ABRIÉ, ABRIÉE ou
ABRILLÉ, ABRILLÉE [abʀije]
adj.
VieilliQui est à couvert, qui est protégé (contre le vent, la pluie, les éléments).
Car encore ne jugeoit‑on point bonne l’habitation du Port Royal : & toutefois il est hautement abrié de la part du Nort & Noroest de montagnes éloignées tantot d’une lieuë, tantot de demie, du Port & de la riviere de l’Equille. 1609, M. Lescarbot, Histoire de la Nouvelle France, p. 539.
La place nette, & faite en rond ordinairement, on fait du feu tout au bien milieu, & tous les hostes s’assient à l’entour, estans abriez par le dos d’une muraille de neige, ayans le Ciel pour couverture de la maison. 1634, The Jesuit Relations and Allied Documents, vol. 5, p. 164.
Le vingt-septiéme au matin on fit voille au Nord‑oüest par un vent de Sud‑oüest, qui se changea le soir en un petit vent alizé de Sud‑Est à la faveur duquel nous arrivâmes le mesme jour à Missilimakinac, où l’on moüila à six brasses d’eau dans une Anse, où il y avoit bon fond de terre glaise : cet Anse est abriée du Sud‑oüest, jusques au Nort [...]. 1683, L. Hennepin, Description de la Louisiane, 1re partie, p. 59.
Les maisons et les granges des Canadiens sont bien bâties, et parfaitement abriées contre la sévérité de leurs saisons. 1829, La Bibliothèque canadienne, mai, p. 222.
Le blé d’automne est plus sujet aux maladies que le blé d’été. Dans des terres neuves et bien abriées le blé d’hiver pourra peut-être réussir dans le Bas‑Canada, mais dans des saisons humides de telles terres produisent des maladies. Pour semer du blé d’hiver la méthode la plus sûre c’est de le faire dans le mois d’août, de l’enterrer, mais pas trop, et dans un petit sillon, en planches de la largeur de 8 à 9 pieds, qui sont bien égoutées, &c. 1837, W. Evans, Traité théorique et pratique de l’agriculture, p. 196‑197.
Mais pour le Haïtien expulsé de l’enfer glacial du Canada, Haïti est un cauchemar. Occupant le tiers de l’île qu’elle partage avec Saint-Domingue, la République d’Haïti s’accommode au départ d’une géographie difficile qui conditionne toute son existence […]. Pour l’expulsé, les plaines, le littoral et les collines abrillés d’une luxuriante végétation n’offrent aucune « garantie » de sécurité et de vie normales. 1974, La Presse, Montréal, 11 décembre, p. A1.
(En parlant d’une chose). Qui est recouvert de qqch. qui protège, dissimule, etc.
Le piano était là, rien dessus; il y avait une vitrine d’argenterie pas abriée; il y avait un habillement de monsieur Paquet qui était sur le plancher par terre, il n’y avait rien d’abrié et rien de serré. 1913, Québec, BAnQ, Cour d’appel (Québec), cause no 28 (1915), factum de l’appelant, p. 27.
Lorsque je viens pour dire à mon père de continuer son récit, il tourne la tête vers moi, esquisse un petit sourire et reprend : – Les seuls moments de beauté que nous avions, c’était quand la nuit arrivait. Mathilde et moi, nous dormions dans cette petite chambre où l’on remisait les barils de biscuits, les sacs de farine et de sucre. Dans le garde-robe, les tomates, abriées dans de vieilles chaussettes de laine, mûrissaient lentement. 1996, V.‑L. Beaulieu, Le grand coffre de matelot, Le Devoir, Montréal, 23 juillet, p. A8.
Que ne suis‑je affublé d’une bosse sur l’omoplate, d’un grand pied bot, d’un œil abrié d’une paupière de cochon, de scrofules, de verrues, ou encore d’un grouin de goret à trois narines, comme Quasimodo? 1999, R. Lalonde, Le Devoir, Montréal, 17 avril, p. D6.
