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ABÎMER [abime]
v.

Rem.

Variantes graphiques : abimer; (au XVIIe s.) abismer, abysmer.

I

v. intr. Vieilli(Avec un sujet inanimé). S’enfoncer (dans le sol, dans l’eau) de manière à disparaître partiellement ou complètement.

On risque souvent dans les passages les moins difficiles, dans lesquels, si celuy qui gouverne le canot ou celuy du devant manquoit quelquefois de l’espaisseur d’un escu blanc à faire passer entre des roches et des bouillons qui se trouvent dans ces passages, on s’y briseroit ou on se rempliroit d’eau, et on se verroit abysmer dans des lieux qui paroissent effroyables. 1670 env., Récit de ce qui s’est passé de plus remarquable dans le voyage de MM. Dollier et Gallinée, P. Margry (éd.), Découvertes et établissements des Français dans l’ouest et dans le sud de l’Amérique septentrionale, t. 1, 1879, p. 164‑165.

Le 5. jour de Février 1663. entre les cinq ou six heures du soir, il arriva un tremblement de terre dans le Canada, en deux cens lieües de longueur sur cent lieües de largeur; qui fut si prodigieux, que des Moutagnes [sic] entieres abîmerent, des Lacs & des Rivieres disparurent & d’autres changerent de lit. 1671, P. Ragueneau, La vie de la Mere Catherine de Saint‑Augustin, p. 237.

La bâtisse de la Compagnie de la Traverse, elle abîmait dans l’eau. L’eau entrait dans les châssis, jusqu’à la moitié des planchers. 1913, Québec, BAnQQ, Cour d’appel (Québec), cause no 28 (1915), factum de l’intimé, p. 29.

[…]  [au moment] qu’ils viennent pour passer la rivière, il y a un pont en fer, puis un pont en plumes. Elle dit : « Pierre va vouloir passer sur le pont de fer, c’est un pont solide. Mais, elle dit, rendus d’en par la moitié du pont de fer, le pont de fer va abîmer dans le fond de la rivière, puis ils vont se noyer tous les trois. […] » 1949, Tourelle (La Haute-Gaspésie), AFEUL, L. Lacourcière, 720 (âge de l’informateur : n. d.).

On peut pas constater d’autre chose que c’est une forêt qui a abîmé. Elle a comme renfoncé dans la terre parce que les arbres sont culbutés tel que le récit de Mère de l’Incarnation. Ils sont postés, ils sont couchés dans la terre, d’autres ont la racine en l’air, d’autres ont la racine en dessous encore, mais ils sont couchés. Puis, le bois dans l’eau se conserve, ça fait deux, trois cents ans, près de trois siècles, peut-être trois siècles que ça a été renfoncé, mais pour l’avoir été, ça l’a été, une chose certaine.1960 env., Baie-Saint-Paul (Charlevoix), AFEUL, P. Perrault 91 (âge de l’informateur : n. d.).

VieilliS’écrouler, s’abattre.

Le pont va abîmer dans le fond de la rivière. Le toit a abîmé.

II

v. tr.

1

Vieilli(En parlant d’un liquide organique qui s’écoule de façon abondante du corps humain). Inonder, mouiller, tremper (qqn).

La sueur l’abîme.

Tout-à-coup le diable géant entonne une ronde infernale, en s’accompagnant sur la marmite qu’il frappait à coups pressés et redoublés [...]. Les sueurs abimaient mon défunt père; il n’était pas pourtant au plus creux de ses traverses! 1863, Ph. Aubert de Gaspé, Les anciens Canadiens, p. 45‑46.

Le père a voulu sauter sur moi, il m’a menacé de coups de poings dans le visage. La bave m’abimait, j’ai dit à son garçon, assis-le, je ne peux plus l’endurer. 1886, Arthabaska, BAnQQ, Cour d’appel (Québec), cause no 4 (1887), factum de l’appelant, p. 34.

Puis assise un instant, à genoux ensuite, elle pense au mal et elle expie. [...] Elle reste longtemps là jusqu’à ce que la sueur l’abîme. 1956, J.‑J. Richard, Le feu dans l’amiante, p. 39‑40.

Le jeune Silénois ne pouvait pas fesser bien fort, il était rendu à bout. Les sueurs l’abîmaient et il était resté à bout. À peine qu'il pouvait grouiller un bras! 1976, Notre-Dame-d’Hébertville (Lac-Saint-Jean-Est), B. Bergeron (dir.), Les Barbes-bleues, 1980, p. 105.

VieilliAbîmer le sang : saigner abondamment, être couvert de sang.

 Abîmer d’eau, abîmer l’eau : faire eau, s’emplir d’eau (en parlant d’un canot, d’une chaloupe). (PotierH 83, Dionne et GPFC).

 Abîmé, abîmée adj. Infesté.

Abîmé de punaises. (Lavoie 727).

2

VieilliAbîmer qqn : couvrir qqn de paroles injurieuses ou dénigrantes. Abîmer qqch. : s’en prendre violemment à qqch. par des paroles ou par des écrits. 

Si vous vous sentez appelé à nous abîmer dans les gazettes, tâchez, au moins, d’écrire un français plus classique[.] 1886, La Vérité, Québec, 26 juin, p. 6.

Faut-il s’étonner après cela de voir La Minerve, L’Evénement, Le Quotidien et Le Courrier du Canada, chanter quand même les louanges des taxeux et abimer ces pauvres libéraux? Ils sont bien payés et ils font leur besogne en conséquence. 1897 env., Les écumeurs : dossier de quelques conservateurs, 15 patriotes se partagent, p. 2.

