ABRIER ou
ABRILLER [abʀije]
v.
Le mot se prononce toujours avec un [j], quel que soit le temps ou la personne.
v. tr. et pron. Vieilli(Se) mettre à couvert, (s’)abriter (contre le vent, la pluie, les éléments).
Rem.Encore relevé au cours d’enquêtes linguistiques dans les années 1970 (voir Lavoie 100).
Nous voila donc logez à une pointe de terre exposée à tous vents, nous mettons nostre canot derriere nous pour nous abrier, & comme nous craignions la pluye ou la neige mon hoste jette une meschante peau sur des perches, & voila nostre maison faicte. 1635, The Jesuit Relations and Allied Documents, vol. 7, p. 200.
A méme temps que cecy se passoit, sa femme accoucha toute seule sans ayde d’aucune personne, elle accoucha le matin, & sur le midy je la vey travailler, elle s’estoit retirée sous une méchante écorce qui ne l’abrioit d’aucun vent [...]. 1640, The Jesuit Relations and Allied Documents, vol. 16, p. 106.
Ceux qui passaient à la porte étaient les bienvenus dans leur maison. Ils mettaient pour tous le même empressement à tirer la meilleure chaise près du poêle. – Entrez donc vous abriller un peu. Y va mouiller! On est en chaleur dans la maison. 1934, M. Le Franc, La rivière solitaire, p. 171.
Tout en espérant vouloir créer une habitude et répéter l’expérience dès l’an prochain, les organisateurs veulent tout de même que l’événement reste simple, sans prétention. […] L’activité se tiendra beau temps, mauvais temps. En cas de pluie, le chalet sera ouvert pour abrier les visiteurs. 2018, Le Reflet du Lac (site Web), Magog, 9 juillet.
Vendredi, on est partis à la pluie. C’était quand même assez difficile. Il faisait froid, mais ça allait bien. Puis, un arrêt de quelques minutes pour avaler une bouchée change la donne pour les deux cyclistes. Là, on a attrapé froid. On s’est dit : « Il faut rouler et aller s’abrier quelque part parce que ça ne peut pas marcher de même », poursuit le jeune homme. Heureusement, à Danville, ils trouvent refuge et chaleur humaine. [Le propriétaire d’un café] a mis notre linge dans la sécheuse. Il nous a prêté des vêtements chauds, on a bu des boissons chaudes, on s’est réchauffés. À midi, on est repartis. 2019, Société Radio-Canada, Ici Estrie (site Web), 12 mai.
Couvrir, recouvrir.
v. tr. (Parfois employé absol.). Couvrir (qqch.) pour protéger, cacher.
2022, TLFQ, Abrier un arbre pour le protéger du gel [vidéo].Abrier ses plants de tomates pour les protéger du gel. Abrier les cèdres pour l’hiver.
(En parlant d’une partie du corps). Il [un Autochtone] portoit avec soy un fort grand bouclier fort lo[n]g & fort large : [...] il estoit un petit [peu] plié ou courbé pour mieux couvrir le corps, & afin que les coups de fleches ou de masses venans à le fendre, n’emportassent la piece, il l’avoit cousu hault & bas avec de la corde faite de peau : ils ne portent point ces boucliers au bras, ils passent la corde qui les soustient sur l’espaule droicte, abriant le costé gauche : & quand ils ont tiré leur coup, ils ne font que retirer le costé droict pour se mettre à couvert. 1634, The Jesuit Relations and Allied Documents, vol. 5, p. 94.
Si l’on n’a pas le temps de couvrir immédiatement les tas de terre, il faut les abriter (abrier) chaque soir, avec de la paille, pour ne pas que la pluie y pénêtre [sic], et se hâter de couvrir la terre et de la battre, avant que la pluie vienne mouiller toutes les patates et les expose à pourrir. 1875, É. A. Barnard, Causeries agricoles, p. 81.
La plantation doit se faire de manière que l’on ne soit pas obligé de couvrir les tomates pour les empêcher d’être brûlées par le soleil […]; il est donc bien plus prudent de mettre toute la tige dans la terre, non pas de planter profond, mais de coucher les plantes et les recouvrir de terre jusqu’au cœur; on laisse celui‑ci libre, à la surface du sol, on appuie légèrement sur la terre et on donne un bon arrosage. Cette plantation empêche d’être obligé d’abriller, car le cœur de la plante qui a toujours été à l’air, ne craint pas les rayons du soleil. 1894, Le Trifluvien, Trois-Rivières, 29 mai, p. [3].
