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ANNEDDA [anɛdɑ]
n.

Rem.

Variantes graphiques : aneda, anedda, anneda, hannedda.

  

Hist.Nom donné à un conifère nord-américain auquel Jacques Cartier a attribué la guérison miraculeuse de son équipage atteint du scorbut; décoction faite à partir des rameaux et de l’écorce de ce conifère.

Rem.Selon une hypothèse largement répandue depuis la seconde moitié du XXe siècle, mais qui n’est plus retenue par la plupart des spécialistes, ce conifère pourrait être le thuya occidental (Thuja occidentalis), communément appelé cèdre (voir Notice encyclopédique).

Et pour un dernier & souverain remede, je renvoye le patient à l’arbre de vie (car ainsi le peut-on bien qualifier) lequel Jacques Quartier ci-dessus a appellé Annedda, non encores coneu en la côte du Port Royal, si ce n’est d’aventure le Sassafras, dont il y a quantité en certains lieux, & est certain que ledit arbre y est fort singulier. Mais le sieur Champlein qui est presentement en la grande riviere de Canada, passant l’hiver au quartier méme où ledit Quartier hiverna, ha charge de le reconoitre, & en faire provision. 1609, M. Lescarbot, Histoire de la Nouvelle France, p. 524.

Nous fismes ce jour quelque quatre lieux, & passames par une baye où il y a quantité d’isles; & voit on d’icelle de grandes montaignes à l’ouest, où est la demeure d’un Capitaine sauvage appelé Aneda […]. Je me parsuaday par ce nom que c’estoit un de sa race qui avoit trouvé l’herbe appelée Aneda, que Jacques Quartier à dict avoir tant de puissance contre la maladie appelee Scurbut [= scorbut] […] qui tourmenta ses gens aussi bien que les nostres, lors qu’ils yvernere[n]t en Canade [= Canada]. Les sauvages ne cognoissent point ceste herbe, ny ne sçavent que c’est, bien que ledit sauvage en porte le no[m]. 1613, S. de Champlain, Les voyages du Sieur de Champlain, p. 65.

Seuls les documents historiques contemporains de Cartier fournissent des renseignements plus précis. Tous tendent à démontrer que l’arbre de vie (Thuja occidentalis) introduit en France dans le jardin du roi, à Fontainebleau, à l’époque de Cartier, vers 1536 ou 1542, est bien l’annedda, qui a guéri du scorbut les hivernants de Cartier. Et c’est même pour cela que la plante aurait reçu le nom d’arbre de vie. 1954, J. Rousseau, L’annedda et l’arbre de vie, Revue d’histoire de l’Amérique française, vol. 8, no 2, p. 201.

Le centre d’interprétation actuel [du parc Cartier-Brébeuf] n’est pourtant pas sans attrait […]. « Vous pouvez goûter à l’anneda, une tisane de cèdre blanc fabriquée par les Amérindiens : c’est ce qui avait sauvé les Malouins du scorbut », explique […] l’hôte des lieux. Le breuvage est tout à fait buvable. 1994, R. Fleury, Le Soleil, 4 août, p. B1.

En ce temps-là… était l’émerveillement. Sans cet abandon du regard, les écrits de Jacques Cartier prennent des allures de fabulation et l’identité de l’annedda, cet arbre légendaire qui redonna vie à son équipage, échappe fatalement à l’investigation du chercheur. 2013, B. Plante, L’annedda, l’histoire d’un arbre, p. 3.

 (Variante). RareAmeda ou amedda.

Pour remede à ce mal, ilz ont un arbre nommé Ameda, du tout semblable au noyer, qu’aucuns appellent Anahoy, dont ilz font une decoction, & la boyuent, ce qui les ayde plus en deux ou trois jours, que toutes les medecines & drogues de l’Orient, dont les medecins se servent ordinairement. 1605, C. Wytfliet et A. Magin, Histoire universelle des Indes occidentales, livre II, p. 123‑124. 

