bonjour comme salutation de départ (« attesté dans diverses régions de France », jugement confirmé dans Académie 1994). Dans le français des siècles passés, il ne fait pas de doute que le mot a servi de salutation au moment de partir comme l’illustre l’exemple suivant du poète et dramaturge Barthélemy Imbert (texte de la seconde moitié du XVIIIe s.) : Ainsi donc tu vas me laisser Sans me dire un seul mot? – Si fait, ma chère femme, Je te dis bonjour. – Oui, pour t’enfuir de ces lieux, Tous tes bonjours sont des adieux. (Cité dans Besch 1847‑1892). Cet emploi est attesté en fait depuis le début du XVIIe siècle; on en trouve un exemple dans EnckellDict, dans la formule adieu, bonjour figurant à la fin d’une lettre de 1603 (adieu, bon jour, je suis papa vostre tres humble et tres obeissant fils). Il est possible que le fait qu’au revoir se soit peu à peu imposé depuis la fin du XVIIIe siècle en France comme formule de politesse de départ (à partir de 1792 selon TLF, s.v. revoir2) ait eu pour conséquence de restreindre l’emploi de bonjour à une salutation d’arrivée. Au Québec, bonjour demeure plus spontané que au revoir au sein de la population de plus de 40 ans, ce qui correspond à un usage plus large de bonjour qui se rencontre dans certaines régions de France. Conséquence des interactions fréquentes entre les voyageurs francophones, traiteurs et autochtones dans les territoires de traite de pelleteries aux XVIIIe et XIXe siècles, bonjour a connu dans ce contexte un certain usage en anglais comme terme de salutation et est aussi passé dans divers dialectes et langues associés à l’ojibwé (anishinaabemowin), notamment sous la forme boozhoo (v. DictCan, s.v. Bo Jo(u), VézVoy 240, CDMO, s.v. boozhoo, Rhodes, 1993, s.v. boozhoo). L’absence du /r/ final dans l’emprunt s’explique par la prononciation familière [bõʒu] chez les francophones de cette époque, laquelle est également attestée dans plusieurs parlers de France (v. FEW diurnum 3, 104b). Le mot a aussi été emprunté par des langues amérindiennes parlées dans le sud‑est des États‑Unis (v. VézVoy, ibid.). Bonjourer, depuis 1903, chez un poète-chansonnier populaire breton qui reproduit le mot entre guillemets : Terre du Canada, salut! Vers toi je viens Ayant, pour quelques mois, délaissé tous les miens Et pour le Saint-Laurent, abandonné la Rance Afin de « bonjourer » tes Français-Canadiens Au nom des Canadiens de France (Th. Botrel, Chansons de Botrel pour l’école et le foyer; dans un emploi figuré, chez G. Bouchard, Premières semailles, 1917, p. 51 : le « Père Louison », un vétéran de la glèbe […] plus empressé que le soleil pour bonjourer les champs. Semble être une innovation québécoise. 2Bonjour la compagnie!, depuis 1866. Pourrait résulter d’une antiphrase de la formule de salutation bonjour, la compagnie! employée lorsqu’on rencontre un groupe d’individus, laquelle est attestée en français depuis au moins 1783, dans un texte de Louis Abel Beffroy de Reigny, dit « le Cousin Jacques » (Les petites-maisons du Parnasse, poëme comique, d’un genre nouveau, en vers et en prose, p. 6). Bonjour la visite!, depuis 1941 : Le marché mobilier s’est bien tenu jusqu’à l’heure fatidique après quoi bonjour la visite; dans Le Soleil, Québec, 3 octobre, p. 14 (les variantes bonsoir la compagnie et bonsoir la visite sont attestées respectivement depuis les années 1830 et 1920, la seconde étant la seule relevée par la suite). Ces locutions se rattachent directement à des usages attestés en France au XIXe et au XXe siècles. TLF (s.v. bonsoir) relève bonsoir la compagnie au XIXe siècle (exemple d’Alexandre Dumas) comme locution signifiant qu’une personne ou, par analogie, une chose a péri, disparu. Cet emploi découle de l’utilisation de la locution comme formule de salutation familière à l’adresse d’un groupe de personnes en partant le soir ou avant d’aller se coucher, puis pour signifier « qu’on