En dessous d’une gazette qui abrillait le fond du tiroir, j’ai trouvé aussi des lettres amoureuses que j’écrivais à ma blonde de jadis, qui est ma légitime moitié aujourd’hui. 1919, La Patrie, Montréal, 17 mai, p. 17 (chron. humor.).
Chez nous, il y avait une cave en terre, pour fermer notre « steamcut » [= robinet] pour ne pas que l’eau gèle. Le lundi, on allait l’ouvrir. On abrillait ça avec de la paille de sarrazin [sic], du brin de scie et une boîte de bois pour ne pas que le « steamcut » gêle. 1975 env., J. Dorion, Les écoles de rang au Québec, 1979, p. 390 (témoignage d’une ex‑institutrice).
J’ai passé la fin de semaine chez nous tranquille. Plus ou moins tranquille, puisque je devais me préparer à « hiberner ». Ça veut dire monter le garage, abriller les arbres, couper ce qui reste des fleurs, etc. 1979, Le Soleil, Québec, 23 octobre, p. A10.
[…] outre le jeudi soir de l’ouverture du festival, le mauvais temps sporadique n’a entraîné que quelques retards ou suspensions momentanées des spectacles […]. « On abrillait le décor, puis on recommençait un peu plus tard », lance [le responsable des arts de la rue au festival], donnant en exemple la pièce M. de Pourceaugnac, aux Jardins de l’hôtel de ville, samedi soir. 1992, Le Soleil, Québec, 20 juillet, p. A3.
L’enquête de la SQ a permis de déterminer que le feu s’est déclaré de façon accidentelle dans l’entrepôt où sont remisées les couvertures de toiles servant à abrier les meubles au moment de leur livraison. Défectuosité du système de chauffage ou surchauffe des couvertures disposées près des plinthes, le feu a dû couver assez longtemps avant sa découverte. 1996, La Tribune, Sherbrooke, 4 janvier, p. B1.
Pour préparer les vivaces à affronter l’hiver, il s’agit de les couper à environ un pouce du sol. Il n’est pas nécessaire de les abriller. Les arbustes qui perdent leurs feuilles pourront être attachés, mais ne requièrent pas de toile. 1996, L’œil régional, Longueuil, 21 septembre, p. C4.
Chez les végétaux, il y a beaucoup d’appelés et peu d’élus. Les arbres n’échappent pas à cette règle. À ce titre, l’hiver est un rite de passage auquel peu d’entre eux survivre [sic] lors des premières années. Pour déjouer les plans de cette barbare sélection naturelle, vous devez protéger les arbres que vous avez plantés dans l’année pour leur éviter d’avoir les bourgeons gelés. Cette protection peut se faire de différentes manières : il existe, par exemple, des clôtures de bois ou des toiles de jute conçues spécialement pour abrier les jeunes arbres. 2021, Infodimanche (site Web), Rivière-du-Loup, 19 janvier.
Par ext., Rare Accommoder (un mets) en (le) couvrant d’une garniture.
On reviendrait à la maison avec une douzaine d’achigans… Ma femme les viderait, parce que moi, ça me fait lever le cœur… les tripes, les intestins… Pouah! […] Un coup nettoyés, tu prends tes poissons, tu les passes dans la farine, tu les abrilles avec de l’oignon pis du bacon... Tu fourres ça au four, pendant une heure... 1975, J. Barbeau, Une brosse, p. 27.
(Spécial.). VieuxAbrier le feu, le couvrir de cendre. (GPFC).
v. tr. (Parfois employé absol.). (Avec un sujet inanimé). S’étendre (sur qqch.), avec pour conséquence de cacher à la vue, de recouvrir.
(Absol.) Il me semble pourtant que nos lumières étaient bien placées, mais la goëlette roulait fort et la mer abrillait à tout moment [= cachait la vue en montant]; nous avions déjà perdu un homme et le capitaine était attaché à la roue. 1872, N. Legendre, Sabre et scalpel, Album de La Minerve, 1er août, p. 420.
La traversée a été absolument orageuse […] et pendant plusieurs heures les ponts supérieurs du « Virginian » furent continuellement abrillés par les vagues. 1907, La Presse, Montréal, 11 mars, p. 5.