Puis il avait abîmé le lâche, le traitant de vendu, de couillon. 1937, F.‑A. Savard, Menaud, maître-draveur, p. 203.

La critique a abîmé son dernier livre. 1968, V. Barbeau, Cahiers de l’Académie canadienne-française, no 12, p. 7.

3

Par renforcement, Fam.Abîmer qqn de bêtises, d’injures, d’invectives, de malédictions, etc. : couvrir qqn d’injures, d’invectives, de malédictions, etc.

2022, TLFQ, Abîmer d'injures [vidéo].

Nous avons un menbre [sic] français à Montréal, de ce temps-ci, c’est un nommé Vermont qui est venu avec Sénécal. Je vous en parle qu’il s’est fait abîmer de bêtises, par les gazettes rouges, suffit qu’il était l’ami de Sénécal. L’Étendard lui a servi une soupe chaude, parce qu’il était un mangeur de prêtres par chez vous. 1883, Le Grognard, Montréal, 18 août, p. [2].

Etre franc dans le collier, aux yeux de certaines gens, c’est savoir dire les plus grosses bêtises à ses adversaires, les abimer d’injures et de malpropretés. 1890, L’Électeur, Québec, 20 novembre, p. [1].

A la cour de recorder, un cocher de place peu endurant a traduit un journalier pour injures et insultes. La preuve a démontré que accusateur et accusé s’étaient mutuellement abîmé [sic] d’invectives à gogo, et les deux parties ont été congédiés [sic] dos à dos, chacun payant ses frais. 1892, L’Électeur, Québec, 21 juillet, p. [4].

Le compagnon de Boribeau suit la tarte que la dame va déposer sur le métal de l’évier. Il s’empare d’un couteau, en coupe et ouvre l’armoire pour se trouver une assiette et une fourchette. La cuisinière hurle et l’abîme d’injures [...]. 1956, J.‑J. Richard, Le feu dans l’amiante, p. 186.

(Acadie). L’Irlandais fait une colère noire; il se met à sacrer et à abîmer son escouade de malédictions. 1969, A. Chiasson, Les légendes des îles de la Madeleine, p. 65.

La moindre p’tite erreur que je faisais, i’ me tombait sur la couenne comme un sauvage. I’ pouvait m’abîmer de bêtises pendant dix minutes. 1982, B. B. Leblanc, Tit‑Cul Lavoie, p. 62.

La dispute s’est amplifiée et l’homme a poussé l’une des deux préposées. L’autre jeune fille s’est interposée et c’est à ce moment qu’elle a été agrippée par le bras et projetée par terre. Il les a aussi abîmées de bêtises. 2003, La Tribune, Sherbrooke, 17 octobre, p. A4.

III

v. pron. VieilliS’affaiblir, s’épuiser, général. par suite d’un excès de travail.

S’abîmer à travailler.

Vandal était un gueux aristocrate à l’air sournois et goguenard, plein de réparties malicieuses et s’indignant si on lui proposait de gagner par quelque travail les vêtements ou la nourriture qu’il demandait. – Merci, répondait-il fièrement; je suis pas pour m’abimer à fendre votre bois ou à faucher votre herbe. 1893, J. Marchand-Dandurand, Chronique, Le coin du feu, vol. I, no XII, décembre, p. 358.

– Marianna : M’as vous dire, mes heures, là, çà veut dire travailler tout l’temps si j’veux arriver à fin du mois. Ben rien qu’mes dimanches que j’sauve. – Honoré : Vous allez vous abîmer à travailler d’même Marianna, c’est-y d’valeur un peu. 1981, M. Laberge, C’était avant la guerre à l’Anse à Gilles, p. 23.

Histoire

IDepuis 1670 env. A eu cours en français de France depuis le XVIe s. jusqu’au milieu du XIXe, époque où il a commencé à vieillir (v. Huguet et GodCompl, s.v. abismer, DubClass3, Académie 1835; v. aussi TLF et FEW abyssus 24, 63a); au XXe s., signalé comme appartenant à l’ancienne langue ou à la langue classique dans les dictionnaires où il figure encore (v. Quillet 1937 et 1948, GLLF, Lexis 1979).

II1Depuis 1863. Pour abîmé « infesté », cp. abîmé de dettes en français de France du XVIe au XIXe s. (v. FEW 24, 63b), ainsi que abîmé de taches « couvert de taches (en parlant d’un meuble) » aux XVIIIe et XIXe s. (v. Académie 1798‑1878, Laveaux 1820‑1828). 2Depuis 1886. Attesté en français de France depuis Cotgrave 1611, mais considéré comme vieux de nos jours (v. FEW 24, 63a, PRobert 2021); signalé par ailleurs en Bretagne ainsi que dans les îles anglo-normandes de Jersey (abièmer) et Guernesey (abîmaïr; v. FEW 24, 63). 3Depuis 1883. Sans doute hérité des parlers de France; cp. abimer de minteries « raconter un grand nombre de mensonges » en Vendée (v. DugPoit).

IIIDepuis 1893; relevé en français de France au XIXe s. ainsi qu’en picard (v. FEW 24, 63b, et HaignBoul).

 abîmageabîmation.

Dernière révision : avril 2021
Trésor de la langue française au Québec. (2021). Abîmer. Dictionnaire historique du français québécois (2e éd. rev. et augm.; R. Vézina et C. Poirier, dir.). Université Laval. Consulté le 9 décembre 2024.
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