se désintéresse de la question, qu’une affaire est réglée ou risque de l’être aux dépens de l’interlocuteur » (ibid.; ces données du TLF sont appuyées par des exemples de FRANTEXT qui s’échelonnent des années 1840 aux années 1930). Le mot bonjour (employé seul) est attesté avec ce sens dès le XVIIe siècle, chez Boursault (passage cité par Dochez 1860, où l’on voit que bonjour met un terme abrupt à une rencontre, ce qui confirme en outre l’ancienneté de l’emploi examiné ici sous I.1 : Il plait à mon destin que je vous plante là. […] Et ne me forcez pas d’en dire davantage… Rendez-moi seulement mes deux mille louis : Et bonjour). Cet emploi de bonjour, enregistré par certains lexicographes du XIXe siècle (Boiste 1834 et Landais 1853, qui le glosent par « terme de négation, de refus »), figure au XXe siècle dans Larousse 1928 et 1960 avec l’exemple suivant (non repris dans Larousse 1982 ni dans Lexis) : Vous allez faire ceci, ou alors bonjour! Ces données concordent avec la remarque de TLF, selon lequel les Français disent plus couramment bonsoir dans ce cas (PRobert 1993 n’enregistre que le second : Bonsoir les corvées!). 3Depuis 1854 (La Ruche littéraire et politique, Montréal, mars, p. 183 : C’est clair, comme bonjour et en définitive peu intéressant, maître Asmodée). Paraît résulter du croisement de la locution clair comme le jour au sens d’« évident, manifeste », enregistrée dans les dictionnaires français depuis Académie 1694, et de la locution simple comme bonjour, attestée depuis 1833, dans un texte de Balzac (d’après FRANTEXT; v. aussi Poitevin 1856).
II1Depuis 1871. Cet emploi, où bonjour est une forme atténuée du juron Bon Dieu!, est un héritage de France. On trouve dans les parlers du Centre un juron Bon Jou! qui aurait été « très en usage dans les environs de la Châtre » (JaubCentre2). La locution Bonjour de la vie! est à mettre en relation avec Bonsoir de la vie!, en Anjou, ou encore Bon sang de la vie!, dans l’Orléanais (v. VerrAnj, s.v. bonsoir, et MartVend, s.v. bon sang). Les dictionnaires de France signalent depuis le XIXe siècle des variantes du même juron atténué avec le mot bonsoir, comme bon sang de bonsoir ou bonsoir de bonsoir (v. TLF; Robert 1985 et GLLF). Le fait de substituer un mot ou une syllabe pour éviter de jurer est un phénomène ancien en français, qui a connu un développement particulièrement remarqué au Québec. « Devant la censure cléricale, qui interdisait formellement l’emploi des ‛sacres et blasphèmes’ et qui menaçait les contrevenants des pires châtiments, il ne restait donc qu’un seul moyen de sacrer malgré tout, c’était de masquer au maximum la forme du terme religieux originel, tout en conservant un moyen minimum de la reconnaître à travers toutes ses transformations. » (A. Bougaïeff, « Un trait du français populaire et familier au Québec : le système des ‛sacres’ », The French Review, mai 1980, p. 841; v. aussi LégSacre 52‑53). En France, le phénomène est attesté depuis le Moyen Âge dans une variété de jurons où l’on substitue bleu à Dieu, comme dans corbleu (à l’origine par le corps de Dieu), parbleu (par Dieu), sacrebleu (Sacre Dieu), etc. (v. TLF, s.v. dieu, 2e section, II.B.3.b., rem. 2; v. aussi P. Guiraud, Les gros mots, 2e éd., 1976, p. 108; R. Zöckler, Die Beteuerungsformeln im Französischen, 1906). 2Depuis 1939. Le même emploi de la locution adjectivale est attesté en France, mais avec bon Dieu; v. par exemple Robert 1985, qui cite à l’appui Claude Simon (1957), ainsi que TLF, qui cite Proust : Ne restons pas trop dans la cour, il fait un bon Dieu de vent. 3Depuis 1905 (dans BPFC 3/5, p. 154). Cet emploi substantif, qui découle du précédent, est à rapprocher d’emplois tout à fait comparables répertoriés dans TLF (7, 188a) avec la locution nom de Dieu appliquée à une personne ou à un animal (on y cite notamment Zola : L’argent! ce nom de Dieu a volé l’argent, cette nuit!).