[...] c’est monsieur Desrochers qui vient de sortir une minute pour aller ôter la neige qui est en train d’abrier son auto. 1938, A. Audet, Madeleine et Pierre, 1er décembre, p. 9 (radio).
Après ce qui est arrivé entre Miriam et lui, il n’y a plus droit [à l’attendrissement] et ne l’aura plus jamais. Pendant des années, il n’y a pas vraiment songé : trop loin en lui cela avait coulé et s’était glacé, de sorte que c’était devenu comme irréel, pareil à l’automne quand la brume monte du fleuve et abrille toute chose. 1987, V.‑L. Beaulieu, L’héritage, t. 1, p. 84.
Les feuilles de l’automne avaient commencé à abrier le sol d’une épaisse couverture tachetée de mille et une nuances de jaune, de rouge, d’orange et de brun, et parsemée de rares îlots encore visibles d’herbe jaunissante, depuis quelques semaines déjà. 2019, Société Radio-Canada, Ici Nouvelles (site Web), arts, 10 avril.
Toute la nuit le grand incendie a ravagé la forêt [/] Solidaire le ciel a déversé sa mousse d’extincteur [/] Elle abrille ce matin entièrement sol et arbres [/] Les branches se courbent sous cette blancheur salvatrice[.] 2021, Journal de rue de l’Estrie, vol. 18, no 6, p. 15.
v. tr. Couvrir, envelopper (une personne, un animal, une partie du corps) d’une couverture, d’un drap, etc.
Abrier un enfant.
v. pron.
S’abrier jusqu’au cou, par‑dessus la tête. S’abrier les genoux, les pieds.
2022, TLFQ, S'abrier d'une couverture [vidéo].Le prisonnier n’était pas alors fou, il avait à ce qu’il m’a paru tout son bon sens […]. Ce matin, le prisonnier m’a dit en lui demandant un châle pour abrier ses enfants, de m’en aller et que s’il avait une hache, il me fendrait la tête. 1861, Le Franco-Canadien, Saint-Jean-d’Iberville, 6 septembre, p. [2].
Quand les enfants passaient près du lit ou qu’ils faisaient du bruit c’était dans ce temps là qu’il était plus agité et qu’il serrait les mâchoires de même. En passant près de son lit je lui ai abrillé les pieds et il m’a dit : [«] lâche moi tu me fais mal. » 1867, La Gazette de Joliette, 25 avril, p. [2].
Il [Cléophas] passa à la bonne femme une vingtaine de piastres en accompte [sic] de sa pension et après avoir réveillonné avec une tranche de tourquière froide, il alla se coucher sur le banc lit au fond de la salle. Les vieux coussins de la voiture de nuit du père Sansfaçon lui servirent d’oreiller et il s’abrilla avec une vieille peau de cariole [sic]. 1880, H. Berthelot, Les mystères de Montréal, Le Vrai Canard, Montréal, 10 juillet, p. 2.
Quand l’insomnie vous tient éveillé [/] Essayez d’ouvrir grande la fenêtre, [/] Puis chaudement veuillez vous « abriller ». [/] Le grand air vous remplira de bien‑être. 1951, L’Union des Cantons de l’Est, 14 juin, p. 14 (annonce).
[Q : Les lits étaient faits comment [dans les chantiers forestiers]?] On appelait ça des beds. C’était une charpente qu’on se faisait en bois, là, à deux étages […] et puis, on mettait une planche en bois tout le tour, là, fendue en deux pour tenir le sapin, puis là, on se passait les branches de sapin, et puis, on mettait ça là-dessus, et puis, on avait chacun une couverte, qu’ils nous donnaient pour s’abrier. 1975, Québec, AFEUL, J. Dufresne 4394 (âge de l’informateur : n. d.).
Geneviève est bien au chaud. Elle se berce le ventre tendrement, sans un cri. J’en profite pour lui ajouter une couverte sur les pieds et l’abriller jusqu’au cou. 1976, J. Garneau, La Mornifle, p. 55.
Par ailleurs, malgré la rigueur du climat, les voitures traditionnelles d’hiver sont largement ouvertes. […] De toutes manières, dans une carriole, on ne gèle pas nécessairement. La plupart du temps, on « s’abrie » avec une « robe », soit une peau d’ours, d’orignal, de bison ou de mouton, « qui couvre les jambes et les pieds de telle manière qu’on peut voyager sans souffrir du froid ». 1986, J. Provencher, C’était l’hiver, p. 184‑185.