Quand les feuilles sont ramassées, quand les meubles de jardin sont remisés, quand les arbustes sont abriés et quand les enfants ont fêté l’Halloween, nous n’avons qu’une envie : qu’il tombe de la neige. Et que commence enfin ce grand cadeau du bon Dieu aux Québécois : un bel hiver! 2009, Le Soleil, Québec, 25 octobre, p. 37.
Sis, flegmatiques, en retrait du rocher dérobé par l’imposante falaise, les bâtiments aux toits émeraude et aux murs anthracite narguent le vent du large. Le pavillon de l’auberge et les trois bicoques sont abrillés d’une neige lourde mais apaisante. Le temps semble figé, l’équilibre abouti. 2019, Tour du Québec, été, p. 111.
(En parlant d’un animé, d’une partie du corps). Qui est couvert, protégé par une couverture, un drap, etc.
O cheminée, que tu nous en donnais de ces peurs! Nos yeux étaient ronds comme des piastres, et fixés sur ton cœur noir, de peur qu’il n’y apparût quelque chose d’affreux, pendant qu’ils se tourneraient ailleurs. Puis la souleur [= peur] nous accompagnait jusqu’au fond du lit, et quoique raccotillés [= recroquevillés] et abriés par dessus la tête, nous ne pouvions nous croire en sûreté que tout près du lit maternel. Et encore, avant de dormir, fallait‑il risquer un coup d’œil pour se rassurer. 1871, Le Franc-Parleur, Montréal, 26 janvier, p. 198.
[…] en date du trente Juillet dernier, nous sommes transportés au domicile de Joseph Laramée, cultivateur, […] aux fins de procéder à l’examen du dit Joseph Dufaux fils, où, là, et alors, étant, nous avons trouvé le dit Joseph Dufaux fils, couché dans un lit et abrillé de couvertures. 1873, La Revue légale, vol. 7, 1875, p. 482.
C’est maman qui ne voulait pas que je descendisse du grenier. Je ne mangeais que des patates et de la galette sèche, tandis que les autres enfants mangeait [sic] de la viande. Je couchais par terre, abrillée avec un capot. Maman ne voulait pas que je me servisse des poches qui étaient sur le plancher, pour m’abriller. 1897, La Presse, Montréal, 13 octobre, p. 7.
[…] mès j’t’assure qui ai resté frette le Coc et quil a chengai de discour quen il ma vu le dimenche aveque ma pouliche brène à la porte déglise, ma cariolle varni en rouge, pi la p’tite tibo, mon épou daujourdui a coté de moé ben abrillé den le basflo [= buffalo « peau de bison »] flinbin neu oscie. 1912, Lortograffe à l’Akadémy du Docteur Chokette, Le Canard, Montréal, 29 décembre, p. 5.
– […] J’vas me reposer quelques jours, pis après ça, je serai correct. Je me sens un p’tit brin mieux. Ça commence à chauffer en dedans. – Es‑tu bien abrillé? As‑tu assez de couvertes? – Oui, ça va faire comme ça. – Essaye de dormir, moé j’vas entretenir le feu. 1933, U. Paquin, Le paria, p. 99.
Ce soir là [sic], abrié jusqu’au cou, le cœur battant comme une horloge, je mis un temps fou à m’endormir. 1975, J.‑P. Filion, Saint‑André Avellin... le premier côté du monde, p. 22.
Au plus tard en soirée, on commence à danser. Mais les enfants les plus jeunes se mettent à rechigner. Il sera bientôt 10 heures; il faut penser à rentrer. Le signal est donné quand les hommes partent atteler les chevaux. Petit à petit, la maison se vide. Chaque traîneau s’amène près de la porte. La mère et les enfants y prennent place, « abriés » d’une « couverte » ou d’une « robe de carriole ». Un dernier bonsoir à la maisonnée, un coup de fouet au cheval et voilà les traîneaux disparus dans la nuit. Un autre jour de l’An s’achève. Grand’père « barre » la porte avec un « coin » de bois, place une bûche dans le poêle, souffle les bougies, éteint la lampe et gagne finalement sa couche dans le silence retrouvé. 1986, J. Provencher, C’était l’hiver : la vie rurale traditionnelle dans la vallée du Saint‑Laurent, p. 107‑108.
