ALLÈGE1 [alɛʒ]
adj.
1. Aussi prononcé [aleʒ] (pop.). 2. Variantes graphiques : alège, alége, allége; (avec valeur de loc. adj., voir Histoire) à lège.
Hist. Canot allège, de structure légère, conçu pour les voyages rapides et le transport des personnes.
Rem.1. Parfois appelé aussi canot léger; s’oppose à canot de charge ou, de façon plus habituelle, aux appellations spécifiques canot du Nord, canot de maître (ou du maître), canot de Montréal, etc. désignant des canots de dimensions différentes servant au transport des marchandises. 2. Allège est également bien attesté comme substantif avec le sens d’« embarcation servant à charger et à décharger des bateaux », comme en France.
L’unzième avril je fus dans mon canot alège aiant avec moi messieurs d’hyberville et de St. Germain pour visiter le chemin[,] suivy de trois canots et du monde nécessaire pour en faire un [chemin] dans un portage de la longueur d’une portée de fusil. 1686, P. de Troyes, dans Revue d’histoire de l’Amérique française, vol. 6, no 1, 1952, p. 13 (journal).
[...] je doy dire a M. le Comte de Frontenac que mon dessein estoit d’envoyer un party de cent cinquante ou deux cents hommes et plus mesme en canots aleges pour faire plus de diligence [...]. 1689, Brisay de Denonville, dans L. Lamontagne (ed.), Royal Fort Frontenac, 1958, p. 377 (lettre).
Ce mesme Canot Outtauois m’avait informé Monseigneur, que Le Sr de la Mothe descendoit du Destroit avec deux canots alleiges [sic] ramennant avec luy un Commis principal que La Direction avoit envoyé au fort le printemps [...]. 1704, Ph. de Rigaud de Vaudreuil, dans RAPQ 1938-1939, p. 45-46 (lettre).
Ils étaient sur des canots allèges, ayant laissé derrière eux MM. John Stuart et McMillan, avec une brigade de huit canots chargés de fourrures. 1820, G. Franchère, Relation d’un voyage à la côte du nord-ouest de l’Amérique septentrionale, p. 143.
Ça me faisait penser aux vieux qui nous racontaient des histoires de chasse-galerie et de loups-garous. [...] Histoire de nos grands-pères, qui nous impressionnait beaucoup. Les canots à lège aussi, il nous semblait les voir filer dans le ciel par ces beaux clairs de lune. 1980, Fl. Morvan Maher, Florentine raconte..., p. 142.
Par ext.
(En parlant d’une embarcation, d’un véhicule ou, par méton., des personnes qui sont à bord). Qui est vide, qui n’est pas chargé.
Bateau, chaland, goélette allège. Voiture, chariot, taxi allège. (En fonction attribut). Venir, partir, s’en aller, voyager allège.
Rem.En français de France, on emploie le mot lège dans ce sens et seulement en parlant d’un bateau (p. ex. navire lège, vide ou incomplètement chargé); cet emploi est attesté également au Québec.
[...] un petit chemin étroit, on passait pardessus [sic] les souches, les voitures accrochaient, avec une charge il n’y avait pas de moyen, allège on passait un peu. 1883, Arthabaska, BAnQQ, Cour d’appel (Québec), cause no 24 (1884), factum de l’intimé, p. 48.
Les cigarettes sont le chargement de retour des camions qui portent de l’alcool aux États-Unis et qui ne sauraient revenir allèges : car dans toute industrie bien organisée, et la contrebande des alcools en est une, il faut se préoccuper de trouver à ses véhicules des cargaisons de retour. 1930, Le Devoir, Montréal, 18 mars, p. 1.
Il était fier de ses biceps, de son endurance, de son habileté à diriger un canot, allège ou rempli, tirant jusqu’à six pouces d’eau. 1951, H. Bernard, Les jours sont longs, p. 14.
La nouvelle suspension [d’une camionnette] constitue sûrement l’amélioration la plus appréciée. Ainsi, elle confère un excellent confort en tout temps, même à lège, sans limiter pour autant la capacité de charge. 1985, Touring, novembre-décembre, p. 13.