Tiens, l’automne, d’abord! Cette fraîcheur nouvelle qui commence à tempérer nos ardeurs de l’été, ce nouveau crépuscule qui commence à nous effleurer déjà, à l’heure du premier « Téléjournal », me semble qu’on se calme, on est plus souvent à la maison, il y a de l’odeur de bouilli aux légumes dans l’air, de flannelette dans le lit, on s’abrille la nuit, on se colle plus, on baisse le ton; on chuchote. Ne trouvez-vous pas que l’automne est une saison qui porte aux confidences? 1993, Le Devoir, Montréal, 25 septembre, p. B13.
(En parlant d’un animal). Il descendit de voiture, se rendit la flatter [la jument] sur un larmier, entre les yeux, frotter le remoulin, lui parler : – Tranquille, la Tannante, je vas t’abrier comme il faut pis t’apporter à manger, ça sera pas long... [/] Il lui étendit ensuite la couverte sur le dos puis, par‑dessus, il mit la peau de carriole. 1994, A. Mathieu, Aurore l’enfant martyre, p. 34.
Pendant ce temps, un foulard aux couleurs chaudes surfe le vent jusqu’à Patrick qui l’attrape d’un geste rapide. Une dame au visage rieur accourt vers lui. L’écharpe mal nouée a profité d’un vent favorable à leur rencontre inopinée. – J’vous r’marcie tellement d’avoir happé mon foulard. J’espère pas vous bâdrer! Si j’aurais su qu’y allait venter autant, j’m’aurais mieux abriée. Y fait frette icitte su’ l’fleuve. – Mais non, voyons! s’égaye Patrick au son de son accent si particulier. 2019, M. Lesage, Fleuve en colère, p. 33.
« Quand j’ai commencé, j’ai été frappée de voir tout le personnel travailler ensemble, l’attention portée à l’autre dans tous les petits soins, la chaleur qui s’y dégage. C’est du cœur à cœur ». C’est d’ailleurs l’une des raisons pour lesquelles elle aime autant s’impliquer […]. « Je vais toujours garder en tête cette infirmière que j’ai vue prendre le temps de bien placer la jaquette de la dame, de l’abrier avec douceur, amour et tendresse. C’est tellement beau ce qui se passe ici », confie [une bénévole]. 2020, L’Hebdo journal.com, Trois-Rivières, 23 décembre, p. 3.
Litt.
Soir paisible, qui viens au bord du firmament [/] Avec des gestes doux et chers infiniment, [/] Pour abriller le jour de ton manteau d’ébène, [/] Sois béni de la joie et du chaste repos [...]. 1941, L’Avenir du Nord, Saint-Jérôme, 3 octobre, p. 3.
Il s’endort. Un bras autour de l’oreiller, comme si l’oreiller blotti près de son cou, c’était quelqu’un. Le souvenir de ce qu’il est s’estompe. Il n’a plus de mémoire. La nuit, encore une fois, va l’abrier de sa tendresse. 1966, A. Maillet, Nouvelles montréalaises, p. 46.
J’ai inventé une chanson pour mon ange gardien en prenant mon bain à Los Angeles. J’espère bien qu’il va m’abriller dans ses ailes, mon ange gardien, si l’avion dans lequel je m’apprête à monter fait mine de crasher en ce beau treize août très doux. 1980, Y. Villemaire, La vie en prose, p. 27.
Mon cellulaire résonne dans la maison, je cours pour répondre à ce que j’espère être mon vieux père. Coïncidence c’est Réjean qui m’exprime son étonnante inquiétude face à notre paternel qui ne répond pas. Le son de sa voix exprime sa tristesse et le même désarroi qui m’habite. […] La famille angoisse et la vie nous abrille avec la même courtepointe de désarroi. 2020, Le Nord (site Web), Saint-Sauveur, 15 avril.
Fig., vieux v. tr. Couvrir d’injures. (GPFC : Tu as voulu l’attaquer, mais tu t’es fait abrier en grand = tu t’es fait arranger de la belle manière.).
v. pron. et tr. VieilliS’habiller, s’emmitoufler; habiller (qqn).