Le réflexe étant toujours le même (Quand ça va mal, c’est à cause du fou!), le curé organisa une délégation pour aller brasser Babine et lui demander de nous débarrasser de la bête. Sous les invectives, le fou refusa. – Pas de magie, plus jamais de magie… – On va te la stimuler, la magie, mon homme! Après avoir cotisé chacun, ils achetèrent trois-quatre gallons de peinture sanguine qu’ils appliquèrent sur la cabane à Babine. L’effet fut immédiat. Pendant les jours qui suivirent, l’assaut n’eut de cornes et d’yeux que pour la maison du fou. Puis lui, de son côté de la médaille, pris de peur, il se terrait dans son lit sans savoir quoi faire. Enroulé dans sa seule couverture, abrillé par-dessus la bosse, il espérait que le taureau se trouve meilleure cible. 2003, F. Pellerin, Il faut prendre le taureau par les contes!, p. 41‑42.
Un matin du mois des morts, le complet bleu du rejeton débarque de sa voiture, cellulaire et bouquet de fleurs à la main. Impatient de lui apprendre la bonne nouvelle, il tourne la poignée du 306 et fait entendre sa présence par sa grosse voix. Aucune réponse. Un coup d’œil jeté à la salle de bain, sur le lit, et termine sa course vers la chaise qui donne face au jardin. Il y trouve sa mère, abriée de sa couverture, le corps refroidi. Enfin, Léone est partie pour un autre meilleur monde. 2012, A. Simoneau, La solitude de Léone, Journal Le Courrier, Sainte‑Thérèse, 16 mai, p. 4.
C’est certain qu’on n’aime pas ça voir la misère. On tourne facilement le regard quand un « squeegie » s’approche de notre voiture (chauffée) pour laver notre vitre. On est prompt à répondre aux quêteux qu’on n’a pas de change. Pendant ce temps‑là, combien d’hommes et de femmes vont passer la nuit dans une boîte de carton abriés avec la gazette d’hier? 2019, Le Journal de Québec, 20 janvier, p. 10.
Fig.
RareQui est protégé, caché, mis à l’abri (de critiques, du regard public, etc.).
Le discours du premier ministre en cette seconde journée met tout l’accent […] sur la nécessité d’assurer la défense du Canada. […] M. King se pose en « homme du juste milieu » entre ceux qui veulent tout garder […] et ceux qui ne veulent rien garder pour la défense du pays. […] Ainsi bien abrillé, le premier ministre peut se permettre d’annoncer ce qu’il propose enfin pour la défense du Canada. 1942, L’Action nationale, avril, p. 177‑178.
Plusieurs juges ont déjà entendu l’histoire dans ses grandes lignes, mais jusqu’ici tous les éléments de preuve étaient abrillés d’une ordonnance de non‑publication. 2017, Le Soleil, Québec, 4 octobre, p. 17.
Conflits d’intérêts abriés à la Caisse de dépôt [titre] […] La Caisse de dépôt et placement du Québec a prêté près de 21 millions $ à un centre commercial de Terrebonne dans lequel un de ses hauts dirigeants possédait des intérêts financiers. Et lorsqu’elle a mis fin à ce conflit d’intérêts, en pleine crise médiatique, elle a abrié l’affaire. 2022, Le Journal de Montréal, 12 avril, p. 5.
(En parlant d’une réalité abstraite). Qui est recouvert de, enrobé dans qqch. qui en dissimule la vraie nature, qui en adoucit le caractère.
