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BARACHOIS [baʀaʃwa]
n. m.

Rem.

1. L’orthographe barachois domine nettement depuis son apparition, en 1720. 2. Variantes graphiques : (1662) barachoa; (1689) barrachoa; (1676) barachoy; (depuis 1752) barrachois; (1754) barachoua, barrachouabarre-à-choir (voir cidessous).

  

Étendue d’eau naturelle peu profonde, de nature marécageuse, située généralement à l’embouchure d’une rivière et séparée de la mer par une barre de sable et de gravier coupée par un étroit passage qui permet des échanges d’eau entre la lagune et la mer; par méton. la barre ellemême.

1971, L. Bélanger, Barachois de la rivière Madeleine en Gaspésie [photo], CC BY SA 3.0, Wikimédia Commons. https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Rivi%C3%A8re_Madeleine_(embouchure).jpg

Le barachois de Malbaie, de Carleton, de Paspébiac.

(Dans la langue des spécialistes). Barachois estuarien, situé à l’embouchure d’une rivière. Barachois lagunaire, alimenté uniquement par la mer.

SYN. lagune.

Rem.1. Mot connu surtout par les habitants des régions baignées par le golfe du Saint-Laurent et l’océan Atlantique; bien attesté dans la toponymie de ces régions, notamment en Gaspésie (Barachois, nom d’un village) et aux îles de la Madeleine (Le Grand Barachois, Le Petit Barachois, désignant des lagunes; voir RTQ 1987). 2. Le mot des premiers explorateurs (Cartier, Champlain) était havre de barre (voir Histoire). 

Aux Ylles S pierre lemouillage nest pas bon pour de gros vaisseaux parce qu’il [sic] ne peuvent entrer dans Le barachoy qui est un havre de maré pour les moien batiment. Dans la rade le fons est mellié [= mêlé] de sable et de roche. Quant on ni demeur quelque temps il fault liegés les cables [= les garnir de liège] ou bien il se coupe. 1676, de Courcelle, dans H. Harrisse, Découverte et évolution cartographique de Terre-Neuve et des pays circonvoisins, 1900, p. 318.

Une chaîne de montagnes assez hautes, fait le fond du tableau : la bordure est un côteau bien soûtenu par un rivage graveleux et uni. Un barachois de près d’une lieue de long, qui se remplit dans les grandes marées et laisse dans les marées ordinaires plusieurs islots et battures à découvert, contraste par son calme avec l’agitation de la mer souvent irritée. La dune qui l’en sépare à environ 25 arpens de la côte, semble lui défendre impérieusement d’en venir troubler le repos, et le même coup d’œil contemple simultanément le calme et la tempête. 1811 env., J.O. Plessis, Archives du Séminaire de Québec, fonds Viger-Verreau, série 086, 9 juillet.

Les barques, vaillantes, sensibles, presque humaines, et dont l’homme tira de sa propre poitrine l’idée de leurs vertèbres. C’est là qu’à l’abri du barachois, le soir, elles viennent se réfugier. J’en vois qui, échouées à sec, reposent sur le flanc; d’autres qui, lentement, tournent sur leurs ancres, comme des aiguilles autour des heures de la marée. 1959, F.A. Savard, Le barachois, p. 136.

(Acadie) Nous autres, chez nous, la manière que c’est arrangé là, le chemin suit la mer, hein? Bien nous autres, les caps sont en haut, un peu, chez nous, puis ça forme un [sic] anse, il y a un barachois là. Pis après ça, nous autres, on appelle ça sur le cap à Freddy à Jim. 1963, Atholville (Restigouche, Nouveau-Brunswick), AFEUL, C. Jolicoeur 667 (âge de l’informateur : n. d.).

Mais la grande aventure, c’était d’échapper aux familles pour se rendre à pied jusqu’à Paspébiac, à cette anse étroite qui formait le goulot d’un vaste barachois. À marée montante, l’eau y entrait pour se réchauffer au soleil. Puis au baissant, c’était une vraie mer du Sud qui en ressortait, tiède et plus salée qu’avant. On pouvait s’y prélasser longtemps, en se laissant porter par le courant qui déferlait vers le large. 1986, R. Lévesque, Attendez que je me rappelle…, p. 68.

Le mariage de la mer et de la Gaspésie n’est plus à célébrer. C’est presque un poncif que d’en parler. Et pourtant. Quand on ne la voit pas, on sent ses embruns, son iode; on entend ses voix, ses bruits, sa fureur aussi. La péninsule, orgueilleuse, avance dans la mer; malgré les vagues qui battent sans relâche, arrachant çà et là des flancs de la falaise, caressant les plages et barachois, la Gaspésie garde le cap, fidèle. 1995, N. Cazelais, Le Devoir, Montréal, 67 mai, p. C15.