Le prince voit la jeune fille et lui demande : « Qu’est‑ce que tu fais là? » Elle lui dit : « N’approchez pas. Je n’ai presque pas de linge sur mon dos. [...] – Je vais t’envoyer ma blouse. Abrie‑toi comme il faut et je viendrai te chercher. » 1947 env., Sainte-Brigitte-de-Laval (Montmorency 1), sœur Marie‑Ursule, Civilisation traditionnelle des Lavalois, 1951, p. 240.
L’autobus a repris de la vitesse. J’ai fermé les yeux [et j’ai écouté les conversations]. « Ça l’air frette en baptême, r’garde‑moi ça, Germaine, comment l’monde s’abriye [sic]! Tu trouves pas que l’temps s’morpionne depuis trois ou quatre ans? On s’comprend p’us. » 1976, J. Brossard, Le sang du souvenir, p. 22.
– C’est une très bonne idée. […] Donc c’est décidé, vous irez pêcher tous les cinq. […] Vous avez intérêt à m’attraper pas mal de poissons pour la friture du soir, vous autres! [/] C’est tout excitée que Juliette monta dans la voiture d’Edouard, le dimanche matin. Léon avait tenté de l’en dissuader en lui expliquant qu’il faudrait partir de bonne heure pour rejoindre le lac Swan. Ce n’était pas une heure pour qu’une femme et une enfant se lèvent. Mais, à cinq heures, Juliette l’attendait de pied ferme dans la cuisine. « Abrillez-vous chaudement », avait conseillé Gabrielle. 2019, M.‑F. Desmaray, Les amants de la Rivière-Rouge, chap. 48, s. p.
Fig.
v. tr. Protéger, défendre, excuser (qqn) en le couvrant de son autorité, de son influence.
Une mère qui abrie ses enfants.
v. pron. S’abrier (derrière qqn, qqch.) : se protéger, se défendre, s’excuser en se dissimulant (derrière qqn, qqch.).
À M. Emond, qui lui demandait s’il y avait eu des plans de préparés pour le pavage et l’élargissement de la rue St‑Vallier, le maire répondit dans l’affirmative, ce qui fit déclarer à l’échevin Emond qu’il n’était pas prêt à accepter les explications du maire, l’échevin Emond ajoutant : « Vous n’êtes pas sincère, monsieur le maire, quand vous dites qu’il y a eu probablement erreur du contremaître; vous avez quelqu’un à ‘abriller’ ». 1931, Le Soleil, Québec, 29 août, p. 28.
Le débat prit fin par une altercation entre MM. Boucher et Blais. M. Boucher accusa M. Blais de vouloir « s’abriller avec les ouvriers ». 1951, Le Soleil, Québec, 25 avril, p. [1].
Séraphin : Quand on sait qu’i a brossé avec Pit, qui l’a entraîné dans les auberges... Donalda : C’est ben mon idée que ton ami Pit connaît le chemin. Essaye pas de l’abriller. 1954, Cl.‑H. Grignon, Un homme et son péché, 31 août, p. 1‑2 (radio).
Gill – Ai‑je tort de croire que vous ayiez [sic] pu manquer, à l’endroit de mademoiselle, du respect élémentaire... [/] Hilaire, insinuant – « Qu’est-ce qu’elle est pour toi, Joseph? » [/] Gill, d’un calme de mauvais augure – Auriez-vous l’obligeance de quitter ce bureau, monsieur. [.../] Hilaire, subrepticement – Quand l’patron passe par‑dessus l’chef de service pour abriller une p’tite jeune. 1969, G. Dufresne, Cap-aux-Sorciers, p. 129‑130.
Gabrielle – Je vais crier, Fernand! Fernand – Tu vas crier après qui? Après le pére? Envoye donc! Lucie – Abrille‑toi derrière lui comme d’habitude, envoye! 1969, G. Dufresne, Le cri de l’engoulevent, p. 45.
Cette dernière question a été posée à Irving Grundman [...], [et] le plus étrange, il s’est permis d’abriller et de couver ses joueurs [de hockey]. [...] Claude Ruel, pour sa part, n’a pas protégé l’équipe comme l’a fait un Grundman beaucoup trop diplomate mais il n’a guère été méchant non plus. 1979, Le Soleil, Québec, 17 décembre, p. B3.
Comme les éléments à examiner ne font pas partie de la preuve présentée devant les tribunaux, M. Dumont estime que le gouvernement ne peut refuser d’en discuter. « Jamais il n’a été dit que, quand une partie d’une affaire est devant les tribunaux, le gouvernement peut s’abrier derrière ça pour ne plus parler de l’ensemble de la situation », affirme‑t‑il. 2003, Le Soleil, Québec, 6 novembre, p. A3.