Les minutes tournent en rond sur le cadran [...] j’endosse mon manteau à cause de la première neige me voilà on dirait pris dans une souffleuse en train de me déchiqueter vivant des idées morbides quand même curieux comme la neige peut masquer la ville je veux dire toute la saleté est abrillée d’une propreté d’apparat. 1975, M. Bolduc, Les images de la mer, p. 99.
L’accueil à la loi 101 serait plus chaleureux si M. Laurin n’avait pas enfermé dans le camp des traîtres tous ceux qui conformément aux usages d’un pays démocratique ont osé formuler des recommandations. Par ailleurs, le refus d’admettre les Canadiens des autres provinces à l’école anglaise, refus « abrillé » habilement dans l’offre de réciprocité, ne témoigne pas d’une grande générosité ni d’une largeur de vues […]. 1977, La Tribune, Sherbrooke, 27 août, p. 4.
Bien sûr qu’il y a un mode de vie à respecter chez les Pèlerins de Saint‑Michel, qu’on y prie beaucoup et que, en paroles ou par écrit, on prêche l’Évangile et la pratique de ses enseignements. […] S’agit‑il pour autant d’une institution religieuse? Pas sûr. Bien qu’il ne prenne pas beaucoup chez nous, le discours est éminemment politique et économique et, aussi, assez insistant. Tellement que les élus de Rougemont ont de bonnes raisons d’y voir « un institut politique ‛abrillé’ avec des chapelets ». 1993, La Voix de l’Est, Granby, 6 mars, p. 12.
[…] Télé‑Québec prend le pari de présenter une émission hebdomadaire qui reflétera les différentes réalités des régions. [L’émission] se promet de rapporter avec justesse ce qui se passe aux quatre coins de la province, selon des thèmes variés. […] « Nos réalisateurs sont des maîtres de l’image et ils auront beaucoup de marge de manœuvre. Ce ne sera pas de la radio abrillée », assure [l’animatrice], qui invite les gens à lui soumettre des sujets ou des personnes intéressantes […]. 2008, Le Quotidien, Saguenay, 3 juin, p. 17.
Les étudiants feront du bruit, comme ils ont commencé à le faire hier, quittant collèges et universités pour le brouhaha de la rue. Afin de protester contre la hausse fulgurante des droits de scolarité que Québec leur refile, faussement abriée d’un consensus social, ils n’ont d’autre choix que de faire du bruit. Ils auront toutefois besoin que la clameur soit nourrie par d’autres voix que les leurs. 2011, Le Devoir, Montréal, 1er avril, p. A8.
M. Lapierre est pour sa part d’avis que le premier ministre […] pourra difficilement se défiler entièrement des « chicanes constitutionnelles ». « Là, ce n’est plus seulement le PQ qui picosse, mais bien le gouvernement du Québec, élu légitimement et qui en plus fera des demandes ‛abriées’ dans des motions unanimes de l’Assemblée nationale », fait‑il valoir. 2012, Le Journal de Montréal, 15 septembre, p. 16.
Histoire
I1Depuis 1609. Dans cet emploi, le mot a été signalé en français au XIVe s. (estre abrié « être protégé contre le vent (en parlant d’un fruit) », v. FEW apricare 25, 56b). On le relève aux XVIIIe et XIXe s. comme terme de marine (v. Trévoux 1771; v. aussi FEW id., qui cite Bourdé) et comme terme de jardinage (v. Gattel 1797 et Boiste 1834). Voir aussi abrier (sens I). 2Depuis 1913. Cet emploi est bien attesté pour le verbe dans l’histoire du français (v. abrier, sens II.1). 3Depuis 1871. Cet emploi est bien attesté pour le verbe dans l’histoire du français (v. abrier, sens II.3).
II1Depuis 1942, par analogie avec le sens I.3. 2Depuis 1975. Cet emploi correspond au sens figuré III.2 et au sous‑sens « présenter qqch. en enrobant » de abrier.