NOTICE ENCYCLOPÉDIQUE

Lors de son second voyage au Canada, Jacques Cartier fut contraint de passer l’hiver à quelques lieues du village iroquoien de Stadaconé (aujourd’hui Québec). Au mois de décembre 1535, ses marins furent victimes d’une épidémie de scorbut – maladie due à l’insuffisance de vitamine C dans l’alimentation – qui entraîna la mort de vingt-cinq d’entre eux. Elle ne fut enrayée que vers le printemps, apparemment grâce à une décoction préparée à partir des rameaux et de l’écorce de l’annedda que leur avait fait connaître l’Autochtone Domagaya, guéri peu avant du même mal. Cartier ne laissa malheureusement aucune description précise de l’arbre en question, si bien que les Français débarqués en Nouvelle-France au tout début du XVIIe siècle ne purent l’identifier et s’en servir pour guérir les marins atteints eux aussi de scorbut. Depuis, on a avancé le nom de plusieurs conifères pour tenter de découvrir l’identité de l’arbre à l’origine de la guérison miraculeuse – en six jours seulement – de l’équipage de Cartier. Au XVIIIe siècle, le père Charlevoix, reprenant à son compte l’opinion de l’intendant Antoine-Denis Raudot, affirma que le remède dont avait parlé Cartier était tiré de l’épinette blanche, résineux auquel ses contemporains attribuaient des propriétés antiscorbutiques. Cette opinion fut véhiculée au cours des décennies suivantes par plusieurs historiens et botanistes du Canada français, dont Benjamin Sulte – qui croyait même que l’annedda était la bière d’épinette – et le frère Marie-Victorin. Au terme d’une étude approfondie sur l’identité de l’annedda, dans laquelle il envisageait même les aspects biochimiques, Jacques Rousseau arriva à la conclusion que seule la prise en compte des aspects historiques permettait de trancher véritablement le débat : le conifère mystérieux serait le thuya occidental (Thuja occidentalis), que Cartier avait introduit dans le jardin du roi François 1er, à Fontainebleau, avant 1547, et qu’on pouvait identifier à travers les témoignages de quelques-uns de ses contemporains, dont le moine André Thévet (1558) et le botaniste Pierre Belon (1553). Cette hypothèse n’est toutefois pas retenue dans des études plus récentes. Pour l’historien Jacques Mathieu (2009), qui propose une nouvelle démonstration, l’arbre en question serait plutôt le sapin baumier (Abies balsamea). Toutefois, pour Berthier Plante (2013), l’annedda serait en fait le pin blanc (Pinus strobus). Enfin, Alain Asselin et collab. (2014), tout en considérant comme valable la candidature de quelques conifères, notamment le sapin baumier, le pin rouge, l’épinette blanche et l’épinette rouge, penchent pour la pruche du Canada (Tsuga canadensis). Quoi qu’il en soit, il est possible que ce conifère n’ait pas été seul en cause dans le processus de guérison du scorbut, vraisemblablement déjà amorcé avant qu’on ne l’utilise comme remède. En effet, M. Bideaux a observé qu’au cours du printemps de 1536 l’équipage de Cartier avait consommé des viandes fraîches que leur apportaient les chasseurs iroquoiens de Stadaconé. Ainsi, selon lui, « …on peut se demander si la lente “opperation” [terme de Cartier] des vitamines C contenues dans les aliments vendus par les Indiens à la saison de la chasse ne s’est pas opportunément conjuguée à celle de l’annedda pour sauver l’équipage de Cartier ». Cela expliquerait aussi que les marins aient été guéris en six jours seulement, ce qui étonne même en recourant à un remède efficace, compte tenu de la sévérité des symptômes de la maladie décrits par Cartier dans sa relation.

Sources : A. Asselin, J. Cayouette et J. Mathieu. Curieuses histoires de plantes du Canada, t. 1, 2014, p. 80‑83; J. Cartier, dans M. Bideaux, Relations, 1986, p. 398; J. Mathieu, Le premier livre de plantes du Canada, 1998, p. 104‑107; J. Mathieu, L’Annedda : l'arbre de vie, 2009; B. Plante, ouvr. cité; A.‑D. Raudot, dans P. Berthiaume (éd.), Relations par lettres de l’Amérique septentrionale, 2018, p. 278‑279; J. Rousseau, art. cité, p. 171‑212.

Histoire

Depuis 1609; depuis 1605 sous la variante ameda. Mot emprunté aux Iroquoiens de Stadaconé. Dès le XVIe s., annedda est attesté en tant que mot autochtone. En 1538 env., il apparaît dans la relation du deuxième voyage de Jacques Cartier : Domagaya respondict [à Cartier] que avecq le juz et le marcq des feulhes d’un arbre il s’estoit guery et que c’estoit le singulier remedde pour maladie. […] Lors ledit Domagaya envoya deux femmes avecq le cappitaine pour en querir lesquelz en apporterent neuf ou dix rameaulx et nous monstrerent comment il failloit piller l’escorce et les feulhes dudict boys et meptre tout à bouillir en eaue puis en boyre de deux jours l’un et meptre le marcq sus les jambes enfleez et malades et que de toutes maladies ledict arbre guerissoit. Ilz appellent ledit arbre en leur langaige annedda (J. Cartier, dans M. Bideaux (éd.), ouvr. cité, p. 173). De même, la variante ameda figure dans le même contexte repris dans Brief recit (1545), version publiée de la seconde relation de Cartier, la seule parue de son vivant : ilz appellent ledict arbre en leur langue Amedà (p. 38; reprise par Fr. de Belle-Forest dans L’histoire universelle du monde, 1570, p. 261); elle résulte sans doute d’une mauvaise lecture de anneda ou annedda (v. J. Rousseau, art. cité, p. 179), que le typographe aura mal interprétée, prenant le nn du mot pour un m, ce qui est d’autant plus probable qu’il s’agissait pour lui d’un mot étranger. Cette variante du Brief recit a été utilisée par certains lettrés des XIXe et XXe s. (p. ex. N.‑E. Dionne, Jacques Cartier (2e éd.), 1933, p. 121).

Nouvelle entrée de la deuxième édition

Dernière révision : juillet 2024
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Trésor de la langue française au Québec. (2024). Annedda. Dictionnaire historique du français québécois (2e éd. rev. et augm.; R. Vézina et C. Poirier, dir.). Université Laval. Consulté le 20 mars 2025.
https://www.dhfq.org/article/annedda