J’ai présenté mon projet au maire […]. Mais il a décidé seul de ne rien faire. J’ai la confirmation qu’il n’a jamais consulté les deux organismes. S’abrier derrière d’autres, c’est de l’hypocrisie. 2007, Le Soleil, Québec, 9 janvier, p. A2.
[Un chauffeur de taxi], qui avait M. Harding pour client une ou deux fois par semaine, a déclaré qu’il faudra attendre les résultats des enquêtes de la Sûreté du Québec et du Bureau de la sécurité dans les transports. « Je ne veux pas le couvrir, je ne veux pas l’abrier, mais je ne veux pas le crucifier non plus tout de suite, a‑t‑il dit. Tout ce que je peux dire, c’est qu’il m’apparaissait comme un chic type. » 2013, La Tribune, Sherbrooke, 12 juillet, p. 4.
v. tr. (Parfois employé absol.). Dissimuler, étouffer (qqch.), empêcher qu’on prenne connaissance (de qqch.).
Abrier une affaire. Abrier une réalité, une vérité. Abrier un problème, un scandale.
Les magistrats dans cet endroit ont‑ils fait leur devoir? Quelle a été l’enquête du coronaire [sic]? – ou cet horrible meurtre [a]‑t‑il été abrillé par les conservateurs, comme de coutume? La victime infortunée [de] la fureur orangiste a été ensevelie lundi dernier. 1841, Le Canadien, Québec, 14 juillet, p. 2.
Embarque ton butin, « strappe » la valise et reviens‑t‑en. Besoin de toi immédiatement. Faut que tu « abrilles » un peu l’affaire du Loop-Line à Trois-Rivières. 1879, Le Canard, Montréal, 24 mai, p. 2‑3.
Les échevins, qui ne pourront se réunir que demain après-midi, le savent et c’est pour cette raison qu’ils se voient si tristement le bec à l’eau. Ne voulant pas paraître trop joués, ils font mine de soumettre quelques suggestions pour abriller leur défaite. Mais il est de plus évident que leur rôle dans la comédie municipale est tout simplement un rôle de figurant. 1916, Le Devoir, Montréal, 26 décembre, p. 8.
Il raconta ce qu’il savait, la brutalité d’Ovila plus jeune vis-à-vis de ses deux sœurs, l’attentat sur Ghyslaine, le guet-apens préparé contre Jean Roy. – Vous n’avez jamais pris aucune mesure! – Non, à cause de ma femme; elle ignore même une foule de choses... Et s’il y avait moyen d’abrier cette dernière affaire, je... 1924, H. Bernard, L’homme tombé..., p. 135.
On fait les fiers... Oui! on abrille [/] Notr’ pein’ derrièr’ des airs moqueurs, [/] Mais s’empêch’ pas qu’sous nos guenilles [/] Nous ’autr’s aussi, on ’n’a un cœur. 1932, J. Narrache, Le Journal de Waterloo, 2 décembre, p. 7.
Porter le toupet long [/] Pour abriller la peur [/] qui rit sur mon front […]. 1971, La Presse, Montréal, 3 juillet, p. D2.
Quand un gouvarnement stromppe à une plasse, le meilleur moyen dl’abriller çé de stromper ailleurs... Pis là, ben ça devient une politique han? 1979, J.‑Cl. Germain, L’école des rêves, p. 38.
L’Irangate est pire et de loin, que le Watergate. La moche histoire de cambriolage par des hommes de mains pas assez futés pour échapper à un gardien de sécurité et celle des hommes du président Nixon qui ont abrillé cette opération stupide, sont insignifiantes en regard du transfert aux contras du Nicaragua des profits de la vente d’armes à l’Iran. 1987, La Tribune, Sherbrooke, 18 juillet, p. B2.
Et les gouvernements suivent en proposant des mesures bidons pour satisfaire la poignée de criards. On ferme les yeux, on abrille, un peu comme le hockey professionnel en matière de violence. On lésine, on s’en remet aux fédérations nationales et on sauve la face en criant : « Attention! La deuxième fois, il n’y aura pas de pardon! » 1988, La Presse, Montréal, 28 septembre, p. 7 (cahier des sports).