Par anal. (En considérant la charge). Un ski allège, qui ne reçoit aucune pression, sur lequel ne repose aucun poids.
(En considérant le contenu; en fonction adv.). Faire tourner la laveuse allège, la faire fonctionner à vide.
Marcher, tourner allège (d’un moteur, d’un mécanisme) : fonctionner au neutre, au ralenti, de façon inutile.
Le moteur tourne allège.
[...] du moment que l’engin [le moteur] est mis en mouvement, les trois dynamos marchent; quand même on n’aurait besoin que d’un dynamo arc on est obligé de mettre en mouvement celui de la lumière incandescente, ils sont pris ensemble, ils sont obligés d’en faire marcher allège dans ce cas [...]. 1893, BAnQQ, Cour d’appel (Québec), cause no 30, Trois-Rivières, 1892, factum de l’intimé, p. 23.
(En parlant d’un animal ou d’une personne, souvent en fonction attribut). Qui ne transporte ou ne traîne aucune charge, qui n’est pas embarrassé par un poids.
Être allège. Voyager allège.
Je vous assure que je ne ressemblais guère alors à un Père du Concile. Pour être plus allège, j’avais laissé ma soutane; et ces trois jours dans le bois m’avaient mis en haillons. 1871, Mgr Clut, dans R. P. Duchaussois, Aux glaces polaires, 1921, p. 207.
[...] il ne devait pas charger beaucoup, parce qu’il a été des temps où un cheval allège embourbait dans cette route-là. 1884, Québec, BAnQQ, Cour d’appel (Québec), cause no 11 (1886), factum de l’appelant, p. 17.
– Donalda : J’aurais besoin de ben des choses mais une autre fois quand tu monteras en voiture. – Séraphin : C’est ça, ma vieille. Comme c’est là, j’voudrais marcher allège. 1944, Cl.-H. Grignon, Un homme et son péché, 29 septembre, p. 2 (radio).
On descendait, on allait à une distance de vingt milles et puis, ça nous prenait, ça nous prenait cinq, six heures à descendre. – Pour monter? – Monter, pareil, ça nous prenait…on est montés, des fois, allège, rien que nos bagages, nos provisions pour une semaine, par exemple, montés des fois dans quatre heures. 1961 env., Baie-Saint-Paul (Charlevoix-Ouest), AFEUL, P. Perrault 91 (âge de l’informateur : n. d.).
C’était un garçon vaillant, toutefois le morceau de cochon rendait lourd son baluchon effiloché. Il ne tenait guère à le rapporter pour l’ajouter au superflu de la boucherie des Avants, fameuse cette année-là. De plus, le temps s’était réchauffé, le morceau risquait de se gâter. Voici comment Jean Goupil s’y prit pour rentrer allège à Saint-Zacharie. 1972, J. Ferron, La chaise du maréchal ferrant, p. 81.
[...] de retourner mains pleines, au moins jusqu’au premier endroit de traite [...] où se délivrer des ballots de fourrure et continuer allège vers la maison, la femme, les petits, les comptes à payer, l’été à passer à survivre, le recommencement en octobre suivant [...]. 1983, Y. Thériault, L’herbe de tendresse, p. 41.
Par ext., Rural (En fonction attribut). Revenir, faire un bout allège, sans labourer (en parlant de celui qui dirige la charrue). (En fonction adv.). Traîner la charrue allège, sans labourer (en parlant d’un animal attelé à une charrue).
Par anal. Qui a l’estomac vide.
Un soir, je revenais, je ne dis pas à lège, Car Lanouet défrayant noblement son écot, M’avait pendant trois jours fait un royal fricot [...]. 1877, P.-J.-O. Chauveau, Souvenirs et légendes, 1877, p. 25.
Fig.
Libre de toute contrainte, de toute gêne; à l’aise.
Il n’y a rien que j’adore plus que de causer avec un homme intelligent. Cependant, votre mémère me gêne. Si vous voulez on va aller la conduire vis-à-vis la cage des singes et puis après on sera plus allège pour causer un petit brin. 1920, La Patrie, Montréal, 19 juin, p. 13 (chron. humor.).