En plus du satyre fauve des Maritimes [une espèce de papillon], le barachois de la rivière Nouvelle est également fréquenté par plusieurs espèces d’oiseaux en situation précaire. Parmi ces espèces, notons le hibou des marais, le râle jaune et le garrot d’Islande, trois espèces préoccupantes selon la Loi sur les espèces en péril, ainsi que le faucon pèlerin [...]. 2016, J. P., Le Pharillon, Gaspé, 21 décembre, p. 11. 

(Dans un blason populaire). Les Barachois : nom donné aux habitants de Fatima, municipalité des Îles-de-la-Madeleine (voir PPQ 1739, NaudÎM).

 (Variante, par étymologie populaire). Barre à choir n. f. (parfois écrit barre à cheoir, ou avec des traits d’union).

[...] il faut insister dès maintenant sur le fait que chaque grève, chaque barre à choir, chaque port abrité ou presque dans toute la baie des Chaleurs accueillit un jour un comptoir, un magasin ou un entrepôt de l’une ou l’autre des compagnies commerçantes. 1978, P.L. Martin et G. Rousseau, La Gaspésie de Miguasha à Percé, p. 3738.

NOTICE ENCYCLOPÉDIQUE

C’est à Nicolas Denys (1672) que nous devons la première description précise de la réalité à laquelle réfère le mot barachois (l’auteur emploie cependant lui-même rivière de barre plutôt que barachois, voir Histoire) : « Sortant de Bonne-aventure & de l’isle Percée, l’on entre en la baye des moluës [= morues] qui a quatre lieuës d’ouverture, & trois de profondeur, le costé qui joint l’isle Percée sont ces montagnes qui vont en baissant jusques au fonds; de cette baye où est l’emboucheure d’une petite riviere de barre, les chalouppes n’y entrent que de beau temps, la mer asseche assez loin de l’entrée, il n’y a pas grande eau dedans de basse mer, sinon un petit canal pour des canots; c’est une grande étenduë de platins [= rivages plats découverts seulement à marée basse] & prairies qui rendent la chasse abondante & la pesche de toutes sortes de coquillages […]. » (p. 232233). Cette réalité géographique, bien connue des habitants des régions du golfe du Saint-Laurent, a souvent été décrite de façon partielle, les uns insistant sur la barre de sable et de gravier, d’autres sur l’étendue d’eau. Sous l’influence des dictionnaires de France (p. ex. Besch 18471892, Larousse 18661897, GrEnc, PLar 1912, Quillet 1937), qui définissaient le mot par « petit port naturel » ou par « petit enfoncement sur les côtes », les lexicographes canadiens-français ont surtout insisté sur l’aspect fonctionnel et utilitaire du barachois, à savoir sa capacité d’abriter les petites embarcations à marée basse (voir Clapin, qui corrige cependant sa définition dans son appendice; GPFC, dont la définition est mise en doute par J. Rousseau : « L’acception du Glossaire [petit port, anse, lieu de refuge], si toutefois elle existe, ne peut que dériver du premier sens [barre de sable et de gravier formée à l’embouchure d’une rivière] » (p. 581); Bélisle13, Barbeau2 183, GDT). Pascal Poirier, qui connaissait bien cette réalité en tant qu’Acadien, en donne quant à lui une définition précise (voir PoirierG). Les spécialistes, qui se sont intéressés à la façon dont se sont formés les barachois, en distinguent deux types principaux, selon que le barachois se situe à l’embouchure d’une rivière ou qu’il est alimenté seulement par la mer. Caractéristiques du littoral de la Gaspésie et des provinces maritimes, les barachois regroupent des ensembles de milieux variés qui favorisent la diversité des espèces (faune et flore). 

Sources : Barachois (1935, avril), Le Canada français, vol. 22, no 8, p. 815817; J. M. Clarke (1923), L’Île Percée, the Finial of the St. Lawrence, p. 6163; N. Denys (1672), Description geographique et historique des costes de l’Amerique septentrionale, t. 1, p. 232233; P.L. Martin et G. Rousseau (1978), La Gaspésie de Miguasha à Percé, p. 199201 et 223228; L. Provancher (1872, septembre), Le Naturaliste canadien, vol. 4, no 9, p. 279280; J. Rousseau (1935, février), Quelques additions au « Glossaire du parler français au Canada », Le Canada français, vol. 22, no 6, p. 581.