Pourquoi le ministre s’est‑il trompé? Pour une raison très simple. Sur le plan politique, un ministre des Finances a tout à fait intérêt à alléger le fardeau des classes moyennes, dont la grogne est palpable. Mais parce qu’ils sont nombreux et qu’ils sont la vache à lait, cela coûte très cher d’alléger leur fardeau fiscal. Or, le gouvernement n’a pas d’argent. La solution? Surtout alléger le fardeau des contribuables moins bien nantis, ce qui coûte beaucoup moins cher, et abriller le tout pour faire croire aux membres de la classe moyenne qu’ils sont gagnants avec la réforme. 1997, A. Dubuc, La Presse, Montréal, 27 mars, p. B2.
Quand ils nous disent qu’il n’y a pas de besoin pour un second navire ravitailleur, c’est de la foutaise! Historiquement, la marine a toujours eu deux navires ravitailleurs [...][.] La ministre des Approvisionnements est briefée par des fonctionnaires (pour ses réponses en chambre). Des fonctionnaires qui sont en train d’abriller ce qui va possiblement devenir un grand scandale à Ottawa. 2017, Le Journal de Lévis, 29 novembre, p. 6.
La solitude s’est aussi installée autour d’eux à mesure que les amis se faisaient de plus en plus rares en raison des comportements erratiques de l’homme. « Les enfants avaient quitté la maison et n’avaient pas vraiment conscience de ce qui arrivait. Quand ils étaient là, je m’efforçais d’abriller la réalité pour montrer qu’on menait une vie normale. » 2018, Le Journal de Québec, 23 décembre, p. 28.
Adolescent, il obtient la permission du directeur d’aller souper chez elle le dimanche soir. Car, contrairement à son frère Paul, qui est plus turbulent et dont il s’efforce parfois d’abrier ou de couvrir les frasques, Marcel est studieux et bon élève, même si un peu bavard. 2019, L. Côté, Parcours d’un baby-boomer québécois du millésime 1949, p. 20.
RarePrésenter qqch. en enrobant, en atténuant, de manière à adoucir, à mieux faire passer.
[...] je pense que ce serait encore papa qui serait le pire, parce que pour les histoires scrupuleuses [...], il abrille ses mots. 1971, Montréal, Corpus Sankoff-Cedergren 119‑296.
Rodgers croit que les huées n’ont pas coulé sur le dos de Burke comme des gouttes d’eau sur celui d’un canard : « Ça l’a ennuyé, c’est sûr », affirme le gérant [d’une équipe de baseball]. – Cout’donc, Tim, t’aimerais pas ça que le monde te donne une petite chance cette année? – Oh, je n’ai pas vraiment d’attentes à ce sujet‑là, a‑t‑il menti. […] Mais si je lance aussi bien qu’en fin de saison, c’est sûr que j’aimerais avoir des fans qui m’aiment », a‑t‑il fini par admettre. Mais il a vite abrillé cet aveu : « Mais ce sont eux qui paient, n’est‑ce‑pas? » 1991, La Presse, Montréal, 10 mars, p. S7.
« […] La mentalité d’ici est différente. Et les filles, c’est différent aussi; elles ont d’autres problèmes que les gars... » [Ce] père de deux filles […] ne s’expliquera malheureusement pas davantage là‑dessus. Il a abrillé le tout en ajoutant : « Mais leurs résultats ne sont pas différents de ceux des gars ». 1997, La Presse, Montréal, 8 décembre, p. S10.