Vous autres, vous savez pas ce que c’est d’aimer à voir du pays, de se lever avec le jour, un beau matin, pour filer fin seul, le pas léger, le cœur allège, tout son avoir sur le dos. 1945, G. Guèvremont, Le Survenant, p. 221.
Peut-être obéit-il à une sincère flambée de bienfaisance, de celles qui laissent le cœur auto-attendri, la bonne conscience allège, les mains libres pour batifoler dans des infamies rachetées d’avance. 1993, M. Proulx, Homme invisible à la fenêtre, p. 37.
(En fonction attribut). Vieilli Sans avoir rien obtenu, sans avoir atteint le but recherché.
Revenir allège, bredouille. Faire un voyage allège, sans rien rapporter, sans avoir obtenu de résultat.
[...] tu risque beaucoup mon pere que les canots ne sorte [« reviennent »] a laige [sic], il y a beaucoup d’assiliboilles [= Assiniboines] cest vray il ne save point la chasse du castor [...]. 1738, P. Gaultier de La Vérendrye, dans L.J. Burpee (ed.), Journals and Letters of Pierre Gaultier de Varennes de La Vérendrye and his Sons, 1927, p. 302.
On a peine a se souvenir d’un pareil nombre de vaisseaux venans alége [sic] de la pêche du Groenland que cette année. Les Hollandois, qui sont estimés les meilleurs pêcheurs de baleines, n’ont pas eu plus de succès que leurs voisins. 1788, La Gazette de Québec, 23 octobre, p. 2.
Il est allé à la banque pour emprunter de l’argent, mais il est revenu alége. 1930, dans GPFC.
Histoire
De l’adjectif lège « qui n’a pas de chargement (en parlant d’un bateau) » (attesté en français depuis 1681, v. FEW néerl. leeg 16, 453a), par suite de l’agglutination de la préposition à dans la locution à lège (la locution n’est cependant consignée dans les dictionnaires que depuis Laveaux 1828). La fusion des deux mots en un seul – quoique certains exemples témoignent que la perception de la locution n’a pas complètement disparu – a pu être facilitée par l’homonymie avec le substantif allège désignant une embarcation servant à charger ou à décharger des bateaux (mot attesté en français depuis 1461, v. FEW allĕviare 24, 331b). L’orthographe avec é a été usuelle en français jusqu’au XIXe s., aussi bien pour lége que pour allége (v. TLF), et la prononciation avec [e] est la seule notée encore dans Larousse 1866 (v. cependant la remarque de Littré, s.v. allége).
IDepuis 1686. Canot allège paraît être une innovation à mettre en relation avec vaisseau lége, attesté en français du XVIIIe s., qui désigne un type de vaisseau trop léger en raison d’un défaut de construction (v. Fur 1727, Trévoux 1721-1771). Canot allège s’est implanté dans la langue des coureurs de bois et des voyageurs (v. GagnNO 132; v. aussi McDermMiss) et a pénétré en anglais nord-américain (v. DictCan qui l’atteste depuis 1860).
II1Depuis 1703 (Nouveaux voyages de Mr. le baron de Lahontan, t. 1, p. 267 : « Allege, c’est à dire, vuide, sans charge »). Héritage des parlers de France; relevé en normand dans les locutions s’en aller ou revenir à lège (ou à liège), « c’est-à-dire sans chargement, à charrette vide » (BeaucNorm, s.v. lège), être à lige « n’être pas chargé » (v. FEW néerl. leeg 16, 453a). Bien attesté en outre dans les parlers français du Missouri et de la Louisiane (v. DorrSteGen, DitchyLouis, GuilbLaf). 2Depuis 1871. Attesté également en Louisiane (v. VoorhLouis : « empty-handed. Je vais à la grocerie allège. »).
III1Depuis 1920. Sans doute hérité de France; cp. dans le parler de l’île de Jersey : quand jé s’sai à la lige (ou au lige) « quand j’aurai le temps », v. LeMJers, s.v. lige). 2Depuis 1738. L’ancienneté de cet emploi figuré, qui découle de II.1, suggère qu’il peut s’agir d’un héritage de France.