Histoire

Depuis 1662, dans un document tiré des archives de Saint-Malo et relatif aux îles de Saint-Pierre et Miquelon dans lequel on précise le nombre d’hommes qu’un lieu peut recevoir pour la pêche (reproduit dans Ch. de La Morandière, Histoire de la pêche française de la morue dans l’Amérique septentrionale, t. 1 et 2, 1962, p. 418) : le galay [« plage couverte de galets »] du Barachoa 40 hommes; le galay au suroit du Barachoa 40 hommes. Le mot ne fait pas partie du vocabulaire apporté de France par les premiers immigrants. Cartier et Champlain employaient l’appellation havre (ou hable) de barre, qui signifie proprement « port naturel protégé par une barre » (attesté dans les dictionnaires de France jusqu’au XIXe s., v. FEW moyen néerlandais havene 16, 186b), et Nicolas Denys rivière de barre (v. Notice encyclopédique). La répartition géographique actuelle du mot barachois et les attestations anciennes suggèrent qu’il s’est répandu dans les anciennes colonies françaises à partir du Canada; il aurait été apporté jusque dans l’océan Indien par les marins et les navigateurs dès le début du XVIIIe siècle. Trois siècles plus tard, on le trouve non seulement en Gaspésie, dans les provinces maritimes et aux îles de Saint-Pierre et Miquelon (v. PoirierG, Mass no 26, NaudÎM, BrassTN et BrassSPM), mais aussi dans l’océan Indien, avec des sens légèrement différents, à savoir celui de « crique peu profonde servant de lieu de débarquement » à Madagascar et à la Réunion, de « petit port naturel » aux Seychelles et de « genre de vivier à l’embouchure d’une petite rivière » à l’île Maurice (v. ChaudRéun 10531054, BavMad, NallMaur; BaggRéun, BakMaur, BollÉtym2, s.v. baraswa). La variation graphique qu’on observe dans les premières attestations du mot est un indice « qu’il s’agit d’un mot étranger adapté à la phonétique française » (Mass no 26). Tout porte à croire que barachois serait d’origine basque. Ch. de La Morandière (ouvr. c., p. 1376) a été le premier à proposer cette étymologie en 1966, mais sans la démontrer. P. Brasseur l’a reprise en 1986 en expliquant que barachois viendrait du basque barratxoa signifiant « la petite barre », où le groupe tx se prononce tch. Le mot est formé de trois éléments : barra signifiant « barre », txo jouant le rôle de suffixe diminutif, et a faisant office d’article, procédé régulier dans les toponymes (v. P. Brasseur, « Quelques aspects de la toponymie des îles Saint-Pierre-et-Miquelon », Commission de toponymie du Québec, 450 ans de noms de lieux français en Amérique du Nord, 1986, p. 542). Cette hypothèse étymologique, satisfaisante autant sur le plan sémantique que sur le plan phonétique, est appuyée par une linguiste basque qui met le toponyme Barrachoa en rapport avec de nombreux autres toponymes s’échelonnant le long du Saint-Laurent, jusque dans le golfe et à Terre-Neuve, qui s’expliqueraient par la langue basque (v. M. E. Goya, « Basque Toponymy in Canada », Onomastica Canadiana, vol. 74, no 2, 1992, p. 5374). L’explication de Brasseur est confortée par le fait que le mot barachois est d’abord attesté sous les formes Barachoa (1662, v. le passage reproduit dans Ch. de La Morandière, cité cidessus) et Barrachoa (1689); dans ce dernier cas, en outre, il s’agit d’un toponyme figurant sur une carte de Terre-Neuve dressée par un pilote basque, Piarres Detcheverry. Enfin, comme le souligne Brasseur, un autre toponyme, soit Portuchoa (aujourd’hui Port au Choix) figurant sur la même carte, se trouve expliqué par la même hypothèse; il signifierait « le petit port ». Le mot basque aurait été progressivement assimilé par les francophones : on trouve une variante barachoy dès 1676 (v. le premier des ex. cités, de Courcelle) et barachois domine nettement depuis 1720 parmi quelques autres variantes éphémères traduisant également une perception française du mot (barrachois, barrachoix). Quelques attestations, jusque dans les années 1750, montrent néanmoins une certaine persistance de la finale -choua (v. notam. Mass no 26). Avant que ne s’impose auprès des spécialistes l’hypothèse somme toute récente de l’origine basque de barachois, deux autres explications étymologiques avaient cours : celle du littérateur français A. Jal et celle de Larousse 1897. Pour Jal, barachois découlait des mots portugais barra « barre » et choa « unie et sans profondeur » (v. JalNaut 1848). Cette hypothèse a été remise en question par TLF qui souligne que le composé barra choa n’existe pas en portugais (Bollée écarte également cette explication parce que « le mot est