Histoire
Attesté en français dès le XIe siècle au sens de « protéger, garantir », abrier est le verbe dont est dérivé le substantif abri, lequel a par la suite donné abriter (verbe attesté de façon isolée au XVe siècle, mais qui n’est entré véritablement dans la langue qu’au XVIIIe siècle; v. TLF, s.v. abrier et abriter). Abrier est issu du bas latin apricare, du latin classique apricari « se chauffer au soleil », la notion de « chauffer au soleil » étant liée à celle de « protection contre le vent, le froid, les intempéries » (v. TLF, s.v. abrier). Courant en ancien et en moyen français, il commence à sortir de l’usage à partir du XVIe siècle; Furetière 1690 le qualifie de « Vieux mot qui signifie, Proteger, deffendre » (cité dans TLF et Blais, Québec français, printemps 2008, p. 112). En 1739, Pierre Coste, éditeur des Essais de Montaigne, en fait tout de même l’apologie : « Abri est encore en usage. Pourquoy perdre abrier qui en vient naturellement, & dont le son est très-agréable? » (Montaigne, Essais, t. 1, p. 168, note 13) (aussi cité dans Trévoux 1752 et dans TLF). Peu à peu écarté de l’usage courant par abriter et la locution mettre à l’abri, mais aussi par couvrir et recouvrir, d’acception plus large, il perdure cependant dans des acceptions techniques jusqu’au XIXe siècle (Boiste 1808 l’enregistre au sens de « protéger » et en tant que terme de botanique), voire jusqu’au XXe siècle (v. TLF). Au Québec et dans le reste de l’Amérique du Nord francophone, abrier est cependant demeuré d’usage courant, concurremment avec abriter, les deux mots ne recouvrant pas tout à fait les mêmes emplois (le premier ayant pour sens général « couvrir » ou « recouvrir » et le second, « mettre à l’abri »; v. Blais, ibid., p. 112‑113). Le mot serait encore usité dans l’Ouest de la France (v. Robert (en ligne) 2023‑02).
IDepuis 1635 (mais dès 1609, pour le dérivé abrié). Héritage de France. Cet emploi a eu cours en français du XIIIe jusqu’au XVIIe s., époque où son concurrent abriter l’a supplanté; il a été relevé dans les parlers du Nord, du Nord-Ouest, de l’Ouest et du Centre de la France (v. FEW apricare 25, 55b‑56a). Il est aussi attesté en Ontario et au Manitoba (v. BénMots et GabMan), de même qu’en Acadie et en Louisiane, où l’emploi pronominal est aussi relevé (v. CormAcad et DLF). Besch 1847 écrit : « Ce verbe est perdu pour nous; nous l’avons remplacé par abriter, que ne connaissaient point nos pères, et qui est plus dur en même temps qu’il dérive moins naturellement d’abri. En beaucoup de provinces, surtout en Normandie, on dit encore vulgairement [...] s’abrier pour se mettre à couvert. » V. enfin TLF : « Le mot dans ce sens n’est plus usité au XXe s., excepté comme régionalisme ou comme mot de pat[ois] ». L’emploi pronominal est attesté en français des XIVe et XVIe s., de même que dans les parlers manceau, poitevin, tourangeau et bourguignon (v. Godefroy, et FEW id., 56b).
II1Depuis 1634. Cet emploi est attesté en français depuis le XIIIe s., mais il n’y survit essentiellement, aux XVIIIe et XIXe s., que comme terme d’horticulture au sens de « protéger (en les couvrant) des couches, des plantes, etc. » (v. FEW apricare 25, 56a); cet emploi technique est lui-même considéré comme vieux de nos jours (v. GLLF et TLF). Il demeure en usage en Louisiane et en Acadie (v. CormAcad et DLF). La plupart des parlers de France attestent le sens de « couvrir » (v. FEW id.). Abrier le feu, depuis 1930. A été relevé en Saintonge et en Touraine (v. JônSaint et TLF). 2Depuis 1872. Découle du sens II.1; cet emploi n’a pas été signalé comme tel en français européen. 3Depuis 1861; mais peut-être dès 1810, dans un relevé où le mot n’est pas défini (v. VigerBlais 245). Dans cet emploi, le mot est bien attesté chez Montaigne, au XVIe s. (v. Huguet). On l’a relevé également en Saintonge et en Anjou (v. JônSaint : Abrier in malade; VerrAnj : Mouman, vins don’ m’abrier); toutefois, il a sans doute été plus répandu dans les parlers de France que ne l’attestent les glossaires, lesquels n’ont pas défini le mot avec précision. Cet emploi a par ailleurs été relevé en Acadie (v. CormAcad et PoirAc 118) et en Louisiane (v. DLF). Abrier « couvrir d’injures », depuis 1905 (d’après FSPFC). 4Depuis 1905 (d’après FSPFC). Dans cet emploi, le mot a été signalé dans des parlers de la Normandie, du Maine et de la Gascogne (v. FEW apricare 25, 56a), de même qu’en Ontario (v. BénMots), en Acadie (v. PoirAc 118) et en Louisiane (v. DLF).
III1Depuis 1902 (BPFC 1/2, p. 29). Cet emploi a également été relevé en Acadie (v. Poirier); il pourrait s’agir d’une évolution propre au français nord-américain. 2Depuis 1841. Paraît découler d’une évolution propre au français du Québec.