attesté dans d’anciens documents acadiens dès 1720 », v. BollÉtym2). L’étymologie de Jal a néanmoins été véhiculée par de nombreux chercheurs jusqu’à nos jours, qui parfois l’ont signalée sans conviction (p. ex. ChaudRéun 1053-1054). Pour sa part, Larousse 1897 avançait que barachois résultait de deux mots indiens, barra « port » et chua ou châo « peu profond, uni », mais cette supposition ne semble pas du tout fondée. Il semble que Larousse se soit basé sur les commentaires des premiers lexicographes français à avoir enregistré barachois pour en venir à présumer de l’origine indienne du mot. Laveaux 1828 affirmait en effet que le mot barachois désignait un « petit enfoncement que l’on trouve plus généralement sur les côtes des îles, dans les deux Indes »; sa définition fut reprise tout au long du XIXe siècle, notamment par AcCompl 1842, Besch 18471892, Landais 1853. L. Fréchette se rangera lui-même à l’avis des lexicographes de France dans l’une de ses chroniques linguistiques où il expose la logique qui a dû guider Larousse 1897 : « Le mot barachois, qui signifie une petite anse où l’on peut se radouber, désignait primitivement de petits enfoncements sur les côtes des îles, aux Indes. Ce serait là, par conséquent, qu’il faudrait rechercher l’origine du mot. » (La Patrie, Montréal, 23 septembre 1893, p. 1). Parmi les autres hypothèses étymologiques qui ont été avancées, il convient de faire mention d’une explication populaire selon laquelle barachois proviendrait de barre à choir, faisant ainsi référence aux pêcheurs qui, jadis, laissaient choir leur embarcation dans le lieu ainsi nommé, à marée basse, pour la mettre à l’abri. On trouve cette variante dès 1861 dans un toponyme gaspésien : Cette école [de la Malbaie] a été fermée quelques jours après ma visite, et, en même temps, une autre s’ouvrait dans l’arrondissement de Barre-à-Choir (dans Journal de l’instruction publique, décembre, p. 210). Cette étymologie populaire a, en quelque sorte, été validée par une glose du naturaliste L. Provancher (v. Notice encyclopédique plus haut, p. 279) : « C’est là ce que nous nommons barachois (barre à choir) […]. » À sa suite, Faucher de Saint-Maurice écrira : « L’étymologie de ce mot est facile à retracer : une barre à cheoir. » (De tribord à bâbord, 1877, p. 351, n. 1). C’est sans doute cette explication qui a été la plus largement diffusée au Canada (v. notam. A. Pelland, La Gaspésie, 1914 env., p. 258; P.L. Martin et G. Rousseau, ouvr. c., 1978, p. 199; BTGéogr). Elle demeure encore bien ancrée dans les esprits en dépit du fait qu’elle ait été rejetée maintes fois depuis la fin du XIXe siècle (v. p. ex. ChambEtym 102; J. Rousseau, v. Notice encyclopédique plus haut, p. 816; Commission de toponymie du Québec, Noms et lieux du Québec, 1994). Une autre explication, relevant elle aussi de l’étymologie populaire, a circulé à la fin du XIXe siècle : on a cru que le mot, déformé par la prononciation locale, pourrait venir de barre échouée (ou barre à échouer). Cette étymologie n’a pas été prise trop au sérieux, mais elle a tout de même été rappelée dans divers textes (p. ex. dans J. M. LeMoine, The Explorations of Jonathan Oldbuck, F. G. S. Q. in eastern latitudes, 1889, p. 203; Clapin 346; ChaudRéyn 1054 : « selon eux [des témoins acadiens], il serait d’origine française et viendrait de ‘barre à échouer’, déformé par la prononciation locale »; pour une discussion des différentes explications qui ont été proposées quant à l’étymologie de barachois, v. E.B. Deschênes, « Essai de toponymie gaspésienne », Revue d’histoire et de traditions populaires de la Gaspésie, vol. XV, no 4, 1977, p. 202207; G. Joncas, « Barachois. Quand étymologie savante et étymologie populaire se confrontent… », Québec français, no 124, hiver 20012002, p. 99101). Au cours du XIXe s., barachois est entré dans l’anglais du Canada en parlant de la réalité géographique caractéristique de la région du golfe du Saint-Laurent et des Maritimes (v. ClapAmer, DictCan, Nelson 1997, Gage 1997); l’emprunt a donné lieu à des variantes du type barrasway ou barasway, traduisant l’adaptation phonétique du mot à l’anglais (v. DictCan et DNE).

Nouvelle entrée de la deuxième édition

Dernière révision : octobre 2021
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Trésor de la langue française au Québec. (2021). Barachois. Dictionnaire historique du français québécois (2e éd. rev. et augm.; R. Vézina et C. Poirier, dir.). Université Laval. Consulté le 18 avril 2024.
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